Samedi 07 décembre 2024

Société

« Plus de 90% des pathologies mentales peuvent être soignées et guéries »

02/08/2022 2
« Plus de 90% des pathologies mentales peuvent être soignées et guéries »

Des impayées, des veilles infrastructures, l’insuffisance du personnel, du matériel… le Centre Neuropsychiatrique de Kamenge (CNPK) fait face à plusieurs défis. L’aide des âmes charitables est sollicitée. Frère Hermenegilde Nduwimana, directeur dudit centre, fait le point. Une occasion d’appeler aux changements de perception sur la maladie mentale.

Pourquoi la discrimination envers les malades mentaux perdure ?

C’est déplorable. Depuis très longtemps, la maladie mentale a toujours été considérée comme tantôt objet de sorcellerie, tantôt de possession démoniaque, tantôt d’errance d’esprit et j’en passe. Ce qui fait que les malades sont maltraités. Il y a une incompréhension de la société burundaise.

Et pourtant, un malade mental peut être traité et guéri ?

Plus de 90% des pathologies mentales peuvent être soignés et guéris s’ils sont traités à temps.

Comme responsable du CNPK, quels sont les défis auxquels vous faites face ?

Commençons par la mise à niveau du personnel. Nous le faisons mais pas comme on voudrait. Les formations se font toujours sur place, ce qui mécontente le personnel. Ils voudraient avoir des formations qualifiantes à l’extérieur en vue d’obtenir des certificats. Quand on a déjà fait 3, 4 ou 5 formations, il n’y a plus de motivation. Et c’est frustrant. Et quand le personnel est frustré, vous comprenez très bien que cela ne donne pas l’effet escompté de la formation.

Avez-vous au moins un personnel suffisant et qualifié ?

(Rires) Un personnel suffisant et qualifié, c’est très difficile à dire. Au Burundi, jusqu’aujourd’hui, il n’y a qu’une école de spécialisation en santé mentale qui a ouvert avec les autorités du CNPK. C’est l’Institut national de santé publique (INSP).

Concrètement ?

Nous avons dix médecins, dont deux administratifs. Ceux qui sont dans les soins sont tous généralistes, sauf un médecin généraliste formé au Sénégal. Celui-là pour pouvoir le payer, nous avons eu l’aide de la coopération Suisse avec qui nous avons un projet sur 12 ans.

Quels sont les besoins ?

Pour que ce soit réellement un centre neuropsychiatrique, nous avons besoin d’au moins deux médecins psychiatres, deux neurologues. Pour les autres catégories, nous n’en avons pas beaucoup, mais c’est suffisant. Les agents sociaux sont là, les psychologues à notre disposition sont assez compétents. Les infirmiers psychiatriques ne sont pas nombreux, mais on peut se débrouiller avec eux.

Pas d’autres défis?

La liste est longue. Il y a l’alimentation des malades. N’ayant pas tout le budget nécessaire, nous sommes obligés de les nourrir tant bien que mal. Les médicaments psychotropes exigent une bonne alimentation. Or, ce qu’on donne est très peu en quantité et en qualité.

Quel est le coût de l’alimentation ?

C’est plus de 12 millions par mois. C’est énorme!

Qu’en est-il de la qualité des soins ?

Là aussi, les défis ne manquent pas. On a souvent besoin de tel ou tel autre appareil qu’on ne trouve pas facilement faute de moyens suffisants. Quelquefois, on fait appel aux bienfaiteurs qui nous accordent ceci ou cela, mais cela reste insuffisant.

Certaines institutions ont des dettes envers la Regideso. Qu’en est-il du CNPK ?

A mon arrivée, en 2018, il y avait déjà des arriérés de plus de 400 millions BIF. Il y a eu des discussions et le gouvernement a accepté de payer une partie du montant. Et nous avons payé l’autre montant.

Pas donc de coupure de courant comme dans les autres quartiers ?

Quand on parle de la Regideso, j’ai des frissons. Les coupures sont là. Souvent, des malades mentaux en pleine crise agressent des soignants dans l’obscurité. Là, c’est très grave.

