Le 18 juillet de chaque année, le monde célèbre la Journée internationale dédiée à Nelson Mandela. Ce dernier a joué un rôle déterminant dans l’Accord d’Arusha. Au regard du contexte politique actuel, d’aucuns s’interrogent si ledit accord reste d’actualité. Est-il encore respecté ? Est-il réhabilitable et adaptable ? L’ancien président de l’Assemblée nationale, Léonce Ngendakumana fait le point.
Qu’est-ce qu’on peut garder de l’héritage de Nelson Mandela ?
Nelson Mandela a été un grand artisan dans l’aboutissement de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation.
Il a proposé et donné des orientations pour chercher la paix et la réconciliation en faveur des Burundais afin que le Burundi soit une nation digne, libre, unie, réconciliée et prospère.
Il a permis aux Burundais de négocier la paix, la réconciliation, un véritable mode d’accès au et de gestion du pouvoir.
Il a usé de sa grande personnalité avec une méthodologie spéciale de négociation où il utilisait le bâton et la carotte.
Je garde de lui l’image d’une personnalité qui savait ce qu’elle cherchait.
Tenant compte de la situation politique actuelle au Burundi, quelle évaluation faites-vous du respect de cet Accord ?
Avant de parler de son respect ou pas, permets-moi de revenir sur les principes moteurs de cet Accord. Le premier principe est basé sur l’identification de la nature et l’origine du conflit burundais, c’est-à-dire la question de l’exclusion et du génocide. On peut résumer ce principe comme suit : « Aucun gouvernement du Burundi ne peut plus recréer les causes historiques du conflit burundais ». On les a inventoriées depuis la période précoloniale jusqu’aux négociations de l’Accord d’Arusha et on s’est dit « Plus jamais ça ».
Le second principe c’est la démocratie multipartite et la bonne gouvernance. Elles doivent être le fondement de chaque gouvernement du Burundi (actuel ou qui viendra) pour la stabilité du pays.
Le troisième principe dit que les corps de défense et de sécurité doivent être des corps nationaux, loyaux, républicains et professionnels, représentatifs de toutes les couches du pays.
Le quatrième principe est en rapport avec la reconstruction et le développement du pays, c’est-à-dire la réhabilitation de tous les sinistrés. La reconstruction et le développement du pays doivent être une préoccupation constante de chaque gouvernement du Burundi.
Quid du respect de ces principes ?
Je dois signaler qu’il y a eu une mauvaise interprétation de la mission de l’Accord d’Arusha, à savoir la paix, la réconciliation, le développement et la sécurité.
L’Accord d’Arusha a été interprété et reste interprété différemment par trois groupes. Le premier groupe considère l’Accord d’Arusha comme la recherche de la paix et la réconciliation. On y trouve les parties signataires : les partis politiques ou les mouvements politiques armés, la communauté internationale c’est-à-dire les garants, dépositaires de cet accord en l’occurrence l’ONU et l’UA. Ceux-là croient encore dans la valeur de l’Accord d’Arusha.
Le deuxième groupe voit que l’Accord a terminé sa mission. A la tête se trouve le parti au pouvoir qui pense malheureusement que l’Accord d’Arusha a terminé sa mission avec la transition et que c’est un document historique qu’il faut garder à la bibliothèque.
Le troisième groupe considère l’Accord d’Arusha comme un chiffon, un brouillon qu’il faut supprimer même en dehors de la scène politique burundaise. Il est dirigé par l’aile dure de l’Uprona de Charles Mukasi qui dit que l’Accord est une compromission entre ce qu’il appelle les tribalo-terroristes génocidaires qui ont commis le génocide contre les Tutsi et les putschistes du 21 octobre 1993 qui ont assassiné le président Melchior Ndadaye. Cette aile a boudé les négociations à Arusha.
