Mardi 19 mars 2024
Iwacu

Burundi/Musique : S’engager ou dégager

Culture

Burundi/Musique : S’engager ou dégager

Une chanson, c’est d’abord et surtout des mots. Et les mots ne font pas toujours plaisir. Dans ce long format, Iwacu s’interroge et donne la parole aux artistes, aux autorités. Une question essentielle se pose : Peut-on encore écrire, chanter librement au Burundi ? Au lecteur de tirer sa conclusion.


11/03/2018
Abbas Mbazumutima Images : @Iwacu

EDITORIAL – Ne demandez pas l’impossible aux artistes !

Une question me taraude: est-ce qu’à force de vouloir tout « baliser », il n’y a pas risque d’instaurer une ’’pensée unique monocorde’’, se réveiller un beau matin avec une sorte d’inquisition, qui va mettre une croix sur tout ce que l’Establishment n’a pas porté sur les fonts baptismaux ? Le risque de jeter un autodafé, un anathème, sur certaines œuvres est là.

Dans ma quête pour comprendre, j’ai approché certaines autorités, des analystes, journalistes chevronnés, des observateurs, j’ai contacté des producteurs, des musiciens, des jeunes comme des « vieux ».

Ceux-là qui ont tant vu et tant vécu, depuis les régimes autocratiques à l’avènement de la démocratie.
S’il est un point sur lequel tout ce beau monde converge, leur dénominateur commun, c’est que certaines créations littéraires ou artistiques acceptées ou tolérées hier, passent très mal ou plus du tout aujourd’hui.

C’est une terrible régression. Les Burundais s’accommodaient bien des chansons iconoclastes, ces mots un peu « dards », parfois quasiment des pamphlets. Certaines chansons deviendront même des cris de ralliement lors de la contestation en 2015.

Il faut dire qu’aucun artiste n’a été sollicité pour donner son feu vert à la reprise de ses œuvres. A travers leurs chansons, les artistes vont se retrouver acteurs, malgré eux, d’un mouvement de contestation.
Les représailles seront terribles envers les artistes, surtout ceux dont les chansons étaient « utilisées » pendant la période des manifestations, ils seront contraints à l’exil.

Aujourd’hui, des artistes, il ne reste plus que des courtisans, « des griots » pour vilipender les ’’ennemis’’, chanter les hauts faits, vanter la bravoure des autorités. ’’Honni soit qui mal y pense’’. Ceux qui ont refusé de troquer leur muse, s’en sont allés crier ailleurs, loin.

Mais est-ce que l’on ne demande pas finalement l’impossible à l’artiste ? Se taire, ne rien voir ou entendre. Quand le pays est à feu et à sang, l’artiste peut-il être sourd et aveugle ?

Cela rappelle les  »singes de la sagesse », les trois figurines de singes, le premier se bouchant les oreilles, le deuxième se couvrant les yeux et le troisième mettant ses mains sur son museau.

Depuis la nuit des temps, les artistes se sont inspirés du beau temps certainement, mais la guerre, le mal, la détresse ont inspiré romanciers, poètes, et autres chanteurs.

Au Burundi ou ailleurs, il est impossible de ne parler que du beau temps quand ’’mon pays va mal’’ comme dirait l’autre star ivoirienne, Tiken Jah Fakoly.

Abbas Mbazumutima

Victimes du «Halte au 3ème mandat» ?
Au concert de ’’Lion Story’’, le public reprend les refrains

Plusieurs chanteurs figurent parmi les milliers de Burundais obligés de fuir le pays. Pour cause : leurs chansons reprises pendant la campagne de contestation initiée par la société civile burundaise.

Pourtant, leurs chansons très variées, avec des thèmes inspirés par la situation prévalant au pays, sont pour la plupart antérieures à la crise de 2015. Ces tubes rythment la vie politique.

Comment nous en sommes arrivés là ? Un analyste qui préfère garder l’anonymat tente une explication: «Au moment où la campagne de contestation du 3ème mandat pilotée par des associations, très déterminées, bat son plein, ces chansons sont d’actualité et les médias s’en emparent pour accompagner leurs productions radiophoniques».
La répression de ce mouvement citoyen, pacifique à ses débuts se durcit et frappe plusieurs leaders ainsi que les voix qui le portent.

Bujumbura qualifie «d’insurrectionnel» le mouvement et lance des représailles contre ses ténors. Les chanteurs critiques élevés en « héros » de cette lutte vont faire les frais de cette répression. Les médias qui diffusent leurs chansons ne sont pas épargnés.

