Mardi 30 décembre 2025

Société

Burunga: La CVR fait face à de complexes conflits fonciers

Burunga: La CVR fait face à de complexes conflits fonciers
Des personnes venues pour déposer leurs dossiers à la CVR

Dans la province de Burunga, la CVR est confrontée à des conflits fonciers complexes hérités des crises passées, dont plus de 35 000 dossiers non clôturés par la CNTB. Ils mêlent terres d’exilés attribuées à des tiers, compromis contestés et ventes illégales de biens par certains rapatriés, dans un contexte de manque de personnel. Par ailleurs, le caractère non susceptible de recours des décisions de la CVR n’est pas accueilli à l’unanimité.

Il est midi au bâtiment encore en chantier qui abritera la province de Burunga. Des hommes et des femmes venus de différentes collines attendent, dossiers en main, pour déposer leurs plaintes à la Commission Vérité et Réconciliation, CVR. Tous racontent des histoires similaires : après l’exil en Tanzanie, surtout depuis la crise de 1972, ils sont rentrés au pays et ont trouvé leurs terres et autres biens occupés par ou attribués à d’autres. Ils espèrent aujourd’hui que la CVR leur rendra justice, après l’échec ou l’inachèvement des dossiers traités par la Commission nationale des terres et autres biens, CNTB.

Bernard Sindayabona raconte son calvaire. « J’avais une maison. À mon retour, il y avait une autre personne qui l’occupait. J’avais fui le pays en 1972 et je suis rentré en 2009. » Il affirme avoir saisi la CNTB, sans succès. « Celui qui occupait mon terrain n’a jamais répondu aux convocations. On avait même proposé de partager le terrain, mais il a complètement refusé. » Il ajoute avoir perdu trois boutiques situées au centre commercial de Nyanza, aujourd’hui occupées par d’autres personnes. « J’espère que la CVR va me rendre justice. »

Des terrains occupés ou attribués par l’administration

Même frustration chez Anicet Bucumi, originaire de la colline Rubindi à Nyanza. « Nous avons trouvé une église catholique sur notre terrain. Il y avait aussi un terrain de football et une école primaire. Le reste est occupé par plus de 600 personnes. »

 Selon lui, sa famille n’a récupéré que de petites parcelles insignifiantes. « Mon père avait des bateaux de pêche, mais on a tout perdu. » Il explique que l’administration, après leur exil, a fondé des villages sur leurs terres. La CNTB aurait proposé une indemnisation jugée dérisoire. « Il faut que l’administration sache que nous sommes des Burundais. Certaines familles sont restées dans les camps en Tanzanie parce qu’on leur a dit qu’en rentrant, elles ne retrouveraient ni terres ni biens. »

Samson Kabura de Mabanda, partage une expérience similaire. « J’ai quitté le pays en 1972 à cause de la crise. On nous disait dans les camps en Tanzanie qu’en rentrant, nous retrouverions nos biens. Mais à notre retour, nos terres étaient occupées. » Il affirme que certaines décisions favorables rendues par la CNTB n’ont jamais été exécutées. « Aujourd’hui, nous voulons que la CVR nous aide à faire exécuter ces décisions. »

Du côté de l’administration, Ezéchiel Harerimana, conseiller juridique de l’administrateur communal de Makamba, confirme l’ampleur du problème. « Il y a beaucoup de rapatriés en provenance de Kibago, Kayogoro et Makamba. Certains avaient laissé leurs terres, d’autres les ont obtenues légalement de l’État à l’époque. Aujourd’hui, tous sont Burundais et le conflit est de savoir qui doit quitter pour éviter les conflits. On donne 50 m sur 50 aux rapatriés qui n’ont nulle part où aller. » Il affirme que les décisions de la CVR, même sans possibilité de recours, sont perçues comme un moyen de mettre fin aux conflits cycliques.

