Le représentant spécial de l’Union européenne pour la Région des Grands lacs, Johan Borgstam, a effectué une mission au Burundi du 28 septembre au 1ᵉʳ octobre 2025. Le diplomate a pu parler avec le Premier ministre burundais. Au terme de sa visite, il a accordé une interview à Iwacu sur la situation sécuritaire à l’Est de la RDC ainsi que le rôle de l’UE dans la stabilité et la paix régionale.
Vous avez rencontré le Premier ministre du Burundi. Quel était votre principal objectif ?
C’était ma troisième visite au Burundi dans le cadre de ma fonction de Représentant spécial de l’Union européenne pour la Région des Grands lacs. Cette mission s’inscrivait dans une série de déplacements dans la région. En effet, en septembre, j’ai également visité la RDC et l’Ouganda. Je prévois de me rendre au Rwanda plus tard au cours de ce mois d’octobre.
Cette visite m’a permis de féliciter le Premier ministre pour sa nomination. Nous avons également échangé sur la situation régionale et les défis communs. J’ai visité le port de Bujumbura dont la restauration est soutenue par l’Union européenne à hauteur d’environ 20 millions d’euros.
Nous avons longuement parlé de la situation à l’Est de la RDC. Pour l’Union européenne, il n’existe pas de solution militaire dans la Région des Grands lacs. Une désescalade est nécessaire de toute urgence. Seule une approche politique et diplomatique permettra un retour durable à la paix. Nous avons aussi évoqué l’importance de l’intégrité territoriale des États. C’est pourquoi l’Union européenne est claire : les troupes rwandaises doivent se retirer de la RDC et le Rwanda doit cesser tout soutien au M23.
Les pourparlers facilités par les États-Unis et le Qatar n’ont pas permis un cessez-le-feu durable. Quel rôle concret l’Union européenne est-elle prête à jouer comme médiateur ?
Le conflit à l’Est de la RDC a des conséquences dans toute la Région des Grands lacs. Pour nous, l’urgence est d’obtenir un cessez-le-feu effectif et sincère. Le problème dans la région n’est pas le manque d’accords de paix, mais le manque de sincérité dans leur mise en œuvre.
L’accord-cadre d’Addis-Abeba signé en 2013 illustre bien cette difficulté : de belles intentions, mais peu d’application. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est un engagement réel des États concernés à respecter leurs engagements.
L’Union européenne soutient les initiatives américaines et qataries, à travers les processus de Washington et de Doha, tout en renforçant la médiation africaine menée par le président du Conseil togolais Faure Gnassingbé, mandaté par l’Union africaine. Nous travaillons en étroite collaboration avec lui et avec l’Union africaine.
Nous soutenons également les actions des humanitaires sur le terrain qui apportent une aide essentielle aux populations les plus affectées. Pour l’UE, la stabilité et la paix ne viendront que par la diplomatie, la coopération et la solidarité entre les peuples.
Au-delà des tensions politiques, pensez-vous qu’une intégration économique puisse contribuer à la paix ?
Oui, c’est fondamental. Ce qui m’a frappé, dans tous les pays que j’ai visités, c’est que l’intégration économique existe déjà, mais de manière informelle. Les échanges transfrontaliers sont très vivants, notamment entre le Burundi, la RDC et le Rwanda.
Cependant, cette intégration reste largement souterraine. Ce qui favorise la contrebande et les trafics illicites. Il est crucial de formaliser ces échanges par des politiques régionales cohérentes et une coopération économique plus structurée. Cela permettrait non seulement de renforcer les économies locales mais aussi d’apaiser les tensions politiques.
Les partenaires régionaux, l’Union africaine, l’Union européenne, les Nations-unies, les États-Unis et le Qatar partagent cette vision. Après plus de trente ans de conflits, il est temps d’investir dans la stabilité et la prospérité partagée.
Le processus de Nairobi semble bloqué. Quelle est aujourd’hui la position de l’Union européenne ?
Effectivement, le processus de Nairobi, qui visait un dialogue interne avec les groupes armés congolais, a été fusionné avec celui de Luanda. Ce processus unifié est désormais conduit par Faure Gnassingbé, président du Conseil du Togo, mandaté par l’Union africaine, avec l’appui de plusieurs facilitateurs africains dont Sahle-Work Zewde, ancienne présidente de l’Éthiopie, que je rencontrerai ces prochains jours et Uhuru Kenyatta, ancien président du Kenya qui a été en charge du processus de Nairobi les dernières années.
Ces processus ne sont pas morts. Ils continuent sous d’autres formes. Par exemple, l’accord signé à Washington le 27 juin s’inscrit dans la continuité de ces démarches.
Pour l’Union européenne, le rôle de la médiation africaine est clé. Il est important d’impliquer les populations concernées ainsi que les pays de la sous-région dans les efforts de paix.
Avec l’afflux massif de réfugiés congolais au Burundi, comment l’Union européenne accompagne-t-elle le pays ?
Lors de cette mission, je me suis rendu à Musenyi, et lors d’une précédente visite, à Cibitoke. L’Union européenne, avec ses États membres, est actuellement le principal bailleur d’aide humanitaire dans la région.
En RDC, notre contribution dépasse 100 millions d’euros pour l’année en cours. Nous travaillons avec des organisations comme le HCR, la Croix-Rouge ou encore l’OIM afin de garantir que l’aide européenne atteigne effectivement les bénéficiaires.
Au Burundi, nous avons constaté une générosité impressionnante. Plus de 70 000 réfugiés congolais ont été accueillis depuis janvier 2025. Malgré les contraintes économiques et financières, le gouvernement et la population burundais ont montré un esprit d’accueil exemplaire.
Notre rôle est d’appuyer les structures locales et humanitaires. Nous ne venons pas imposer nos solutions mais pour renforcer ce qui fonctionne déjà sur le terrain, en coordination avec les autorités nationales.
Les crises électorales sont récurrentes dans la région. Comment l’Union européenne accompagne-t-elle les pays pour organiser des élections crédibles ?
Nous travaillons dans tous les pays des Grands lacs à travers des programmes de gouvernance. Notre objectif est d’aider les autorités à mettre en place des institutions solides et à organiser des élections libres, transparentes et crédibles.
Il s’agit aussi de renforcer la confiance des citoyens dans les processus démocratiques. Une élection réussie, c’est celle dont les résultats sont acceptés par le peuple, parce qu’il croit en la sincérité du scrutin.
L’Union européenne continuera d’accompagner les pays de la région sur cette voie, en privilégiant le dialogue, la transparence et le respect des droits fondamentaux.
Quel message adressez-vous aux autorités et aux populations de la Région des Grands lacs ?
L’Union européenne reste aux côtés des peuples et des gouvernements de la région. Notre stratégie régionale repose sur une conviction : le potentiel des Grands lacs est immense tant sur le plan humain que naturel.
Mais, pour libérer ce potentiel, il faut des institutions fortes et stables, capables de valoriser l’énergie et la créativité de leurs citoyens. Je sens dans toute la région une volonté réelle d’avancer et de tourner la page du passé. Les gens sont fatigués de la guerre et des souffrances.
Malgré les défis, je demeure plein d’espoir en cette volonté sincère des populations de bâtir un avenir pacifique et prospère.
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