Dans le collimateur : Les tubes de Lion Story, groupe emblématique avec ses stars comme Urban et Pacy, le ’’flow’’ du rappeur incisif Thomas Nzeyimana alias Mkombozi et les pamphlets de Prophet’s Voice sont ainsi relayés par les radios comme Isanganiro, RPA (Radio publique africaine), Bonesha FM et la Radio-Télévision Renaissance. Menacés, ces musiciens devenus des ”héros” se retrouvent contraints à fuir le pays.

Quand ces médias sont « vandalisés » au lendemain du coup d’Etat manqué du 13 mai 2015, c’est le silence radio sur tout le pays. «D’une pierre, deux coups. Morte la bête, mort le venin», dira un politologue sous anonymat.

Désormais, la seule radio qui renaîtra de ses cendres, Isanganiro est bien écoutée, ses diffusions suivies de près pour éviter toute tentative de récidive.

Le Conseil national de la communication, un organe de régulation, et l’Amicale des musiciens du Burundi, veillent au grain, entendent désormais mettre au pas tous les chanteurs burundais afin d’éviter toute fausse note. «C’est l’instauration de la “pensée unique” en musique», lâche un journaliste senior, il a connu et vécu le monopartisme.

Conséquence. Au pays, témoigne le producteur Freddy Kwizera, alias Botchoum, les productions se font rares. Certaines thématiques ne sont plus abordées comme avant et pour les producteurs, du moins pour ceux qui sont restés au pays, le chômage s’annonce.

Lion Story: Exodus
«On n’est pas contre un tel gouvernement mais contre tous les travers»

L’histoire de ce groupe de reggae aujourd’hui en exil en Ouganda est jalonnée de tracasseries de toute nature jusqu’à la persécution. Leurs textes critiques et leurs messages portés par le reggae fustigent tous les travers de la politique. Ils payeront le prix fort cet engagement.

Parmi les orchestres phares de reggae au Burundi, il y a ’’Lion Story’’. Ce groupe est constitué de plusieurs chanteurs. Ce n’est pas un bloc compact mais des individualités, des électrons libres.

Quand vient la campagne pour la libération de Pierre-Claver Mbonimpa, militant des droits de l’Homme (en prison), une chanson de Lion Story, Rekura Umurasta (libère ce rasta) d’Urbain Bwengenikindi, cartonne sur tous les médias. Son refrain, ’’Rekura iyo ntama’’ (Libère ce mouton. NDLR) est sur toutes les lèvres.

«Elle cadre bien avec cette campagne pour la libération du ’’Vieux’’ à telle enseigne que l’on croit qu’elle lui est dédiée. Pourtant elle a été composée longtemps avant ces incidents», commente un journaliste en exil sous anonymat.

La chanson ’’Izo mbwebwe’’, (Ces loups) du même auteur, sera ’’mal accueillie’’ par Bujumbura. Urbain ’’implore Jah pour qu’il sauve son peuple de l’invasion des loups’’. Dans les médias, un des ténors du parti au pouvoir, fustige le tube.

La nervosité est à son comble. Un chauffeur de l’agence Volcano reliant (avant son interdiction) Bujumbura et Kigali, sera incarcéré par les services secrets burundais pour avoir joué cette chanson dans son véhicule.

#Burundi | Yahowe ko yavugije indirimbo za Lion Story

Dans son tube ’’Genda’’, (Pars !) le chanteur Patience Igirubuntu alias Pacy Ngomayantare, s’en prend à tout dirigeant véreux, corrompu, qui ne tient pas à ses promesses.

La chanson sera jouée par plusieurs médias pour accompagner la campagne contre le troisième mandat. Son auteur et tout son groupe subit des menaces. Un concert sera même interdit par la mairie de Bujumbura. L’exil s’annonce pour le groupe.

Malgré tout, les ’’Lion Story’’ resteront fermes et déterminés à poursuivre leur combat. «La chanson ’’Tuzorutsinda’’ (Nous triompherons, NDLR) est vite reprise par tous ceux qui se sont levés pour dire non au président Pierre Nkurunziza. C’est en passe de devenir leur hymne. Des fans se sont emparés de l’audio et ont même fait une vidéo non officielle», confie un analyste sous anonymat.

Le groupe Lion Story reste marqué par son concert suspendu en août 2013 au Club Vuvuzela, à l’avenue du Large. Les fans sont rentrés déçus par une décision de la mairie.

