Avant d’entrer dans le vif du sujet, un petit challenge à l’honorable Annonciate Sendazirasa, Ministre de la Fonction Publique : dites-nous quels sont ces pays où les employés se sont engagés dans des grèves de zèle de travail pour protester contre leurs vies misérables et je vous dirai dans quel pays la gloutonnerie est utilisée comme grève de la faim!
Depuis le début du mois de mars, si les burundais étaient des avides utilisateurs de « Twitter », le #viechere aurait été le « hashtag » du mois. Les syndicats et diverses organisations de la société civile ne cessent de faire appel aux autorités de Bujumbura pour que des mesures soient prises pour alléger les souffrances d’une vie devenue insupportablement chère. Les mêmes acteurs sociaux demandent qu’il y ait plus d’équité dans l’acquittement de l’impôt sur le revenu — actuellement un fonctionnaire touchant 40$ par mois paie sa part, mais paradoxalement, les hauts dignitaires touchant aux alentours de 3,000$ par mois sont exonérés. C’est aussi le 1% contre les 99% ! La vie au Burundi n’est pas devenue subitement chère au mois de mars 2012. Elle l’était déjà. La goutte qui a fait déborder la vase est une augmentation unilatérale des prix de l’eau et l’électricité de 101 et 142% respectivement imposée par la Regideso. Une deuxième augmentation des tarifs dans moins de 6 mois. Côté institutions étatiques, on rétorque aux activistes syndicalistes et de la société civile que lahttp://www.iwacu-burundi.org/wp-admin/post.php?post=10064&action=edit vie est chère suite aux conjonctures internationales; et pour la Ministre Sendazirasa, elle l’est parce que les fonctionnaires de l’état ne travaillent pas assez assidument et conséquemment une grève d’excès de zèle de travail est l’unique solution. Quelle moquerie! Quoiqu’ il existe bel et bien des raisons hors-control du gouvernement de Bujumbura qui sous-tendent le coût de la vie au Burundi – notamment le coût du baril du pétrole ou du tonne de café sur le marché mondial, il y a des éléments déclencheurs de la cherté de la vie qui sont indiscutablement dans les mains de ceux qui président aux destines des burundais. Passons en revue quelques-uns.
Le Burundi vit au rythme du «rent seeking»
Quelque part, Mme Sendazirasa a raison : il faut arriver à accroitre la production et par conséquent l’économie burundaise pour améliorer les conditions de vie. Malheureusement, le Burundi souffre du « rent seeking », un cancer qui nous atrophie. Les élèves de l’économie du développement ont appris le « rent seeking » (ou recherche de rente) comme ce phénomène où les acteurs économiques cherchent la rente (ou profit) en s’engageant dans des activités parasitaires (ou même frauduleuses) tout en évitant des activités productives. Les forces productrices au lieu d’accroitre l’économie (le gâteau national) manipulent le gâteau déjà existant pour en tirer profit. L’exemple de la vente du Falcon 50 illustre parfaitement ce phénomène. Selon des rapports variés, quand le Falcon 50 a été vendu, quelques dignitaires se sont partagés une somme estimée à quelques 3 millions de dollars américains. Ces gens qui ont empoché les 3 millions de dollars ont accaparé ce profit sans n’avoir entrepris aucune activité productrice (allant à accroitre l’économie nationale). Comme si cette vente frauduleuse était un coup d’envoi, les scandales politico-financiers se sont multipliés exponentiellement ces dernières années, les uns seulement plus médiatisés que les autres. Les organisations de la société civile n’ont cessé de crier à qui voulait l’entendre. Elles ont alerté en vain le gouvernement qui la plupart du temps a choisi de faire sourde oreille. De scandale en scandales, le « rent-seeking » est devenu le mode de vie. L’économie nationale en souffre énormément. Il n’est plus surprenant d’entendre que tel ou telle a fait un « coup » de quelques millions. Si ce phénomène n’est pas éradiqué le plus tôt possible, aujourd’hui on parle de vie chère, demain on fera face à une désintégration sociale totale.
