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Politique

1960-1961 : un processus électoral pas du tout facile

20/07/2020 Commentaires fermés sur 1960-1961 : un processus électoral pas du tout facile
1960-1961 : un processus électoral pas du tout facile
Des Burundais en train de voter le 18 septembre 1961

Au lendemain de la célébration du 58ème anniversaire de l’Indépendance du Burundi, force est de constater que la lutte pour son recouvrement n’a pas été de tout repos. Des jeunes et moins jeunes de Ngozi ont débattu sur la gestion du contentieux électoral de 1960 et 1961 et ses conséquences.

Comme tous les pays africains, le Burundi a profité du ’’soleil des indépendances’’ pour demander son indépendance. Les leaders du parti Uprona avaient noué des relations avec d’autres leaders nationalistes de la région comme Nyerere, Lumumba et d’autres pour faire la lutte ensemble.

Après la création de l’Uprona, l’administration belge n’a pas chômé. Sous sa houlette, une coalition de 12 partis politiques parmi lesquels il y avait le PDC, PDR et le PP se sont constitués en date du 20 septembre 1960, en un Front Commun contre l’Uprona qui voulait l’indépendance immédiate. Le front commun voulait, quant à lui, l’indépendance dans 30 ans, c’est-à-dire en 1980.

Des élections communales sont organisées en 1960. Le Front commun remporte la victoire. Entre temps, le prince Louis Rwagasore est en résidence surveillée à Bururi. Les autres leaders de l’Uprona contraints à l’exil. Les militants du parti du prince sont persécutés. Le Front commun rafle la mise aux communales. L’Uprona conteste.

Les Nations unies entrent dans la danse

Pour la plupart des historiens, les élections législatives de 1961 ont été capitales dans le recouvrement de l’indépendance du Burundi. Pour l’historien Augustin Nsanze, les élections au suffrage universel direct en 1960 et 1961 sont considérées comme un critère fondamental déterminant l’expérience politique burundaise de la décolonisation, comme démocratique.

D’après lui, la population a pu désigner ses représentants locaux et nationaux en exerçant une souveraineté politique qu’on lui reconnaissait explicitement pour la première fois dans son histoire.

Quant à Evariste Ngayimpenda, historien, il indique que la supervision des élections par la Commission des Nations unies a été primordiale. «Dès que les Nations-Unies sont entrées en jeux, l’espace de dix mois seulement, les choses ont changé, car avec les mêmes électeurs et les mêmes candidats, l’Uprona a repris la victoire que le Front Commun lui avait usurpée avec les élections communales de 1960. L’Uprona s’est accordé 58 sièges sur 68 aux législatives du 18 septembre 1961 ».

Pour Evariste Ngayimpenda, deux éléments ont été déterminants dans la victoire de l’Uprona. Premièrement, c’est la mise en liberté du prince Louis Rwagasore qui exploita l’aura que lui avait value sa mise en résidence surveillée. Le second élément est l’ouverture du scrutin aux femmes pour qui Rwagasore avait su trouver un thème de propagande mobilisateur.

Les jeunes débattent

Des jeunes de Ngozi ont longuement discuté sur les élections de 1960 et 1961

Quelles étaient les relations entre les acteurs de ce processus électoral ? Les jeunes de la province Ngozi ont discuté sans faux-fuyant sur ce thème. «Dans un colloque à Bruxelles, les partis du Front commun ont demandé à ce que le roi et ses proches parents dont le prince Rwagasore ne fassent plus de la politique. C’est une exclusion pure et simple», lance un jeune. Cela a fait, poursuit-il, que le prince Rwagasore a été mis en résidence surveillée lors la campagne des élections communales de 1960. «Pendant cette période, les militants de l’Uprona et ses alliés ont été persécutés tandis que le Front commun pouvait faire campagne avec la bénédiction de l’administration belge».

Pour un autre jeune, les élections n’étaient pas bonnes entre les différents acteurs. «D’après ce que les vieux m’ont raconté, les partisans de l’indépendance tardive, en l’occurrence les partis réunis au sein du Front commun, menaçaient les gens qu’ils vont mettre un signe sur leur front s’ils votent pour l’Uprona. J’entends ce genre de menaces même aujourd’hui», a-t-il indiqué. «Rwagasore a failli être tué à plusieurs reprises pendant la campagne. Mon grand-père me racontait cela», a renchéri un autre.

Quelles ont été les conséquences de cette mauvaise cohabitation entre les acteurs? «La première conséquence a été l’assassinat du prince Louis Rwagasore. Après cette tragédie, l’Uprona s’est divisé. Les ethnies ont pris une place importante dans la gestion du pays. Malheureusement, cela nous poursuit même aujourd’hui», déplore un étudiant.

«Après les élections, certains membres du Front commun ont fui le pays. D’autres ont été exclus de la gouvernance du pays. Cela se voit chez nous après chaque élection», indique une jeune fille invitée à ce débat.

Est-ce qu’il était temps d’accéder à l’indépendance ? «On m’a raconté comment vivaient les Burundais à cette époque. Je ne pensais pas que j’aurais soutenu le PDC. Il fallait qu’on ait un mot à dire dans la gestion de notre pays», intervient une autre jeune fille.

«Pour moi, il fallait attendre un peu. Les Belges nous avaient enseigné beaucoup de choses mais il y avait encore beaucoup à apprendre», souligne un participant. Un autre jeune abonde dans le même sens. «Il y avait beaucoup à faire surtout dans le système éducatif ».

Ce n’est pas l’avis de tous. «Les Belges avaient construit de belles choses. Mais, rien ne montre que c’étaient des Burundais qui en profitaient. Nous avons perdu un homme extraordinaire à savoir le prince Rwagasore. C’est triste mais il nous a légué quelque chose d’important, l’indépendance», renchérit un autre jeune.

«Moi je suis contre cette indépendance tardive. Il y avait des gens qui avaient de grandes propriétés, surtout les princes, alors que les autres n’avaient rien. De plus, les Burundais avaient ras-le bol de la chicotte devant leurs enfants et autres privations. Il était temps s’il n’était pas trop tard».

Décryptage

Invité comme expert dans ce débat, le professeur Emile Mworoha a donné quelques explications sur ce sujet. « Le Burundi était un protectorat sous tutelle des Nations unies. Il n’était pas une colonie comme le Congo. La Belgique devait préparer notre indépendance. Le Burundi a profité d’un mouvement général de décolonisation, en Afrique et en Asie, après la 2ème guerre mondiale. Les Belges ont été surpris de voir nos pays demander l’indépendance».

Selon cet historien, le passage à des élections était un système reconnu partout. «Pour accéder au pouvoir, il fallait passer par la démocratie des urnes. Les colonisateurs ne voulaient pas cette accession à l’indépendance mais les élites africaines ont combattu pour l’avoir».

Emile Mworoha indique que lors des élections communales de 1960, les femmes n’ont pas voté. «Seuls les hommes ont voté. Le Front commun a gagné. L’administration a voulu précipiter les élections législatives. Le Conseil de tutelle des Nations unies a dénoncé cela et l’Uprona aussi. C’est le colloque de Sand qui a entériné que les élections législatives auront lieu le 18 septembre 1961 et que les femmes ont le droit de voter».

Il a été aussi décidé que les élections seront supervisées par le Conseil de tutelle. Les femmes ont voté Uprona et ce parti a gagné haut la main malgré des entraves de l’administration belge.

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