 

Des rapatriés malins

Un autre phénomène alimente les tensions. Selon Japhet Kabura, chef de la colline Mugerama en commune Nyanza, certains rapatriés ont récupéré des biens qui ne leur appartenaient pas. « Il y a des rapatriés qui sont venus réclamer des terres et des biens appartenant à d’autres exilés restés dans les camps. Une fois obtenus, ils ont tout vendu puis ils sont retournés en Tanzanie. Quand les véritables propriétaires sont rentrés, ils ont trouvé leurs terres déjà vendues. »

Des conflits opposent également des populations locales à des personnes se présentant comme rapatriées. Judith Bucumi, une orpheline, affirme ne jamais avoir quitté le pays. « Mes parents sont décédés il y a longtemps. Notre famille a été déplacée de Vugizo vers Kibago. L’administration nous avait attribué cette terre en 1973. » Elle raconte qu’un homme venu de la Tanzanie, sans documents, a coupé ses arbres. « Il n’a jamais présenté d’attestation de rapatriement. Même les autorités locales ne le connaissent pas. » Selon elle, l’homme lui aurait confié vouloir récupérer la terre pour la vendre et repartir en Tanzanie. « Je suis venue à la CVR pour voir si elle peut faire quelque chose pour moi. »

Face à ces plaintes, la CVR tente de clarifier son mandat. Bernard Ntahomvukiye, vice-président de la CVR en province de Burunga chargé de la collecte des dossiers fonciers dans les communes Makamba, Nyanza, Musongati et Rutana, précise que des milliers de dossiers sont concernés. Il cite notamment des jugements laissés par la CNTB qui étaient en cours : 806 à Makamba, 5 543 à Nyanza, 129 à Musongati et 306 à Rutana.

 

« La population pense parfois que nous devons traiter tous les types de plaintes, mais il faut qu’elle sache que nous ne sommes pas venus remplacer les instances judiciaires », explique-t-il. « Nous acceptons uniquement les dossiers liés aux personnes qui ont fui pendant la guerre et qui, à leur retour, ont trouvé leurs biens occupés. »

Bernard Ntahomvukiye : « Dans toute la province de Burunga, nous ne sommes que quatre agents. »

Il reconnaît aussi la complexité des cas où des compromis avaient été trouvés. « Nous recevons des dossiers de gens qui avaient accepté de partager leurs biens par peur à leur retour, mais qui aujourd’hui réclament la totalité. Nous allons traiter ces cas pour bien trancher. »

Manque de moyens

La CVR fait cependant face à un sérieux manque de moyens. « Dans toute la province de Burunga, nous ne sommes que quatre agents », déplore M. Ntahomvukiye. « Je travaille presque seul à Makamba. Nous n’avons même pas d’ordinateur pour enregistrer les dossiers. »

Notons que pour certains juristes, l’article 11 de la loi modifiant le mandat de la CVR, qui stipule que ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours juridictionnel, pose problème. Ils estiment qu’il est contraire à l’article 210 alinéa 1 de la Constitution, selon lequel « la justice est rendue par les cours et tribunaux au nom du peuple burundais ».

Charte des utilisateurs des forums d'Iwacu

Merci de prendre connaissances de nos règles d'usage avant de publier un commentaire.

Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes, antisémites, diffamatoires ou injurieux, appelant à des divisions ethniques ou régionalistes, divulguant des informations relatives à la vie privée d’une personne, utilisant des œuvres protégées par les droits d’auteur (textes, photos, vidéos…) sans mentionner la source.

Iwacu se réserve le droit de supprimer tout commentaire susceptible de contrevenir à la présente charte, ainsi que tout commentaire hors-sujet, répété plusieurs fois, promotionnel ou grossier. Par ailleurs, tout commentaire écrit en lettres capitales sera supprimé d’office.

Ajouter un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

Les larmes d’une colombe

Lors d’une grande croisade de prières organisée il y a quelques années, l’ancienne Première Dame, Révérende Pasteur Denise Bucumi, représentante de l’Église du Rocher, tout de blanc vêtue, a lancé un cri du cœur. Submergée d’émotions, les larmes dans la (…)

Online Users

Total 4 464 users online