Lundi 23 juin 2025

Politique

Interview avec l’économiste André Nikwigize : Bilan critique de cinq ans de présidence Ndayishimiye

20/06/2025 0
Interview avec l’économiste André Nikwigize : Bilan critique de cinq ans de présidence Ndayishimiye

Selon l’économiste André Nikwigize, les cinq ans de présidence d’Evariste Ndayishimiye sont caractérisés par une pauvreté extrême qui touche plus de 80% de la population, une corruption qui s’est maintenue à un niveau élevé, un pays isolé de la région et du monde, des déséquilibres financiers majeurs, une économie au bord de la faillite, des centaines de milliers de Burundais réfugiés vivant des conditions difficiles dans les pays voisins, un espace politique et civique fermé ainsi que des violations massives des droits de l’Homme.

Monsieur Nikwigize, comment qualifieriez-vous ces cinq années de présidence d’Evariste Ndayishimiye ?

Selon moi, les cinq ans de présidence d’Evariste Ndayishimiye sont caractérisés par une
pauvreté extrême qui touche plus de 80% de la population, une corruption qui s’est maintenue à un niveau élevé, un pays isolé de la région et du monde, des déséquilibres financiers majeurs, une économie au bord de la faillite, des centaines de milliers de Burundais réfugiés vivant des conditions difficiles dans les pays voisins, un espace politique et civique fermé ainsi que des violations massives des droits de l’Homme.

Parlons d’abord des droits de l’Homme. Quelle était la situation au moment de l’arrivée au pouvoir du président Ndayishimiye ?

Dès son entrée en fonction, en juin 2020, le président Evariste Ndayishimiye recevait des rapports accablants de violations des droits de la personne humaine par son gouvernement.

En septembre 2020, la Commission Internationale d’Enquête sur le Burundi publia un rapport dans lequel elle stigmatisait les violations massives des droits de l’Homme qui se poursuivaient au Burundi, la fermeture de l’espace politique, le muselage de la presse et de la société civile.

Comment la communauté internationale a-t-elle réagi à cette situation ?

Les associations de la société civile relevaient des données et des indicateurs qui inquiétaient et qui dénotaient d’une détérioration de la situation sécuritaire et humanitaire connue depuis 2015.

En date du 11 mars 2021, lors de la 46e Session régulière de la Commission des droits de l’Homme, dans un Dialogue interactif sur le Burundi, les délégations réitérèrent leurs profondes inquiétudes sur les violations massives des droits de l’Homme au Burundi, en demandant au gouvernement de prendre des mesures urgentes en vue d’arrêter ces violations et d’ouvrir l’espace politique et de la presse.

Et cinq ans après, quel bilan peut-on dresser ?

Les mêmes rapports reviennent sur le même constat de violation des droits de l’Homme, la fermeture de l’espace politique et civique ainsi que la situation critique de plus de 300 000 citoyens croupissant encore dans des camps de réfugiés dans les pays voisins.

Aucune mesure n’est prise par le gouvernement pour améliorer la situation. Des personnes sont massacrées chaque jour, d’autres, emprisonnées pour avoir exprimé leurs opinions, des hommes politiques, des journalistes, de simples citoyens. Dans l’impunité totale.

Le président Ndayishimiye avait pourtant fait de la lutte contre la corruption une priorité. Quelles étaient ses promesses initiales ?

A sa prise de fonction, en juin 2020, le président Evariste Ndayishimiye promit de combattre la corruption, en déclarant que : « Le pillage, le gaspillage de la richesse nationale et la corruption doivent être interdits. C’est moi qui suis chargé de cela, je demande aux Burundais de m’aider ».

Comment a-t-il voulu concrétiser cette promesse ?

