Après l’arrestation et la privation de liberté pendant toute une journée de deux journalistes, celui de la Radio Scolaire Nderagakura et celui de Bonesha FM et après l’agression, dans les homes universitaires, de ce dernier par de présumés étudiants Imbonerakure, l’Université du Burundi dit ignorer les faits sans preuve. Accusé d’inaction, le CNC dit n’avoir pas été ’’saisi’’.
Face à ces cas alarmants de maltraitance des journalistes à l’avant-veille des élections, Reporter Sans Frontières, l’organisation internationale de défense des journalistes et de la liberté d’expression dénonce l’agression dont a été victime Willy Kwizera de Bonesha FM ce lundi 28 avril.
Plusieurs voix s’élèvent pour réclamer qu’il y ait des enquêtes afin que ces agressions ne restent pas impunies. RSF ’’appelle les autorités burundaises à identifier les responsables et à les traduire en justice’’. « Il a été violenté par des Imbonerakure, jeunes militants du parti au pouvoir, lors d’un reportage à l’Université du Burundi ».
Mais ce n’est pas l’avis de la Représentation générale des étudiants assurée par Simon Bazirutwabo, elle balaie d’un revers de la main toutes les accusations se fendant d’un démenti : « Il n’y a pas eu bastonnade d’un journaliste dans le bureau de la représentation des étudiants, ce journaliste n’est pas entré et n’a pas non plus été reçu dans ce bureau », s’est-elle contentée d’expliquer sans réellement convaincre.
Université du Burundi : pas de preuves de cette agression
L’Université du Burundi abonde dans le même sens que la représentation des étudiants, surfant sur le déni. Interrogé au téléphone sur la séquestration et la bastonnade du journaliste de la radio Bonesha FM dans les enceintes du campus Mutanga, le recteur de cette institution de formations de futurs cadres, Audace Manirabona nie les faits : « Rien ne prouve que ce journaliste a été tabassé dans les homes de l’Université du Burundi », a-t-il laconiquement lâché avant de raccrocher.
La direction de l’UB a sorti un communiqué où elle se dit consternée par les développements médiatiques sur un journaliste de la Radio Bonesha FM qui aurait été maltraité par les étudiants de l’UB au Campus Mutanga.
« Aucun élément à sa disposition ne permet de confirmer ces faits médiatisés », a insisté le recteur de l’UB affirmant encourager le respect de la personne humaine, le bon climat de cohabitation, tout en condamnant tout acte de violence envers qui que ce soit.
La direction de l’UB se dit « étonnée de ne pas avoir été contactée et invite la radio Bonesha FM à lui fournir des éléments pouvant aider à établir les responsabilités des uns et des autres ».
Comme si c’était la faute à Bonesha FM…
Pour sa défense, le Conseil national de la communication a fait savoir qu’il n’a pas été informé pour ce cas de ce journaliste de la radio Bonesha FM. « Le CNC ne l’a appris que par les réseaux sociaux. Nous sommes en bons termes avec les responsables de la radio Bonesha FM, c’est à se demander pourquoi la radio Bonesha FM n’a pas saisi le CNC pour qu’il puisse intervenir pour le cas de son journaliste », a expliqué la présidente du CNC, Espérance Ndayizeye.
Elle appelle à témoin toute la presse burundaise : « Tout le monde le sait, chaque fois qu’il y a un journaliste en difficulté sur le terrain, si CNC est saisi, il y a intervention pour que la situation revienne à la normale ».
La présidente du CNC a également affirmé que cet organe de régulation des médias burundais n’a pas non plus été officiellement informé sur l’incident de lundi 21 avril où le même journaliste de Bonesha FM et un autre de la radio scolaire Nderagakura ont été arrêtés à Kinama au nord de la capitale Bujumbura.
C’est au moment où les deux reporters couvraient une manifestation des membres lésés d’une microfinance en défaut de paiement. Ils ont passé toute une journée au commissariat de police sous interrogatoire. Il leur été reproché de ’’collaborer avec des insurgés afin de perturber les élections’’.
Et comme conseils de la présidente du CNC : « Chaque fois que les journalistes sont sur le terrain, qu’ils fassent preuve de prudence et de professionnalisme. Et quand ils sont en difficulté, il faut que le CNC soit interpellé qu’il puisse intervenir dans le meilleur délai pour que la situation soit résolue ».
Elle a tenu à tranquilliser : « Il n’y a pas d’assaut contre la presse, sinon, nous sommes convaincus que la liberté de la presse au Burundi est garantie ».
