Du 13 mai au 2 juin 2025, plusieurs acteurs politiques et indépendants ont battu campagne pour les législatives et les conseillers communaux. À l’arrière-plan, la rareté des carburants et des épisodes d’intolérance ont entaché la mobilisation, révélant à la fois l’ambiance démocratique et les difficultés à garantir une campagne apaisée.
Plusieurs partis politiques ont activement pris part à la campagne électorale dès son ouverture officielle le 13 mai 2025. Le CNDD-FDD, parti au pouvoir, a lancé sa campagne à Butanyerera avec un grand meeting de mobilisation populaire. Le même jour, l’Uprona a ouvert sa campagne dans la ville de Bujumbura. D’autres partis comme le FPI, le CNL, le Ranac et le CDP ont également organisé des activités pour séduire l’électorat.
La coalition Burundi Bwa Bose a choisi de débuter sa campagne le 15 mai 2025 à Bujumbura par une conférence publique. Le Radebu a opté pour une campagne de proximité en porte-à-porte. Le président de l’APDR, Gabriel Banzawitonde, a mené sa campagne selon une méthode qu’il a appelée « cengetos », visant à convaincre les électeurs « personne par personne ». D’autres formations comme l’AND (Alliance nationale pour la démocratie) et le Frolina ont également marqué leur présence sur le terrain.
Du côté des indépendants, plusieurs figures se sont fait connaître dans la circonscription de Bujumbura. Thomas Nzeyimana, surnommé « Mkombozi » ou « Lucifer », a mené une campagne axée sur le renouveau de la jeunesse burundaise. Dieudonné Nahimana s’est engagé en faveur de la réconciliation nationale. Vianney Manirambona a misé sur l’implication des jeunes à travers des projets économiques et des campagnes numériques ciblées. Jules Niyongabo a fondé sa campagne sur la bonne gouvernance, l’éducation et le développement agricole. David Niyocungu, quant à lui, déjà candidat malheureux à la présidentielle de 2020, s’est lancé de nouveau dans la course législative à Bujumbura.
Le manque de carburant, un obstacle majeur
Au-delà des difficultés de mobilisation, un obstacle commun a dominé la campagne : la pénurie des carburants qui a compromis le déplacement. Cela a en effet beaucoup limité les déplacements des candidats et des équipes de campagne à travers le pays.
Même avec une autorisation spéciale de la part de la Société pétrolière du Burundi, Sopebu pour s’approvisionner, des candidats ont rapporté que certains propriétaires de stations-service ne leur facilitaient pas la tâche. Ils ont été obligés de faire la queue pendant des heures, voire des jours, au même titre que le reste de la population.
Un climat terni par l’intimidation et la violence
Même si le président de la République avait exhorté les administratifs, les responsables politiques et les indépendants à veiller à une campagne apaisée, et que certains affirment que tout s’est « globalement bien passé », d’autres dénoncent plutôt un « terrain miné ». Le bilan est en effet émaillé d’incidents graves d’intimidation et de violence, largement documentés durant les trois semaines de campagne.
Le ministre de l’Intérieur, Martin Ninteretse, a lui-même reconnu que la campagne avait été marquée par des actes d’intimidation, attribués principalement aux membres du parti de l’Aigle contre les opposants tout en tirant la conclusion qu’elle s’est « globalement bien déroulée »,
Les faits rapportés sont multiples et inquiétants. Des violences physiques ont ciblé l’opposition. À Kanyosha, des membres du CDP ont été agressés. A Rutana, Egide Hakizimana, son délégué provincial a fait l’objet d’une arrestation.
La coalition Burundi Bwa Bose a également subi des violences. Dans la commune Ngozi, plusieurs de ses militants ont été tabassés. Dismas Minani est cité comme auteur de ces violences physiques. Le président de la coalition, Patrick Nkurunziza, a déclaré que la campagne s’était transformée en « une campagne de violence commise contre les membres de la coalition ». De plus, des motos utilisées par des conducteurs de taxi-moto lors du défilé inaugural d’un meeting à Gitega ont été saisies. Les activités de cette coalition ont aussi été perturbées dans la commune Matana.
Le parti CNL a été particulièrement visé par des attaques. Dans la commune Mpanda (province de Bubanza), cinq membres ont été blessés lors d’une attaque perpétrée par un groupe de gens. À Kayokwe, un militant a été blessé à l’œil par un individu prénommé Emmanuel, affilié au parti au pouvoir, qui l’accusait d’avoir annoncé son intention de voter pour le CNL. À Muyinga, le 21 mai, le militant Ndahazumukama a été battu et son uniforme brûlé par un représentant des jeunes Imbonerakure sur la colline Miruta, commune Gashoho. Des cas similaires ont été signalés dans la province de Karuzi.
