Mercredi 30 avril 2025

Société

Violence basée sur le genre/Un fléau qui gangrène les foyers dans le silence

Violence basée sur le genre/Un fléau qui gangrène les foyers dans le silence
Frédiane Hakuziyaremye : « La justice tarde souvent et on souffre »

Violences conjugales, abandons de famille, stigmatisation, … À Gitega et ailleurs, des femmes et des hommes brisent le silence pour raconter les souffrances qu’ils endurent au sein de leurs foyers. Si les femmes sont les premières victimes, certains hommes témoignent également de la maltraitance envers eux. Associations et autorités s’efforcent de répondre à ces drames familiaux.

« Environ un an après notre mariage, son comportement a changé. Nous nous sommes mariés en 2002. J’avais 33 ans. Il rentrait tard, ivre. Il me frappait, m’étranglait. J’ai vu ma vie défiler plusieurs fois », témoigne Frédiane Hakuziyaremye, habitante de la commune Gitega.

Enseignante en première année de l’école primaire, mère de deux enfants, aujourd’hui âgée de 53 ans, Hakuziyaremye raconte que son mari ne remplissait aucune responsabilité paternelle. « Je n’avais aucun droit sur son salaire. Il ne donnait pas de ration et allait jusqu’à vendre les récoltes prévues pour nourrir la famille. À la moindre objection, il me battait violemment. »

Elle évoque aussi les humiliations subies. « Il brûlait les quelques vêtements que je m’étais achetés ou il les jetait dans les toilettes, juste pour m’énerver avant de m’agresser. » Il a fini par m’abandonner en 2011 pour une autre femme avant de revenir en 2018.

Pendant son absence, Hakuziyaremye a élevé seule ses enfants. Elle a adhéré à des coopératives, contracté de petits crédits et acheté des parcelles agricoles puisqu’elle n’avait plus accès aux terres familiales. Elle confie n’avoir reçu aucun soutien de la part de sa belle-famille et avoir été stigmatisée dans sa communauté, qualifiée d’incapable de tenir son foyer.

En 2018, son mari est revenu et a accaparé toutes les terres qu’elle avait acquises. « Ce fut la goutte d’eau. J’ai porté plainte. On m’avait toujours conseillé de me taire, d’être une femme vertueuse. Mais là, j’ai craqué », raconte-t-elle, la voix tremblante.

Selon elle, malgré un flagrant délit d’adultère, la justice tarde toujours à trancher. « Il a eu six enfants hors mariage. Il a fui avec une autre femme, laissant nos biens entre les mains des étrangers qui me menacent dès que je tente d’y travailler. »

Les agents du Centre de développement familial et communautaire (CDFC) l’ont encouragée à saisir de nouveau le tribunal pour demander sa part des terres. « J’attendais ces petites vacances pour y aller. Mon trajet journalier pour le travail est déjà épuisant : vingt kilomètres à pied par manque de moyens pour le transport », dit-elle tristement.

Des hommes sont aussi maltraités

« Ma femme me faisait battre sur le chemin du retour. Nous nous sommes mariés en 2009. Deux ans plus tard, elle a changé. Elle buvait et rentrait très tard », raconte Jérémie Simbizi, ancien employé de l’Isabu Kayanza. À chaque réunion de famille, elle promettait de changer, sans jamais tenir parole.

Elle le traînait régulièrement en justice. Incompris, Simbizi s’est enfui à Bujumbura. Lorsqu’il y retourna, il n’avait plus d’argent. « Là encore, elle m’accusait d’avoir emporté les biens du foyer ». Le tribunal lui donnait souvent tort car il avait eu un enfant hors mariage.

Jérémie Simbizi : « Ce n’est qu’après les infractions que mon ex-épouse a commises que justice a été rendue »

Un ami l’a orienté vers une association des hommes en détresse qui l’a aidé à rencontrer l’administrateur communal. « Je vivais caché dans une maison louée. Grâce à l’administrateur, j’ai pu répondre à la justice sans crainte. » Son ex-épouse, confiante de son pouvoir financier, ne s’est pas présentée.

