Jeudi 25 avril 2024

Politique

Révision du code de l’organisation et de la compétence judiciaires : Des innovations saluées mais….

15/03/2023 Commentaires fermés sur Révision du code de l’organisation et de la compétence judiciaires : Des innovations saluées mais….
Révision du code de l’organisation et de la compétence judiciaires : Des innovations saluées mais….
Domine Banyankimbona : « Ce système permettra au juge unique de vider en toute célérité le flux de dossiers pendant devant lui.»

L’instauration d’un juge unique pour certaines matières, l’affectation des officiers du ministère public dans les tribunaux de résidence. Quelques innovations contenues dans le nouveau code analysé et adopté dernièrement par le Parlement. Juristes et société civile parlent d’une avancée mais recommandent une réforme profonde de la justice.

« La révision de ce code est jugée nécessaire pour établir un système judiciaire moderne et plus performant, permettant de porter la législation burundaise en la matière aux meilleurs standards internationaux »a expliqué Domine Banyankimbona, ministre de la Justice, aux députés et sénateurs.

L’instauration de l’institution du juge unique, a-t-elle éclairci, est requise pour les dossiers d’ordre pénal, les conflits fonciers et l’insolvabilité des dettes. Cependant, a-t-elle précisé, pour les conflits fonciers, ce sont d’abord les médiateurs collinaires qui s’en chargeront en premier lieu.
« Ce système permettra au juge de vider en toute célérité le flux de dossiers puisqu’il sera redevable par rapport à ses décisions envers le citoyen qu’il est appelé à servir », a indiqué la Garde des Sceaux.

Par ailleurs, a-t-elle ajouté, cette institution du juge unique est également appelée à statuer pour les cas de contravention, c’est-à-dire les peines allant d’un à trois ans et les délits dont les peines ne dépassent pas 5 ans de servitude pénale. Mais pour les crimes, a-t-elle nuancé, le siège sera toujours composé de trois juges.

Un diplôme universitaire requis

Mme Banyankimbona a annoncé l’affectation des officiers du ministère public auprès des tribunaux de résidence. Une mesure, selon les défenseurs des droits humains, qui permettra de contrôler le travail des OPJ et de rendre un jugement équitable pour les dossiers pénaux au niveau de ces juridictions de base.

En outre, a-t-elle fait savoir, le niveau universitaire est requis pour les juges des tribunaux de résidence. Et de préciser que les détenteurs des diplômes A2 seront remplacés au fil du temps, quand ils passeront de vie à trépas ou suite à leur départ en pension.

Enfin, a indiqué Domine Banyankimbona, il y aura aussi la réorganisation des juridictions administratives et le mode de reconstitution d’un dossier judiciaire.


Réactions

Jean-Marie Nshimirimana : « C’est une valeur ajoutée à la justice burundaise.»


« Nous saluons ces innovations qui vont dans le sens de renforcer la justice au Burundi », se réjouit Jean-Marie Nshimirimana, président de l’association Solidarité avec les Prisonniers et leurs Familles (SPF/Ntabariza).

Selon lui, l’affectation des officiers du ministère public au niveau des tribunaux de résidence va rapprocher la justice aux justiciables.

Par ailleurs, apprécie ce défenseur des droits des prisonniers, le juge unique aura l’opportunité d’étudier le dossier en toute indépendance et quiétude et pourra rendre un jugement bien mûri sans aucune influence.

En outre, cet activiste de la société civile fait savoir qu’il y aura célérité dans le traitement des dossiers. Et de faire remarquer qu’un dossier qui était étudié par un collège de juges sera maintenant étudié par un seul juge et plusieurs dossiers seront traités en même temps.

« Avec le collège des juges, il y avait ceux qui refusaient de signer sur le délibéré parce qu’ils n’ont pas reçu telle ou telle chose. Cela apportera une valeur ajoutée à la justice burundaise ».
Et de faire savoir qu’il sera difficile pour le juge unique de tremper dans la corruption car, fait-il observer, il sera vite démasqué.