Le CNL a également fait face à des actes d’obstruction et de vandalisme. À Gitega, le chef de zone et le chef de la police, en collaboration avec des jeunes Imbonerakure, ont barré la route à un véhicule du parti transportant du matériel de sonorisation, arguant un défaut d’autorisation. Dans la nuit du 24 mai, la permanence du CNL dans la commune Matana a été vandalisée pour la quatrième fois consécutive. Enfin, le 26 mai, Nestor Nduwimana, le secrétaire du parti dans la commune Matongo (province de Kayanza) a été arrêté et détenu dans un lieu non précisé.
Concernant le parti Ranac, son président Aloys Baricako a signalé des intimidations subies par ses militants, citant des cas survenus à Cibitoke et à Bugendana (Gitega). Il a toutefois salué l’intervention rapide des administratifs pour apaiser la situation.
Réactions
Patrick Nkurunziza : « À plusieurs reprises, les autorités ont refusé de nous laisser organiser des meetings. »
Pour la coalition Burundi Bwa Bose (BBB), le ton est grave. Patrick Nkurunziza, son président, évoque une campagne menée « dans un contexte très difficile ». Il pointe notamment un facteur logistique critique. « Le manque des carburants a sérieusement entravé notre travail sur le terrain. Cela a limité nos déplacements, rendant difficile l’accès à certaines localités ». Mais cette pénurie n’a pas été le seul frein. « À plusieurs reprises, les autorités ont refusé de nous laisser organiser des meetings ou bien les lieux ont été changés à la dernière minute, sans explication », a-t-il dénoncé.
Plus inquiétant encore, Nkurunziza accuse des jeunes Imbonerakure d’avoir mené des actes d’intimidation contre leurs militants. « Cela a créé un climat de tension et d’insécurité pour nos militants et sympathisants. »
Malgré ces conditions hostiles, la coalition Burundi Bwa Bose dit avoir maintenu ses activités « dans le respect de la loi », elle promet de « s’exprimer officiellement après l’annonce des résultats ».
Le CDP pointe un système électoral inéquitable.
Même son de cloche chez le Conseil des patriotes (CDP). Son président, Anicet Niyonkuru, fustige une campagne « entravée à plusieurs niveaux ».
Il estime que le manque des carburants est loin d’être une simple gêne logistique. « Il n’y avait pas de carburants dans les stations à l’intérieur du pays. C’était un grand blocage. Le transport était très cher pour nous-mêmes pour nos mobilisateurs. Beaucoup de localités n’ont pas été visitées ou mobilisées ».
M. Niyonkuru parle aussi de « véritables campagnes d’intimidation orchestrées par des administratifs locaux et les Imbonerakure » dans plusieurs provinces : Kayanza, Ngozi, Rutana, Bururi, Makamba et Bujumbura. Des incidents précis sont rapportés : menaces physiques, intimidations, blocages des meetings et même une tentative d’attaque à Kibago où le porte-parole du CDP a failli être percuté par une voiture sans plaque.
Le président du CDP n’hésite pas à dénoncer l’usage abusif des moyens de l’État par certains partis. « Alors que certains utilisent les véhicules et le carburant de l’État, nos partis se débrouillent avec des moyens de bord. C’est une campagne à deux vitesses. » Et de déplorer une autre méthode d’influence. « La participation aux meetings du parti au pouvoir est forcée. Les écoles, les magasins et les bureaux sont fermés pour remplir ses rangs. »
Une autre inquiétude de taille : l’achat des cartes d’électeur. Selon le président du CDP, des candidats malintentionnés chercheraient à récupérer des cartes pour voter à la place des citoyens réticents. Il appelle alors à la suppression des procurations. « Ceux qui pensent qu’ils ne peuvent pas être élus commencent à acheter des cartes. C’est une fraude organisée. » Il assure toutefois le déploiement de mandataires du CDP dans les bureaux de vote pour « surveiller le déroulement » du scrutin, tout en affichant une prudente réserve. « Je donne le bénéfice du doute à cette étape cruciale du processus. »
Jules Niyongabo : « Violence sélective et pauvreté dégradante »
Pour Jules Niyongabo, candidat indépendant dans la province élargie de Bujumbura, les entraves ont été nombreuses. Il n’a pu commencer sa campagne que le 14 mai, un jour après l’ouverture officielle, faute de carburant. Et les difficultés ne se sont pas arrêtées là. « Des représentants que nous avions envoyés pour préparer la campagne ont été menacés et brutalisés. Ils ont dû fuir pour assurer leur sécurité », raconte-t-il. Plus grave encore, des membres de son équipe ont été arrêtés et contraints de payer des amendes pour avoir affiché des supports de campagne.
