Sept mois avant les élections législatives et communales de 2025, le Rapporteur spécial de l’ONU sur le Burundi attire l’attention sur des facteurs de risque d’une détérioration de la situation des droits de l’Homme.
Daté de juillet, mais resté privé, le nouveau rapport du Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits humains au Burundi est désormais rendu public. Il a été présenté ce lundi le 23 septembre lors de la 22ème réunion de la 57ème session du Conseil des droits de l’Homme (CDH) de l’ONU qui se tient à Genève du 9 septembre au 11 octobre 2024.
Dans son rapport, Fortuné Gaetan Zongo lance une alerte précoce sur des facteurs de risque qui, lors des prochaines élections, pourraient être aussi bien des indicateurs objectifs d’une détérioration de la situation des droits de l’Homme que des conséquences d’une telle détérioration.
Selon ce rapport de dix-neuf pages, la persistance de l’impunité au Burundi, entretenue par l’appareil judiciaire et la tendance à la militarisation des jeunes du parti au pouvoir suscitent de vives inquiétudes en cette période préélectorale.
« L’inaction persistante, la tolérance à l’égard des violations observées ou le refus d’utiliser des moyens possibles sont notables », épingle M. Zongo.
Il déplore qu’aucune autorité, proche du pouvoir et impliquée dans les violations graves des droits humains, depuis pratiquement 2015, n’a été jusqu’ici inquiétée.
Cette impunité, fait remarquer ce rapporteur, est nourrie par les activités des Imbonerakure qu’il accuse de « recevoir régulièrement des entraînements paramilitaires avec des chansons et slogans d’intimidation ».
Ces derniers, indexe-t-il, se substituent parfois aux forces de sécurité dans leurs localités respectives ou encore se constituent en une force parallèle ou alternative. « Cette militarisation des Imbonerakure démontre la préparation renforcée vers les intimidations en période électorale », ajoute ce magistrat.
Restrictions de l’espace civique
Deux autres facteurs de risque restent préoccupants. Le premier est lié, selon Fortuné Gaetan Zongo, au rétrécissement inquiétant de l’espace civique et le second aux atteintes à la liberté d’expression et d’information en amont des élections de 2025.
Il estime que l’espace civique est, au Burundi, monopolisé par le parti au pouvoir, le CNDD-FDD, puisqu’il contrôle tous les secteurs de la vie politique et administrative. Le Rapporteur spécial revient, à cet effet, sur les manœuvres politiciennes et judiciaires « visant à affaiblir l’opposition politique ». Il rappelle que depuis février 2023, « la succession d’événements autour du Congrès national pour la liberté, CNL, ayant abouti à l’éviction d’Agathon Rwasa à la tête dudit parti, dénote la volonté du gouvernement d’affaiblir et de diviser l’opposition ».
Ce musèlement des voix critiques et discordantes constitue, pour M. Zongo, le carburant « des menaces et répressions accrues contre des opposants politiques, des tentatives d’enlèvement, des arrestations et détentions arbitraires des journalistes et des défenseurs des droits de l’Homme » ainsi que d’autres violations connexes.
Bien plus, note ce rapport, des atteintes à la liberté d’expression et à la liberté de la presse ont été constatées en 2023 et 2024. Fortuné Gaetan Zongo rappelle les emprisonnements arbitraires de certaines journalistes comme Sandra Muhoza, du journal en ligne La Nova et Floriane Irangabiye, graciées récemment par le président de la République.
Il note, en outre, des « menaces » dirigées contre le Journal Iwacu entre mai et juin 2024 ; l’emprisonnement, le 2 mai 2024, du journaliste Ahmadi Radjabu d’Akeza.net pendant deux semaines et l’interdiction de la rediffusion des émissions-débat pour certaines radios « Le CNC a interdit la rediffusion des émissions-débat de la radio Bonesha FM, « Inkuru y’ Imvaho » et « Tribune Bonesha » des 11 et 12 juin 2024, sous prétexte que les invités avaient exagéré ».
