Lundi 29 avril 2024

Politique

Une proclamation dans le fou-rire

13/07/2015 12

La CENI a proclamé les résultats des dernières élections législatives ce mardi 7 juillet 2015. Une séance dans un climat bon enfant, teinté parfois de moquerie.

C’est un Pierre Claver Ndayicariye jovial qui se met à la tâche…
C’est un Pierre Claver Ndayicariye jovial qui se met à la tâche… ©Iwacu

Hôtel Royal Palace, mardi vers 15h30. A l’entrée, sur le parking, le service de sécurité de l’hôtel fouille les invités avec un détecteur de métaux. « Tu as failli casser mes bijoux de famille », feint de s’inquiéter un homme d’Eglise qu’on vient de fouiller. Avant d’entrer dans la salle de conférence, on doit subir une autre fouille, exécutée cette fois-ci par d’autres personnes, sans doute des agents de la CENI.

Dans la salle règne un climat convivial, du genre « nous sommes entre nous ». On note une forte absence des représentants des missions diplomatiques, surtout occidentales.

L’opposition, même celle proche du pouvoir, n’est pas là aussi. Nyabenda Pascal, le président du Cndd-Fdd, est seul, aucun des sièges sur sa rangée n’est occupé.

Avant la proclamation des résultats, une note de la CENI est distribuée aux invités. Elle indique que, malgré le retrait de certains partis, coalitions et candidats des élections, les suffrages et les sièges qu’ils ont obtenus seront pris en compte. Le ton est donc donné.

Un moment de détente…

C’est un Pierre Claver Ndayicariye jovial qui se met à la tâche. Fidèle à lui-même, dans un français clair, bien articulé, il donne les chiffres, province par province. Avant de donner les résultats de Karusi, le président de la CENI indique que c’est à une cinquantaine de km de Gitega : « Je sais pourquoi je fais cette précision », a-t-il souligné, suscitant des interrogations muettes dans la salle. « Sûrement parce qu’il est originaire de Karusi », pense un journaliste.

Avant de donner les noms des députés élus par province, Pierre Claver Ndayicariye précise que c’est l’information la plus attendue par l’assistance. Un moment qui a été l’occasion pour certains de passer un bon moment. En effet, à plusieurs reprises, des noms des députés de la coalition Amizero y’Abarundi ont déclenché des rires, parfois avec la complicité du président de la CENI. Des gens se tapent dans le dos, d’autres murmurent à voix basse en retenant un fou rire… Tel a été le cas quand Yves Sahinguvu a été annoncé comme député de cette coalition à Muramvya. « Et puis 8ème, qui peut me lire ça ? Agathon Rwasa, Abigenga Mizero y’Abarundi » a déclaré le président de la CENI, tel un enseignant à ses élèves, en proclamant les noms des députés de Ngozi, sous les rires de l’assistance.

« Sije mbonye iyi nkinamico iraheze (Enfin, cette comédie est terminée) », me chuchote un journaliste à la fin de la séance.
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Des législatives pour le Cndd-Fdd

D’après les résultats provisoires proclamés par la CENI, le Cndd-Fdd vient largement en tête, suivi de la coalition Amizero y’Abarundi, qui s’était pourtant retirée de ces élections et avait appelé à leur boycott.

Selon la synthèse des résultats provisoires de l’élection des députés le 29 juin dernier, donnée par la CENI, 2 856 112 électeurs sur 3 843 024 inscrits se sont présentés dans les bureaux de vote, soit une participation de 74,32%. Mais si l’on déduit les votes nuls et les abstentions, très nombreux ce 29 juin, on tombe à 2 300 463 suffrages exprimés, soit 59,86% des inscrits.

Article 137 (Code électoral)

Il est procédé à la répartition des sièges suivant la méthode des plus forts restes décrite ci-après :

a) on calcule le quotient électoral en divisant le nombre de suffrages exprimés par le nombre de sièges à pourvoir ;
b) on divise ensuite le nombre de suffrages obtenus par chaque liste par le quotient électoral et on attribue à chaque liste autant de sièges qu’il a atteints de fois le quotient ;
c) le ou les sièges non pourvus sont enfin attribués aux listes en compétition dans l’ordre successif des plus forts restes.

Article 138

En cas de désistement d’un parti ou d’une liste de candidats indépendants après les élections, les sièges sont répartis aux partis et aux listes de candidats indépendants siégeant au prorata des suffrages obtenus et sous réserve du respect des conditions prévues à l’article 136 du présent Code.