D’aucuns tenteraient de dire qu’il n’est plus d’actualité…
Loin de là. Si on analyse le contenu des 4 principes moteurs, l’Accord reste d’actualité pour la refondation de la nation burundaise. La mission de l’accord c’est la refondation de la nation burundaise qui avait été détruite par les guerres cycliques qu’a connues le pays. Peut-on dire aujourd’hui qu’il y a réconciliation, plus d’exclusion ? Les principes restent d’actualité.
Si on regarde comment les dernières élections se sont déroulées, est-ce qu’on peut dire qu’on est dans une démocratie acceptée, comprise par tous les Burundais ? Non. On recherche notre démocratie.
Par rapport au développement, nous sommes encore dans une situation de misère, de pauvreté et de chômage. En termes de reconstruction, le constat est amer avec l’état piteux des routes.
N’y a-t-il pas de lacunes dans cet Accord ?
L’Accord d’Arusha n’est pas une bible. Il a des lacunes. D’abord, il a été signé avec des réserves par les partis du G10, c’est-à-dire qu’il y a un groupe politico-ethnique qui n’était pas satisfait.
Il y a le CNDD-FDD et le FNL qui n’ont pas participé dans ces négociations. On a négocié l’Accord d’Arusha en l’absence d’un cessez-le-feu. Les accords de cessez-le-feu ont été négociés plus tard.
Il y a aussi ces quotas ethniques qui sont exploités abusivement par le parti au pouvoir et par certains membres des partis politiques pour accéder à certains postes.
D’après vous, est-il opportun de supprimer ces quotas ?
Il y a eu une évaluation de ces quotas par le Sénat mais, je ne sais pas ce qu’ont été les conclusions. Si les réflexes ethniques et d’exclusion ne sont plus d’actualité, à quoi bon de maintenir ces quotas.
Malheureusement, on voit qu’actuellement, ces réflexes existent encore. Aujourd’hui, l’exclusion va au-delà des ethnies. Prenez par exemple le volet politique. Le parti CNL est exclu. La Coalition Burundi Bwa Bose et d’autres formations politiques sont exclues. Le mérite de cette évaluation sera de voir si on peut les maintenir dans la Constitution. Je milite pour leur suppression parce qu’en les maintenant, on ne résout pas les problèmes pour autant.
Compte tenu des résultats des dernières élections, que pensez-vous de l’avenir du principe du partage du pouvoir ?
Il est vrai que le fondement de l’Accord d’Arusha n’est pas le partage du pouvoir mais la stabilité du pays. Aujourd’hui, les pourcentages contenus dans la Constitution ne sont plus respectés. On prend qui l’on veut. La possibilité du partage du pouvoir suivant le mérite n’existe plus.
Pour ce qui est des dernières élections, elles ont été caractérisées par de nombreuses irrégularités qui ont été dénoncées par les partis de l’opposition.
Une chose inhabituelle, on a vu le gouvernement s’activer pour expliquer les résultats de ces élections. Même le chef de l’Etat est entré dans le processus d’explication. C’est la première fois dans l’histoire du Burundi.
Si on place ces élections dans le prolongement de l’esprit de l’Accord d’Arusha, son esprit et sa lettre ont été rompus.
De tout ce qui précède, que faire pour sauver l’Accord d’Arusha ?
Il faudra accepter de se mettre autour d’une table pour l’évaluer et l’adapter au contexte politique et socio-économique. Donc, on peut procéder à son évaluation, enlever tous ces obstacles et avoir un document à caractère national puisqu’on ne peut pas travailler en dehors d’un accord politique. Il faut enfin négocier une nouvelle constitution qui tient compte des réalités burundaises.
Il nous faut un Etat de droit qui repose sur une démocratie multipartite où tous les partis politiques sont égaux devant la loi, la différence résidant dans l’appréciation du peuple qui est souverain, source et détenteur du pouvoir.
Si on ne le réhabilite pas pour l’adapter au contexte du moment, les mêmes causes engendrant les mêmes effets, on peut se retrouver à la case départ ou de ce qu’on a vécu à l’époque avec le parti unique Uprona. La réhabilitation et l’adaptation de l’Accord d’Arusha sont incontournables pour honorer la mémoire de Mandela.
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