Mercredi 01 mai 2024

#JeSuisIWACU

22/11/2019 Commentaires fermés sur Jour 32: «Vous pouvez me jeter en prison, vous ne m’enfermerez jamais»
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Chers Christine, Agnès, Terence et Egide,

Cela fait maintenant un mois que vous êtes derrière les barreaux. Ne pouvant vous apporter un réconfort à la hauteur de ce que vous vivez en ce moment, je vais faire parler Ahmet Altan, écrivain et journaliste turc, 69ans, qui a vu son destin basculer à la suite de son arrestation en septembre 2016 et condamné à de la prison à perpétuité pour «Tentative de coup d’Etat». De sa geôle en Turquie, il a sorti «Je ne reverrai jamais le monde» où il écrit ces vers fabuleux: «Oui, je suis incarcéré dans une prison de haute sécurité perdue au milieu de nulle part. Oui, je vis dans une cellule dont la porte s’ouvre et se ferme dans un tintement de métal.

Oui, je reçois mes repas par un trou dans la porte. Oui, même le ciel au-dessus de la petite cour bétonnée où je tourne en rond est enfermé dans un grillage. Oui, Il m’est défendu de voir personne en dehors de mes enfants et de mes avocats. Oui, il m’est interdit d’écrire ne serait-ce que trois lignes à ceux que j’aime.

Oui, si je dois aller me faire examiner à l’hôpital, ils décrochent une paire de menottes d’une patère et me les passent aux poignets. Oui, chaque fois qu’ils me sortent de cellule, je m’entends hurler en plein visage : “Lève tes mains, enlève tes chaussures !” Tout cela est vrai, mais ce n’est pas toute la vérité.

Jusqu’à ce jour, pas un matin je ne me suis éveillé en prison. Me jeter en prison était dans vos cordes ; mais aucune de vos cordes ne sera jamais assez puissante pour m’y retenir. Je suis écrivain. Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas. Enfermez-moi où vous voulez, je parcours le monde avec les ailes de l’imagination. Et bien que je n’en connaisse pas le quart, j’ai des amis aux quatre coins du monde qui m’aident dans mon voyage.

Chaque œil qui lit les phrases que j’écris, chaque voix qui répète mon nom est comme un petit nuage qui me prend par la main et m’emporte dans le ciel pour survoler les plaines, les sources et les forêts, les rues, les fleuves et les mers. Et je m’invite sans un bruit dans les maisons, les chambres, les salons. Je parcours le monde depuis une cellule de prison.

J’écris cela dans une cellule de prison. Mais je ne suis pas en prison. Je suis écrivain. Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas. Vous pouvez me jeter en prison, vous ne m’enfermerez jamais. Car comme tous les écrivains, j’ai un pouvoir magique: je passe sans encombre les murailles.»

Le mardi 22 octobre, vers midi, une équipe du journal Iwacu dépêchée pour couvrir des affrontements dans la région de Bubanza est arrêtée. Christine Kamikazi, Agnès Ndirubusa, Térence Mpozenzi, Egide Harerimana et leur chauffeur Adolphe Masabarakiza voient leur matériel et leurs téléphones portables saisis. Ils passeront une première nuit au cachot, jusqu'au samedi 26 octobre. Jusqu'alors, aucune charge n'était retenue contre eux. Mais le couperet est tombé : "complicité d'atteinte à la sécurité de l'Etat". Depuis l'arrestation de notre équipe, plusieurs organisations internationales ont réclamé leur libération. Ces quatre journalistes et leur chauffeur n'ont rien fait de plus que remplir leur mission d'informer. Des lecteurs et amis d'Iwacu ont lancé une pétition, réclamant également leur libération. Suite à une décision de la Cour d'appel de Bubanza, notre chauffeur Adolphe a retrouvé sa liberté. Ces événements nous rappellent une autre période sombre d'Iwacu, celle de la disparition de Jean Bigirimana, dont vous pouvez suivre ici le déroulement du dossier, qui a, lui aussi, profondément affecté notre rédaction.