Il voulut immédiatement appliquer la loi anti-corruption du 18 avril 2006 portant mesures de prévention et de répression de la corruption et des infractions connexes, qui, dans son article 29, stipulait que : « Dans un délai n’excédant pas quinze jours à partir de leur entrée en fonction, le Président de la République, les Vice – Présidents de la République, les membres du Gouvernement, les membres des Bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat sont tenus de déposer à la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême, une déclaration certifiée sur l’honneur exacte et sincère, de leurs biens et patrimoines ainsi que ceux de leurs conjoints et enfants mineurs, qu’ils soient propriétaires, usagers ou détenteurs habituels ». Il instruisit, par conséquent, ceux qui sont concernés par cette loi d’aller faire leurs déclarations dans les deux semaines.

Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?

A l’échéance, le Président déclara qu’il ne sera pas possible de faire ces déclarations, que cela prendrait plusieurs jours, et que de toute façon, la richesse d’une personne ne concernait qu’elle et sa famille.

Comment cette volte-face a-t-elle été perçue ?

Les populations burundaises avaient fondé l’espoir que le nouveau chef de l’Etat, qui, par ses nombreuses déclarations, pour dénoncer la corruption et ses méfaits sur l’économie, allait enfin prendre le taureau par les cornes et prendre des mesures concrètes pour arrêter cette hémorragie des ressources publiques.

Face à cet échec, quelle nouvelle stratégie le président a-t-il adoptée ?

Après s’être trouvé dans l’incapacité d’imposer aux hauts fonctionnaires de l’Etat de déclarer leurs richesses, conformément à la Constitution, d’arrêter les hauts fonctionnaires rendus coupables de détournement des fonds publics, le chef de l’Etat a, de nouveau, avoué son incapacité à combattre la corruption, en demandant à ce que ceux qui ont détourné les fonds de l’Etat aillent les déposer, discrètement, sur le compte de l’Etat ouvert à la Banque centrale.

Pouvez-vous nous citer les principaux dossiers de corruption de cette période ?

Plusieurs dossiers ont fait l’objet de détournements de fonds sans qu’aucune enquête ne soit entreprise par le gouvernement. Nous pouvons citer les fonds accordés au Burundi pour lutter contre la pandémie de Covid-19 par des institutions internationales (FMI, Banque mondiale, BAD, etc.) ; le projet de construction du barrage de Mpanda pour 54 milliards de francs burundais ; les projets de barrages hydroélectriques de Jiji-Mulembwe ; la gestion des dossiers miniers de Gakara, Musongati, Murehe, de l’or, etc. ; l’allocation des devises par la Banque centrale aux opérateurs économiques et le rapatriement des devises par ces mêmes operateurs ; la gestion de l’importation des carburants et de la réexportation ; la gestion des fonds découlant des missions de maintien de la paix ; le système d’attribution des marchés publics ; et d’autres cas de détournements et de malversations.

Quelle était l’attitude du président face à ces scandales ?

Et pourtant, dans ses réunions publiques, le chef de l’Etat déclarait qu’il connaissait les responsables de ces méfaits et qu’il allait les appréhender.

On parle également de la faillite des entreprises publiques. Quel rôle jouaient-elles traditionnellement dans l’économie burundaise ?

Les entreprises publiques ont joué et continuent à jouer un rôle fondamental dans l’économie nationale, pour remplir des missions de service public, dans des secteurs d’importance systémique dont dépend l’ensemble de l’économie, offrir des services sociaux vitaux nécessitant de gros investissements et où la rentabilité s’effectue sur le long terme.

Comment expliquez-vous leur situation actuelle ?

Depuis quelques années, elles subissent des crises énormes, conduisant à leur faillite et leur disparition. Et pourtant, le gouvernement a une grande responsabilité dans les crises que connaissent ces entreprises publiques.

Quels sont les principaux facteurs de cette responsabilité gouvernementale ?