Toujours selon les chiffres de la CENI, le parti présidentiel, le Cndd-Fdd, se classe en premier, avec 1 721 629 suffrages, soit 60,28% des votants et 44,79% des inscrits. La coalition Amizero y’Abarundi, est deuxième avec 11,16 % et 318.717 suffrages. En troisième position se trouve le parti Uprona, avec 2,49 % et 71 189 suffrages. Ces trois partis sont les seuls à avoir totalisé plus de 2% de voix au niveau national, et donc susceptibles d’avoir des sièges à l’Assemblée nationale. Ainsi, sur 100 sièges, avant cooptation, le Cndd-Fdd en obtiendrait 77, suivi de la coalition Amizero y’Abarundi avec 21 sièges, et enfin l’Uprona avec 2 sièges. Avant cette proclamation, une note de la CENI a précisé qu’elle ne prendrait pas en compte le retrait de l’opposition des élections du 29 juin 2015.

La cooptation sera importante. Sur ces 100 sièges provisoires, 56 sont détenus par des hommes hutu et 19 par des hommes tutsi, 14 par des femmes hutu et 11 par des femmes tutsi. Soit 75% d’hommes et 25% de femmes. Parmi ces députés se trouvent également 70 % de Hutu et 30% de Tutsi. Le président de la CENI a rappelé que la loi exige un pourcentage de 60% de Hutu et 40% de Tutsi, ainsi que 30% des femmes. La CENI doit donc, a souligné Pierre Claver Ndayicariye, redresser ces équilibres par la cooptation, en tenant compte des différents quotas ethnique et de genre. Ainsi, 3 Hutu et 15 Tutsi seront cooptés, et tous seront des femmes. L’Assemblée nationale comptera donc 118 députés avant d’ajouter les trois personnes de l’ethnie Twa que la CENI doit coopter conformément à l’article 164 de la Constitution.
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Des perdants proches du pouvoir et des gagnants malgré eux

Ces résultats proclamés par la CENI sont paradoxaux : ils consacrent la déroute des partis satellites du pouvoir et font la part belle à des formations qui ont récusé ce scrutin.

Gaston Sindimwo : « Nous avons porté plainte devant la Cour constitutionnelle pour avoir nos 12 sièges. »
Gaston Sindimwo : « Nous avons porté plainte devant la Cour constitutionnelle pour avoir nos 12 sièges. » ©Iwacu

L’Uprona et le FNL de Jacques Miburo apparaissent comme les premiers perdants de ces législatives. Pourtant, Gaston Sindimwo, secrétaire général de l’Uprona ne baisse pas les bras, et semble y croire encore. « Les résultats que nous avons obtenus montrent qu’il y a eu des difficultés au niveau des attributions des sièges, et le code électoral n’a pas été respecté », indique-t-il. Car, selon M.Sindimwo, si la CENI s’était conformée à l’article 137 de ce code, l’Uprona aurait obtenu 12 sièges et non 2. « La CENI aurait du prendre en compte tous les votants, y compris les abstentions et les nuls, les diviser par les postes a pourvoir, pour avoir ainsi le quotient pour distribuer les sièges », précise Gaston Sindimwo. Mais, ajoute-t-il, la CENI a considéré « les votes valables », qui ne se trouvent nulle part dans le code électoral. « Nous avons porté plainte devant la Cour constitutionnelle pour avoir nos sièges. Le résultat final ne changera pas les 2,4% que nous avons obtenus, mais nous aurons 12 députés », confirme le secrétaire général de l’Uprona.

Gagnants malgré eux…

« Ce que la CENI et le Cndd-Fdd ont fait, c’est comme un professeur qui donnerait des points à un étudiant qui n’a pas participé au cours et n’a pas fait les examens », explique Charles Nditije, président du parti Uprona non reconnu par le pouvoir, et membre de la coalition Amizero y’Abarundi. Il ajoute que cette coalition n’ira ni dans les conseils communaux, ni à l’Assemblée nationale, selon les résultats issus des élections du 29 juin 2015. « Nous aurions pu obtenir dix fois ou plus les suffrages que nous attribue la CENI, si nous étions restés dans la logique des élections », martèle le Pr Nditije. Il demande à la CENI de répartir les 21 sièges de la coalition Amizero y’Abarundi entre le Cndd-Fdd et l’Uprona de Concilie Nibigira : « De toute façon, c’est leur plan, et ils montreront ainsi à la face du monde que le Cndd-Fdd entretient un monopartisme de fait. » Pourtant, Charles Nditije pense que le pouvoir finira par tomber en panne tôt ou tard, il ne pourra déjà pas former un gouvernement selon l’Accord d’Arusha : « L’Uprona n’a pas obtenu les 5% requis pour entrer au gouvernement et ne pourra pas les avoir quand bien même les 21 sièges seraient répartis entre lui et le Cndd-Fdd. »