Jules Niyongabo dénonce une violence sélective. « Les drapeaux et enseignes de certains partis politiques restent visibles et intouchables alors que les nôtres sont systématiquement retirés. C’est regrettable qu’il existe encore des Burundais qui n’ont pas de tolérance politique ». Il évoque aussi des comportements affichés par certains électeurs symptomatiques d’une pauvreté endémique. « Certains demandaient de l’argent en échange de leur écoute. C’est le signe d’un peuple à bout. »
Il découvre en même temps qu’être candidat indépendant n’est pas un avantage. « Nous pensions avoir un privilège, mais nous sommes traités au même titre que les partis. »
Malgré tout, il reste optimiste. « Comme dans la Constitution burundaise le bon Dieu a la première place, nous croyons qu’il sera notre premier mandataire là où nous ne pourrons pas être présents »
Dieudonné Nahimana : un optimisme mesuré
Contrairement aux témoignages précédents, Dieudonné Nahimana, un autre candidat indépendant dans la province élargie de Bujumbura, adopte un ton plus nuancé. Il qualifie sa campagne de « globalement harmonieuse, pacifique et sécurisée » même s’il reconnaît quelques « incidents mineurs ».
Dans les localités de Muhuta, Gitaza, Muzinda et Murwi, certains de ses partisans ont été menacés, contraints de porter leurs t-shirts à l’envers, voire dépouillés de leurs récépissés d’inscription par des individus sans qualité légale.
Il tempère néanmoins. « Ces faits n’ont pas entaché significativement la campagne. » Quant à l’approvisionnement en carburants, il juge que ses besoins ont été couverts à 70 %, un taux satisfaisant selon lui.
Gaspard Kobako « Le terrain était miné. »
Le président de l’Alliance nationale pour la démocratie (AND) Intadohoka, Gaspard Kobako, s’insurge contre plusieurs incidents survenus durant la campagne électorale qu’il considère comme des tentatives d’intimidation contre son parti. Il évoque notamment des cas d’intolérance politique, d’abus d’autorité et de calomnie à l’encontre de ses militants et candidats sur le terrain.
En zone Cibitoke, un chef de cellule, jugé « trop zélé », s’est illustré par une attitude qu’il qualifie de répressive. Selon Kobako, cet agent administratif a tenté d’empêcher un de leurs candidats de battre campagne paisiblement. « Il est allé porter plainte à son chef de zone que l’un de nos candidats perturbait l’ordre (kuvyonga akarere), alors que ce dernier ne faisait qu’exercer un droit constitutionnel ». Il dénonce une méconnaissance du rôle des agents à la base. « Comme d’habitude, certains administratifs sont aveugles et ne savent pas qu’ils sont dans les postes éjectables. »
La tension est montée d’un cran en commune Gihanga le 30 mai 2025 lorsqu’un militant de l’AND, en mission de sensibilisation, a été agressé. « Une plainte a été déposée et notre parti exigera réparation, tôt ou tard », assure Gaspard Kobako.
À Bubanza (collines Shari I et Buhororo I), la tête de liste de Bujumbura fut prise pour cible par l’ancien député Juvénal Havyarimana et un commerçant Dieudonné Ndabihawenimana. « L’un ignore le rôle d’un représentant du peuple. L’autre croit que l’argent achète l’honneur. », déplore-t-il
Des attaques verbales ont également été enregistrées dans la circonscription de Burunga, commune Makamba, à l’encontre du coordonnateur régional du parti et candidat député. Selon Gaspard Kobako, certains militants du parti au pouvoir l’ont ridiculisé « comme quoi il roule à moto. Ce qui ne serait pas digne d’un représentant d’une aussi grande entité avant que ce coordinateur ne les remette à leur place à la girafe » explique kobako.
AND-Intadohoka a également fait face à de nombreux obstacles durant la campagne électorale comme le refus de meetings par des administratifs zélés, des propos malveillants en province de Bururi, intimidations physiques à Rutovu, et discriminations flagrantes à Rumonge, où des écoles ont été instrumentalisées.