Le «tapage nocturne» invoqué ne tient pas. Ils sont convaincus que les arguments avancés cachent autre chose : «Il ne s’agit que des alibis, le fond est politique. On croit qu’on roule pour l’opposition. Faux. On n’est pas sa caisse de résonnance».

Ces musiciens affirment que leur message est centré sur la paix, la justice, l’amour, le respect de l’autre, le respect des droits de l’Homme. «Les ’’Lion Story’’ existent depuis plus de 16 ans. On n’est pas contre un tel gouvernement mais contre tous les travers, tout ce qui opprime le peuple. Et ce message va continuer. Il faut éviter toute confusion».

Lors du Festival Amani à Goma en février 2015, la star ivoirienne, Tiken Jah Fakoly appelle le groupe Lion Story à continuer à réveiller les consciences.

Interview/ Roméo Sikubwabo : «Nos chansons participent à défendre les droits de l’Homme»
Roméo Sikubwabo : «Nous sommes en communion avec nos fans»

Q : Vos chansons sont aujourd’hui censurées, quel est votre sentiment ?

Ce n’est pas étonnant si nos chansons sont censurées dans un pays ou la liberté d’expression n’existe plus, ou les médias supposés diffuser nos chansons ont été vandalisés ou manipulés aujourd’hui.

Ceux qui censurent la musique sont ceux qui ont peur que les combines contre la population qu’ils sont appelés à servir soient connues. Nous ne vivons pas cela comme un problème mais plutôt un challenge qu’il faut surmonter en tant qu’artistes engagés. Nous en assumons les conséquences car nous savons que la vérité triomphe toujours.

Q : Est-ce que les gens ou les medias n’ont pas instrumentalisé vos chansons ?

C’est vrai que cela arrive que quelques personnes ou médias ne comprennent pas nos messages et du coup, ils les utilisent dans des mauvais contextes.

En même temps si nos chansons sont utilisées pour défendre les droits de ceux qui sont opprimés je n’y vois pas d’inconvénient. Par contre, pour les droits d’auteur, c’est un autre sujet.

Nous chantons pour le changement positif et nos messages visent surtout la jeunesse qui est le futur de ce monde. Si l’utilisation de nos chansons va avec notre vision c’est-à- dire à conscientiser la jeunesse à prendre son futur en mains, je pense que c’est une bonne chose.

Ce que nous voulons, c’est que notre musique contribue à la construction de notre société. Elle est minée par des problèmes socio-politiques de tout genre et c’est toujours la jeunesse qui en paie un lourd tribut.

Q : Comment faites-vous aujourd’hui pour faire passer vos messages ?

Ils ont essayé de nous séparer de nos fans mais cela ne peut pas marcher car l’énergie qui nous lie est plus forte. C’est plus que la musique à la radio. Nous sommes en permanence avec eux dans leurs maisons, dans leurs voitures, dans leur bureau et surtout dans leurs cœurs. La musique ne peut pas être bloquée par des frontières physiques, elle n’a pas besoin d’un train ou d’un avion pour arriver où elle doit arriver.

Aujourd’hui, la diffusion de la musique ne passe plus qu’à travers la radio ou la télé, il y a maintenant les réseaux sociaux qui sont devenus les meilleurs canaux pour la promotion des artistes.

Ceux qui pensent que la musique de Lion Story se limite aux frontières burundaises se trompent car la musique est universelle. Nous continuons et continuerons à assumer notre rôle en tant qu’artistes engagés aussi longtemps que notre vie ou la vie autour de nous continuera à nous inspirer.

Mkombozi : «Pas de démocratie quand le peuple a peur de son gouvernement»
Mkombozi : «Notre musique se politise»

Même si Thomas Nzeyimana, rappeur burundais en exil au Rwanda, se dit aujourd’hui ’’born again’’, il n’a rien perdu de sa verve, de son verbe, de son sens critique toujours en bandoulière, prêt à dégainer. Il fustige l’intolérance et la censure montantes au Burundi.

Mkombozi : «J’ai donné une nouvelle orientation spirituelle à ma vie»

«Ce ’’comité de censure’’ mis sur pied par l’Amicale des musiciens du Burundi avec l’appui du Conseil national de la Communication vient tout gâcher, notre musique se politise», lâche-t-il.

«On dirait que c’est pour protéger et mettre à l’abri la classe politique dirigeante des critiques constructives éventuelles». Fin des fins, cette démarche va échouer.