Gabriel Rufyiri : « Il faut une réforme profonde de la justice.»

« Le système judiciaire burundais se trouve dans un panorama d’institutions qui doivent former ce que nous appelons le système national de l’intégrité. Ce dernier fonctionne comme un maillon de la chaîne dans une entreprise », indique Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre les malversations économiques (Olucome).

Dans une entreprise, rappelle-t-il, on fonctionne du maillon de la chaîne de production jusqu’à la commercialisation.
Or, fait savoir M. Rufyiri, la Constitution du Burundi distingue trois pouvoirs : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Mais en pratique, déplore-t-il, ces pouvoirs ne sont pas réellement séparés. Et de conclure : « Dans le contexte burundais, il sera difficile qu’un juge unique fonctionne.»

Ailleurs, fait remarquer cet activiste dans la lutte contre la corruption, on n’a qu’un seul juge. Et ce dernier, précise-t-il, une fois nommé, il décide sur base de trois éléments essentiels : la loi, sa conscience et l’élément matériel. « Est-ce que chez nous le juge est guidé par les trois éléments » ? s’interroge-t-il.

Dans le contexte burundais, fait observer Gabriel Rufyiri, il y a plusieurs éléments qui poussent les juges à ne pas agir ainsi. Et de regretter qu’on peut ne même pas condamner quelqu’un alors qu’il a été attrapé en fragrant délit.
Il recommande une restructuration de l’appareil judiciaire : « Qu’il y ait un siège d’un seul juge ou un collège de juges, c’est la même chose. Ils sont tellement vulnérables dans le système burundais sur plusieurs échelons. Il faut une réforme profonde de l’appareil judiciaire de la base au sommet.»


Eclairage

Me Fabien Segatwa : « Il y aura traitement rapide des dossiers et le contrôle de la qualité du juge »

Me Fabien Segatwa, pénaliste, s’exprime sur les avantages qui seront apportés par les innovations contenues dans le code révisé. Selon lui, ces innovations vont apporter une solution aux préoccupations de la population.

Quelle appréciation faites-vous par rapport aux innovations contenues dans le projet de loi portant modification du code de l’organisation et de la compétence judiciaires ?
Les lois sont faites pour les hommes et pour un certain délai. Quand les lois ne répondent plus aux préoccupations ni de l’administration, ni des justiciables, ni des pouvoirs publics, c’est normal qu’on les revoie pour que la justice réponde aux préoccupations de la population, mais également à l’amélioration de la justice.

En d’autres mots, une loi ne doit pas être figée. Elle est appelée à évoluer suivant les circonstances. Si le pouvoir judiciaire a jugé bon de pouvoir innover, c’est pour essayer de trouver une solution aux problèmes majeurs qui se posent.

Lesquels ?
Le premier problème qui se pose est la lenteur de la justice. C’est aussi le manque de ressources humaines.
L’instauration du siège d’un juge unique pour certaines affaires qui ne sont pas très compliquées ou qui ne sont pas de très grande importance est la bienvenue. Et d’ailleurs, on l’avait souhaité depuis très longtemps.

Y aura-t-il une valeur ajoutée dans le fonctionnement des juridictions ?

L’instauration d’un juge unique a beaucoup d’avantages. D’abord, on aura beaucoup de juges. Au lieu d’avoir trois juges pour un seul dossier, on aura trois juges pour trois dossiers. Ce qui veut dire qu’au niveau du tribunal de résidence, on pourra ne pas avoir de dossiers. Il peut même y avoir carence de dossiers.

A ce moment-là, les juges qui ne seront pas occupés au niveau des tribunaux de résidence pourront être amenés à exercer au niveau des tribunaux de grande instance. Et même là, si on peut avoir au premier degré un juge unique, ça sera très important.