La présidente du CNC demande aux détenteurs de l’information à faciliter la tâche aux journalistes, ’’parce que l’information recherchée ne leur est pas destinée, mais c’est pour le public qui en a besoin’’, un droit garanti à tout citoyen. « Que ce soit dans la période électorale ou en période normale, le journaliste doit avoir accès à l’information ».
Retour sur les faits
Le lundi de Pâques, n’a pas été de tout repos pour Willy Kwizera de Bonesha FM et Ahmed Masudi Mugiraneza de la Radio Scolaire Nderagakura, arrêtés par la police au marché de Kinama au nord de la ville Bujumbura dans la matinée au moment où ils couvraient un sit-in des membres de la microfinance Ineza en défaut de paiement.
La police les a embarqués de même que tous les manifestants. Les deux journalistes ne cessaient de montrer leurs cartes, mais ces reporters ont vite été « accusés d’insurrection et de vouloir perturber les élections ».
Même le directeur de la radio Bonesha FM, Raymond Nzimana qui s’est empressé à aller s’enquérir de la situation a eu des démêlés avec la police. Il a été interrogé par la police et il a dû signer un PV avant de partir. C’est tard dans l’après-midi, en début de soirée, que les deux journalistes ont été libérés.
Même après notre libération, confient ces reporters, des policiers en civil n’arrêtaient pas de nous demander pourquoi nous étions sur les lieux, si nous avions un ordre de mission et même pourquoi nous n’avions pas demandé une autorisation de la police pour avoir la permission de couvrir cette manifestation.
Une semaine après, la malédiction s’abat sur Willy Kwizera
Envoyé pour s’enquérir sur la vie que mènent les étudiants de l’Université du Burundi dans leurs homes, en préparation d’une édition spéciale, ce reporter de la radio Bonesha FM arrêté, il y a une semaine et libéré après avoir passé toute la journée au commissariat, a été encore une fois arrêté par de présumés étudiants Imbonerakure, c’était dans la matinée de lundi 28 avril.
Il a été séquestré et passé à tabac par des étudiants qui se disent chargés de la sécurité au campus Mutanga à l’Université du Burundi. Aujourd’hui alité, Willy Kwizera semble sonné et traumatisé, il raconte avec peine son calvaire.
Quand j’ai franchi un des portails du campus attenant au quartier Nyakabiga, dit-il, j’ai rencontré ma première source : un étudiant qui se rendait dans ce quartier pour faire quelques achats.
« Je vais chercher un petit quelque chose à manger, l’unique repas de la journée, et du papier, mais tout est devenu cher avec notre maigre prêt-bourse, difficile de joindre les deux bouts sans nous endetter avec les risques de se retrouver insolvables », lui a-t-il confié. Mais ce reporter n’est pas allé loin.
Quand j’ai voulu poser quelques questions au deuxième étudiant qui a bien voulu me parler de la vie au campus, révèle-t-il, je venais de tomber sur une balance, il y en a plein.
Au lieu de me répondre, indique-t-il, il m’a proposé d’aller chez le représentant des étudiants pour une interview. Je comptais le rencontrer avant de chercher les responsables des autres services de l’Université du Burundi.
« Mais je venais de tomber dans le panneau et j’ai vite feint de n’avoir pas compris leur jeu et j’ai dit que je voulais aller d’abord prendre du thé dans la cafétéria du campus, mais ils m’ont vite rattrapé », fait savoir ce reporter.
« Plaqué au sol à la ’’George Floyd’’ »
Il poursuit son récit : « Avant de m’amener dans le bureau du représentant des étudiants, très redouté par la plupart des étudiants, et de me maltraiter, ces présumés Imbonerakure m’ont pris mon matériel, ma carte d’identité, le peu d’argent que j’avais sur moi, pas grand-chose, mes cartes dont ma carte bancaire de la CRDB et ma carte de presse ».

Selon lui, ils lui reprochaient de vouloir ternir l’image du pays, perturber les élections en envoyant des infos à des activistes burundais en exil, dont Pacifique Nininahazwe, le président de l’association Focode (Forum pour la conscience et le développement), très critique envers le gouvernement burundais, initiateur du réseau Ndondeza qui répertorie tous les cas de disparitions forcées, de torture et d’assassinats impliquant les forces de l’ordre.
Ils ont fermé à double tour ce bureau du représentant des étudiants situé au Pavillon IX au premier niveau et ils n’arrêtaient pas de l’accuser de collaborer avec cet activiste. « Ils m’ont demandé de me mettre à plat ventre et les coups de matraque ont commencé à s’abattre sur moi quand j’ai refusé signer un PV mentionnant que j’étais venu au campus pour perturber la sécurité et ternir l’image du pays ».
