Dans la province de Cankuzo, le centre de Munzenze, initialement dédié à l’enfant en détresse, est devenu un refuge précaire pour 184 personnes dont des adultes majoritairement. Sans aides et loin de leurs familles, elles vivent dans des conditions alarmantes entre faim, maladie et espoir d’un retour.
Sur la colline Munzenze, en commune Mishiha de la province de Cankuzo, à 38 km du chef-lieu, se trouve un centre d’encadrement et de réinsertion des enfants en situation de rue. Initialement prévu pour accueillir 200 enfants, il compte aujourd’hui 184 personnes dont 129 adultes. Parmi ces derniers, on compte 111 hommes et 18 femmes. Le reste est constitué par 55 enfants dont 14 filles et 41 garçons.
Assis à même le sol, des enfants racontent leur quotidien, les yeux fatigués. « Nous mangeons deux fois par jour le même plat : du riz mal cuit et des haricots non cuits, sans huile ». Ils ajoutent qu’ils partagent « ce plat à huit, alors qu’il est prévu pour deux. On tombe souvent malade à cause de la faim ».
En montrant leurs vêtements usés, ils interpellent les gens. « Regardez nos vêtements ! Ce sont les mêmes depuis notre arrivée. On n’a jamais reçu de couvertures. Beaucoup ont attrapé le typhus. Pendant la nuit, le froid ne nous épargne pas non plus ».
Une véritable indignation
Du côté des adultes, l’indignation est bien réelle. Dieudonné Ntakarutimana, 40 ans, ancien agent de sécurité à Kamenge raconte son calvaire. « On m’a arrêté manu militari en plein centre- ville de Bujumbura pendant cette crise des carburants. J’ai passé plus de deux semaines au cachot du Bureau spécial de Recherche, BSR, sans pouvoir passer un coup de fil à ma famille. Je suis père de quatre enfants. Je suis ici depuis octobre 2024. Ma famille ignore là où je suis. Ici, je ne fais rien, je ne gagne rien. Ici c’est la routine. Passer toute une journée sans rien faire et attendre la nuit pour dormir. Je veux juste rentrer chez moi pour retrouver ma famille car je me sens inutile. »
De son côté, Claver Nsabimana, un autre pensionnaire du centre, pointe du doigt le manque d’hygiène. « On ne nous a jamais donné de chaussures. Les enfants ont reçu des tricots, mais pas de culottes. Nous, les adultes, nous sommes restés avec les mêmes vêtements. Ils sont déchirés et il y a des maladies liées à la malpropreté comme le typhus. »
Des enfants séparés de leurs familles
Au centre de Munzenze, des enfants de moins de 15 ans se retrouvent à des centaines de kilomètres, loin de leurs familles. Parmi eux, le prénommé Benjamin, 14 ans originaire de Buterere, en commune Ntahangwa raconte sa mésaventure. « Mes parents vivent dans la rue en raison de leur pauvreté. On m’a arrêté à la plage avec mon petit frère de 12 ans. On a été enfermé deux semaines au cachot avant d’atterrir ici. J’ai des parents et j’aimerai rentrer car ici nous ne mangeons pas à notre faim. On n’est nourri que deux fois par jour et la quantité est insuffisante. ».
A ses côtés, Deborah Ndayikengurukiye, 14 ans, originaire de Musaga, en commune Muha de la mairie de Bujumbura se remémore de son interpellation. « Je vendais des arachides près de la Mutuelle de la Fonction publique. La police a couru vers moi. Je n’ai pas pu fuir. Depuis 2024, je vis ici. Je n’ai jamais changé d’habits. Je veux rentrer chez moi car je n’étais pas une mendiante. »
Plus âgée, Cécile Nsabinyana, 18 ans, mère-célibataire, regrette sa séparation avec sa famille sans explication. « Ça fait trois jours que je suis ici. Les policiers m’ont attrapée pendant la nuit à Buterere et m’ont conduite dans un cachot où je suis restée quelques jours. Je n’ai rien fait de mal. La vie ici est chaotique. Nous ne mangeons pas à notre faim. Nous n’avons pas d’habits neufs et nous sommes isolés de nos familles. Vraiment, je souhaite retrouver ma famille. », a-t-elle supplié.