Ce climat, fait observer le Rapporteur spécial, a conduit plusieurs journalistes à s’autocensurer par crainte de représailles.
Et d’ajouter que même « les organisations de la société civile basées au Burundi n’ont généralement pas une marge de manœuvre ni une indépendance leur permettant de jouer les contre-pouvoirs ou de s’interposer dans le dialogue potentiel entre l’État et les acteurs sociaux ».
Certaines des activités de ces organisations actives notamment sur les questions économiques et sociales ont toutefois été interdites par le pouvoir. « Ce fut le cas le 29 décembre 2023 avec la suspension d’une conférence de l’association Parole et action pour le réveil des consciences et l’évolution des mentalités, Parcem ».
Un processus électoral sous tension
Le Rapporteur spécial exprime de vives inquiétudes sur le risque de l’escalade de violences suite à un processus électoral émaillé de tensions et d’abus.
« Le caractère unilatéral et peu inclusif de la mise en place du dispositif électoral et de la Commission électorale nationale indépendante, un Code électoral qui instaure des coûts de dépôt de candidatures exorbitants et non remboursables, augmentent des soupçons d’une démocratie bloquée qui planent déjà sur le processus électoral en cours », estime Fortuné Gaetan Zongo.
Le rapport mentionne également que l’éviction d’Agathon Rwasa à la tête du CNL, exacerbée par des arrestations, des disparitions forcées de ses fidèles et d’autres opposants politiques « la plupart du temps pour des raisons politiques ou de rébellion » dans un contexte sécuritaire volatil, alimentent un climat de peur.
Cela, prévient le Rapporteur spécial, risque d’aggraver une mainmise du pouvoir sur le processus électoral, sapant ainsi toute éventualité d’élections libres, inclusives et transparentes.
La situation des droits de l’Homme au Burundi est aggravée par la forte dégradation de la situation socio-économique, poursuit le Rapporteur spécial. « Le Burundi est plongé dans une crise économique profonde, exacerbée par une inflation à deux chiffres (26,3 %), des pénuries de carburant, d’eau et de produits de première nécessité et une dépréciation de la monnaie nationale », observe-t-il.
Cette situation, dit-il, est accentuée par une corruption endémique dans l’administration, y compris dans les secteurs stratégiques, qui « a pour effet d’affaiblir l’État de droit et de priver les populations burundaises d’importantes ressources nécessaires à leur développement ».
La situation humanitaire demeure également préoccupante. Selon ce rapporteur onusien sur le Burundi, l’extrême vulnérabilité du pays face aux effets du changement climatique et une situation critique des réfugiés burundais dans les pays d’accueil augmentent les vulnérabilités sociales et nourrissent les frustrations populaires.
« Le Rapporteur spécial a, par ailleurs, reçu des informations faisant état d’allégations de retours forcés des réfugiés burundais par les autorités tanzaniennes. Ces pressions auraient été accompagnées d’une intensification des discours hostiles »
À la lumière de ces développements inquiétants, le Rapporteur spécial de l’ONU sur le Burundi exhorte les autorités burundaises à rétablir l’Etat de droit à travers un dialogue national inclusif, à organiser des élections crédibles, transparentes et sans violences ainsi qu’à respecter les engagements internationaux en matière des droits humains. Il appelle enfin la Communauté internationale à rester témoin de la situation des droits de l’Homme au Burundi en cette période préélectorale.
Pour rappel, le 29 août 2024, 39 organisations internationales, nationales et africaines ont lancé un appel urgent auprès des Nations unies pour renouveler le mandat du Rapporteur spécial sur le Burundi qui va prendre fin en avril 2025. Ces organisations estiment que ce mandat est essentiel surtout à l’approche des élections de 2025 et 2027. Elles considèrent que « le pays est marqué par des violations persistantes des droits humains et une impunité généralisée ».
