Il y a quelque chose, excusez-moi, d’indécent : le Burundi, mon pays, parmi les plus pauvres au monde, qui va encore très mal, doit mobiliser 33 millions de dollars pour accueillir des réfugiés qui fuient une guerre dont les Burundais n’ont pas souhaité. Pire, une guerre pour laquelle même le Parlement n’a pas été consulté.
Pourtant, les répercussions l’affectent profondément. La fermeture de la frontière de Gatumba/Kavimvira menace 27,1 % des recettes d’exportation burundaises. L’économie de l’Est congolais est paralysée. Les populations, de part et d’autre des frontières, paient le prix fort d’une instabilité qui les dépasse.
Et pourtant, les mécanismes de paix foisonnent. La Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), la CEEAC, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) – j’en oublie c’est sûr, toutes ces structures existent sur le papier, avec leurs sommets, leurs communiqués et leurs feuilles de route. Leurs fonctionnaires grassement payés.
Pourtant, face à la résurgence cyclique de la violence, elles apparaissent comme des coquilles vides, dépourvues de la volonté politique et des moyens d’action nécessaires pour transformer les déclarations en résultats concrets.
Il serait commode de désigner un unique coupable dans cette tragédie. La réalité est plus complexe et, par conséquent, plus exigeante. La RDC porte la responsabilité de sa gouvernance défaillante dans l’Est, qui a créé un vide sécuritaire comblé par une myriade de groupes armés. Le Rwanda, que Kinshasa accuse de soutenir le M23, doit répondre de ses actions et de ses intérêts dans la région. Le Burundi, dont certains groupes armés restent actifs en territoire congolais, ne peut se dédouaner de toute implication. L’Ouganda, l’Angola – tous les pays de la région ont, à des degrés divers, des intérêts et des responsabilités dans la résolution de cette crise.
Ce qui manque cruellement, ce n’est pas la connaissance des problèmes – ils sont documentés ad nauseam. Ce qui fait défaut, c’est la volonté politique de privilégier la stabilité régionale sur les intérêts nationaux à court terme, de choisir la coopération plutôt que la compétition, le dialogue plutôt que l’affrontement par procuration.
Toute solution viable doit s’articuler autour de plusieurs axes non négociables :
Premièrement, la transparence sur les soutiens aux groupes armés. Le jeu trouble des alliances et des parrainages doit cesser. Chaque État de la région doit s’engager publiquement et de manière vérifiable à couper tout lien avec les acteurs non étatiques qui perpétuent la violence.
Deuxièmement, le déploiement d’une force régionale crédible et neutre. Ni la MONUSCO ni les armées nationales n’ont réussi à sécuriser l’Est congolais. Une force multinationale africaine, avec un mandat robuste et les moyens de sa mission, pourrait créer les conditions de sécurité minimales pour un désarmement progressif. Facile à dire, je sais.
Troisièmement, l’établissement d’un mécanisme régional de vérification et de surveillance.
Quatrièmement, un engagement économique collectif pour le développement de l’Est congolais. La paix ne tiendra pas sans perspectives économiques pour les populations. Les ressources naturelles de la région, au lieu d’alimenter les conflits, doivent devenir le socle d’un développement partagé.
Les 76 000 réfugiés congolais au Burundi ne sont que la partie visible d’un iceberg humanitaire. Des millions de déplacés internes en RDC, des économies régionales paralysées, une génération de jeunes privée d’éducation et d’avenir, la prolifération des groupes armés, la criminalisation de l’économie – voilà le bilan de décennies d’indifférence et de calculs cyniques.
Le processus de Doha, soutenu par les États-Unis, offre peut-être une fenêtre d’opportunité. Mais les médiations extérieures ne peuvent suppléer à l’absence de volonté régionale. Washington, Bruxelles ou Pékin peuvent faciliter, encourager, même exercer une pression. Ils ne peuvent pas imposer une paix que les acteurs régionaux eux-mêmes ne désirent pas ou ne sont pas prêts à construire.
Les dirigeants des Grands Lacs portent une responsabilité historique. Ils peuvent choisir de léguer à leurs successeurs un cycle perpétuel de violence, de refuges et de misère. Ou ils peuvent faire le choix courageux de briser ce cycle, en acceptant les compromis nécessaires.
La crise actuelle n’est pas seulement une tragédie humanitaire. C’est un test de maturité politique pour toute la région.
La question n’est plus de savoir si une paix durable est possible. Elle est de savoir si les responsables régionaux ont la volonté et le courage de la construire.







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