Les facteurs principaux de cette responsabilité de l’Etat sont notamment : L’absence d’une planification stratégique pour définir les objectifs à atteindre, les ressources nécessaires, les défis à relever, etc. Les multiples interventions de l’Etat sur les entreprises publiques, au travers des nominations de personnels aux postes de responsabilité, sans tenir compte de leurs compétences techniques et managériales ; Une gestion des entreprises publiques fortement très centralisée et très hiérarchisée, avec des structures rigides, totalement inadaptées à des entreprises qui doivent réagir vite dans une conjoncture nationale et internationale changeante ; Une Administration de l’Entreprise politisée, avec des Conseils d’Administration dont les rôles sont réduits souvent à des chambres d’enregistrement des décisions du pouvoir de tutelle, et des membres, fonctionnaires de l’Etat, qui ont du mal à remettre en cause les décisions de leur ministre ou du responsable de l’entreprise publique, le protégé du pouvoir.

Quel est le sort final de ces entreprises ?

Après plusieurs années de crise, les entreprises publiques se retrouvent avec des déficits énormes, et l’Etat se résout à les vendre à des prix dérisoires, souvent à des proches du pouvoir. Il existe des prédateurs, qui, sous des noms d’opérateurs économiques privés, s’associent avec des personnalités haut-placées du pouvoir pour racheter ces entreprises.

Abordons maintenant la situation financière du pays. Quelles sont les principales difficultés ?

Depuis plusieurs années, le gouvernement fait face à des crises financières aiguës découlant notamment de : la faiblesse des exportations, la baisse de l’aide étrangère, la faiblesse des investissements privés étrangers.

Pouvez-vous nous donner des chiffres sur l’évolution des exportations ?

Le faible niveau d’investissement dans les secteurs d’exportation, en particulier, dans la production du café, du thé et d’autres produits agricoles d’exportation, a conduit à la chute des recettes d’exportations. La part des exportations par rapport aux importations, qui représentait 21% en 2005, ne représente plus que 12% en 2025.

Qu’en est-il de l’aide internationale ?

A la suite de l’accès au pouvoir du CNDD-FDD, dans le cadre de l’Accord d’Arusha, les partenaires de développement avaient fourni des appuis financiers importants. L’aide au développement avait fortement augmenté passant de 342 millions de dollars US en 2005 à 742 millions de dollars US en 2016.

Cette aide s’est-elle maintenue ?

Mais, à la suite des violations des droits de l’Homme intervenues depuis 2015, et la décision de certains partenaires de suspendre leurs aides au Burundi, l’aide au développement a baissé, jusqu’à se retrouver au niveau de 2005 actuellement. C’est une situation extrêmement difficile pour les populations, aussi bien pour l’aide humanitaire que pour les projets de développement, visant l’augmentation de la production agricole.

Et les pénuries qui s’observent ?

Avec les crises financières, s’en est suivie une série de pénuries, la première pénurie étant celle des devises étrangères, résultant du déséquilibre entre les entrées de devises (exportations, aide étrangère, investissements étrangers, tourisme, etc.) et la sortie de devises (importations, paiement de la dette extérieure, transferts de capitaux, etc.). Dans ce contexte, les réserves en devises se sont fortement amenuisées couvrant, à peine, deux semaines d’importations. C’est l’impasse financière.

Cette pénurie de devises a-t-elle d’autres conséquences ?

L’autre pénurie, liée à la première, est celle des carburants. Il faut, au moins 30 millions de dollars par mois pour satisfaire le marché national en carburants, soit 360 millions de dollars par an, alors que les recettes provenant des exportations n’atteignent même pas 200 millions de dollars US. Sans inclure les besoins d’importations d’autres produits de première nécessité, les médicaments, les engrais, les matériaux de construction, les produits alimentaires, etc.

Comment ces pénuries affectent-elles l’économie nationale ?

Ces pénuries financières et de carburants ont provoqué d’abord une hausse généralisée des coûts de transport, mais également des pénuries en cascade des produits de première nécessité, surtout les produits importés ainsi que les produits alimentaires qui doivent être transportés d’une province à une autre.

Quel est l’impact sur la vie des Burundais ?