Par ailleurs, l’autre avantage est qu’on va essayer de chercher la qualité de chaque juge. Aujourd’hui avec le collège de juges, un jugement peut être mal rendu.

Tel ou tel juge peut dire qu’il s’est plié à la volonté de la majorité parce que dans le délibéré un juge qui n’est pas d’accord se rallie à la majorité sous certaines conditions encore qu’aujourd’hui on a permis ce qu’on appelle l’expression de l’avis dissident.

C’est-à-dire qu’un juge qui ne sera pas d’accord pourra dire pourquoi il ne l’est pas et l’avis dissident fera partie du jugement. Mais pas n’importe comment car même s’il a un avis dissident, le jugement sera valable s’il est accepté par la majorité.

Comment va-t-on vérifier la compétence du juge ?

S’il y a des jugements qui sont mal rendus, on le saura. On saura en fait si le juge est compétent ou s’il ne l’est pas. S’il est corrompu ou s’il n’est pas corrompu. Il ne va pas se réfugier derrière le collège de juges. Il pourra rendre compte seul, pas avec la majorité.

En substance, il y aura d’abord la célérité dans le traitement des dossiers des justiciables, et ensuite, le contrôle de la qualité du juge. Et ne vous en faites pas la population est juge. Quand les gens vont remarquer que tel juge rend toujours de mauvais jugements, ils ne vont pas tarder de le récuser.

Tel ou tel justiciable pourra dire qu’il ne veut pas que tel ou tel juge traite son dossier, et en fin de compte, ce juge finira par démissionner ou tout simplement sera récusé.

Quid de l’indépendance du juge tant souhaitée ?

Le juge unique sera indépendant. Je ne suis pas partisan de ceux qui disent qu’ils ont rendu des jugements suivant des pressions, des injonctions du pouvoir exécutif. Cela existe, je ne le nie pas, mais c’est très rare. Et puis, si le juge a une injonction, il devrait exiger un écrit parce qu’un pouvoir public qui a l’intérêt de la bonne justice devrait normalement donner ses injonctions par écrit.

Et un juge qui n’a pas une injonction par écrit comment est-ce qu’il va le prouver ? Et d’ailleurs, un juge qui n’est pas capable de résister à une injonction verbale, sera-t-il capable de résister à une offre d’argent ?

Un juge qui ne sait pas résister à quelqu’un d’autre qui lui demande de faire une chose qui n’est pas légale, ce n’est pas un juge. Il devrait démissionner parce qu’en kirundi on dit « Ubugabo burihabwa » (la valeur de l’homme s’arrache). La loi le dit clairement, même la loi militaire le dit : « Un ordre manifestement illégal, on ne lui obéit pas.»

Est-ce qu’il y a un juge qui a été jeté en prison parce qu’il n’a pas obéi à un ordre injuste, illégal ? Je n’en connais pas. Mais je connais évidement des juges qui ont été sanctionnés parce qu’ils ont rendu un mauvais jugement.

Est-ce que l’instauration d’un juge unique ne court pas le risque de rendre un jugement inique ?

Il faut savoir que ce jugement qui sera rendu ne sera pas rendu en dernier ressort. Il sera susceptible de recours. Le recours a été prévu aussi bien pour le siège collégial que pour le siège unique.

C’est pourquoi, la loi dit que le juge n’est pas parfait. Il rend un jugement en âme et conscience. Donc, il peut se tromper. Il peut mal interpréter la loi. Ce qui est tout à fait normal. Ce qui est interdit, c’est de le faire de mauvaise foi.

Et quelqu’un qui est préjudicié par un jugement, il a le droit d’aller en appel. Si ce jugement est inique, il pourra être appelé. Mais s’il est trop inique, si cela sent de la corruption, on pourra s’en plaindre devant les autorités judiciaires pour avoir mal rendu le jugement ou tout simplement pour incompétence.

