Mardi 15 octobre 2024

Société

Transfert de la gestion des enseignants aux administrateurs communaux : que de défis en vue

Transfert de la gestion des enseignants aux administrateurs communaux : que de défis en vue
« Désormais les enseignants seront gérés par les administrateurs communaux »

Le transfert de la gestion des enseignants aux administrateurs communaux inquiète profondément certains syndicats et les enseignants. Une réforme controversée qui risque de bouleverser le paysage éducatif burundais.

Le Syndicat National des Enseignants du Burundi (SYNAEB) a fait part de ses vives inquiétudes à travers un communiqué de presse publié 29 août 2024.

Cette réaction fait suite à l’annonce par le ministère de l’Éducation Nationale et de la Recherche Scientifique d’une nouvelle loi transférant la gestion administrative des fonctionnaires du secteur de l’enseignement à l’administrateur communal.

Le syndicat s’interroge sur la façon dont cette réforme a été mise en œuvre, pointant un manque de consultation préalable des parties concernées. Selon le SYNAEB, « les fonctionnaires n’ont pas été suffisamment consultés avant l’adoption de cette loi, ce qui suscite des interrogations sur la transparence et l’inclusivité du processus législatif.
Le syndicat estime que le statut général des fonctionnaires devrait être protégé et qu’une telle décision aurait dû faire l’objet d’une concertation plus large avec les enseignants eux-mêmes ».

Au-delà du manque de dialogue, le SYNAEB met en lumière une confusion administrative liée à la mise en œuvre de cette nouvelle loi. Selon le syndicat, la loi ne clarifie pas de manière précise si les enseignants resteront sous la tutelle du ministère de l’Éducation Nationale ou s’ils passeront sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, à travers l’administrateur communal.

Cette absence de clarté pourrait entraîner des dysfonctionnements dans la gestion quotidienne des établissements scolaires et avoir un impact négatif sur le travail des enseignants.

Le syndicat se demande également si cette loi ne risque pas d’entraîner une centralisation excessive des décisions, au détriment des directeurs d’écoles ou des responsables éducatifs de terrain.

L’un des points soulevés est la crainte que l’administrateur communal, une figure plus éloignée du milieu éducatif, ne se substitue au directeur national de l’enseignement pour la gestion des enseignants.

Les appels du SYNAEB

Face à cette situation, le SYNAEB demande aux autorités compétentes de reconsidérer cette réforme qu’il qualifie de précipitée et potentiellement nuisible pour le secteur éducatif.

Le syndicat appelle à la révision de la loi et recommande une approche plus inclusive, en impliquant davantage les partenaires sociaux et en ouvrant un dialogue autour des défis du secteur éducatif.

Le SYNAEB a formulé plusieurs propositions pour améliorer la situation du secteur de l’éducation au Burundi, dans un premier temps, le syndicat préconise « l’implication des partenaires sociaux » dans les prises de décisions. Selon le SYNAEB, cette mesure permettrait d’assurer une meilleure prise en compte des réalités du terrain.

Par ailleurs, le SYNAEB insiste sur la nécessité de « renforcer le dialogue social ». Ce dialogue, estime le syndicat, serait un outil essentiel pour trouver des solutions adaptées aux problèmes rencontrés par le secteur de l’éducation, notamment les mauvaises conditions de travail des enseignants.

Enfin, le syndicat rappelle que les réformes éducatives antérieures n’ont pas toujours eu l’impact escompté et qu’il est essentiel de tirer les leçons des expériences passées pour éviter que des mesures non réfléchies ne viennent compliquer davantage la situation des enseignants.

Le SYNAEB conclut son communiqué en appelant les autorités à privilégier une approche plus concertée et à mettre en œuvre des réformes qui apportent une réelle valeur ajoutée au système éducatif, plutôt que d’alourdir les conditions de travail déjà difficiles des enseignants.

Les enseignants s’expriment

Un enseignant originaire de la province de Cibitoke dénonce vivement la nouvelle loi édictée par le ministère de l’Éducation et de l’enseignement supérieur. Selon lui, les répercussions de cette législation ne se limiteront pas au corps enseignant, mais impacteront également le ministère lui-même.

« Les enseignants relèvent de l’autorité du ministère de l’Éducation et non de celle de l’Intérieur’, souligne-t-il. ‘Cette loi démontre clairement que le ministère ne dispose plus des moyens de gérer ses fonctionnaires. Toutefois, il est encore temps d’y apporter des modifications. »

L’enseignant estime que même si les directions communales de l’enseignement sont géographiquement éloignées, le ministère de l’Éducation devrait mettre en place des directions zonales afin de permettre aux inspecteurs de soumettre leurs rapports au niveau local, évitant ainsi toute confusion avec le ministère de l’Intérieur.

« Pour l’instant, nous nous demandons quel ministère sera habilité à nous donner des directives ou à organiser les examens d’État et les concours nationaux. La situation est complexe », s’interroge-t-il.
Un autre enseignant, cette fois-ci de la zone de Kamenge, critique cette loi en soulignant que les fonctionnaires de l’enseignement seront désormais intégrés dans le secteur politique.

« Au niveau administratif, nous sommes sous l’autorité de l’administrateur communal, mais sur le plan technique, nous dépendons du directeur communal de l’enseignement », précise-t-il.

