Mercredi 24 avril 2024

Société

Une journée avec un gang en puissance

03/09/2022 3
Une journée avec un gang  en puissance
Ces enfants connaissent les égouts de Bujumbura comme leur poche.

Pour la plupart, ce sont de très jeunes enfants. Laissés à eux-mêmes, jusque-là ils survivaient grâce à la mendicité. Mais depuis peu, avec la crise, leur vie est devenu plus compliquée. Désespérés, ils deviennent très violents. Un reporter d’Iwacu a passé une journée avec un groupe de ces enfants. Récit.

Il est presque 7 h 30. Dans les familles « à l’abri du besoin » du quartier huppé Rohero I, en mairie de Bujumbura, des enfants crient à tue-tête pour réclamer du pain au chocolat. A une centaine de mètres, dans la zone voisine de Bwiza, des enfants remballent leurs « affaires. » Leurs biens, ce sont les cartons sur lesquels ils ont dormi la nuit, bercés par des nuages de moustiques gloutons.

Ces gamins ont entre 5 et 15 ans. En situation normale, ces enfants seraient encore en train de faire une grasse matinée dans l’attente d’un petit déjeuner. Hélas, pour diverses raisons, ces gamins se sont retrouvés dans une autre vie. Très vite, ils sont devenus des hommes, malgré eux. De ces groupes de gamins, que certains appellent déjà « gangs », on entend aucune lamentation. Pleurer n’est pas permis. « Amarira y’umugabo atemba aja mu nda. » Littéralement,  les larmes d’un homme coulent à l’intérieur de son ventre. Vivre stoïquement, diraient les philosophes.

Et par la force des choses, ces enfants sont devenus un peu philosophes. Le seul maître-mot: survivre jusqu’au lendemain. «  On vit du jour au jour. Pour nous, à chaque jour suffit sa peine », murmure Hassan* ( pseudonyme), le plus adulte.

A l’instar d’un parent qui intime les ordres aux enfants de faire vite au risque d’être en retard en classe, il vient réveiller les cinq « frères » d’infortune. Hassan, c’est visiblement le chef. Il m’a accepté pour les suivre durant toute la journée.

Je lui ai dit que j’étais journaliste et que je voulais comprendre pourquoi ils sont devenus si violents depuis quelque temps. Le groupe qui m’a accepté a dormi en face de la 9ème avenue à Bwiza. «  Fanya mbiyo (fais vite) », clame Hassan, le leader.

Le temps de se laver le visage, quelques étirements. A 7 h 45, ils se mettent en route. La mission est bien précise, vitale. Trouver à manger. Ils ont faim. Je n’ai pas osé poser la question, mais j’ai l’impression qu’ils ont dormi le ventre creux la veille. Ils veulent  avoir leur petit déjeuner.

Depuis les dernières rafles de la police, ces enfants ont peur d’arriver en plein centre-ville. Selon Hassan, arriver au centre-ville est un exercice, périlleux lorsqu’on ne trouve pas une âme charitable le long de l’avenue Mosso comme ce matin. Je vais être témoin d’un geste généreux, inattendu par les temps qui courent : une maman, visiblement dans la soixantaine, est prise de compassion pour Nduwimana, le plus petit de la bande. Elle leur donne 12 mille FBU. La « meute » à Hassan a déjà le nécessaire pour son petit déjeuner. En attendant le repas de la journée.
Je les suis. Ils marchent pour rejoindre un point de ralliement : la paroisse Saint-Michel. Dieu leur a souri ce matin. Ils décident de se rendre dans un restaurant situé sur la 5ème avenue à Buyenzi, pour prendre leur petit déjeuner.

C’est Hassan qui passe la commande. Pour tout le monde, capati ( crêpe) et des haricots. Pour prendre un peu d’énergie, ils prennent du thé. Le temps de digérer un peu et nous repartons. Un autre rendez-vous attend les 5 amis. Nous allons au terrain dit « Tempête. » Ce matin, c’est le point de ralliement.

C’est là qu’ils vont planifier la journée, étudier la stratégie à mettre en œuvre pour ne pas rentrer bredouille sur leurs cartons le soir. Comme un général avant la bataille, Hassan est soucieux. La concurrence est rude. Hassan prend le temps de m’expliquer que par les temps qui courent, il faut se réinventer. « La stratégie c’est de travailler en synergie avec les autres. Mais le risque quand un d’entre nous se fait choper en volant les biens d’autrui… » Il ne termine pas la phrase. On devine la suite.

Un coup de moue

Au terrain « Tempête », il y a quelques groupes. Tout est bien planifié. Après quelques salutations amicales, chaque groupe va dans son coin pour un rituel. Le nôtre choisit de s’installer derrière une voiture près du terrain de basketball. Joints, colle de chaussures dans les mains, ils se mettent à fumer, à snifer… En 20 minutes, tout le groupe y compris les plus petits, « planent. » Impossible d’ajuster un seul mot sans bégayer. Je comprends que cet instant sert à se donner du courage. Avec la drogue.

En effet, quelques minutes plus tard, les plus petits commencent à jurer que si jamais un policier tente de les arrêter, « il verra de quoi ils sont capables. » Nduwi, à peine 7 ans, après avoir sniffé deux coups de colle à chaussure, semble aux anges. Assis dans un coin, Hassan leur rappelle la mission du jour : au moins 30 mille FBU. Tout le monde est averti. Il doit faire feu de tout bois pour trouver au maximum 6 mille. Sinon, il subira les foudres du boss. Interloqué, je demande qui est le boss ? Un court instant de gêne.

