Mardi 16 avril 2024

Économie

Stabulation permanente : une loi décriée par les éleveurs

02/11/2021 2
Stabulation permanente : une loi décriée par les éleveurs

Des éleveurs se séparent de leurs bêtes, le prix du lait et de la viande augmentent. A quelques jours de la mise en vigueur de la loi sur l’élevage en stabulation permanente, les conséquences commencent déjà à se manifester.

« Nous avons vendu notre cheptel, car nous n’avions pas d’autres choix. Où allions-nous trouver de l’argent pour nourrir cinq à dix vaches ? », s’interrogent les éleveurs rencontrés dans la commune Mugongo-Manga de la province Bujumbura.
Ces derniers ne cachent pas leur mécontentement concernant la mise en application de la loi sur la stabulation permanente. Ils font savoir qu’il leur est impossible de trouver le fourrage pour plus de dix vaches. « La stabulation permanente est possible pour des éleveurs qui ont une ou deux vaches, imaginez-vous nourrir plus de dix vaches dans les étables ! Même cinq, c’est un casse-tête. »

Joseph Nduwayo, éleveur dans la commune Mukike, explique qu’il a des pâturages suffisant pour nourrir ses douze vaches. « Je ne comprends pas ! Pourquoi m’empêcher de laisser mes vaches errer dans mes champs ? Clôturer un champ de plus d’un hectare demande beaucoup de moyens, nous n’en avons pas ! » Il demande de revoir la loi et de prévoir des punitions uniquement envers ceux dont les vaches saccagent les champs d’autrui.

Selon lui, il n’y a pas de conflit entre les éleveurs et les agriculteurs : « Tous mes voisins ont des vaches. Si un éleveur a des vaches et ces dernières arrachent les plantes des voisins, ils s’entendent entre eux, sinon les notables interviennent et le différend est réglé. »

Les éleveurs de la commune Mukike ne savent plus à quel saint se vouer, car leurs vaches les aidaient à couvrir certains besoins liés à la scolarité des enfants et surtout en fumier. Ils indiquent que leurs terres ne sont pas fertiles comme celles de l’Imbo. « Si nous ne mettons pas du fumier, nous ne pouvons pas espérer une bonne récolte. »

Le prix du lait et de la viande commence à grimper

Fidèle Nduwayezu, agri-éleveuse dans la commune Mukike, est une veuve de cinq enfants dont deux font des universités privées. Ses vaches l’aidaient à payer la scolarité de ses enfants. Elle assure qu’elle ne voie pas comment ils vont continuer les études.

Elle raconte sa tristesse :« J’avais six vaches et au moins deux devraient mettre bas chaque année. Ces sont ces génisses que je vendais pour satisfaire les besoins scolaires de mes enfants. Avec cette loi, il ne me reste que deux vaches. Comment vais-je faire ? », se demande-t-elle.

Même inquiétude pour François Nduwimana, un autre éleveur de la commune Gisozi : « Faute de moyens, les enfants vont abandonner les écoles. Quelqu’un qui avait sept vaches, vendait une pour se préparer à la rentrée scolaire des enfants. Mais actuellement, on ne pourra pas vendre la seule qui nous reste. »

Les fournisseurs du lait ont déjà averti leurs clients qu’ils ne les approvisionneront plus. Dans une pâtisserie de la zone Rohero, le prix d’un litre de lait est passé de 1.800 BIF à 2.000 BIF. « Le lait sera bientôt un luxe », craint un client rencontré à cette pâtisserie.

J. N. achète les vaches à l’intérieur du pays pour les revendre à l’abattoir de Bujumbura. Il indique que ces derniers temps, les vaches étaient nombreuses dans différents marchés de l’intérieur du pays et à bon prix. Mais cela a changé dès le mois d’août et les vaches ne restent que dans les marchés de la région de Mugamba.

Selon lui, les conséquences commencent à se manifester. Il craint que le pire est à venir. « Un kilogramme de viande à l’abattoir s’achetait à 6.500 BIF, il y a trois mois, et il est actuellement à 8.000 BIF. »

Ainsi, le nombre de vaches abattues à l’abattoir de Bujumbura évolue en dents de scie. Mais depuis le mois d’août, il ne cesse de diminuer. Passant de 1.451 bovins abattus à 1.088 en septembre, soit une diminution de plus de30%.
Les petits ruminants abattus ont aussi diminué, passant de 3.658 au mois de janvier à 3.120 au mois de septembre, soit une diminution de 17,2%.



« Des conséquences désastreuses. »

Pr Patrice Ndimanya, de l’université du Burundi indique que l’élevage représente 25 % du PIB agricole et rapporte environ 440 milliards BIF par an. « C’est aussi une source de revenus facilitant le paiement des soins de santé et des frais de scolarité, une source de sécurité alimentaire et une source de revenus pour de nouveaux investissements. »
Selon lui, il n’y a pas de conflit entre éleveur et agriculteur, du fait que rares sont les Burundais qui n’associent pas les deux activités. Il précise que même s’il y aurait de conflit, ça devrait être traité comme d’autres contentieux, car les lois existent.