Il craint que « certains enseignants soient écartés de leurs fonctions en raison de leurs opinions politiques divergentes de celles de l’administrateur communal ».

Interrogé sous le couvert de l’anonymat, un directeur communal de l’enseignement s’exclame : « Je ne vois qu’une discrimination seulement. Cette déclaration soulève de sérieuses questions quant à notre capacité à collaborer efficacement. Comment un administrateur placé sous l’autorité du ministère de l’Intérieur peut-il concilier ses fonctions avec la gestion des problématiques éducatives qui relèvent traditionnellement du ministère de l’Éducation ? Cette situation inédite nous laisse perplexe et nous attendons avec impatience la rentrée scolaire pour en mesurer les conséquences ».

La proposition de transférer la gestion des enseignants aux administrateurs communaux, selon Eulalie Nibizi, est une décision hasardeuse qui pourrait compromettre la qualité de l’éducation.

« La déclaration du ministre de l’Education concernant le transfert de la gestion des enseignants aux administrateurs communaux constitue un véritable dérapage. » Cette affirmation de Nibizi est loin d’être anodine. Selon lui, « cette décision est non seulement inattendue mais également injustifiée ».

Eulalie Nibizi, ancienne présidente du syndicat des travailleurs enseignants du Burundi (STEB) souligne que « l’organigramme du ministère de l’Éducation est le fruit d’un long processus de concertation impliquant plusieurs ministères, notamment ceux en charge de la fonction publique, des finances et du gouvernement. Modifier cet organigramme de manière aussi radicale nécessite un décret spécifique ».

Mme Eulalie Nibizi : « Les communes ne disposent ni des compétences techniques, ni des valeurs éthiques requises pour encadrer les enseignants »

Elle poursuit en expliquant que « les missions de l’administration communale sont principalement liées aux affaires territoriales. L’éducation, quant à elle, relève du domaine de l’Éducation nationale. Les communes ne disposent ni des compétences techniques, ni des valeurs éthiques requises pour encadrer les enseignants ».

Selon Mme Eulalie Nibizi, « si les communes venaient à gérer les écoles, elles le feraient en tant qu’entités gouvernementales, mais dans un rôle consultatif. Elles ne peuvent en aucun cas assumer les responsabilités de gestionnaire, notamment en matière de recrutement et de rémunération des enseignants. Ces tâches nécessitent des compétences spécifiques en matière de fonction publique, de finances et d’éducation ».

Elle conclut en affirmant que « ce transfert de compétences serait une fuite en avant de la part du ministère de l’Éducation. Il engendrerait une confusion totale et aurait des conséquences désastreuses sur le système éducatif. Les communes sont déjà connues pour leurs difficultés à payer les salaires. Imaginons les conséquences si elles devaient également gérer le recrutement et la carrière des enseignants ».

Contacté à plusieurs reprises pour plus des éclaircissements, le ministère de l’Education Nationale et de la Recherche Scientifique n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations.

Forum des lecteurs d'Iwacu

2 réactions
  1. Gacece

    Il ne faut quand même pas nier un certain allègement de la lourdeur bureaucratique liée aux structures administratives actuelles du Ministère de l’Éducation et de la Recherche scientifique. Rappelez-vous que le nombre de provinces et de communes va drastiquement diminuer avec le nouveau découpage administratif du pays. Il est normal que les autres ministères soient adaptés au nouveau découpage.

    On voit ça et là des gens qui se plaignent de la bureaucratie et du nombre de bureaux intermédiaires par lesquels on doit passer pour obtenir un service. Ces gens pourraient plutôt se réjouir des changements à venir. Avant de condamner, attendons de voir ce que cela va donner comme résultats. Mais les suggestions d’amélioration de projets envisagés peuvent servir à la prévention de problèmes potentiels.

  2. kabingo dora

    C’est grave . Un transfert de compétences signifie aussi leur désaississement corrélatif ou total. Mais plus grave et c’est ce que certains parmi nous ne voient pas lorsqu’on connait notre pays , c’est aussi le recrutement du personnel enseignant . Je vois déjà ce recrutement se faire sur base d’adhesion au parti au pouvoir ou autres critères .
    Je pense que nous les Burundais , avons un gros problème philosophique et ethique . Lorsque le Parti Uprona est passé au mode de multipartisme , ceux qui le dirigeaient l’ont modifié comme si il resterait majoritaire ( liste électorale bloquée et mixte) administration mixée ethniquement etc ils ont oublié que cela ne pouvait pas fonctionner tant que les esprits n’y étaient pas préparés . Ils ont ainsi facilité la tache au Frodebu sans le vouloir. Aujourd’hui l’administration et le gouvernement font tout en mode « parti unique » . Et si demain le parti de Rwasa ou quelqu’un d’autre accédait au pouvoir, il risque de faire la même chose , un nouveau parti unique ! Qu’est ce qu’on aura gagné? Comme le CNDD-FDD est entrain de se déliter progressivement , demain il y aura certainement un autre parti politique, peut être pire que ce que nous avons. La solution burundaise se trouve dans un équilibre de force aussi bien au gouvernement qu’au parlement et au sénat . En dehors de cela , point de salut.

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