«Il ne faut pas que la population se mette à avoir peur de ses dirigeants. Là, il faut dire adieu à la démocratie. Une mauvaise politique ne paie pas».

Après la sortie de son single pimenté ’’Nzeyimana’’, ce rappeur reçoit des menaces. Elles se précisent quand des inconnus tabassent et kidnappent son ami et colocataire, Bienvenu Bizimana alias Elly’s Boy. Il est laissé pour mort quand ses tortionnaires réalisent que ce n’est pas le chanteur recherché.

Dans cette chanson, Mkombozi dénonce, sans détour, les abus, les travers, les tracasseries, l’hypocrisie, l’injustice, la corruption, les tueries.

Dans son dernier ’’flow’’, la goutte qui fait déborder le vase, ce rappeur affirme connaître les assassins des trois sœurs italiennes de la paroisse Guido Maria Conforti à Kamenge, au nord de la capitale Bujumbura. Il s’agit de trois religieuses tuées dans des circonstances qui n’ont pas été élucidées.

Kamenge pleure toujours Olga, Lucia et Bernadette

Mkombozi vivra en clandestinité pendant de longues semaines avant de décider, la mort dans l’âme, de fuir le pays. Mais comme il le dit toujours, il est venu de loin.

Prophet’s Voice, comme Jean-Baptiste

Tout comme les Lion Story, ce groupe composé de 12 artistes ’’à l’image des apôtres de Jésus’’, cartonnent. A la tête de ce groupe Steven Kezamutima, leader du groupe.

Les médias diffusent leurs chansons comme Ntawuhora ku ngoma (Tout régime finit par tomber, NDLR), une allusion au roi Hérode, désemparé quand il apprend la naissance du ’’Sauveur’.

Steven Kezamutima : «Nous ne pouvons pas fermer les yeux face aux injustices commises dans notre pays»

Il y a également la chanson Ingabo za Farao (L’armée de Pharaon). Elle évoque la déroute de l’armée du pharaon lors de sa poursuite pour anéantir les Israélites conduits par le prophète Moïse.

Quelques comparaisons avec la brutalité et les violations des droits de l’Homme consécutives à la répression du mouvement contre le troisième mandat du président Nkurunziza en 2015, sont glissées dans ce tube.

L’appel en intro du leader de Prophet’s Voice dans cette chanson, est clair : «Que tout le monde le sache, le canon et la matraque sont sans issue. Nous en avons assez d’être malmenés et persécutés».

Dans la chanson Amaherezo ya Babiloni (La chute de Babylon), Steven Kezamutima évoque la CPI comme avant dernière demeure des fauteurs de troubles au Burundi.

Leurs chansons devenues célèbres continueront à rythmer plusieurs émissions sur certains médias avant leur destruction en mai 2015. C’est au lendemain du coup d’Etat manqué du 13 mai 2015. Après une longue période de clandestinité, les membres de ce groupe optent pour l’exil. Ils sont détruits

Putsch manqué : le film des événements

CNC : Haro sur la musique… ’’grinçante’’
Karenga : «Les productions, les textes, tout doit être revu»

Lors des manifestations anti troisième mandat, certains médias font une large diffusion de chansons dénonçant les violations des droits de l’Homme. Ce n’est pas du goût du pouvoir. Aujourd’hui, l’autorité chargée de la régulation est en mode ’’alerte maximale’’.

Ramadhan Karenga, président du Conseil national de la communication, défend ce qu’il qualifie de droit de regard ou de revoir certaines productions. «J’encourage les producteurs, les réalisateurs et les musiciens à sortir des œuvres qui respectent la déontologie, les règles, les textes doivent être bien soignés, revus. Il faut qu’ils viennent consulter le CNC pour savoir si leurs productions sont diffusables».

Au commencement, relate Nestor Nkurunziza, journaliste senior et chef de mission de l’ONG néerlandaise La Benevolencija, il y a les manifestations de 2015 pour contester la réélection du chef de l’Etat Nkurunziza.
Mais c’est sur fond de chansons de dénonciation de certains travers tournées en boucle par certains médias dans leur animation libre, ’’comme pour servir une cause’’.

«Ils croient accompagner ce mouvement citoyen pacifique à ses débuts. Mais faire passer plusieurs fois ces chansons dans un contexte donné, ces tubes deviennent vite des musiques de combat», affirme ce journaliste analyste.