« Les autres contentieux, dont les conflits fonciers, qui sont les plus fréquents avec des conséquences dramatiques. Pourtant, Ils sont réprimés avec des lois déjà existantes comme le Code pénal, le Code civil et les pratiques coutumiers. »
M. Ndimanya observe qu’il y a la demande de limiter les dégâts occasionnés par le vagabondage des animaux, mais trouve qu’une loi spécifique n’était pas nécessaire. « Si les sanctions prévues dans le Code pénal et le Code civil ne sont pas dissuasives, elles doivent être renforcées », nuance-t-il.

Il souligne que cette situation est vécue différemment selon les régions et indique que le gouvernement devrait tenir compte de la diversité des régions. « Ces conflits s’observent surtout dans les zones densément peuplées, notamment dans les régions de Buyenzi, Kirimiro et Bweru. Dans l’Imbo aussi où la population est regroupée dans les paysannats et doit déplacer leurs bétails vers les zones de pâturages éloignées », précise-t-il.

M. Ndimanya estime que dans certaines régions, les ressources fourragères naturelles y poussent en quantité abondante et de bonne qualité. Les autres régions sont riches en résidus de récolte comme les bananeraies. « Ce qui n’est pas le cas dans la région de Mugamba. »

Ce professeur d’université explique que d’après une étude réalisée par l’ISABU (Institut des sciences agronomiques du Burundi), un éleveur de Mparambo ayant une vache et sa génisse devrait réserver aux cultures fourragères une superficie de 30 ares. Néanmoins, dans les conditions moins favorables de Mahwa, il ne faudrait pas moins de 75 ares.
Il précise en outre que si l’élevage extensif était moins rentable, les éleveurs auraient pratiqué la stabulation, « c’est le choix économique ». Il demande au gouvernement de revoir la décision de pratiquer la stabulation permanente, car les conséquences pourront être désastreuses.

Le ministère de l’élevage reste catégorique

Emmanuel Ndoricimpa, secrétaire permanent au ministère ayant l’élevage et l’agriculture dans ses attributions, est clair : « On ne peut pas solliciter une autre période à la dernière minute. La loi doit être respectée. » Il ajoute que le changement est difficile, « c’est un processus. »

Il reconnaît que certaines mesures prévues dans l’article 36 ne sont pas encore mises en application, notamment la mise en place des zones publiques d’élevage. Il signale que cela est dû à une forte pression démographique et à l’exiguïté des terres. « Nous demandons aux éleveurs d’identifier des places pour y mettre ces zones et venir auprès du ministère pour solliciter cette place. Nous leur attribuerons ces places. »


Trois questions à Me Emmanuel Nkengurutse, ancien sénateur.

« L’élevage en milieu rural risque de s’effondrer »

Me Emmanuel Nkengurutse : « une mise en application hâtive de cette loi conduira à l’effondrement du secteur de l’élevage. »

Comment appréciez-vous la loi sur la stabulation permanente ?

C'est une loi qui porte la réforme de l'élevage au Burundi. Comme telle, elle est porteuse d'une grande ambition nationale. Néanmoins, pour se concrétiser, cette ambition doit garder le cap et veiller à ce que ceux qui tirent les ressources et moyens d'accès à leurs droits fondamentaux, notamment le droit à l'alimentation, ne les perdent pas, mais plutôt les améliorent.

Qu’est-ce qui devrait être fait pour un bon rendement ?

L'article 36 donne une liste de mesures préalables pour accompagner la mise en application de la loi et qui doivent précéder le démarrage de ce mode d'élevage. Ceci veut dire que ces mesures doivent être mises en œuvre par le gouvernement avant que celui-ci n'impose aux éleveurs l'obligation de garder leurs bêtes dans les étables. En plus de cela, l'accès à l'eau potable doit être garanti aux éleveurs pour approvisionner les animaux.

Et au cas contraire… ?

Le contraire conduira à l'effondrement du secteur élevage en milieu rural et la perte des ressources et moyens d'accès aux droits fondamentaux des éleveurs et autres personnes vivant des activités connexes à l'élevage. L'État aura en conséquence violé les droits de ses citoyens en faveur desquels il a pourtant contracté des engagements juridiques internationaux de protection.

