Lundi 01 décembre 2025

Politique

La décentralisation à l’épreuve du terrain

01/12/2025 0
La décentralisation à l’épreuve du terrain
selon les habitants de l’ex-commune de Mugina : « Le trajet jusqu’au chef-lieu de la commune de Mabayi est long, le coût de transport est élevé. »

Cinq mois après l’entrée en vigueur de la loi n°1 du 16 mars 2023 portant détermination et délimitation des provinces, communes, zones, collines et quartiers — une réforme qui a réduit le nombre de provinces et de communes tout en réaménageant les entités de base — ses effets continuent de se faire sentir sur le terrain. Entre promesse de proximité administrative et difficultés persistantes, la population accueille ces changements avec des sentiments mitigés.

À Kabonga, dans la commune Nyanza de la province Burunga, la population approchée dit observer des effets contrastés de ces réformes. « Alors que l’administration est proche, quelques documents administratifs , dont les documents judiciaires sont difficiles à obtenir », dit un habitant de cette localité.

Selon lui, le manque d’infrastructures et de matériel adéquat, notamment au niveau des zones freine le fonctionnement des services. Il donne en exemple le service de l’état civil, ou certaines démarches accusent des retards.

C’est notamment pour les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans qui doivent présenter des documents administratifs pour bénéficier des soins gratuits.

Toutefois, d’autres habitants vivant près de la frontière tanzanienne soutiennent que la proximité apporte un réel soulagement : « Avant, pour nous rendre au bureau communal, nous dépensions entre 7 000 et 9 000 FBu en transport. Aujourd’hui, les documents sont accessibles au niveau des zones ».

Dans la province de Bujumbura, les habitants de l’ex-commune de Mugina, rattachée à la commune de Mabayi dénoncent l’éloignement et les coûts élevés pour obtenir des documents. « Le trajet pour nous rendre à la commune est long, et ce n’est pas sûr de rencontre les autorités ou que nos dossiers seront traités sans oublier le fait qu’il y en a qui ne connaissent même pas où se trouve les bureaux ».

A Bukinanyana, les habitants se montrent plus satisfaits. « Nous n’avons pas de problème pour obtenir les documents et nous économisons sur le transport, surtout avec la pénurie de carburant. » Pour ces derniers, la proximité administrative facilite leur quotidien.
Plus au nord, dans la province de Butanyerera, la situation varie selon les zones. Dans la zone Murema de la commune Matongo, la population se dit satisfaite de la présence des autorités locales. « Nous pouvons accéder facilement aux services et obtenir les documents ».

Dans la zone Gatara, en revanche, les paysans dénoncent les difficultés liées aux distances et aux coûts du transport. « Pour certains, se rendre à Ngozi au chef-lieu provincial est trop cher et fatigant, surtout pour les personnes âgées ».

D’après eux, ces obstacles compliquent l’accès à des services essentiels. Arsène Irutingabo, responsable du département de l’Éducation dans cette zone, reconnaît que certains enseignants et fonctionnaires dans son département ne sont pas encore réaffectés selon la nouvelle organisation communale, ce qui retarde la signature et la délivrance des documents scolaires.

Il assure toutefois que des réintégrations sont prévues afin que le système éducatif local fonctionne correctement et que la population puisse bénéficier des services attendus.


Réactions

Olivier Nkurunziza : « La loi a été appliquée trop rapidement et sans concertation »

Pour le président de l’Uprona, la réforme administrative présente des atouts potentiels, mais sa mise en œuvre a souffert de précipitation et d’un manque de concertation.

Il estime que le ministère de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique a élaboré le texte de manière unilatérale, sans associer les autres partis politiques ni informer suffisamment la population sur l’organisation des nouvelles zones et communes.

Selon lui, de nombreux citoyens demeurent désorientés face aux responsabilités des différentes entités, ce qui provoque des retards dans l’obtention de documents, ce qui alimente des confusions. M. Nkurunziza pointe également le déficit d’infrastructures dans certaines zones : absence d’ordinateurs, d’imprimantes, d’électricité fiable ou encore de locaux adéquats, autant de lacunes qui entravent l’action des autorités locales.

Il relève en outre que certains fonctionnaires n’ont pas encore été affectés ou formés à leurs nouvelles fonctions, ce qui crée des blocages dans l’administration de proximité. À ses yeux, la réforme pourrait même entraîner une hausse de la masse salariale, à rebours de l’un des objectifs initiaux.

Pour que les avantages escomptés se concrétisent, il plaide pour des ajustements urgents : mieux informer la population sur la localisation des services, doter les zones et communes du matériel et du personnel nécessaires, et accélérer la digitalisation des documents administratifs, notamment les cartes d’identité.

Il considère par ailleurs que la suppression de la mairie de Bujumbura constitue une erreur, les mairies étant des leviers importants de développement urbain et économique.

Le président du parti Uprona appelle enfin à une implication plus directe du ministère chargé de l’Intérieur, à travers des explications claires et un suivi régulier, afin de corriger les difficultés actuelles et de restaurer la confiance de la population.

Diomède Ninteretse : « La réforme peut réussir si des mesures correctives sont prises »

Pour cet expert en leadership, l’ambition de la réforme — notamment la réduction du nombre de communes et le renforcement de la proximité administrative — est pertinente et peut permettre une utilisation plus efficace des ressources disponibles. Mais il souligne que le dispositif souffre de faiblesses structurelles, ce qui freine sa mise en œuvre.

La population, insuffisamment associée à l’élaboration de la loi, peine encore à comprendre les nouvelles modalités de fonctionnement. Les infrastructures demeurent limitées, et les 11 départements désormais rattachés aux communes ne disposent pas de locaux adaptés ni de moyens matériels suffisants.

Cet expert insiste également sur le manque de préparation des agents : chefs de zones et responsables départementaux n’ont bénéficié ni de formations ni d’ateliers d’accompagnement, ce qui se répercute sur la qualité des services.

Par ailleurs, la gestion reste trop centralisée. Il rappelle que, dans des pays voisins comme le Rwanda ou le Kenya, les autorités locales disposent d’au moins 10 % du budget national. Au Burundi, les communes ne reçoivent pas les ressources nécessaires pour exercer une véritable autonomie.

Selon Diomède Ninteretse, un effort coordonné est indispensable pour combler ces lacunes. Il propose la création d’un comité de pilotage chargé d’évaluer les six premiers mois d’application, d’identifier les acquis et les difficultés, puis d’ajuster les mécanismes en conséquence.
Il recommande également une révision des textes encadrant les communes afin de renforcer leur autonomie financière, avec un appui technique spécialisé.

Il appelle par ailleurs à intensifier la communication envers la population, à établir un calendrier clair pour la construction des infrastructures nécessaires et pour l’affectation des agents aux nouveaux postes.

Pour lui, les défis majeurs restent la méconnaissance de la loi par les citoyens, l’insuffisance des infrastructures, la faiblesse des moyens financiers et le manque de formation du personnel administratif. Il rappelle que l’objectif d’une démocratie de proximité est de faciliter la vie des citoyens, ce qui n’est pas encore le cas dans les conditions actuelles.

Malgré ces obstacles, il demeure convaincu que la réforme peut produire les effets attendus, à condition que des mesures correctives soient rapidement engagées et que les communes disposent enfin des ressources leur permettant d’assurer pleinement leurs missions.

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