Jeudi 09 mai 2024

Société

Uniformes lacérés : la chasse aux lycéens lancée

16/08/2019 Commentaires fermés sur Uniformes lacérés : la chasse aux lycéens lancée
Uniformes lacérés : la chasse aux lycéens lancée
Des élèves lacèrent leurs uniformes à la fin de l’Examen d’Etat.

Un responsable d’une école de Bubanza a décidé que des diplômes ne seront pas remis à 10 élèves finalistes. Il les accuse d’avoir lacéré leurs uniformes et de s’être mal comporté à la fin de l’examen d’Etat. Une décision qui a suscité beaucoup de réactions.

Une audio circule sur les réseaux sociaux. Le directeur de l’école secondaire EPM cite les noms des élèves qu’il accuse d’avoir affiché un comportement loin d’être exemplaire.

Ils se sont dénudés et ont proféré des injures à l’encontre d’un préfet des études. « Manque d’éducation,» indique ce responsable. Il dit qu’une réunion a été tenue et les sanctions ont été prises : pas de diplôme pour 10 élèves de la section Maintenance qui sont allés à l’encontre du règlement scolaire. « Ils pourront redoubler ». Il assure qu’une note sera envoyée à la ministre, justifiant la prise de décision.

Effet boomerang

Une décision qui suscite un tollé chez les élèves. Ce directeur n’est pas le seul à envisager des sanctions et la peur gagne des élèves finalistes. Ils craignent des mesures disproportionnées à la faute commise. La police serait à la poursuite « des fauteurs de trouble. »

« Je ne crois pas qu’il y ait eu faute. Nous avons fini nos études avec succès et nous avons passé l’examen d’État. Pourquoi penser au redoublement de quelqu’un qui a réussi ? » S’étonne un finaliste d’une école de Bujumbura. Il dit avoir peur que plusieurs directeurs d’école prennent de telles mesures qu’il qualifie d’excès de zèle.

B., une élève d’une école publique de Bujumbura, dit avoir peur. Elle et ses camarades de classe sont allés à la plage pour fêter la fin de l’école secondaire. Elle s’inquiète que des photos prises soient publiées «Notre accoutrement n’étaient pas indécent. Nous avons déchiré nos uniformes pour manifester notre joie à la fin des études qui n’étaient pas faciles. Maintenant que des photos circulent, je ne sais pas si les miennes vont sortir.»

L’explosion de vendredi

Vendredi 9 août. Quatre jours après d’examens ouvrant accès aux études universitaires. Les élèves se retrouvent pour célébrer la fin de leurs études secondaires. C’est un vendredi, le week-end s’annonce intense, surtout à Bujumbura. Des soirées sont prévues ici et là. Les élèves en profitent pour refaire à coups de ciseaux leurs uniformes en les déchirant. Une sorte de « rituel » ces dernières années pour célébrer la fin d’études au secondaire. Mais cette fois-ci, elle fait le buzz sur les réseaux sociaux et suscite de vives réactions.


« Il ne faut pas s’acharner à sanctionner »

Jean Bosco Ndayishimiye : « Le comportement de ces élèves est une délinquance. »

Pour le psychosociologue Jean Bosco Ndayishimiye, ces élèves ont manifesté une joie, des émotions subites, mais exagérées. Un comportement qui peut se répercuter sur les futures générations, d’après lui. «  Certes, ils ont le droit d’exprimer leurs émotions, mais ils l’ont fait d’une mauvaise manière, contraire aux valeurs et aux mœurs burundaises».

Ce psychosociologue parle aussi d’un acte d’adolescence lié à la délinquance. Il estime que les émotions de ces élèves ne devraient pas aller jusqu’à « se déshabiller en plein air, sur la route peut-être.
« C’est purement et simplement une délinquance », insiste-t-il. Selon lui, ce comportement peut-être normal pour ces élèves, mais il est anormal pour la société.

Quant à la répression, Jean Bosco Ndayishimiye s’interroge sur la sanction à réserver à des adolescents qui n’ont agi que par des émotions « exagérées certes », mais en dehors de l’établissement.

Pour lui, il faut que le règlement scolaire soit clair sur les faits qui se déroulent en dehors de l’école pour sanctionner ces élèves. Sinon, explique-t-il, la loi peut intervenir en matière de délinquance. « Mais la répression conditionne toujours une plainte. Et celui qui est lésé doit démontrer comment et pourquoi ce comportement des élèves lui porte atteinte. »

M. Ndayishimiye trouve injuste de les priver de diplômes, car ils ont réussi en classe. « Ils méritent donc absolument leurs diplômes. »
Il estime qu’au lieu de s’acharner sur eux pour les sanctionner, l’Etat devrait plutôt mettre en place un système de rééducation des élèves pour éviter la récidive pour les futures promotions.