Selon lui, les chansons des ’’Lion Story’’ comme celles de Tiken Jah Fakoly sont très engagées. Ces artistes n’ont pas leur langue dans leurs poches, ils s’indignent et dénoncent.

Cette star ivoirienne aura d’ailleurs le temps, à Goma lors de Festival Amani au mois de février 2015, de sympathiser et de communier avec les ténors de ce groupe burundais de reggae, Lion Story, fait remarquer un journaliste burundais, fan de Tiken Jah Fakoly.

Festival Amani de Goma/ Tiken Jah Fakoly au « Lion Story » : « Faut pas baisser la garde ! »

Alerte !

Nestor Nkurunziza : «Plusieurs chansons sont aujourd’hui condamnées»

Nestor Nkurunziza rappelle un fait : il y a une chanson passée à la radio Isanganiro, autorisée à reprendre ses émissions après sa destruction au lendemain du coup d’Etat manqué du 13 mai 2015, qui fait monter le CNC (Conseil National de la Communication) sur ses grands chevaux.

Cette musique où l’auteur affirme que les administratifs sont corrompus passent dans l’émission ’’Karadiridimba’’. Le verdict tombe vite comme un couperet : «Ce programme sera suspendu pour plusieurs mois. La diffusion de cette chanson sera vue comme une récidive d’un comportement de 2015, d’où les représailles du CNC », fait remarquer ce journaliste senior.

Le CNC prend des mesures contre certains médias burundais

Pour Ramadhan Karenga, président du CNC, il est impensable que cet organe de contrôle des contenus médiatiques, laisse les administratifs à la base donnés en pâture. «Là, l’intervention du CNC devient musclée. Toute personne qui se croit lésée par une chanson a le droit de porter plainte au CNC. Ceux qui utilisent telle chanson dans un contexte politique particulier, ont tort».

Aujourd’hui, laisse entendre Nestor Nkurunziza, journaliste analyste, la plupart des médias sur place n’ont plus dans leur répertoire certaines chansons critiques. «C’est effacé pour éloigner toute tentative de les diffuser».

Approchés plusieurs journalistes producteurs sous anonymat sont catégoriques : «Il n’y a pas à s’attirer les foudres du CNC ou d’autres services, plus expéditifs».

Nestor Nkurunziza tire ses conclusions : « C’est clair, il y a autocensure. Pourtant certaines chansons condamnées parlent de droits de l’Homme. Mais au vu des événements survenus en 2015, beaucoup de journalistes n’osent plus mettre sur leurs grilles ces chansons. Histoire du chat échaudé… ».


Bruno Simbavimbere : «Il y a un comité pour donner une certaine orientation aux musiciens»

Bruno Simbavimbere (devant le micro) : «Censure ? Oui, pour certaines compositions»

Lors de la crise liée à la contestation de l’élection du Président Pierre Nkurunziza en 2015, explique Bruno Simbavimbere alias « Member », président de l’Amicale des musiciens du Burundi taxé de « proche du régime » par ses contestateurs, des médias exploitent certaines chansons des artistes.

«Ces mêmes musiciens ne peuvent pas dire avoir composé telle chanson pour critiquer tel régime mais des abus, des manquements comme l’injustice, la corruption et les violations des droits de l’homme», soutient-il. Au cours de cette crise, dit-il, il y aura mauvaise interprétation.

En fait, l’interdiction de certaines chansons sur les antennes des radios ne date pas d’hier. Dans le temps, un grand musicien, David Nikiza connu sous le nom de Niki Dave, sera malmené, incompris.

Son tube se voit frappé de censure, ses concerts annulés alors qu’il ne s’agit que d’une chanson d’amour, un amour manqué.

Dans un couplet, un seul mot est mal interprété. Il parle de la ’’commémoration d’une date, le 4 de chaque mois en souvenir de la rencontre avec sa dulcinée. Mais des gens, probablement des conseillers de certaines autorités haut placées, vont déformer le message originel et y lire autre chose.

Ces courtisans soutiennent que ce musicien rentré fraîchement d’exil veut plutôt évoquer les souvenirs sombres des événements sanglants du d’avril 1972.

1972 : le Dossier d’Iwacu

«Censurer, c’est trahir»

La chanson, un bel hymne à l’amour, Sinarinzi ko norize, (Je ne savais pas que je pouvais pleurer, NDLR), sera interdite d’antenne pendant tout le régime du Colonel Jean-Baptiste Bagaza.