Que comptez-vous faire pour y faire face?

Je ne sais pas encore comment, mais je suis en train de penser à une autre solution. Par exemple, utiliser l’énergie solaire qui puisse être permanente.

Des familles des malades mentaux disent que les médicaments sont chers. Est-ce vrai ?

Ils sont extrêmement chers. Quand ils arrivent ici, ils sont en partie subventionnés. Reste maintenant que le gouvernement prenne d’autres mesures pour subventionner le reste. Beaucoup de ces médicaments ne sont pas pris en charge par la Mutuelle. Il y a seulement quelques molécules qui sont prises en charge. C’est un défi énorme.

Ce qui entraîne sans doute des impayés ?

C’est grave ! Jusqu’à ce jour, les arriérés, depuis 2021, s’élèvent à 1.232. 822.875 BIF. Nous avons le ministère de la Solidarité avec 524 millions BIF. Il y a aussi d’autres, comme les militaires et les policiers. Sans oublier les agents du ministère de la Santé qui se font soigner ici.

Des indigents et des malades insolvables aussi …

Cela ne peut jamais manquer. Il y en a qui arrivent sans avoir estimé le coût. Ils ne sont pas identifiés comme indigents. Ils le deviennent au fur et à mesure qu’ils restent dans l’hospitalisation. Et cela cause un problème sérieux. Et pour d’autres qui sont identifiés comme indigents au départ, dès les 72h à l’entrée, cela devient plus facile parce qu’on commence les contacts avec le ministère de la Solidarité. Ce dernier va payer même si cela peut prendre beaucoup de temps, beaucoup d’années. Au moins, ils finiront par payer.

Pour les autres, quand ils deviennent une grande charge, ils abandonnent et partent sans payer. Et on n’y peut rien.

Avec une telle dette, comment le centre se débrouille-t-il pour continuer son travail ?

Nous avons quelques bienfaiteurs. C’est entre autres notre Congrégation à travers FRACARITA, son organisme international, Médecins sans vacances Belgique, et d’autres partenaires ponctuels qui nous appuient de temps en temps.

L’argent qui sert aux formations vient de ces organismes. Cela nous permet d’orienter l’argent qui y était destiné dans le paiement du personnel.

Quid de l’état des infrastructures ? Sont-elles suffisantes ?

Loin de là ! Elles sont très vétustes. Certaines datent 1990, année de la création du centre, tandis que d’autres existaient déjà. C’étaient des maisons d’habitation des Frères.

C’est pour cette raison que nous avions commencé à construire un nouveau bloc. C’était pour essayer de désengorger et d’avoir au moins des bureaux administratifs qui soient corrects. Et tout le reste devrait être affecté aux services hospitaliers.

Mais apparemment le chantier s’est arrêté. Pourquoi ?

Il y a deux aspects. D’abord le constructeur qui n’a pas respecté ses engagements, mais aussi il y a des causes internes. Ensuite, il y a le personnel qui s’est révolté à un certain moment comme quoi ce chantier consomme beaucoup d’argent. Ainsi, le conseil d’administration est entré dans la gestion et a recommandé l’arrêt temporaire des travaux pour évaluer si on peut continuer à construire tout en payant le personnel.

Comment faites-vous pour que les malades respectent les gestes barrières contre la Covid-19 ?

Là, je risque d’être comme les autres et de parler de Dieu dans ces affaires. (Rires). Il est tellement difficile de contrôler les malades mentaux. Les gestes barrières dans un hôpital psychiatrique… vraiment impossible de contrôler. Nous avons eu cette chance de constater qu’on n’a pas eu plus de trois cas positifs. Mais, on essaie de sensibiliser les garde-malades.

Le CNPK dispose-t-il d’antennes ?

Nous avons décidé d’ouvrir un centre à Gitega en 2010. Et, en 2014, à Ngozi, nous avons ouvert un autre centre, à Ngozi.

Est-ce suffisant pour le Burundi ?

