Avec la prise de fonction de nouveaux gouverneurs le 4 juillet dernier, la mise en œuvre du nouveau découpage administratif entre dans une phase concrète. Les communes accèdent officiellement à une autonomie financière et administrative comme le prévoit la loi organique n°1/18 du 7 juin 2024, portant sur la réorganisation de l’administration communale. L’expert en leadership, Diomède Ninteretse, apporte son éclairage sur les enjeux et limites de cette réforme.
Quelle lecture économique faites-vous de la décision d’accorder une autonomie financière et administrative aux communes ?
Cette décision s’inscrit dans le cadre du redécoupage administratif opéré par la loi numéro 1 / 05 du 16 mars 2023. Cette réforme vise à restructurer en profondeur l’organisation territoriale du pays : on est passé de 18 à 5 provinces, de 119 à 42 communes, et le nombre de zones et de collines a, lui, été augmenté. L’objectif est clair : créer des entités territoriales viables, mieux équipées en ressources humaines et financières pour offrir des services publics de proximité.
L’État veut renforcer la gouvernance locale tout en allégeant les coûts liés à une administration territoriale trop lourde. D’où la réduction du nombre de communes, mais l’augmentation des zones et des collines pour maintenir une certaine proximité avec la population.
Sur le plan économique, cette réforme vous paraît-elle réaliste ?
Le principe est bon, mais il faut parler de ce qui fâche : le transfert des moyens. Aujourd’hui, les communes se voient confier de nouvelles responsabilités, avec notamment la création de onze départements communaux comme la santé, l’agriculture, l’énergie ou encore les infrastructures.
Mais dans la réalité, les ressources nécessaires à leur fonctionnement ne sont pas encore garanties. Ces structures vont engendrer des coûts que le budget actuel n’a probablement pas anticipés.
Est-ce une nouveauté que les communes soient autonomes financièrement ?
Non. Depuis la loi de 2005, l’autonomie financière des communes est prévue. Le problème, c’est qu’elle n’a jamais été effective. Les communes ont toujours dépendu du pouvoir central pour leurs ressources. Elles n’ont ni biens productifs ni bases fiscales suffisamment solides pour couvrir leurs charges, même les plus élémentaires comme la rémunération de leur personnel.
Donc, même avec cette nouvelle loi, vous doutez que les choses ne changent ?
Oui, clairement. Il n’y a pas encore de mécanisme crédible qui garantit un véritable transfert des moyens, ni humain, ni matériel, ni financier. La réforme risque donc de rester au stade du texte sans transformation concrète sur le terrain.
Y a-t-il malgré tout des avantages potentiels à cette réforme ?
Bien sûr. Sur le plan administratif, la réduction du nombre de structures permettra de diminuer certaines charges récurrentes, notamment salariales. En supprimant les doublons, on peut espérer une meilleure efficacité dans la gestion. Il y a aussi un espoir de simplifier les procédures, ce qui est un atout pour les investisseurs ou les bailleurs de fonds.
Est-ce que cette centralisation territoriale ne risque pas d’éloigner les services des citoyens ?
C’est un risque réel. Les chefs-lieux de commune peuvent se trouver très éloignés de certains foyers de population. Si les services ne sont pas véritablement décentralisés jusqu’au niveau des zones, l’accès aux prestations de base va se compliquer. La promesse de proximité peut alors se transformer en son contraire.
Réduire le nombre de communes peut-il suffire à améliorer les finances locales ?
Pas du tout. Fusionner les communes ne crée pas nécessairement de nouvelles ressources. Cela ne produit de résultats qu’avec une réforme fiscale sérieuse. Si certaines taxes et impôts sont effectivement laissés aux communes, alors oui, elles pourraient en tirer un bénéfice. Mais pour l’instant, ce n’est pas encore le cas.
Et sans infrastructures de base, peut-on vraiment parler de viabilité ?
Justement. Il faut plus que des textes. Les routes, l’énergie, les technologies (comme l’Internet) sont indispensables pour couvrir de grands territoires. Or, même sur des périmètres réduits, ces infrastructures posaient déjà problème. On imagine mal comment gérer des entités encore plus vastes sans renforcer d’abord ces bases.
Vous parlez aussi d’un danger pour la démocratie locale…
Oui. On brandit l’argument de la proximité, mais cette réforme, mal accompagnée, pourrait en réalité éloigner l’administration des citoyens. Si la commune ne devient qu’un organe centralisé sans que les services descendent au niveau des zones ou collines, alors on perd l’essence même de la décentralisation.
Selon vous, que faudrait-il pour que cette autonomie devienne réelle ?
Plusieurs conditions doivent être remplies. Il faut adopter un vrai plan de décentralisation budgétaire. Il faut aussi renforcer les recettes fiscales locales, notamment en taxant les entreprises implantées dans les communes. Cela suppose également de clarifier les rôles entre l’administration centrale et les communes, notamment avec l’OBR qui n’a toujours pas défini ses limites.
Il faudra aussi stabiliser le cadre réglementaire pour éviter les chevauchements, renforcer les capacités administratives avec du personnel compétent, et surtout suivre de près les performances fiscales tout en tenant compte des besoins spécifiques des citoyens. C’est cela, le vrai sens de la décentralisation.
Quels défis concrets ces communes pourraient-elles rencontrer dans la mise en œuvre de cette autonomie financière ?