Gitega durcit le ton
Le gouvernement burundais a rejeté, le lundi 23 septembre 2024, le nouveau rapport de l’ONU sur le Burundi. L’ambassadrice Elisa Nkerabirori, représentante du Burundi à Genève dénonce un « rapport controversé, tendancieux et politiquement motivé du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’Homme au Burundi ».
Mme Nkerabirori n’y va pas par quatre chemins : « Même le haut-commissaire aux droits de l’Homme n’a, à aucun moment, cité le Burundi parmi les préoccupations mondiales et encore moins indiqué une possibilité de détérioration de la situation des droits de l’Homme au Burundi. Et cela, lors de la présentation de la mise à jour de son rapport annuel sur la situation des droits de l’Homme dans le monde ».
Pourtant, déplore Elisa Nkerabirori, le Rapporteur spécial insiste et veut poursuivre à voir les conclusions de son rapport, se fondant sur les prochaines échéances électorales.
Elle considère d’ailleurs que c’est « peu convaincant, sinon assez léger », l’argumentaire invoquant la prolongation du mandat du rapporteur spécial de l’ONU sur le Burundi. Car, explique-t-elle, ce mandat pays est non seulement un « diktat », mais il est assurément au service d’une poignée de détracteurs de l’autorité de l’État du Burundi « qui a décidé de nourrir la peur ; de cultiver la méfiance à dessein ; d’opposer les filles et les fils dans nos communautés ; d’instaurer le chaos, convaincu que c’est le seul moyen d’arriver à détenir le pouvoir sans passer par les voies démocratiques décrites dans notre loi fondamentale ».
Madame l’ambassadrice critique également le fait pour le Rapporteur spécial de s’exprimer sur la situation des réfugiés burundais dans les pays d’accueil. « C’est un exemple qui illustre et confirme encore une fois le manque de profondeur des rapports soumis basés uniquement sur une volonté manifeste de dénigrer et de discréditer les institutions de mon pays ».
Elisa Nkerabirori s’indigne enfin contre ce mécanisme jugé « injuste et inéquitable » qui « n’offre aucune perspective claire qui démontre qu’il est à la faveur de la protection et de la promotion des droits de l’Homme au Burundi ».
Eclairage
« C’est un rapport objectif, quoique non exhaustif… »
Votre observation sur le rapport du Rapporteur spécial de l’ONU sur le Burundi ?
Le rapport présenté à Genève par le Rapporteur spécial des Nations-unies sur la situation des droits de l’Homme au Burundi est un rapport objectif quoique non exhaustif, quoiqu’il recense les pires violations des droits humains qu’endure la population burundaise.
En outre, ce rapport est présenté dans un contexte sociopolitique délicat étant donné que le Burundi s’apprête à entamer deux processus électoraux biaisés du moment que le CNDD-FDD se comporte actuellement de facto comme un parti unique qui ne parvient point à accepter l’émergence d’un pluralisme d’opinions politiques qui est un facteur sine qua non pour l’émergence d’une société démocratique.
Pourquoi qualifiez-vous de « délicat » ce contexte préélectoral ?
La récente éviction de l’honorable Agathon Rwasa à la tête du CNL est un signe que le parti au pouvoir est déjà résolu de sacrifier toute compétition démocratique sur l’autel d’un processus électoral non crédible avec tous les risques que cela comporte sur la vie des membres des partis politiques de l’opposition et des citoyens présumés comme tels.
Qui plus est, de graves violations des droits humains continuent d’être commises dans un contexte d’impunité généralisée, dans un environnement national et régional tendu, d’où les inquiétudes et les risques mis en évidence par le Rapporteur spécial sont d’une singulière pertinence.
Quelles sont ces violations que vous évoquez ?
