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Politique

Ils sont venus, ils ont vu, ils sont repartis

14/10/2019 Commentaires fermés sur Ils sont venus, ils ont vu, ils sont repartis
Ils sont venus, ils ont vu, ils sont repartis
Les émissaires du Cnared, à Bujumbura, pour organiser le retour de la plateforme.

« Veni, vidi… », « Je suis venu, j’ai vu… » Mais à l’instar de Jules César ils ne diront pas qu’ils ont « vaincu ».

Samedi 5 octobre. Sous le soleil ardent de l’aéroport international Melchior Ndadaye, deux opposants en exil foulent le sol burundais après des années d’absence. Il s’agit du secrétaire exécutif du Cnared, Anicet Niyonkuru et Mamès Bansubiyeko.

Les réseaux sociaux s’enflamment. Ils sont plusieurs à s’imaginer que les deux politiques rentrent au pays. Et de leur côté, ils entretiennent le flou, refusant de parler à la presse. Des bribes sorties de la bouche de M. Bansubiyeko, on apprendra que c’est une visite du pays comme tout Burundais peut le faire. Le président du parti FNL, Jacques Bigirimana les attend sur les lieux et les embarque à bord de son convoi sous bonne escorte policière.

Ce n’est que lundi que la nouvelle tombe (par Iwacu). Les deux politiques ne sont pas juste « rentrés au pays ». L’affaire est plus complexe, les deux politiques sont des émissaires de la coalition de l’opposition en exil le Cnared. Ils ont pour mission de finaliser les tractations en vue de préparer le retour des autres membres de la plateforme.

« Pour le moment, il s’agit juste de parler avec les dirigeants du pays pour préparer le retour du plus grand nombre de mes collègues qui sont encore à l’extérieur. Il faut que je rentre avec tous mes collègues,» a annoncé le chef de la délégation, Anicet Niyonkuru.

Une information confirmée par l’assistant du ministre de l’Intérieur. Tharcisse Niyongabo dit s’être entretenu avec les deux émissaires. Ils sont en mission de reconnaissance, pour s’enquérir de la situation qui prévaut dans le pays, visiter certains endroits, voir quelques dirigeants. « Nous les avons sensibilisés au retour ».

Les mandats d’arrêt posent problème

Les deux politiques sont donc au pays jusqu’au 11 octobre, date de la fin de leur mission. Ils comptent par la suite, retourner à Bruxelles pour rapporter à la coalition ce qui est ressorti de la mission. Jusque-là, les tractations en cours bloqueraient sur la question de la levée des mandats d’arrêt émis contre 32 opposants politiques, de figures de la société civile ainsi que de journalistes burundais.

Les opposants poursuivis par la justice qui veulent rentrer au pays craignent d’être cueillis par la justice dès leur arrivée et finir dans la case prison. Ils exigent des garanties.

Tharcisse Niyongabo tente de tranquilliser. « Cela ne veut pas dire que dès qu’ils arriveront au Burundi, ils seront directement incarcérés. Cela dépend des crimes qu’ils ont commis. C’est la justice qui jugera après avoir entendu ces personnes ».

En clair, Gitega campe sur sa position : ne pas amnistier ceux qui sont poursuivis par la justice et arrondir les angles. Une équation difficile, selon une source proche du dossier. Le « deal » serait de permettre à certains, considérés comme « inoffensifs », de rentrer et leur demander de répondre devant la justice qui serait prête à jouer le jeu. Déclarer qu’il n’y a pas matière à poursuite et lâcher l’affaire. Une parade qui est loin de les rassurer.

Des discussions qui ne datent pas d’hier

Les échanges secrets entre les deux parties ont eu lieu à plusieurs reprises. La dernière en date est la réunion du 30 août au 2 septembre à Nairobi au Kenya. La délégation dirigée par l’ombudsman rencontre celle du Cnared pour étudier la même question : le retour de l’opposition en exil.

La rencontre aboutira à un consensus sur les thématiques abordées. Une réunion est prévue à Bujumbura, le 18 septembre 2019. Objectif : aboutir à la signature d’un mémorandum. Entre temps les échanges de Nairobi sont dévoilés à la presse, Gitega fait marche arrière. L’ombudsman est obligé de sortir un communiqué pour annoncer qu’il n’a pas été mandaté par le pouvoir en place.

La position du Cnared est très claire : cette coalition de l’opposition en exil veut rentrer au pays pour participer aux élections de 2020. Une décision mûrie au cours d’une rencontre du directoire de la plateforme du 2 au 4 août 2019.

« Nos militants au pays ont décidé qu’ils iront voter, malgré tout » s’est justifié la plateforme de l’opposition en exil à cette occasion. Pour lui, il est hors de question de faire un autre cadeau au Cndd-Fdd avec un nouveau boycott. Il faut à tout prix essayer de récupérer son électorat laissé à lui-même.


La CFOR s’en mêle

La coalition des forces de l’opposition, CFOR a sorti un communiqué pour dénoncer les tractations entre Gitega et le Cnared. Il faut peut-être rappeler que cette nouvelle coalition a pour membres principaux ceux qui ont claqué la porte du Cnared. Elle est créée le 9 septembre 2019, et très vite, elle appelle au boycott du prochain scrutin.

Dans le communiqué sorti 9 octobre, cette coalition insiste : les échanges qui se font à Bujumbura ne concernent pas toute l’opposition en exil. Pour la CFOR, le Cnared veut faire croire qu’il regroupe la majorité de l’opposition en exil. Il n’a pas été mandaté pour négocier quoi que ce soit auprès du régime. « La CFOR considère cette approche comme une escroquerie politique. Elle ne sera pas liée par une compromission issue de ces négociations. Ils n’ont aucun mandat pour négocier l’annulation de ces mandats d’arrêt fantaisistes qui en aucun cas ne peuvent servir de monnaie d’échange pour l’abandon de la lutte pour le rétablissement de l’Accord d’Arusha». La nouvelle coalition demande plutôt des négociations inclusives.

Analyse/ Un rapprochement « significatif »

Plusieurs observateurs parlent déjà d’un pas « significatif » entre les deux protagonistes. Gitega semblait frileux à admettre que des discussions avaient lieu avec l’opposition. L’ombudsman burundais s’est même fendu d’un communiqué lorsque la réunion secrète de Nairobi a été médiatisée. Il a nié avoir représenté le gouvernement, évoquant une initiative personnelle.

La communication du porte-parole du ministère de l’Intérieur prouve que le gouvernement assume maintenant les échanges avec ses protagonistes.

Par ailleurs, que ces discussions n’aient pas lieu dans un terrain neutre, mais à Bujumbura semble conforter la certitude d’un rapprochement significatif. Sans l’aide de la médiation de la sous-région, restée lettre morte. Durant les deux ans du processus, les protagonistes ne se sont jamais parlé face à face à l’intérieur du Burundi pour débattre des vraies questions.

Reste à savoir si les deux parties vont parvenir à un accord et, si accord il y a, s’il va être mis en application. Gitega est connu pour ses revirements. Néanmoins, les enjeux électoraux sont énormes.

Par ailleurs, le pouvoir a besoin du retour des opposants pour mener à bien sa campagne du retour en masse des réfugiés burundais. Les chiffres de ceux qui rentrent sont loin de satisfaire. Le gouvernement tablait sur le retour de 2 mille réfugiés par semaine grâce à son accord bilatéral avec la Tanzanie. Pour que l’accord réussisse, Gitega est appelé à plus de flexibilité.

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