«L’artiste en souffrira beaucoup jusqu’à sa mort», regrette Nestor Nkurunziza, journaliste senior, chef de mission de l’ONG néerlandaise d’appui aux médias, La Benevolencija.

«J’ai parlé à Mkombozi, j’ai échangé avec les ’’Lion Story’’, ils n’ont jamais dit qu’ils chantaient pour critiquer le gouvernement mais les médias ont pris leurs chansons et les ont exploitées en leur donnant une autre orientation», fait remarquer Member de l’Amicale des musiciens du Burundi.

Dans le temps, relate-t-il, les textes étaient bien pensés, on prenait le temps de réfléchir. «Aujourd’hui, il y a une équipe composée d’anciens musiciens et même des journalistes pour revoir la composition et les textes afin de donner une certaine orientation». Approchés, certains membres de ce comité de censure affirment ignorer leurs missions.

Censure : les musiciens burundais se déchaînent…

Pour le chanteur Kaka Boney, chantre du parti au pouvoir, en exil au Canada après avoir retourné sa veste, ce comité de censure de l’Amicale des musiciens est une déception totale voire une trahison.


Cédric Bangy: «Censure? Une mort assurée pour nos chansons»

Cédric Bangy : «On veut nous réduire au silence avec ce Comité de censure»

Ce chanteur qui tentera de déposer sans succès le président de l’Amicale des musiciens est aujourd’hui à la tête d’une sorte de fronde : l’Union des artistes pour le changement(UAC).

Il se dit ’’complètement opposé à toute démarche visant à censurer les œuvres des musiciens. «S’il faut arrêter la guéguerre entre les rappeurs avec leurs coups de gueule, leurs attaques et contre-attaques, d’accord. Mais si c’est pour nous dire quoi chanter, là ça ne va pas», regrette Cédric Bangy.

«Fini le temps où le chanteur burundais était libre de s’indigner, de désavouer, de dénoncer, de crier», se désole le président de l’Union des artistes pour le changement.

Pour le président de l’Amicale des musiciens du Burundi, si certains concerts de ’’Lion Story’’ se retrouveront annulés ou interdits, c’est pour des mauvaises interprétations données à leurs chansons critiques.

«C’est triste avec nos musiciens burundais en exil. La politique vous la faites, vous la faites pas….C’est dommage », lâche-t-il après une longue bouchée d’air.

«Nous sommes en train de faire des efforts pour que ces musiciens rentrent au pays. Les artistes ne peuvent pas être condamnés, ils ne sont pas là pour faire de la politique mais pour donner des messages. Mais il faut préalablement les écouter pour éviter de leur prêter des intentions».

Freddy Kwizera : «Il ne reste que le gospel »
Botchoum : «Aujourd’hui, ce n’est pas comme avant»

L’embryonnaire industrie musicale survivra-t-elle à cette profonde crise ? La question est posée. Une des figures respectée du milieu n’est pas très optimiste.

La crise politico-sécuritaire de 2015 a frappé de plein fouet la production musicale au Burundi. Aux temps forts de la crise, plusieurs chanteurs décident de partir à l’étranger pour la plupart au Rwanda et en Ouganda où ils se produisent pour gagner leur vie.

Dans leur sillage, les producteurs, devenus ’’orphelins’’, suivent le mouvement et s’installent tout près des stars qu’ils ont vues naître et accompagnées.

Freddy Kwizera alias Botchoum est connu de tous les musiciens burundais pour sa touche professionnelle comme arrangeur et producteur.

Lui ne rejoint pas ses idoles. Il reste au pays où il gère un studio d’enregistrement. Il passe des journées entières devant son mixer clignotant de mille feux et ses écrans plats derrière la baie vitrée en attendant quelques chanteurs. Qui ne viennent pas. Ou si peu.

Pour tuer le temps, il visionne quelques clips réalisés avant la crise de 2015. Aujourd’hui, confie-t-il, ce n’est pas comme avant. Soupir. «Il ne me reste que les gens qui font du gospel. Les affaires ne vont pas bien. La plupart de mes collègues producteurs ont plié bagages et sont partis là où ça bouge».

Le départ de la plupart de nos artistes, regrette-t-il, est une grande perte au point de vue culturel et financier : «Peu d’artistes viennent se faire produire dans nos studios, du moins ceux qui restent. Même le nombre de concerts a diminué, les managers ont peur de ne pas recouvrer leurs dépenses». Ces paroles, ce n’est pas du blues. C’est la triste réalité.