 


Article 36 de la loi sur la stabulation permanente

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Forum des lecteurs d'Iwacu

2 réactions
  1. Balame

    Zones publiques d’élevage.
    Y avez vous pensé une seule fois?
    Irréalisable

  2. philibert

    Il m’a toujours semblé que c’est la loi qui doit s’adapter aux hommes et la société et non le contraire et Maitre Emmanuel Nkengurutse a – comme d’habitude – évidemment raison. En choisissant – délibérement ou par négligence – de ne pas mettre en place des mesures accompagnatrices pour l’application de la stabulation permanente au sens de l’article 36, l’Etat applique l’arbitraire surtout envers ceux qui sont lésés – les éleveurs – mais aussi contre l’ensemble de la société . Car je ne sais pas comment il faudra juguler la montée des prix de la viande et du lait dont hélas les enfants burundais ont besoin pour leur croissance. Et du coup les terres cesseront d’être fertiles , car ne bénéficiant pas d’engrais naturels de qualité. Aujourd’hui 58% d’enfants de moins de 10 ans souffrent de malnutrition dans certaines communes du Nord du Burundi contre une moyenne de 45% pour l’ensemble du pays. La seule manière de lutter contre ce fléau de la malnutrition est la mise en place d’une agriculture capable de nourrir beaucoup de bouches qui consomment de plus en plus trop. La question fondamentale dans le domaine de l’agriculture est indissociable de celle qui se pose à l’élevage et est en fait double : comment produire assez de produits et de qualité , ceci veut dire des aliments suffisamment riches en macro et micronutriments qu’on trouve surtout dans les légumes et surtout les fruits . Nous ne pourrons y arriver qu’en encourageant par tous les moyens l’élevage , le seul capable de permettre de faire avancer l’agriculture . Mais comment ? Une agriculture de qualité est basée sur une bonne production de ce qui compte le mieux pour la santé humaine : des aliments suffisamment riches en micronutriments ceci veut dire les vitamines , acides aminés, les minéraux et oligoélements . On trouve ces élements nutritifs surtout dans les légumes et fruits . Mais il y a un autre souci, car ca ne suffit pas de les produire il faut aussi les consommer . Ici encore une fois ,les traditions burundaises nous donnent du fil à retordre . Comment convaincre un vieux ou une vieille de la colline qu’il faut consommer des fruits et boire beaucoup d’eau ? Raison pour laquelle nous devons investir sur la responsabilité de l’éducation , surtout l’éducation des plus jeunes , à commencer par l’école primaire . Si on ne peut pas changer les vieux , investissons dans les jeunes. Je pense que certains burundais ne saisissent pas la mesure des enjeux et surtout au sein des administrations locales . Est-il vraiment impossible aux administrateurs d’inciter à leurs administrés à entretenir des jardins et potagers chez eux , de planter des arbres fruitiers ? Je n’y vois aucun obstacle ! Attendez vous que le Président de la République vous le dise ? Est il réellement impossible aux enseignants des écoles primaires d’enseigner les principes fondamentaux de la nutrition ? A coté des maths , géographie et Histoire ? Ce sont des actions qui ne coutent pas 1FBU de plus mais des actions si salutaires pour les générations futures .Je pense que certains partenaires commencent à le comprendre . Je viens d’apprendre en effet qu’enfin une faculté ou une école de nutrition va bientot voir le jour à l’Université du Burundi , l' »East African East African Nutritional Sciences Institute -EANSI « . C’est certainement un pas de géant dans la bonne direction mais il faut aller plus loin et vite. Une bonne alimentation a une énorme influence non seulement sur la croissance des enfants mais aussi sur leurs capacités intellectuelles et donc sur leur aptitude à poursuivre les études.
    Mais revenons là par ou j’avais commencé l’élevage . L’agriculture burundaise et la population ont intérêt à ce que l’élevage existe , c’est la seule manière de faire de notre agriculture une machine de production . Vous allez certainement me donner comme alternative le recours aux engrais chimiques! Le chemin des engrais chimiques est une voie sans issue et je m’explique . La plupart des aliments produits et vendus en Europe contiennent plus de pesticides que micronutriments en raison de la forte agriculture intensive pratiquée . Le problème de l’agriculture européenne et américaine – l’Amérique latine y compris- est de vouloir produire beaucoup en si peu de temps . En d’autres termes l’agriculture intensive veut perfuser la plante de produits chimiques au lieu de perfuser la terre d’engrais naturels , et celle ci nourrira la plante. Une tomate produite en 45 jours ne pourra jamais contenir la même quantité de lycopène qu’une tomate produite en 70 jours . Les études montrent à juste titre une forte déperdition vitaminique de pratiquement tous les produis agricoles de l’ordre de 12 à 76% selon les produits , les régions et le climat ( en Europe) . Au Burundi nous avons encore la possibilité de nous passer de certains artifices européens comme la culture sous serres , car nous avons le soleil et la température tout le temps ou presque . Mais il nous faut encourager l’élevage , je ne pense pas que ce soit trop demander.
    Enfin et j’aurais terminé, diminuer le plus possible le recours aux produits étrangers et donc aux devises devrait être le maitre mot de nos actions , l’autonomie agricole est un gage d’indépendance à tous les niveaux . L’indépendance – comme la liberté- n’est jamais offerte sur un plateau d’argent , elle se cherche et parfois elle s’arrache , si on ne fait rien , rien ne se produira.

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