Autrefois marquée par une effervescence particulière, la période précédant la Noël semble aujourd’hui plus discrète. À quelques jours de la fête, les marchés de Bujumbura affichent un calme inhabituel. Les préparatifs se font timides, freinés par diverses raisons qui traduisent un changement dans les habitudes des familles.
Il est 11h du matin au marché de Bujumbura City Market dit Kwa Siyoni. L’ambiance y est calme, loin de l’agitation habituelle des périodes de fin d’année. Quelques mamans sont présentes. Elles sont venues chercher des vêtements pour leurs enfants en prévision des fêtes, en particulier celle de Noël.
Les prix, quant à eux, ont connu une flambée notable. Une robe pour une fillette de moins de 13 ans se vend entre 100 000 et 150 000 FBu. Pour les garçons du même âge, un ensemble pantalon-chemise coûte à peu près autant. Même les vêtements d’occasion, communément appelés « ballon » ou « kombokombo », se négocient entre 35 000 et 40 000 FBu. Les chaussures, elles aussi, pèsent sur le budget. Environ 60 000 FBu par paire pour les filles, et jusqu’à 150 000 FBu pour les garçons.
« Les choses sont devenues très chères ces derniers temps. Cette robe pour ma fille de 9 ans coûte 100 000 FBu. Si on ajoute les chaussures, il me faut près de 200 000 FBu par enfant. Et ça, c’est juste pour mes filles », confie une mère rencontrée sur place.
N.C., commerçante, note une baisse du flux de clients à l’approche de Noël contrairement aux années précédentes. Elle l’explique par la hausse constante des prix, obligeant même les commerçants à réajuster régulièrement leurs tarifs pour éviter les pertes.
Un constat partagé
Au centre-ville, vers 16h30, l’ambiance de Noël était loin de l’effervescence habituelle. Au magasin T2000, connu pour ses décorations de fête, les sapins, vendus entre 220 000 et 500 000 FBu, attiraient peu de clients. Beaucoup se contentaient de regarder les prix, visiblement étonnés.
Même constat à Village Market, où les vêtements pour enfants variaient entre 100 000 et 300 000 FBu, et une paire de chaussures entre 150 000 et 200 000 FBu. Quelques mamans étaient quand même venues acheter des tenues pour leurs enfants. L’une d’elles souligne que Noël reste un moment fort pour se réunir en famille, et que ce sont souvent les vêtements neufs qui permettent aux enfants de sentir que la fête est là.
N.K., mère de quatre enfants, estime que Noël n’a plus la même saveur que lorsqu’elle était jeune. Selon elle, à son époque les familles se mobilisaient pour installer des sapins dans leurs maisons, acheter de nouveaux vêtements et préparer de bons repas.
« Aujourd’hui, tout cela est devenu difficile. Habiller tous les enfants et de prévoir un bon repas, c’est compliqué. Il faut faire un choix. Personnellement, je préfère assurer à manger plutôt que me focaliser sur les vêtements, car faire les deux est un vrai défi. »
Elle ajoute que même les fêtes de Noël organisées par les écoles maternelles n’ont plus le même éclat qu’autrefois. Avant, les écoles se déplaçaient pour célébrer dans des lieux spéciaux, alors qu’aujourd’hui, tout se fait simplement à l’école pour certaines.
« Il est vrai que nous payons une cotisation de 25 000 Fbu par enfant, mais cette somme n’a plus la même valeur qu’avant. Les fêtes de Noël à l’école se limitent souvent à de petites choses, pour montrer aux enfants qu’il y a eu un Père Noël. »
Des fêtes abandonnées suite aux préoccupations du quotidien
D’autres personnes estiment que la baisse d’engouement pour Noël ne s’explique pas uniquement par la conjoncture économique. Selon elles, c’est aussi un reflet d’un changement de mentalité. Les priorités ont évolué. Beaucoup de familles, préoccupées par d’autres défis quotidiens, ne placent plus cette fête au centre de leurs pratiques.
Selon C. N., un père de famille, célébrer Noël ne devrait pas forcément rimer avec de grosses dépenses. Il suffit de faire avec ses moyens, acheter quelques choses simples et partager un moment chaleureux en famille.
« Je me souviens que quand j’étais jeune, dans nos régions rurales, à Noël, on coupait des arbres en forme de cèdres pour décorer les maisons. C’était ça, l’esprit de Noël. Aujourd’hui, cette tradition a presque disparu, même dans la majorité des familles à l’intérieur du pays. »
Un autre parent affirme que même dans certaines familles aisées, l’esprit de Noël n’est plus toujours présent. Pour elles, les priorités sont ailleurs, notamment trouver de quoi nourrir les enfants et assurer leur bonne éducation, en les inscrivant dans de bonnes écoles.
Malgré les difficultés actuelles, certains parents considèrent Noël comme une précieuse occasion de se retrouver en famille, un moment rare pour renforcer les liens mis à mal par le stress et le rythme de la vie quotidienne.
Une évolution des comportements
Selon Oswald Ndacayisaba, psychologue clinicien et socio-anthropologue, si la baisse d’enthousiasme pour Noël semble générale, elle s’exprime toutefois différemment selon les âges et les milieux de vie. « L’avenir incertain et la pression sociale chez les jeunes urbains font que beaucoup privilégient la survie quotidienne à la célébration tandis que chez les jeunes ruraux, la dépendance aux revenus agricoles fait que Noël devient secondaire lorsque les ressources sont limitées. »
Il fait en outre savoir que chez les adultes urbains, les dépenses essentielles comme l’alimentation, la santé et la scolarité accaparent toute l’attention, laissant peu de place aux fêtes. En zone rurale, les préoccupations liées aux récoltes et à la stabilité du foyer prennent le dessus, reléguant les célébrations au second plan.

Il ajoute que cette évolution des comportements s’inscrit dans une tendance plus large observée en période de crise. « L’anthropologue Marc Augé rappelle que dans les sociétés confrontées à des crises, les rituels collectifs se transforment, ce que l’on observe clairement aujourd’hui au Burundi. »
M. Ndacayisaba explique que le désintérêt pour Noël traduit aussi un changement de mentalités, influencé par les réseaux sociaux, les médias et l’émergence de mouvements africanistes qui valorisent davantage les fêtes africaines plutôt que celles d’origine européenne comme Noël.
Il ajoute que, malgré sa célébration en Europe, le recul de la foi dans ces sociétés de plus en plus athées en affaiblit le sens. Exposés à ces réalités via la technologie, certains jeunes adoptent une attitude critique vis-à-vis de cette fête.







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