Quand j’ai commencé crier à l’aide et me tordre de douleur, relate-t-il, mes tortionnaires, m’ont plaqué au sol, franchement à la ’’George Floyd’’ : « L’un d’eux a mis son genou ou son pied sur mon cou en appuyant fortement au moment où les autres me rouaient de coups surtout au niveau des côtes et des hanches. Ils m’ont même menacé de mort me disant qu’ils pouvaient même me tuer et m’enterrer ou jeter mon cadavre quelque part. Là j’ai eu peur. L’un d’eux, le plus virulent, m’a même dit qu’il n’était pas étudiant, mais en mission ».
Les coups n’ont cessé que quand il a accepté de signer le PV et de demander pardon pour son ’’intrusion au campus pour perturber la sécurité’’. « Ils sont sortis de ce bureau et ils ont fait une sorte de délibération et par après ils m’ont remis tout ce qu’ils m’avaient pris, ils ne m’ont pas permis de passer par la grande entrée du campus Mutanga, ils m’ont indiqué une petite porte de derrière vers le quartier de Nyakabiga ».
J’étais mal en point, je boitais, je traine toujours ma jambe gauche et je souffre atrocement au dos, confie-t-il, ils m’ont intimé l’ordre de ne rien dire à mes collègues sur ce qui venait de se passer. « Si nous entendons quoi que ce soit sur Bonesha FM ou ailleurs sur d’autres médias, tu auras des problèmes ».
Réactions
Raymond Nzimana, directeur de Bonesha FM : « J’ai saisi le CNC »
Alors que le CNC affirme que la radio Bonesha FM n’a pas saisi l’organe régulateur concernant les deux cas d’agression de son journaliste Willy Kwizera, le directeur Raymond Nzimana déclare le contraire.
« Concernant la première agression survenue le lundi de Pâques, nous en avons discuté avec le vice-président du CNC, Laurent Kaganda, pour la deuxième, la direction de Bonesha FM a échangé avec le Secrétaire exécutif, Channel Nsabimbona ».
Face au déni de l’Université du Burundi affirmant que le Rectorat n’a aucune connaissance de l’agression contre par Willy Kwizera au Campus, Raymond Nzimana affirme que Willy Kwizera a croisé et a salué quelques professeurs au campus Mutanga. Pour preuve, les agresseurs n’ont pas voulu qu’il passe par l’entrée principale.
« Ce refus catégorique de le laisser emprunter la sortie habituelle est une preuve irréfutable que notre reporter se trouvait bien à l’université et que l’agression a bel et bien lieu ».
Selon lui, la Radio Bonesha est en train de compiler un ensemble de preuves tangibles, destinées à être déposées auprès de l’université, afin d’établir sans équivoque la présence de Willy Kwizera au moment des faits.
Raymond Nzimana appelle les autorités administratives et judiciaires à se saisir du dossier : « Nous voulons que les autorités compétentes mènent des enquêtes pour trouver le nom de cet étudiant du Bac 2 dans la Faculté d’Economie qui l’a conduit dans ce guet-apens ».
Vianney Ndayisaba, coordonnateur de l’Aluchoto : « Je suis indigné »
Le représentant légal de l’Association de lutte contre le chômage et la torture « Aluchoto », se dit outré par ces agressions contre les journalistes. « Nous sommes sidérés par le passage à tabac du journaliste Willy Kwizera par des représentants des étudiants. L’association Aluchoto, qui œuvre pour la défense des droits humains et la lutte contre la torture, condamne fermement ces actes, ils n’augurent rien de bon pour le pays ».
Le président de l’association Aluchoto s’est dit particulièrement déçu du comportement de ces ’’futurs cadres’’ : « C’est très regrettable de voir de tels agissements des gens censés être de bons exemples. Ces agresseurs sont indignes d’être de futurs cadres ».
Selon le coordonnateur de l’Aluchoto, de tels actes expliquent les problèmes récurrents du Burundi, insistant sur la nécessité d’une sensibilisation accrue au respect des droits de l’Homme. « Les responsables de ces agressions doivent être arrêtés, jugés et punis conformément à la loi parce qu’ils ont commis un acte qui ternit l’image du pays, à la veille de la Journée internationale de la liberté de la presse et des élections législatives ».
Spageon Ngabo : « C’est très dommage qu’un acte pareil ait pu se passer dans un milieu dit universitaire »
Pour le directeur exécutif de Yaga, cette agression est révélatrice d’une crise de valeurs au sein même de l’université. « C’est très dommage qu’un acte pareil ait pu se passer dans un milieu dit universitaire. Ce n’est pas un bon signe ni pour cet établissement académique ni pour toute la nation. L’université devrait être avant tout un milieu d’avant-gardiste face à la connaissance et au respect de la loi. Mais, hélas ! »
Face à ce constat, il insiste sur la nécessité pour les autorités académiques de faire la lumière sur les responsabilités et de sanctionner les auteurs. « L’autorité académique devrait identifier les auteurs et appliquer les mesures qui s’imposent ».
