Lundi 24 novembre 2025

Économie

Quand le prix des produits sur le marché défie la chute du dollar

Quand le prix des produits sur le marché défie la chute du dollar
Des sacs de riz de différentes qualités au marché appelé « Cotebu »

Le coût du dollar est orienté à la baisse ces derniers mois sur le marché noir, passant de 7300 BIF à 6300 BIF. Pourtant, les prix des produits sur le marché ne suivent pas cette tendance descendante. Les consommateurs broient du noir et appellent le gouvernement à renforcer la régulation des prix.

Au marché de Ngagara II, dit « Cotebu », la baisse du dollar n’a pas freiné la hausse des prix des produits alimentaires, locaux comme importés. Un sac de 25 kilos de riz tanzanien coûte désormais 230 000 BIF, contre 180 000 BIF il y a deux mois. Le kilo de riz local de qualité ordinaire se vend à 6 000 BIF, alors qu’il se vendait 5 000 BIF. Quant au sel, le sac de 25 kg s’achète à 43 000 BIF, soit 2 200 BIF le kilo, contre 1 800 BIF auparavant.

Un commerçant, qui a préféré garder l’anonymat, explique que les prix varient en raison de nombreux facteurs. « Les produits importés de l’étranger n’ont pas baissé de prix sur les marchés extérieurs. De plus, nous avons encore en stock des marchandises approvisionnées avant la chute du dollar. Il faut aussi comprendre que nous fixons nos prix en tenant compte des dépenses engagées. Nous sommes nous-mêmes consommateurs avant d’être commerçants. »

Pour lui, le prix des produits locaux dépend de la disponibilité du carburant. Il explique que les transporteurs des taxis disent qu’ils achètent encore le carburant au prix du marché noir. « Quand le carburant sera disponible, je pense que les prix des produits locaux ou des denrées alimentaires en provenance de l’intérieur du pays vont baisser. Nous sommes des commerçants, nous sommes obligés de vendre à prix élevé pour ne pas perdre. Ce n’est pas notre faute. Nous voulons aussi vivre et subvenir aux besoins de nos familles. »

Des consommateurs dans le désarroi

Les consommateurs rencontrés au marché demandent que ces prix soient revus par le gouvernement car d’après eux, leurs moyens ne leur permettent pas de s’approvisionner.

Ange Ndayikeza de la zone Kamenge témoigne : « Les prix des denrées alimentaires ont grimpé. Le prix du riz par exemple est problématique. Le riz de mauvaise qualité se vend à 6 000 BIF le kilo. Le citoyen lambda en souffre. Chez moi, on ne mange plus du riz car avec nos moyens, c’est impossible. »

Pour elle, le gouvernement devrait fixer le barème que les commerçants ne doivent pas dépasser. « Quand le président a dit que le carburant est disponible, on s’est réjoui parce que le dollar aussi a baissé et on croyait que cela allait impacter la baisse des prix sur le marché en vain. Le gouvernement doit prendre en charge la régulation des prix pour protéger sa population. »

Marc Nduwayo, rencontré dans la zone de Bwiza, n’est pas loin du témoignage de Ndayikeza. Pour lui, les commerçants devraient arrêter la spéculation sur leur produit. « Les prix des produits varient d’un commerçant à l’autre. Ce n’est pas une bonne chose. Le weekend passé je voulais acheter le riz tanzanien. J’ai presque parcouru le marché dit « Kwa Siyoni » et le prix par kilo était différent. Le gouvernement devrait suivre la question de près. Cela affecte les citoyens. »


Réaction

Noël Nkurunziza : « Les consommateurs sont des éléments clés dans les activités commerciales »

Le porte-parole de l’Association burundaise des consommateurs, Abuco, constate lui aussi que malgré la baisse du dollar ainsi que la distribution du carburant dans certaines stations, les commerçants et les transporteurs n’ont pas diminué les prix de transport de personnes et de biens. « On a constaté que le coût du dollar a baissé mais aucun changement. Les prix des déplacements restent invariables. Ou va le carburant reçu ? Les commerçants échangent le dollar a un coût bas mais ils n’ont pas baissé les prix de leurs produits. Ils doivent savoir que les consommateurs sont des éléments clés dans leurs activités commerciales. »

M. Nkurunziza appelle le ministère en charge du Commerce à suivre de près la régulation des prix des différents produits sur le marché. « La baisse du dollar sur le marché parallèle à la banque centrale devrait diminuer directement les prix des produits. Dernièrement, c’était l’un des arguments avancés par les commerçants pour expliquer la flambée des prix. Le ministère en charge du Commerce doit suivre la régulation des prix afin d’éviter les spéculations faites par les commerçants. »


