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Politique

Burundi/Tanzanie : un accord qui ne rassure pas

18/10/2019 Commentaires fermés sur Burundi/Tanzanie : un accord qui ne rassure pas
Burundi/Tanzanie : un accord qui ne rassure pas
Les deux patrons des polices burundaise et tanzanienne lors de la signature de cet accord à Kigoma en Tanzanie.

Les polices burundaise et tanzanienne viennent de signer, le 11 octobre 2019, un accord de coopération pour lutter contre les crimes transnationaux et émergents. Depuis, la peur règne au sein des réfugiés burundais vivant en Tanzanie. Ils craignent des enlèvements des opposants politiques. La police burundaise tranquillise.

«Nous avons des défis communs sur nos frontières. Des criminels burundais et tanzaniens font des alliances et commettent des crimes dans nos deux pays d’où la signature de cet accord», explique Melchiade Ruceke, Inspecteur général de la police burundaise. Selon lui, cet accord consiste en un échange des informations sur les dossiers des criminels qui s’enfuient dans nos deux pays après leurs forfaits, des formations conjointes et échanges d’expériences ainsi qu’échanger les criminels appréhendés «tout en respectant les lois de chaque pays».

«Cet accord va nous permettre de mener des opérations conjointes et d’échanger des criminels si nécessaire. Comme vous le savez, les régions de Kigoma, Kagera et quelquefois de Geita sont en proie à des cas de banditisme. Nous sommes prêts à en découdre avec ces malfaiteurs», renchérit Simon Sirro, inspecteur général de la police tanzanienne.
Simon Sirro a demandé aux Tanzaniens de collaborer dans cette lutte conjointe contre la criminalité. Dans la foulée, il a déclaré que ces malfaiteurs collaborent parfois avec certains réfugiés ainsi que certains citoyens tanzaniens. Il a exhorté les réfugiés burundais à rester dans les camps et à ne pas provoquer l’insécurité dans cette zone. «Aujourd’hui, nous disons stop. Trop c’est trop».

La peur se propage

Les réfugiés burundais se trouvant en Tanzanie affirment vivre la peur dans le ventre depuis la signature de cet accord. «Depuis que nous sommes ici, des gens s’infiltrent clandestinement dans les camps pour enlever des gens. Aujourd’hui, cela va s’intensifier avec cet accord. Depuis des jours, nous avons peur d’être refoulés par force. Cet accord ne vient pas arranger les choses», confie un réfugié du Camp de Nduta en Tanzanie. La crainte de ces réfugiés est que les policiers burundais puissent entrer dans les camps pour arrêter les opposants politiques. «Ils vont les accuser de n’importe quoi afin de les extrader au Burundi. Ils le faisaient illégalement. Cette fois-ci, ils diront qu’ils sont dans la légalité». Selon des réfugiés du Camp de Nduta, les policiers tanzaniens sont parfois complices de ces enlèvements. «Lorsqu’on demande les nouvelles des nôtres, la police tanzanienne nous répond qu’elle n’est pas au courant de ces arrestations. Certains sont portés disparus jusqu’à maintenant. D’autres reviennent après un certain temps. Ils nous racontent qu’ils étaient emprisonnés dans un endroit inconnu», raconte un réfugié de ce camp de Nduta.

«Des espions venant du Burundi sont régulièrement attrapés à l’intérieur du camp. Ils sont embarqués par la police, on ne sait plus la suite. Nous pensons qu’ils sont relâchés par après. Des fois, nous voyons circuler des véhicules du Service national de renseignement (SNR) ou de la police sans plaques d’immatriculation. Tout cela accentue notre peur», renchérit un autre réfugié.

Dans le camp de Nduta, les réfugiés se disent inquiets.

«Cela n’augure rien de bon. Les intellectuels, les opposants et les frondeurs du Cndd-Fdd sont menacés. En fuyant le Burundi, on pensait vivre en sécurité dans le pays d’accueil. Finalement, nous ne sommes pas au bout de nos peines», déplore un réfugié du Camp de Mtendeli. «Nous pensons que c’est une nouvelle stratégie qu’ils ont trouvé pour nous rapatrier de force ou pour traquer les opposants. En collaborant avec la police tanzanienne, ça serait facile», renchérit un autre refugié.

Sur ces disparitions, les réfugiés de Nduta assurent que le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) ne fait pas grand-chose. «Ses agents nous disent qu’ils sont en train de suivre le dossier mais on ne voit jamais le résultat». Les réfugiés burundais demandent au gouvernement tanzanien de respecter les conventions internationales qu’il a signées et d’assurer leur sécurité.

«C’est une menace sérieuse»

La Coalition burundaise des défenseurs des droits de l’Homme vivant dans les camps de réfugiés (CBDH /VICAR) abonde dans le même sens : «La coalition n’a jamais cessé de dénoncer la persécution que subissent les réfugiés Burundais de la part de la police tanzanienne et certaines personnes venues du Burundi. Des tueries et des emprisonnements arbitraires n’ont jamais cessé dans les camps sans oublier la fermeture des marchés dans lesquels les réfugiés s’approvisionnent».

Ces défenseurs des droits humains vivant dans différents camps des réfugiés de la Tanzanie, du Rwanda, de la République Démocratique du Congo, de l’Ouganda, du Kenya et de la Zambie se disent inquiets de cet accord : «Nous demandons au gouvernement tanzanien de ne pas se cacher derrière cet accord pour expulser certains réfugiés pourchassés par le gouvernement du Burundi». Et au HCR de suivre de près cet accord signé et de mener des échanges avec le gouvernement tanzanien afin de renforcer la protection des réfugiés Burundais. «Le HCR doit aussi chercher un autre pays d’asile à ces réfugiés burundais se trouvant en Tanzanie».

Lambert Nigarura, juriste et activiste des droits humains, trouve que la signature d’un tel accord entre les pays voisins est tout à fait normal et légitime. Toutefois, il nuance : «Le contexte actuel de violation des droits des réfugiés spécialement d’origine burundaise démontre à suffisance les intentions qui seraient cachées derrière cet accord de coopération policière au moment où les réfugiés sont considérés comme ennemis du pays selon les propos des autorités actuelles du Burundi.» D’après lui, il est plus qu’urgent que la communauté internationale prenne ses responsabilités et spécialement le HCR qui a la gestion quotidienne de ces réfugiés. «Les inquiétudes de ces réfugiés sont fondées. C’est une menace sérieuse qui risque de remettre en cause les mécanismes de protection de droits de l’Homme en général et des réfugiés en particulier ».

Interrogé sur ces inquiétudes des réfugiés, l’Inspecteur général de la police burundaise tranquillise : «Nous n’avons pas de mandat pour arrêter des gens en Tanzanie. De plus, les réfugiés ont des lois qui les protègent.» Et de réfuter les accusations qui font état de personnes qui se rendent dans des camps de réfugiés pour arrêter les gens. Iwacu a contacté le HCR Tanzanie, qui n’a pas souhaité s’exprimer.

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