Des cas médicaux inquiétants
Interrogé, le vice-responsable du centre, Nestor Banirwa admet les dysfonctionnements. « Le centre, initialement conçu pour n’accueillir que des enfants en situation de rue, se retrouve aujourd’hui face à une réalité particulièrement complexe. Il héberge paradoxalement davantage d’adultes que d’enfants. Les infrastructures existantes, manifestement inadaptées à la gestion d’une population adulte, aggravent une situation déjà critique en termes d’occupation ».
Il a révélé aussi la présence des cas médicaux graves. « Huit personnes sont séropositives et cinq souffrent de la tuberculose. On augmente un peu leurs rations et on essaie de les isoler, mais elles prennent le même menu que les autres. »
Quant au retour en famille, M. Banirwa a déclaré que, chaque semaine, il y a des départs pour ceux qui retournent directement dans leurs familles. « Nous privilégions ceux qui vont commencer des études et qui ont des familles. Si on trouve que la personne est capable de sortir de la rue et de réintégrer sa famille, nous l’aidons dans sa démarche. »
L’objectif final est la fermeture de ce genre de centres

Du côté du ministère ayant la solidarité dans ses attributions, la réponse officielle se veut rassurante. Ildéphonse Majambere, le porte-parole du ministère, affirme que « le centre de Munzenze à Cankuzo n’est qu’un maillot de la stratégie nationale de retrait des enfants en situation de rue et de leur réinsertion familiale. » Il insiste pour dire que ce genre de centres sont des centres de transit et non des résidences permanentes.
Selon lui, le but principal reste le retrait des enfants de la rue, leur mise à l’abri des dangers et leur réintégration dans leurs familles. Pour les adultes, une orientation professionnelle est envisagée. « On aimerait que les adultes ne restent pas trop longtemps au centre. L’idéal serait de les former à un métier et de faciliter leur réinsertion dans la communauté ».
Toutefois, il admet que certains objectifs ne sont pas encore atteints. « Tant qu’il y aura encore des enfants dans la rue, le travail ne sera pas fini. » Il a précisé cependant que certains résultats sont visibles notamment l’hébergement, la nourriture et le suivi psychologique. Le centre de Munzenze, aujourd’hui clôturé et partiellement réhabilité, offre deux repas par jour et une prise en charge de base.
Selon Majambere, les enfants en situation de rue relèvent de trois profils principaux : ceux qui sont en quête de liberté en refusant l’autorité, ceux issus des familles pauvres et ceux fuyant la violence familiale. Il regrette que chez les adultes, certains voient la rue comme une alternative économique. « Ce sont des personnes qui pourraient contribuer à la société, mais qui préfèrent parfois mendier ou fuir les responsabilités ».
Le porte-parole a fait savoir que le gouvernement préfère réduire le nombre de centres et renforcer la famille comme premier lieu de protection de l’enfant. « L’objectif ultime est que ces centres ferment un jour, un signe que les enfants ne sont plus dans la rue ». Un projet de formation professionnelle est prévu pour juillet 2025 afin d’offrir des alternatives concrètes aux jeunes en difficulté.
Pour le gouverneur de Cankuzo, Boniface Banyiyezako, l’objectif initial du centre était clairement d’accueillir les enfants en situation de rue et non des adultes. « Certes, cette initiative a été menée à la hâte pour sortir ces personnes de la rue car elles ternissent l’image du pays. », estime-t-il. « Par la suite, nous avons envisagé de construire un autre centre spécifiquement pour les adultes. », souligne-t-il. Avec la nette diminution de leur nombre grâce aux efforts de certaines provinces pour les ramener dans leurs familles respectives, le gouverneur Banyiyezako a fait savoir que le projet n’est plus d’actualité.
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