Analyse

Dr Diomède Ninteretse : « Il y a encore un déséquilibre entre l’offre et la demande »

Dr Diomède Ninteretse, expert en leadership, estime que la situation actuelle révèle des défis structurels profonds au sein des marchés burundais, marqués depuis plusieurs années par un déséquilibre entre l’offre et la demande. « Ce n’est pas en trois mois que le dollar perd de la valeur sur le marché noir. D’autant plus que la production n’a pas augmenté depuis longtemps. »

Plusieurs raisons structurelles expliquent la continuité de la flambée des prix, notamment l’inertie des prix et la rigidité du marché. « Cela signifie que même lorsque le coût d’importation baisse, les prix n’obéissent pas immédiatement aux mécanismes normaux de fixation. Par exemple, les entreprises préfèrent maintenir des marges élevées pour couvrir les pertes passées. La spéculation persiste et les prix ne peuvent baisser naturellement. »

Sa seconde observation concerne les contrats d’achat antérieurs, conclus lorsque le dollar était encore cher, qui continuent d’influencer les prix actuels. « Si un commerçant a passé une commande il y a quatre mois, il se réfère aujourd’hui encore au prix d’achat lors de l’importation. On ne peut espérer un changement visible immédiatement. »

Le changement administratif des prix et l’inflation sur l’importation

M. Ninteretse rappelle que l’inflation est aujourd’hui estimée à plus de 30 %. « On ne peut espérer que les prix diminuent en période d’inflation. Tout le monde anticipe pour couvrir le manque à gagner. Avec une hausse généralisée des prix à 30 %, il est normal que les prix ne diminuent pas rapidement. »

La mesure du gouvernement visant à réguler les prix n’a pas fonctionné pour certains produits sur les marchés. « Certains produits stratégiques importés n’ont pas diminué. Prenons le carburant : son prix d’importation n’a pas baissé, alors qu’il fait partie des facteurs de production. Tous ces facteurs de production n’ont pas diminué de prix. Il est donc difficile d’imaginer une baisse sur le marché alors que certains produits stratégiques notamment le ciment, le sucre restent chers. Avec la pénurie de carburant et le marché informel créé à cet effet, la diminution des prix de certains produits et services est impossible. »

La spéculation et le manque de transparence

L’absence d’informations claires pousse les commerçants à augmenter leurs prix, souvent de manière injustifiée, avec des marges spéculatives créant une situation anarchique. Cette opacité fragilise la confiance entre consommateurs et producteurs, faute de communication transparente.
Concernant l’impact sur la vie économique, M. Ninteretse souligne qu’à chaque hausse généralisée des prix, le pouvoir d’achat des consommateurs s’effondre. « Malgré la flambée des prix, les salaires n’ont pas augmenté et continuent de stagner. On observe une réduction du panier alimentaire dans les ménages et les entreprises qui doivent importer certains produits. »

L’excès de spéculation affecte la capacité à faire face aux dépenses, notamment publiques, de santé et d’éducation. « Si les prix des denrées alimentaires flambent, l’argent destiné à l’éducation ou aux investissements sera consacré en grande partie à l’achat de nourriture. Quand les prix flambent, il faut s’attendre à une explosion de la pauvreté et à une instabilité sociale. Un individu sans moyens suffisants ne peut se permettre de manger trois fois par jour. Le salaire n’ayant pas augmenté, il y a un recul net sur la sécurité alimentaire, car les enfants ne mangent pas suffisamment. Les conséquences sont nombreuses. »

Il préconise de combiner une régulation forte, d’améliorer la transparence et de stimuler la production locale tout en protégeant le consommateur. « Il est possible de stabiliser durablement les prix, mais il faut redonner espoir aux ménages burundais en subventionnant les ménages vulnérables qui ne peuvent tenir le coup face à l’inflation et à la hausse des prix des produits de première nécessité. »

M. Ninteretse suggère un contrôle rigoureux pour certains produits stratégiques comme le carburant, le sucre et l’électricité. « Ce sont des facteurs de production. Il faut intensifier les inspections dans les secteurs sensibles. On dit qu’on produit beaucoup de bière, mais sur le marché, on ne trouve ni les Royales ni les limonades. La spéculation continue. L’État doit sanctionner les spéculateurs et faire preuve de vigilance. »

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