«Rappelle-toi que ton fils n’est pas ton fils, mais le fils de son temps»

«C’est de la folie! » ; «C’est révoltant! » ; «Quelle jeunesse ! » Des jugements d’adultes à l’emporte-pièce à la vue des uniformes lacérés au sortir de l’examen d’Etat édition 2018-2019. De quoi ce phénomène social boosté par l’effet amplificateur de la messagerie instantanée WhatsApp est-il le nom ? Quel est son ressort? L’année scolaire 2017-2018 a été marquée par une ordonnance interdisant d’arborer des cheveux longs, des mini-jupes, du maquillage, du vernis et des boucles d’oreilles. Et ce dans le sillage de la campagne de «moralisation de la société» lancée par le président Nkurunziza. «We are free at last! », semblent dire des élèves de terminale. Expression du ras-le-bol de la vie austère à l’école. Et au-delà une revanche sur l’idéologie dominante des Eglises évangéliques distillant le souffle de «la fin de l’histoire» tous azimuts sur la société burundaise. Et par là même édictant des mesures disciplinaires reflétant sa vision des bonnes moeurs faisant fi de l’air du temps. Cette « moralisation de la société » qui touche l’école semble passer mal auprès des jeunes de la génération Z (nés entre 1998 et 2016) qui suivent les dernières tendances de la mode avec un brin d’esprit anticonformiste. C’est la catégorie de la population la plus réceptive à ce que Nietzsche appelle les 3M : le Milieu, le Moment et la Mode. Pour s’affranchir des grilles de lecture des générations X et Y qui empêchent toute lisibilité du phénomène - par-delà le jugement moral -, suivons ce conseil de Confucius : « Rappelle-toi que ton fils n’est pas ton fils, mais le fils de son temps». Guibert Mbonimpa

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Réactions 

Le ministère de l’Education : « Le ministère en collaboration avec la police des mœurs a entamé des enquêtes.» L’inspecteur général de l’enseignement fondamental, Tharcisse Niyongabo estime prématurées les sanctions prises par les responsables des ’écoles. Il dit qu’il est encore très tôt pour prendre des mesures à l’encontre de ces élèves. Tharcisse Niyongabo indique que le ministère de l’Education en collaboration avec la police des mœurs a entamé des enquêtes sur tout élève qui a participé à la « détérioration des mœurs » par le fait de déchirer les habits. A la fin de l’enquête, il promet des sanctions en conformité avec la loi. Les directeurs d’école doivent attendre la décision du ministère avant de prendre des mesures selon le règlement scolaire. Association nationale des parents d’élèves et étudiants : « Cela arrive quand on est jeune. » Edouard Ndikumasabo, président de cette association déplore le comportement affiché par des élèves. Il signale toutefois que ce cas doit être mis dans un cadre de réjouissance des adolescents fait en dehors de l’école. « Ils ont quand même attendu la fin des études et de l’examen d’Etat, pour ça ils peuvent bénéficier de notre clémence à tous en tant que parents, enseignants et éducateurs». Ce parent demande la tolérance envers ces élèves en plein adolescence qui parfois affichent un comportement troublant. « Même si c’est un comportement à déconseiller, il n’empêche que cela arrive quand on est jeune. » La coalition des syndicats des enseignants COSSESSONA : «   Un comportement regrettable » Pour Emmanuel Mashandari, le vice-président de cette coalition des syndicats Conapes, Synatef, Steb-Sleb-Sipesbu et Synapep, il s’agit d’un comportement inhabituel qui présage la remise en cause des bonnes habitudes qui ont toujours caractérisé le système éducatif burundais. « Il est regrettable qu’il y ait une génération d’élèves du post-fondamental qui au lieu de penser à leur avenir, s’investissent à déchirer publiquement les habits ». La coalition demande le respect du matériel scolaire, l’uniforme et de penser aux conditions de vie de certains ménages et développer des valeurs de bonnes relations. « Les responsables d’école doivent interroger la loi et le règlement scolaire avant de procéder aux sanctions ».

Editorial de la semaine

La soif d’aujourd’hui

Au Burundi, pays de tradition brassicole, la bière est reine. Pour la majorité de Burundais, un évènement excluant l’alcool n’en est pas un. Dans la joie comme dans le malheur, en famille ou entre amis, la bière est obligatoire. Elle (…)

Online Users

Total 2 318 users online