De crises en crises, la pauvreté et la faim se sont amplifiées au cours des 5 dernières années. L’agriculture a vu sa production chuter de plus de 40% au cours des 5 dernières années. Ce qui a alourdi fortement le bilan des victimes de l’insécurité alimentaire, et engendré la hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés locaux. Le niveau d’insécurité alimentaire, presque deux fois plus élevé que la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne, est alarmant.

Environ 6 millions de personnes, soit presque la moitié de la population, souffrent d’insécurité alimentaire, et 6 enfants sur 10 présentent un retard de croissance selon les rapports des institutions internationales tandis que le taux de prévalence du paludisme affecte environ 40% des enfants.

Les zones urbaines sont-elles épargnées par cette crise ?

Face au renchérissement du coût de la vie, la hausse des prix et la baisse des revenus, les ménages dans les centres urbains sont également affectés par l’extrême pauvreté. La pauvreté urbaine touche plus de 15% de la population. Certains parmi eux doivent rechercher des revenus complémentaires. Les jeunes en chômage se lancent dans des activités informelles de survie tandis que les jeunes des campagnes émigrent vers les centres urbains, à la recherche des emplois rémunérés. Ce qui ajoute une pression supplémentaire à la pauvreté urbaine.

Au global, comment peut-on qualifier la situation socio-économique actuelle ?

Face à toutes les crises que connait le pays depuis dix ans, les violations des droits de l’Homme, la crise de la production agricole, la baisse des exportations, la baisse des aides étrangères, la réticence des investisseurs privés à venir investir au Burundi, la crise des entreprises publiques, conjuguées à une gouvernance chaotique et un faible leadership, les populations ont été plongées dans une pauvreté extrême. Plus de 80% de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté de 2$ par personne et par jour.

Y a-t-il eu des tentatives d’aide ou de réforme récentes ?

En 2023, les institutions de Washington avaient tenté d’aider le gouvernement à engager des réformes économiques et financières, mais, après une année, le leadership burundais a jugé que les réformes proposées étaient trop dures, et le FMI a été dans l’obligation de suspendre le programme avec le gouvernement.

Qu’attendre de l’avenir ?

Malgré les apparences et ce que le pouvoir en place veut montrer au public national et international, les populations sont désespérées. Elles avaient espéré que les élections législatives du 5 juin 2025 allaient ouvrir la voie vers un changement de la configuration parlementaire, pour une nouvelle gouvernance. Beaucoup de citoyens étaient prêts à voter pour le changement. Mais, paradoxalement, les résultats provisoires ont montré que le parti au pouvoir, le CNDD-FDD a raflé tous les postes au Parlement. Signe de plébiscite de la population et une démocratie parfaite.

Comment expliquez-vous ces résultats à 100% ?

Beaucoup de citoyens auraient souhaité dénoncer les fraudes, mais, compte tenu du climat de terreur qui a prévalu avant, pendant et après les élections, ils ont préféré garder le silence. Les résultats de 100% attribués au parti CNDD-FDD ont une double signification, politique et économique.

Pouvez-vous expliciter cette double signification ?

Au niveau politique, il s’agit du déni du pluralisme politique et de la démocratie. C’est un système autocratique en vue. Cela veut dire que, à l’avenir, les acteurs politiques, les organisations de la société civile, les populations, devront suivre et appliquer scrupuleusement les directives du parti au pouvoir. Aucun dialogue possible pour une paix durable et la relance de la production économique, aucune critique sur la gestion du pouvoir.

Au niveau économique, le nouveau Parlement consacre le statu quo, c’est-à-dire, un Parlement aux ordres du parti, tandis que la pauvreté et la faim, le chômage des jeunes, l’accès aux opportunités, etc, vont s’accentuer. Il reste deux ans pour la fin du mandat d’Evariste Ndayishimiye à la tête du pays. Faut-il s’attendre à des changements futurs dans la gouvernance ? Dans tous les cas, le quinquennat qui vient de s’achever n’a pas permis de sortir les Burundais de la crise de pauvreté et la misère dans lesquelles les populations se trouvent aujourd’hui.

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