Au-delà de la sphère académique, fait-il savoir, c’est l’ensemble de la société qui est alarmée, les questions de liberté de la presse et de sécurité des journalistes se posent avec acuité à l’approche des élections.
Dans un pays où l’information joue un rôle déterminant pour garantir la transparence et la crédibilité du scrutin, toute entrave au travail journalistique peut avoir des répercussions sur le climat électoral.
Selon lui, si les autorités compétentes s’engagent réellement à briser l’impunité et à décourager ces actes, le processus ne devrait pas être perturbé.
« Si l’autorité compétente s’applique activement à décourager ce genre d’actes, je pense que non. Au contraire, si par malheur ces agissements deviennent tel un exemple à suivre pour d’autres communautés, le résultat sera une perte d’engagement total des médias sur les questions d’intérêt public, dont les processus électoraux. Il en va donc de la crédibilité de ces derniers ».
Charles Makoto « Intimider les journalistes, c’est hypothéquer tout le processus démocratique »
Le directeur de la Radio-Télévision Isanganiro dénonce avec fermeté l’atteinte à l’intégrité physique et à la liberté de la presse. « Je suis profondément choqué et indigné par ce qui est arrivé à notre confrère. Rien ne peut justifier qu’un journaliste soit brutalisé ou détenu alors qu’il exerce simplement son métier, dans le respect de la loi ».
Pour lui, cet acte constitue une violation grave des principes fondamentaux garantissant l’exercice de la profession. Il appelle les autorités à diligenter une enquête impartiale afin d’établir les responsabilités et de sanctionner les auteurs.
Selon Charles Makoto, l’enjeu dépasse largement la seule protection des journalistes. À l’approche des élections, souligne-t-il, le rôle de la presse consiste à informer le public de manière objective, équilibrée et responsable.
« Si les professionnels sont intimidés ou réduits au silence, c’est tout le processus démocratique qui s’en trouve fragilisé. À l’approche des élections, le rôle des journalistes devient encore plus crucial : informer le public de manière objective, équilibrée et responsable. La création d’un climat de peur risque de favoriser la désinformation et d’éroder la confiance des citoyens dans les institutions ».
Le directeur de la radiotélévision Isanganiro lance un appel : « Il est urgent de garantir un espace médiatique libre et sécurisé, où les journalistes peuvent faire leur travail sans craindre pour leur liberté ni pour leur vie. La transparence et la crédibilité des élections en dépendent ».
Me Gérard Ntahe : « Les délégués étudiants n’ont aucun rôle de police ! »
Pour ce professeur, spécialiste du droit des médias, avec l’agression du journaliste de Bonesha FM, il y a quelque chose d’inapproprié pour des délégués des étudiants. « Normalement, leur rôle est de servir d’intermédiaire entre les autorités administratives, les enseignants et leurs camarades de cours. En aucune manière, ils ne peuvent prétendre jouer un rôle de gardiens de l’ordre et de la sécurité au sein du campus. A ma connaissance, il y a un détachement de la police qui s’en charge ».
Avec cette agression, Me Gérard Ntahe parle de lésions corporelles volontaires et d’usurpation de fonction, des délits prévus dans le Code pénal.
Concernant l’attitude du CNC, Me Gérard Ntahe affirme qu’il a pour mission de veiller « à la liberté de la presse au Burundi ». À ce titre, il estime que cet « organe doit assurer la sécurité des journalistes en intervenant auprès de ceux qui les agressent chaque fois ».
Selon lui, « la manière dont le CNC intervient ou s’abstient d’intervenir met en jeu sa crédibilité en tant qu’organe chargé de réguler le secteur des médias ».
Concernant la sécurité des journalistes en période électorale, Me Gérard Ntahe donne quelques conseils : « Pendant la période électorale, les journalistes doivent faire le plus d’attention et de discernement quant aux endroits à fréquenter en solitaire pour ne pas être agressés. Au besoin, ils doivent se signaler auprès des autorités administratives ou de forces de l’ordre pour requérir une protection spéciale. Cela peut sembler gênant, mais c’est une garantie de sécurité ».
Au moins au moins diplomatiquement, les autorités devraient dire que l’enquête est en cours !!! Kubonesha ukwo nibara mwabategetsi mwe !!! Les victimes sont là !!!!