La «tolérance zéro» comme slogan
Durant son discours d’investiture, le Président Nkurunziza avait promis de s’atteler à attaquer le fléau de la corruption. Il avait fait la même promesse quelque part durant son premier mandat aussi. Aujourd’hui, les résultats se font toujours attendre. Les rapports et classements internationaux ainsi que des anecdotes journaliers sur la corruption au Burundi sont alarmants. Pire encore, le ministère de la justice qui devrait être le bouclier anti-corruption, en faisant respecter les lois de la république, se trouve sur le banc des accusés: les recrutements se font à coup de milliers de dollars. Ce sont ceux qui dénoncent ce fléau qui sont arrêtés. Où va le pays? D’emblée, le phénomène du « rent seeking » décrit en haut est facilité et entretenu par la corruption. En outre, la corruption est une taxe sur les consommateurs. Et les taxes rendent la vie chère. Si un entrepreneur doit payer des pots-de-vin pour faire marcher son business, ces pots-de-vin font partie de son coût de production. Et comme le cout de production (plus le bénéfice) dicte le prix que le consommateur paiera, la cherté de la vie devient directement proportionnelle au taux de corruption. La prochaine fois que Gabriel Rufyiri ou Faustin Ndikumana tiendra une conférence de presse pour nous parler des dossiers de corruption, au lieu de penser à une exposition abstraite, pensons à nos porte-monnaie et à nos comptes bancaires. La vie restera chère, aussi longtemps que la « tolérance zéro » contre la corruption ne restera qu’un slogan de campagne.
Mauvaise gouvernance au cœur de l’Afrique
La (mauvaise) gouvernance est un terme tellement difficile à définir car il englobe plusieurs aspects de l’organisation de la vie nationale. Ce dont l’on est sûr est qu’un pays gangrené par la corruption, vivant au rythme du « rent-seeking » et sans oublier des multiples violations de droits humains…est un pays en mauvaise gouvernance. Et quand il y a mauvaise gouvernance, la vie devient chère. Vie chère est synonyme de montée des prix (non-accompagnée de montée supérieure ou équivalente des salaires). Les économistes appellent cette montée des prix, l’inflation. Le Burundi connait une inflation très alarmante parce que le pays est en manque criant de devises. Principalement pour deux raisons : d’une part la production du café n’a pas été bonne (non-imputable au gouvernement parce que Nkurunziza n’est pas roi mais président); d’autre part la fermeture des robinets par les partenaires internationaux du Burundi qui conditionnent le déboursement des aides (en devises) à l’amélioration de l’état de la gouvernance (ici l’oiseau est entièrement dans les mains de ceux qui nous gouvernent). Suivez le schéma : mauvaise gouvernance, manque de devises, inflation, vie chère. La mauvaise gouvernance affecte aussi la gestion des entreprises publiques et parapubliques. On se rappellera que la SOSUMO était au bord de la faillite, il n’y a pas très longtemps, son ADG étant protégé à l’époque par certaines des plus hautes autorités de la république. Mettez-vous aussi à compter combien d’entreprises paraétatiques ont fermé les portes durant la dernière décennie. C’est ici où la Regideso entre dans la danse. Dans moins de 6 mois, ses tarifs augmentent de presque 300%. Entre temps, on ne sait rien de la manière dont cette entreprise est gérée. On chuchote des embauchages basés sur le militantisme ou sur la corruption comme au ministère de la justice. Le manque de transparence tue la méritocratie et installe un système de patronage nuisible à la production (à la Regideso ou ailleurs). Une gestion de la Regideso à la SOSUMO d’Alexis Ntaconzoba ne produit que deux résultats : soit les prix augmentent, soit l’entreprise ferme (tous les deux ont des effets désastreux sur l’économie nationale). Un audit externe était exigé de la Regideso avant qu’elle ne passe à une autre augmentation des prix. La Regideso passe outre mesure et enfonce le clou dans les pieds des consommateurs burundais qui déjà tentaient de comprendre ce qui se passe avec le pétrole! En tous cas, les décideurs à la Regideso doivent avoir des assurances « d’En-Haut », sinon… Et voilà, la société civile et les syndicalistes lancent une campagne contre la vie chère. En réponse, les détenteurs des leviers du pouvoir à Bujumbura les traitent de « fauteurs de troubles». Les burundais doivent apprendre à demander compte à leurs dirigeants.