Le premier obstacle identifié concerne l’insuffisance de personnel qualifié au niveau communal. Plusieurs communes, y compris celles issues de la mairie de Bujumbura, ne disposent pas de receveurs communaux compétents, de contrôleurs internes expérimentés, ni de techniciens capables de gérer convenablement les finances locales. Cette faiblesse structurelle limite déjà la capacité des communes à mobiliser leurs ressources et à planifier leur budget.
S’ajoute à cela l’absence de dispositifs de gestion adaptés. De nombreuses communes manquent de manuels de procédures, de logiciels comptables et d’outils de suivi budgétaire.
Quid des conséquences du manque de suivi de ces outils ?
Cette carence crée un terrain favorable aux erreurs comptables, à la mauvaise planification financière, voire à la sous-utilisation ou à la mauvaise utilisation des fonds. Sans formation ni accompagnement, les nouveaux administrateurs et conseillers communaux risquent de reproduire les erreurs du passé.
Un autre défi concerne l’incapacité des communes à élaborer des projets bancables, pourtant nécessaires pour bénéficier de financements extérieurs. Bien que la loi leur reconnaisse la possibilité de contracter des crédits, cette opportunité reste largement inexploitée depuis plus de vingt ans. La faiblesse des compétences techniques en matière de montage de projet empêche plusieurs communes d’accéder aux financements du FONIC, des bailleurs ou même des banques.
Qu’en est-il de la gestion des fonds publics ?
La gestion des fonds publics reste également un sujet sensible. Plusieurs administrateurs communaux ont par le passé été révoqués pour mauvaise gestion ou absence de reddition des comptes. Ce contexte alimente un climat de méfiance, aussi bien de la part de l’État que de la population, vis-à-vis de la gestion communale.
À cela s’ajoute une faible mobilisation des recettes locales. Les communes peinent à percevoir l’impôt foncier, les taxes sur les marchés ou encore les redevances sur les services fournis. Cette fragilité financière renforce leur dépendance vis-à-vis des transferts étatiques, principalement via le FONIC, ce qui freine toute autonomie réelle.
Enfin, les défis logistiques ne sont pas négligeables. L’extension du territoire communal complique l’organisation administrative.
Pensez-vous que cette réforme pourrait améliorer l’efficacité des services publics au niveau local ou risquerait-elle plutôt de créer des inégalités entre les communes selon leur potentiel fiscal ?
Sur le plan théorique, la réforme semble prometteuse. Elle est présentée comme une mesure de rationalisation de l’administration territoriale et vise à atteindre une masse critique pour offrir des services de qualité dans les domaines de l’éducation, de la santé ou de l’état civil. Elle permettrait de fusionner des entités faibles et peu viables pour optimiser les ressources humaines et logistiques.
Le redécoupage administratif est également justifié par la volonté de réaliser des économies d’échelle. En réduisant le nombre d’administrations, il devient possible de diminuer les dépenses de fonctionnement, de supprimer les doublons, et de dégager plus de moyens pour les services essentiels.
Si cette réforme est bien planifiée et accompagnée, elle peut renforcer les capacités techniques des administrations locales et améliorer la qualité des services publics par la professionnalisation du personnel et la mutualisation des équipements.
Quid dans la pratique ?
Plusieurs incertitudes demeurent. L’efficacité des services dépendra fortement des moyens réellement mis à disposition, du transfert effectif des compétences, et de l’instauration de mécanismes d’équité entre les communes. Il existe un risque réel que les communes disposant d’un potentiel fiscal important s’en sortent mieux que celles qui n’en ont pas.
Pour éviter cela, il faudrait mettre en place des mécanismes de solidarité entre les communes. Cela suppose des transferts ciblés et prévisibles vers les communes les plus pauvres, l’instauration d’une politique équitable de déploiement des agents publics, ainsi que la garantie de normes minimales nationales dans des services clés comme l’éducation, la santé ou l’état civil.
N’y a-t-il pas un risque de chevauchement entre l’OBR et les communes dans la perception des taxes et impôts ? Qu’en est-il du champ d’action de chacune et comment les départager ?
Le risque de chevauchement est réel, car plusieurs domaines de perception fiscale restent flous. Actuellement, l’Office Burundais des Recettes (OBR) et les communes se disputent certaines taxes, ce qui crée des tensions et de la confusion sur le terrain.
Les taxes locatives, par exemple, sont un sujet fréquent de friction. Qu’il s’agisse des loyers commerciaux ou d’immeubles d’affaires, les deux institutions revendiquent la compétence de perception. Il en va de même pour les taxes sur les marchés et les parkings : l’OBR cherche à étendre sa compétence, tandis que les communes continuent de les percevoir au titre de leurs recettes propres.
Y a-t-il d’autres cas de litiges ?
Bien sûr, il en a telle que la licence d’activité. Les deux niveaux de pouvoir perçoivent la même taxe, ce qui crée un doublon et alimente un sentiment d’injustice fiscale chez les contribuables. La situation est encore plus ambiguë pour des impôts comme la TVA, traditionnellement du ressort de l’OBR, mais dont certaines communes aimeraient se voir transférer une partie.
Ce flou dans la répartition des compétences nuit à la clarté fiscale, réduit l’efficacité de la collecte, et peut engendrer un sentiment de confusion, voire de méfiance de la part des usagers.
Pour éviter cela, il est urgent de clarifier juridiquement le champ d’action de chaque entité, de manière précise et contraignante, en définissant une ligne claire de séparation entre les impôts d’État et les taxes locales.
Tant que cette démarcation ne sera pas faite, l’autonomie financière des communes restera fragile et exposée aux conflits de compétence avec les organes centraux.
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