Quoi qu’il en soit le président de la CENI ne se fera pas prier. Pierre Claver Ndayicariye a indiqué que, comme prévu par le code électoral : « si un parti, une coalition d’indépendants n’occupe pas les sièges obtenus au niveau de la députation, la CENI répartira les sièges inoccupés aux formations politiques qui seront restées en compétition électorale et ce au prorata des sièges que ces dernières auront obtenu au cours des élections législatives. »
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>>> Analyse

Il est clair que le pouvoir n’a jamais eu l’intention d’organiser des élections réellement inclusives, crédibles, pacifiques et transparentes. Au vu des résultats des législatives proclamés par la CENI le 7 juillet dernier, il est possible que le Cndd-Fdd aurait perdu de telles élections, alors qu’il veut se maintenir au pouvoir. En effet, selon la CENI, il y a eu une faible participation, aggravée par 20% de votes blancs et nuls, et le Cndd-Fdd n’a rassemblé que 44,5% des électeurs inscrits, dans des conditions qui auraient pourtant dû le favoriser.

C’est sans doute pourquoi le Cndd-Fdd a fait un forcing électoral en maintenant un calendrier rejeté par l’opposition et une grande partie de la communauté internationale, qui n’a pas été convaincue par les arguments du pouvoir. « Le leitmotiv du pouvoir disant que l’opposition ne veut pas d’élections mais plutôt une transition, et qu’il veut éviter un vide institutionnel n’était plus convaincant pour la médiation dans le dialogue entre le gouvernement et l’opposition », indique un leader de cette opposition. Il souligne que celle-ci a donné au pouvoir la garantie qu’elle ne veut pas de transition, mais d’un report du calendrier pour bien préparer les élections. Dans ce dialogue, l’opposition, qui avait proposé un report de trois mois, a même accepté un seul mois proposé par la médiation. Quant au souci du vide institutionnel, souligne cet opposant, il indique qu’il a été démontré qu’un président reste aux affaires tant qu’un autre n’a pas prêté serment. Pour les conseils communaux et le parlement, l’Assemblée nationale peut réajuster les dates pour éviter ce vide institutionnel.

A bout d’arguments, le pouvoir a continué son forcing. Ainsi, donc, si l’opposition rejette toute idée d’un gouvernement de transition, comme proposé par le dernier sommet de l’EAC, à qui profiterait-il aujourd’hui ? Sûrement au pouvoir, qui se prolongerait ainsi pendant quelques mois… »

Forum des lecteurs d'Iwacu

12 réactions
  1. Inyankamugayo

    Jewe nashaka kubaza: Nk’ubu umugambwe utowe ata busuma Nka 99 %, Conseil Communal, Parlement, President, Senateurs, …vyoca bigenda gute? None ntibowureka ugatwara usangwa ariko abanyagihugu batoye!

    • Jj

      Navyo ntibibaho!

      • Inyankamugayo

        Nta kundi rero reka turyane turindire decision y’Imana kuko yo ntirenganya.

  2. Inyankamugayo

    Twebwe iwacu tukiri bato umwana azize imfungurwa umuvyeyi yaca azigaburira abandi bana.

    Amizero yibagiye wa mugani wa « BUZIRE NDABWIRIRE ». Ko abanyagihugu babatoye bakavyanka none hokorwa iki? Igihugu gice citwara? Imana yo nyene ububasha igiye kuduha indongozi ibona ko ziberanye n’Uburundi.

    jewe nobahanura ko boreka kwinenaguza ahandi ho bazobura imbwa n’imbwembwe.

    • Fota

      Eka kweri, ivyo uvuze vyerekana INDERO waronse ukiri muto !