On aurait besoin d’autres centres : vers le sud et un autre vers le nord-est. Nous sommes dans une phase de décentralisation et d’intégration dans les centres de santé ordinaires. Avec cette politique, la multiplicité des centres spécialisés n’est pas recommandée. C’est cela le problème. La charge des centres spécialisés va diminuer pour ne s’occuper que de ceux qui n’auront pas été pris en charge dans les autres structures. Une façon aussi d’alléger la charge des familles.

Comment ?

Prendre quelqu’un de Cankuzo à destination de Ngozi ou Gitega est plus difficile que d’acheminer le malade vers un Centre de santé (CDS) proche. Là, on essaie de le traiter. Quand ce n’est pas possible, on l’amène dans un hôpital de district. Si cela ne marche pas, les centres spécialisés vont prendre la relève.

Ces structures sont-elles outillées pour de telles pathologies alors que vous reconnaissez que le CNPK n’a pas un personnel suffisant et qualifié ?

Vue partielle des malades lors d’une séance d’ergothérapie au terrain de l’ETS Kamenge

C’est le défi qui est lancé au gouvernement. Il y a toujours des discussions, des débats qui se passent avec beaucoup d’intervenants. J’espère qu’au fur et à mesure ils finiront par comprendre que les psychologues sont indispensables. Sinon, cela ne va pas marcher.

Il y a des formations aussi. Au CNPK, deux sont aux études spécialisées. Il y en a d’autres des hôpitaux généraux en formation spécialisée. J’espère que d’ici 8 ans, 12 ans, on aura quand plus de 12 personnes qui auront été formées en soins de santé spécialisés. Après, il y aura la formation des infirmiers psychiatres et les psychologues.
Il appartient maintenant au gouvernement de voir comment engager plus de psychologues dans ces structures-là.

Quels sont les besoins en infrastructures ?

Nous avons besoin de réhabiliter l’urgence psychiatrique à l’entrée, la cuisine pour protéger les employés de maison et les plafonds des pavillons. Il nous faut également un bloc administratif, un bloc d’addictologie et un bâtiment mère-enfant.

Votre appel à l’endroit des familles des malades mentaux ?

Aux familles, nous leur demandons de nous aider, de traiter leurs malades mentaux comme des personnes à part entière. Il ne faut pas recourir aux chambres de prière parce que c’est ce qui se passe très souvent. Quand on ne les cache pas, on commence à courir dans les chambres de prière avant même de consulter les spécialisés ou des hôpitaux ordinaires.

Il faut essayer de collaborer avec les structures. Et ceux qui amènent le malade à l’hôpital, c’est comme une évacuation, un déchet dont on se débarrasse. On le laisse là-bas et on part. Un malade mental a des sentiments, des émotions. Il a besoin d’être soutenu par tout le monde et sa famille en particulier.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze

Forum des lecteurs d'Iwacu

2 réactions
  1. Manirakiza

    Ariko duteranije ingorane zose muza muratubwira ga « Iwacu », amabarabara, umuyagankuba, kunyuruza itunga rya Leta (rya twese),…Harageze ko hosubira kuba za réunions des cadres Bagaza yahora agirisha, hakigwa ku gisata c-ubushikiranganji bwose ivyihuta gushira imbere.
    Hanyuma ko tutarikwiza, Nyakwubahwa Ndayishimiye akava hasi akagendera ibihugu vyoduterera bitadushira mu madeni bikadufasha mu mitahe.
    Niyumvira yuko bitagenze uko, tuzohava turengwa tukagwara mu mitwe turi benshi, atawukituvura.

    • sakubu

      « Aide toi et le ciel t’aidera », » akimuhana kaza imvura ihise »: tudashoboye kwitunganiriza neza mu muco wa duke dufise, n’uwoduterera vyinshi bingana gute ntacovamwo kuko ahanini turafise ingene indongozi zacu zitunganiriza abenegihugu kandi aribo vy’itegererezo vyacu. Iyo ubonye abajejwe commune, pole de développement, bikwegerako aho gutunganiriza neza no kwifata neza muvyo baba bajejwe, uca ubona ko tukiri kure cane

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