Elles comprennent des exécutions extrajudiciaires ; des disparitions forcées ; des arrestations et dé¬tentions arbitraires ; des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; des violences sexuelles et basées sur le genre ; des restrictions injustifiées aux droits à la liberté d’opinion, d’expression, de réunion pacifique et d’association ainsi que des violations graves des droits économiques, so¬ciaux et culturels.
Neuf ans après l’éclatement de la crise de 2015, non encore résolue, qui faisait suite à l’annonce de la candidature de l’ancien président Pierre Nkurun¬ziza à un troisième mandat (ensuite jugé inconstitutionnel par la Cour de justice de la Communauté est-africaine), la situation des droits humains n’a point évolué. On observe plutôt soit une récurrence soit une rétrogradation très regrettable.
Est-ce que vous n’exagérez pas, puisque la CNIDH est quand même là ?
Dans ce contexte, il importe de faire remarquer le manque d’indépendance de la Commission nationale indépendante des droits de l’Hom¬me (CNIDH).
Cela signifie qu’il n’existe aucun mécanisme mandaté au niveau national qui soit capable ou désireux de protéger les droits humains, notamment en enquêtant et en rendant compte des violations des droits humains (en particulier dans les affaires politiquement sensibles), en soutenant les demandes de réparation des victimes et des survivants, en protégeant les personnes à risque ainsi qu’en demandant des comptes aux responsables gouvernementaux et aux autres agents publics.
En violation de l’article 60 de la Constitution qui érige le pouvoir judiciaire en gardien des droits et libertés des citoyens, il est navrant de constater que la justice burundaise est plutôt devenue un outil de répression que l’Exécutif burundais manipule à sa guise pour mater toute voix critique.
Fortuné Gaetan Zongo évoque également un contexte sécuritaire volatil comme facteur de risque.Votre commentaire ?
La crise des droits humains au Burundi est effectivement aggravée par une situation sécuritaire volatile tant à l’intérieur du pays que dans la sous-région.
Le conflit armé en République démocratique du Congo (RDC) et les violences transfrontières risquent d’accroître l’instabilité et les tensions ethniques dans la région des Grands lacs et au Burundi.
Votre regard sur le contexte socio-économique dont parle le Rapporteur spécial ?
On ne peut ne pas saluer le fait que le Rapporteur spécial est revenu sur la situation économique du Burundi qui s’est aggravée et de graves violations des droits économiques, sociaux et culturels qui se commettent de manière généralisée que la population a tendance à s’en accommoder à défaut de mieux.
Cette situation est davantage aggravée par le fait que certaines autorités du pays qui vivent dans une arrogante opulence sont systématiquement dans le déni de cette situation si critique.
Ce qui démontre qu’elles ne font presque rien pour sortir le Burundi de ce marasme socio-économique.
Ainsi, le Burundi étant l’un des pays les plus pauvres au monde en termes de produit intérieur brut (PIB) par habitant, la plupart des Burundais vivent dans la pauvreté et sont confrontés aux conséquences négatives de l’inflation ainsi qu’aux différentes pénuries des produits de base, d’électricité et au manque d’accès aux services de santé.
Mais Gitega rejette ce rapport ?
À propos de la réaction du gouvernement burundais, ce dernier continue de nier ou de minimiser la gravité des problèmes liés aux droits humains dans le pays.
Il s’agit d’une rhétorique devenue de mauvais goût et cela dénote une absence de volonté d’améliorer une grave situation qui a un impact négatif sur la situation des Burundais.
La persistance d’une crise non résolue depuis 2015 ainsi que le refus de négocier avec ses opposants ont eu des conséquences négatives sur tous les secteurs de la vie nationale.
En refusant de coopérer, de façon pleine et entière, avec les organes et mécanismes indépendants de protection des droits humains et de leur permettre un accès au pays, le pouvoir de Gitega a préféré opérer à huis clos et ceci comporte des conséquences toujours néfastes sur la démocratie et le respect des droits humains au Burundi.
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