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Forum des lecteurs d'Iwacu

12 réactions
  1. test

    Test

  2. Jereve

    Les autorités nous demandent trop, et même l’impossible, alors qu’elles nous donnent peu, très peu.
    Nous vivons les temps difficiles, elles veulent que notre musique exprime la joie
    La corruption gangrène notre société, elles veulent que notre musique n’accuse personne
    Nous sommes dans la misère, elles veulent qu’on entonne des chants d’abondance
    Nous sommes au chômage, elles veulent qu’on dise qu’il y a du travail pour tout le monde
    La paix est précaire, elles veulent que la musique chante « la paix totale retrouvée »
    Ce n’est pas normal: les autorités mettent en cause la musique, au lieu de se mettre en cause elles-mêmes, car la musique ne fait qu’exprimer les désordres que ces mêmes autorités provoquent par leur mauvaise gestion.

  3. Jacques

    @ Uwakera
    je pense que vous avez oublié certaines stars internationalement reconnu et aime qui ont marqué les esprits et générations grâce à leurs chansons engagées par là, je pense à Bob marley, peter tosh,Michael J qui sont d’ailleurs les inspirateurs artistiques de ce groupe Lion story.Pour ma part je pense que l’état n’a pas à
    intervenir pour instaurer ce qui doit être écouté ou censuré tant que cela ne diffame ,n’insulte ou ne heurte les sensibilités d’un individu ou d’un groupe d’individu. Il faut toujours denoncer, critiquer ce qui ne va pas dans la société, dans le monde parfois même choqué avec une certaine poésie et subtilité. C’est ce qui fait la force, la beauté de l’art et c’est en cela que consiste la liberté d’expression.

  4. Uwakera

    Les grandes stars de la musique internationale n’ont jamais chanté ces bizarreries de “droits de l’homme” (concept par lequel les gens attendent le bien des autres qu’ils n’osent pas faire pour eux). Céline Dion, Mariah Carey, Whitney Houston, Lionel Richie, Luther Vandross, Jean Jacques Goldman, Shakira, ….. n’ont ni politique ni de droits de l’homme dans leur répertoire pourtant si varié et si aimé du public. Et ils sont millionnaires ! Il ne faut pas que nos musiciens se cachent derrière le musique pour diffamer ou faire de la politique et ensuite prétendre être rien que des artistes. Il faut vraiment savoir choisir. Clin d’œil : chantez plutôt les « devoirs de l’homme », ça sonne mieux et ca répond aux besoins des pays pauvres.

    • Robert

      @wakera
      Tu parles des grands artistes de renommee internationale comme les Celine Dion,Shakira,Lionel Richie..Et tu ajoutes qu’ils ne chantent jamais ces bizarreries de « droits de l’homme »d’accord???
      1)La plupart de ces artistes que tu viens de citer sont americains et Canadien!Peux-tu te renseigner combien de fois a t-on repeche des corps sans vies ligotes flottant sur les rivieres californiennes ou New yorkaises parce qu’ils sont Democrates sous un regime Republicaine ou vice versa?,Dis moi combien de fois la police americaine a tire a bout portant aux manifestants paisibles?Y’ a t-il un cas pareil au Canada ou un President finisse son mandat et revient a la force d’un forcene a la recherche d’un autre causant tant de dommages materiels et humains!
      Bref,un artiste c’est une personne ordinaire comme toi,comme moi,qui se fatigue,qui frequente le meme marche que nous,qui fuit quand un mandat de trop cause de degats,juste un citoyen comme tant d’autres sauf qu’il a la capacite de creer une oeuvre a partir des faits ou phenomenes qui se deroulent a ses alentours ce qu’on appellerait les « inspirations »!
      Quelle inspiration guiderait les chansons de x,cet artiste de Kinama qui est a Mutabira pour le moment qui a assiste avec impuissance la mort de son grand frere(Pere en meme temps car son pere ,ancien militaire aussi avait ete assassine pendant la geurre civile),seulement parce qu’on le soupconnait etre parmi les insurges de 2015,et dont sa soeur cadette violee pour mettre au monde un de leur semblable repetaient ses bourreaux pendant le crime!
      chantera t-il l’amour vraiment?en a t-il un au moins?