Elle a ensuite déplacé le procès à Bujumbura où elle s’est installée avec leurs enfants. Mais, elle s’est lancée dans des arnaques et a dû fuir à Cibitoke, laissant les enfants derrière elle. « On m’a appelé. Les enfants étaient abandonnés à Buterere. J’ai dû fournir des extraits d’actes de naissance pour les récupérer. »

Il affirme que le parquet exigeait à son ex-femme une amende de 1 600 000 FBu. Finalement arrêtée, elle a plaidé avoir volé pour nourrir leurs enfants. « Et j’ai dû payer cette somme »

Le dossier est revenu à Kayanza et le tribunal a prononcé le divorce. « J’étais enfin libre. Mais, les enfants ont beaucoup souffert. Il faut toujours parler même si la justice tarde. »

Témoigner malgré la peur

Représentante de deux coopératives, Mukenyezi Girijambo et Dushigikirana, Mme Hakuziyaremye encadre des femmes et des hommes ayant subi des violences similaires. La première regroupe des femmes maltraitées ou abandonnées. La deuxième, quant à elle, accueille aussi des hommes victimes de violences conjugales.

Elle souligne que ces violences sont bien réelles. Dushigikirane compte 28 membres dont 3 hommes. « De nombreuses femmes sont battues ou chassées de leurs foyers. Certaines sont contraintes de retourner vivre chez leurs parents. » L’un des hommes membres a été abandonné avec de jeunes enfants. « Ils se disputaient quotidiennement. Puis sa femme est partie », rapporte Hakuziyaremye.

Elle lance un appel aux victimes. « S’ils ou elles vous maltraitent, parlez-en. Même si la justice prend du temps, vous trouverez soutien et accompagnement. Brisez ce silence ! »

Boniface Nduwimana, représentant légal de l’association L’Homme en détresse, affirme que le phénomène des hommes maltraités est présent à Kayanza. « Depuis notre agrément en 2001, nous avons enregistré plus de quatre cents cas. Certains ont été aidés dans les procédures judiciaires, d’autres hospitalisés ou conseillés. »

Actuellement, trente procès sont en cours, treize jugements rendus, dix en médiation. « Nous avons sauvé cinq foyers. Mais, certaines disputes dégénèrent en violences graves », alerte-t-il.

Il cite le cas d’un homme attaqué à la machette par ses enfants en défendant leur mère. « Le mois dernier, un homme vivant avec handicap a été frappé par sa femme et sa fille. Son fils l’a sauvé de justesse. »

Depuis janvier, l’association a accueilli trente-deux hommes. « Les violences faites aux hommes sont similaires à celles subies par les femmes : économiques, sexuelles, physiques et psychologiques. »

Il déplore que les hommes parlent tardivement, et que l’association manque de moyens pour couvrir tout le pays.

Les langues commencent à se délier

Ildephonse Majambere, porte-parole du ministère ayant le genre dans ses attributions estime que ce n’est pas une recrudescence, mais le fruit des campagnes de sensibilisation. « Des gens qui se taisaient auparavant osent maintenant parler. »

Il admet toutefois que certaines régions connaissent une fréquence inquiétante de conflits conjugaux. Concernant les lenteurs judiciaires, il explique que certaines affaires tardent car les infractions ne sont pas identifiées comme des violences basées sur le genre dès le départ.

Un avocat, sous anonymat, évoque d’autres causes de retard. « Les auteurs créent souvent un faux danger pour faire suspendre les décisions. Certaines associations tardent aussi à fournir les pièces requises, espérant prolonger les missions financées. »

Il appelle toutes les parties à coopérer pour rendre justice aux victimes.

Jérémie Simbizi : « Ce n’est qu’après les infractions que mon ex-épouse a commises que justice a été rendue »

VBG

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