Il peut arriver qu’un juge soit incompétent et celui-là cela se verra quand il se retrouvera seul devant le dossier. Et un juge qui va refuser de statuer dans le délai on le verra aussi.

Si tous les jugements qui vont en délibéré, il n’y a aucun jugement qui est rendu dans les délais, on verra aussi qu’il est incompétent ou qu’il s’occupe d’autre chose que de la justice.

Mais il aura fallu qu’il y ait aussi un juge de contrôle des détentions. Au Burundi, on n’a pas encore ce juge qui devrait contrôler si la détention est légale ou pas.

Qu’est-ce qui va changer avec l’affectation des Officiers du ministère public au niveau des tribunaux de résidence ?

Cela a d’ailleurs trop traîné. Cette question s’est posée en 1993 parce que la loi qui existait à ce moment-là permettait aux juges des tribunaux de résidence de rendre des jugements sans ministère public.

On a attaqué cette loi en inconstitutionnalité. Le juge devenait à la fois juge et ministère public. C’est anticonstitutionnel. C’est pourquoi on a demandé que, pour les affaires pénales pendant devant les tribunaux de résidence, l’on puisse prévoir un officier du ministère public mais qui vient du tribunal de grande instance.

Mais souvent, ils n’ont pas le temps. Ils ne manifestent pas beaucoup d’intérêt, mais souvent aussi ils sont très peu nombreux.
Avoir un magistrat du ministère public toujours disponible à tous les tribunaux de résidence était difficile.

Concrètement quel remède à cette insuffisance de magistrats ?

Maintenant, nous avons beaucoup de jeunes diplômés en droit qui sont au chômage. On peut les engager moyennant une certaine formation pour qu’ils soient magistrats du ministère public auprès des tribunaux de résidence.
Avant, on avait demandé que les OPJ puissent faire ce rôle-là mais un OPJ n’est pas un officier du ministère public.

Il faudra nécessairement un officier du ministère public auprès du tribunal de résidence. Ce qui est aussi une bonne chose parce les dossiers qui sont pendant devant les tribunaux de résidence en matière pénale trouveront cette fois-ci une solution.

Un léger mieux dans le traitement des dossiers des personnes détenues dans les cachots communaux…

D’abord, il y aura un jugement. Et puis, il y aura un ministère public auprès du tribunal de résidence. Un officier du ministère public aura un autre avantage parce qu’il va surveiller les détentions des OPJ qui sont dans les cachots des communes.

Et là, on ne pourra plus avoir quelqu’un qui traîne dans les cachots de l’OPJ pendant plus d’une semaine parce qu’il y aura un ministère public à côté. Il devra le transmettre directement devant l’officier du ministère public du tribunal de résidence.

Il y aura aussi un autre avantage économique parce qu’on va engager les gens. Une petite solution dans le chômage et ensuite on pourra instruire avec un peu de rapidité les dossiers pénaux.

Désormais, le niveau universitaire sera exigé pour les magistrats des tribunaux de résidence, une façon d’améliorer la qualité des prestations ?

J’appelle cela une présomption de connaissance, c’est-à-dire que celui qui a un niveau universitaire a une présomption qu’il connaît le droit, mais ce n’est pas une garantie de compétence.

Mais c’est bien quand même d’avoir quelqu’un qui a une formation de droit qui puisse s’occuper des dossiers judiciaires. C’est une garantie parce qu’au moins les dossiers seront étudiés par quelqu’un qui connaît le droit.

Mais évidemment, il faudra une formation pour ces gens-là parce que, je regrette de le dire, il y a des gens qui terminent l’université sans être à la hauteur.

Ils devront, j’imagine, passer un concours avant d’être recrutés et après le concours on pourra les soumettre à une certaine formation en matière pénale, en matière de procédure pénale. Pour les tribunaux de résidence, on pourra les former en matière de procédure civile et en matière de droit civil en général.

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