      • Znk

        @Robert
        « Dis moi combien de fois la police americaine a tire a bout portant aux manifestants paisibles? »
        Votre mauvaise foi doit être légendaire si vous n’avez jamais entendu qu’un policier a tiré sur un civil aux USA. Vous devez être raciste aussi car ceux qui se sont fait tirer dessus (par des policiers blancs) comme des lapins étaient souvent des noirs.
        En dépit de cela, de mon côté j’approuve que les gens dénoncent des choses qui ne vont pas, mais alors peu importe l’auteur de ces choses. En effet, nombreux sont de gens qui ne dénoncent que les mauvaises choses faites par les personnes qu’ils détestent uniquement. Et j’ai peur que cela ne soit votre cas.

  5. Gacece

    Il existe aussi cette manie de se cacher derrière l’art pour s’en prendre aux uns tout en louangeant les autres.

    Un artiste ne devrait pas se mêler de politique et clamer qu’il n’en fait pas. Il faut qu’ils affichent ouvertement leurs couleurs.

    Chanter la démocratie et l’unité c’est correct. Mais utiliser l’art pour s’en prendre à un leader politique ou communautaire et aller dire qu’on n’a pas de parti pris, c’est prendre le risque de froisser et de réveiller le courroux du leader et de ceux qui l’aiment et le supportent. Et c’est aussi de l’hypocrisie.

    La plupart des artistes d’ailleurs se limitent souvent à l’amour, l’amitié et les bienfaits et conflits qui peuvent survenir dans les relations entre individus. Et ça leur réussit.

    Pourquoi les artistes burundais n’en feraient-ils autant? Quitte à laisser les politiciens leur donner des contrats pour créer des oeuvres qui appartiendront officiellement au parti, sans que l’artiste soit obligé d’adhérer à leurs idéaux?

    Comme cela, un chanteur qui compose une chanson pour un parti pourrait en composer une autre pour un autre parti, pourvu qu’il y ait une nette distinction entre le commanditaire de l’oeuvre et l’artiste.

    En RDC à côté, les musiciens rivalisent souvent sur des chansons vantant la Primus et cela cause rarement des frictions.

    Le milieu artistique burundais a encore beaucoup de chemin à parcourit pour atteindre sa pleine maturité

    • Gacece philosophe

      Vous avez parfaitement raison Gacece, on se demande encore pourquoi Johnny Clegg n’a pas chanté le nationalisme afrikaner, on se demande également pourquoi « The Specials » ont chanté « Free Nelson Mandela » et faire de ce dernier une icône mondiale au lieu de chanter la Primus, pourquoi Ice-T a chanté « Cop Killer » au lieu de chanter la Budweiser, pourquoi Fela Kuti a chanté « Zombi » au lieu de glorifier le régime militaire nigérian, pourquoi Tiken Jah Fakoly, Alpha Blondy, pourquoi aujourd’hui Lexxus Legal (République Démocratique du Congo), Valsero (Cameroun) et Cheikh MC (Comores), pourquoi tous ces gens ont-ils choisi l’engagement politique au lieu du business? Certains disent que parmi les artistes, il y a aussi des gens « épris de liberté et de justice », franchement, au lieu de prendre une bonne liasse de billets et de chanter et de chanter un guide suprême ou un autre, c’est incroyable!

      • Gacece

        @Gacece philosophe
        C’est vous le philosophe! Répondez à vos questions vous-même! Mais tous ceux que vous venez de citer n’ont pas commencé dans le versement politique. Ils chantent sur d’autres thèmes aussi!

        Et je n’empêche personne de mettre sa casquette politique. Mais qu’ils s’assument et qu’ils le disent ainsi. Quand on sort une chanson politique et qu’on dit que c’est une oeuvre d’art « apolitique », c’est un problème.

        • Gacece philosophe

          Et bien si, leur démarche était dès le départ « politique » et d’ailleurs, un véritable artiste, qu’il le veuille ou non est « politique », parce qu’il bouleverse notre manière de percevoir et notre manière de penser, au cas contraire ce n’est pas un artiste mais un artisan ou un technicien ou encore un ouvrier de la musique

        • Gacece

          @Gacece philosophe
          Là, vous faites honneur à votre partie « philosophe »! Tous les bons artistes sont des politiciens?!… Elle est bonne ta blague! Vous voudrez alors dire aussi que tous les bons politiciens sont des artistes? Je crois que vous donnez trop de pouvoir à la politique mon cher!. Bonne persévérance.

  6. Mutana

    « izo mbwebwe » je crois que cela dépassait les limites
    Pas loin de la diffamation.
    hari mwo agasuzuguro kandi twese turibuka notre histoire.Naje ndi umutegetsi sinoyihanganira.

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