  3. pp

    Qui n’a pas ri , gusanza amajwi abantu mu nzu aho bibereye? Ceux que la CENI a fait ni  » aba bateye ingorane (AMIZERO), bakeneye kurya, bateko bazibe » . Je leur felicite pour n’avoir pas accepte un cadeau empoisonne. Comme la fidelite de Jacques Bigirimana et Concilie envers le CNDD est sans condition, ils ne derangent pas. Le laboratoire ou se fabriquent ces manyanga avait quand meme essaye. C’est un bon calcul si AMIZERO avait accepte d’entrer dans les institutions. Le probleme de 3eme mandat, la cause de tous les maux allait etre regle une fois pour toute, et la suite allait entrer en ordre d’elle meme. Attention le plan a echoue mais le labo ne respire pas. Il est toujour au travail pour d’autres plans. Le 3eme mandat va les eppuiser.

  4. Chaise Vide Tete Vide

    L’opposition, même celle proche du pouvoir, n’est pas là aussi. Nyabenda Pascal, le président du Cndd-Fdd, est seul, aucun des sièges sur sa rangée n’est occupé.

  5. karikurubu

    Mais le CNDD-FDD n’a pas gagné, il juste fait un rescencement de ses membres et il n’a plus que 44.7% de la population inscrite. lorsque nous savons que tous les DD on voté, y compris ceux qui étaient malades, comment peut-on dire qu’il a gagné? Qu’il s’en aille!

  6. MAYUGI

    Gaston Sindimwo, ne te débats pas les résultats sont ceux là, il est de notoriété publique que tu as tendu la perche aux DDs pour effacer le Parti de Rwagasore, chose qu’ils viennent de réussir avec deux sièges. Nditije et Concilie eux aussi ont aidé le CNDD FDD à enterrer le parti UPRONA en refusant de s’unir pour enfin attendre le congrès qui pourrait résoudre ce problème de leaders, c’est trop tard mais je le dis.

  7. MUBI

    Mandela doit se retourner dans sa tombe…mais il avait raison : http://www.burundibwacu.info/la-une/article/le-leadership-burundais-selon

  8. Gitega

    Que le monde entier sache que l’opposition a toujours voulu les elections mais bien preparees, meme avec les resultats de la CENI sur les inscrits de la Ceni, le CNDD FDD n’a pas brille! Imagine si le processus allait etre le plus transparent possible, le plus honnetes, avec l’octroi de cartes d’identite d’une facon equitable il pourrait y avoir plus de 500000 votants de plus de l’opposition et 250000 votants de moins du parti au pouvoir qui ont ete facilites illegalement, conditions de campagne equitables ‘, de vote equitable, et le comptage normal , le CNDD FDD aurait ni moins ni plus 29%! Et la democratie precederait un development accelerere sans oublier l’ emergence au niveau de la diplomatie mondiale! Voila ce que une petite oligarchie au pouvoir a sacrifice au profit de quelques champagnes, jeeps, argent, belles femmes, pour eux seulement alors que 99,9% comme disait l’autre prient chaque matin pour avoir avoir a manger une seule fois le jour!! Donc, vous les votants,…. Votez nous afin que nous vos representants puissons etre dans l’aisance et vous attendez l’eternel, nous on n’a pas tellement d’espoir! ‘ Et si l’ on pouvait le comprendre tous!

  9. SENYAMWIZA

    C’est une farce, une véritable comédie que jouent la CENI et le parti au pouvoir, unis pour le meilleur et pour le pire….! Quand je les entends avancer des arguments comme quoi on ils ne participeront pas à tel ou tel autre sommet car le Président de la République est occupé à battre campagne, cela me fait document rigoler. Mais parfois les dictatures pensent que les citoyens à qui ils dictent tout sont devenus des gens sans cerveaux. Mais, franchement voyons !! Battre campagne contre qui, puisque vous n’avez aucun concurrent, Mr le Président? Mon conseil est de ne pas vous fatiguer et vous exposer inutilement a l’insécurité qui guette partout. Vous n’ ‘avez qu’à rester dans votre palais et vous proclamer Président le 26 Aout… ! Cerise sur le gâteau, vous venez aussi d’obtenir la majorité absolue au Parlement ce qui vous permettra de changer la constitution (au passage vous n’y étiez pas parvenu en mars 2014 mais cela ne vous a pas empêché d’aller de l’avant et félicitations) et de rester au pouvoir le plus longtemps en espérant que la longévité que vous cherchez vous permettra d’étayer votre soif du pouvoir et laisser la chance aussi aux autres de faire quelque chose pour leur pays, notre bien commun.. !

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