Hassan me murmure qu’ils doivent payer certaines personnes afin qu’ils ne soient pas inquiétés dans leurs zones d’action. « Un billet de 10 mille FBU, nous sommes certains que durant deux jours, nous ne serons pas inquiétés ».Une sorte de taxe. Confus, je demande à qui va cet argent ? Et de me répondre : « Je ne sais pas. Tout ce que l’on sait, on le donne à un ancien. »

Subitement, un invité s’amène. Un « ancien ». La déférence du groupe est totale. La trentaine, à l’instar des films de la mafia sicilienne, visiblement, il est le Capo (Chef). Un supérieur hiérarchique d’Hassan. Le coordonnateur sur terrain.

Je dois me présenter. Il me dit qu’avant de venir il a pris soin de demander à ses amis qui je suis. Après, il ordonne aux petits de s’éloigner un peu. « Toka bakubwa baongeye (laissez les personnes adultes causer ».

Avec Hassan, l’hôte qui n’a pas voulu me donner son nom, ils m’expliqueront comment ils organisent les enfants pour gagner le plus d’argent: « La stratégie c’est d’attirer l’empathie. Et pour cela, il faut que ce soient les moins âgés qui soient toujours placés devant pour faire la manche. Le temps de distraire la personne en question, un autre peut passer derrière et piquer ce qui se trouve à l’intérieur des véhicules. » Des actes dont ils font semblant d’être si peu fiers. Comme pour se dédouaner, ils m’expliquent qu’ils sont obligés de faire cela « en attendant une possible reconversion, nous devons continuer à vivre. »

Des gangs qui naissent tels des champions

FC Asiatique, la terreur ambulante

A bâtons rompus, très à l’aise, ils m’expliqueront comment Bujumbura, au fil du temps, a été subdivisée en zones d’action. « Chaque groupe opérant au centre-ville possède son rayon d’action. Le nôtre va de l’OTB jusqu’à l’ancien supermarché dit chez Dimitri ». Aucun autre groupe n’est autorisé d’y dormir ou d’y exercer ses activités. « Si une fois, un vol s’y commet, les gens nous connaissent tous, et ils sauront à qui s’adresser pour rembourser. » Toutefois, nuance-t-il, dans le cas contraire, ils demandent une autorisation. « A défaut, ils paient pour cela ».

Avec cette subdivision de Bujumbura en fonction de leurs rayons d’action, à l’instar des équipes de football, les groupes des enfants portent des noms. Ceux qui opèrent en plein centre-ville s’appellent « F.C Town . »

Parmi les plus réputés violents, le FC Asiatique, ces enfants en situation de rue qui dorment au quartier asiatique et ses environs. D’après Hassan, ce groupe composé essentiellement des enfants natifs de Kayanza. « Ceux-là ne reculent devant rien. C’est la terreur ambulante ». La plupart des fois, ils possèdent des lames à rasoir, des couteaux, des morceaux de bois aiguisés. « Un vrai gang, qui n’hésite pas à s’en prendre aux policiers s’ils ne sont pas en groupe ». Selon lui, un sérieux problème parce que derrière les forfaits qu’ils commettent, il y a cette obstination à répondre aux desiderata de leur chef.

Je les interroge sur le sang-froid dont ils font preuve. « Après avoir fumé du chanvre, tu ne ressens plus rien. C’est comme si tu peux voler. Nous nous croyons intouchables ».

Le tableau de chasse de ces gamins est impressionnant. Ils racontent volontiers les vieux souvenirs. « J’avais huit ans à peine, j’ai volé un téléphone de marque Samsung. C’était en 2008.  A l’époque, je pense qu’il pouvait avoir une valeur de 350 mille FBU ». Lieu du crime, le rond-point des anciens bureaux loués par l’entreprise Econet-Leo.

Il échappera en s’engouffrant dans l’égout qui se trouve près du monument des Héros de la Démocratie. « Très en colère, le propriétaire du téléphone volé a même engagé une sentinelle pour garder l’entrée de l’égout ».

La situation paraissait désespérée pour le jeune voleur retranché dans l’égout. « Aux environs de 22 h, la sentinelle est allée se soulager. Le moment choisi pour prendre le large ».

Ils connaissent les égouts de Bujumbura comme leur poche. Ils connaissent les entrées et les sorties. «  Chaque égout possède sa sortie. Mais, l’égout qui nous a toujours rendu service est celui qui se trouve près de l’Ecofo Stella Matutina, c’est le meilleur ».

Aux environs de 13 h, la bande à Hassan arpentera la route qui mène en plein centre-ville avec toujours l’espoir de récolter les 30 mille FBU, l’objectif du jour fixé par le chef de la bande. Vers 17 heures, quand je suis allé rejoindre Iwacu pour écrire ce que j’ai vécu, le groupe n’avait pas encore atteint son objectif…

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Nduwamungu Ladislas

    C’est le résultat de notre culture de faire des enfants sans en avoir les moyens.Ces enfants sont victimes de l’irresponsabilité collective de se reproduire plus vite que les ressources économiques disponibles.Le gouvernement doit prendre ses responsabilités pour arrêter cette folie en mettant en place une vraie politique de gestion de la démographie.

  2. Margarita

    Tout simplement glaçant

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