Jeudi 10 octobre 2024
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La colère du lac Tanganyika

Environnement

La colère du lac Tanganyika

Depuis février 2021, la montée des eaux du lac Tanganyika s’est accélérée. Les plages, les habitations, les infrastructures publiques … sont déjà inondées. Les autorités ont déjà lancé l’alerte. Des centaines de riverains ont déjà déménagé. Les experts environnementaux craignent le pire. Iwacu a fait le point.

Le lac Tanganyika a commencé à avertir en 2018.
25/04/2021
Dossier réalisé par Hervé Mugisha, Dorine Niyungeko, Alphonse Yikeze, Emery Kwizera, Rénovat Ndabashinze, Jérémie Misago et Pacifique Gahama Images : @Iwacuinfo

Effets des changements climatiques, de la pression démographique, l’action de l’homme, etc., sont entre autres causes de la montée des eaux du lac Tanganyika observée depuis 2018. « Cela ne devrait pas nous surprendre que le Burundi ne soit pas épargné par les effets du changement climatique en marche aujourd’hui », explique Jean-Marie Sabushimike, expert en matière de gestion des catastrophes.

Ce professeur d’Université indique que les facteurs déclenchants sont les fortes pluies observées dans la sous-région. Il pointe aussi le mauvais aménagement du territoire. Et là, l’expert souligne que c’est l’homme qui est responsable. « Pourquoi les gens ont-ils construit dans des zones comme Kibenga, Kajaga, … ? » Vu la topographie des lieux, il estime que ces espaces sont normalement inconstructibles.

De son côté, Tharcisse Ndayizeye, un autre expert environnementaliste souligne que cela est aussi lié à la situation géographique du lac et de la ville de Bujumbura. « Nous sommes au fond du bassin. » D’après lui, des alluvions et des quantités importantes de terres venant des montagnes surplombant la ville finissent dans le lac. Et dans les Mirwa, il y a une forte concentration humaine. « Ils construisent, cultivent avec des aménagements agraires qui ne respectent pas les normes environnementales. » Il évoque aussi des quantités importantes de déchets produits dans la ville de Bujumbura. « Leur destination finale, c’est le lac. » Bref, si le fond du bassin est plein de déchets, de sachets, du sable … l’eau du lac va inévitablement monter, conquérir d’autres espaces.

L’expert Ndayizeye lui aussi lie la montée des eaux du lac aux effets du dérèglement climatique. Ce qui a conduit à la perturbation pluviométrique : « Avant on connaissait 8 à 9 mois de précipitations, maintenant nous avons 5 à 6 mois. Or, la quantité n’a pas diminué. Celle qui devait tomber dans un mois peut l’être dans un jour ou deux jours. »

Pour sa part, Augustin Ngenzirabona, Directeur Général de l’Institut géographique du Burundi (IGEBU) ajoute le cas de la rivière Lukuga, émissaire du lac Tanganyika. « Elle est aujourd’hui incapable d’évacuer les eaux en grande quantité provenant du lac. Car, elle est presque maintenant débordée. » Selon lui, cette montée est liée aux fortes précipitations enregistrées dans la sous-région qui entraînent des crues et l’érosion. Il signale que selon les données de son institution, l’année 2021 ressemble à 1964 au point de vue pluviométrique.

S’exprimant dans une conférence de presse, ce lundi 19 avril, il a rappelé le caractère cyclique de la montée des eaux du lac. « En 1878, le niveau du lac a atteint la hauteur de 783,35 mètres. A cette époque, les endroits où se trouvent l’aéroport et le port de Bujumbura étaient occupés par le lac Tanganyika et l’eau arrivait également à la 7ème avenue de la zone de Buyenzi et à la RN3. »

De lourdes conséquences
Le talus de rempart érigé pour la protection des infrastructures de ce port subit les assauts des eaux.

Des lieux de loisirs, des bars-restaurants inondés et détruits, des déplacements des populations, destructions des infrastructures publiques et privées … Ce sont quelques conséquences de la crue du lac. Heureusement, pas encore de dégâts humains. Les reporters d’Iwacu ont fait le tour.

 

 

Gatumba, en partie les pieds dans l’eau

Les maisons d’habitations sont à moitié submergées.

Quartier Kinyinya de la zone de Rukaramu, tout proche de Gatumba, à l’ouest du pays, les gens passent à gué d’un endroit à l’autre ou se déplacent par pirogue suite à la montée des eaux du lac Tanganyika. A part les cultivateurs dans les champs de riz et des palmiers, les habitants ont déserté les lieux. Ceux qui y sont encore vivent un calvaire. “Le niveau de l’eau est monté. Quand je viens dans les champs, elle m’arrive au niveau de la taille et c’est un problème pour pouvoir se déplacer », raconte un cultivateur.

Dans une palmeraie, la situation est terrifiante : « Quand le vent devient violent, les habitations sont presque totalement submergées. Les champs sont dévastés. » Autre menace : les hippopotames et les crocodiles rôdent et sont devenus trop dangereux.

Les infrastructures publiques ne sont pas à l’abri. L’Ecole Fondamentale de Mushasha est inondée, les enseignants, les écoliers vivent un calvaire. Les cours continuent, mais les eaux du lac sont devant les portes, ils doivent patauger pour y accéder. Les habitations sont à moitié submergées, d’autres sont sur le point de s’effondrer. La plupart sont déjà abandonnées, d’autres démolies. « Les enfants étudient dans de mauvaises conditions. Les gens ont déménagé. Ils ne peuvent pas rester ici dans de telles conditions », confie un habitant, sous le choc.

Le quartier Kinyinya est devenu une cité fantôme. Les plages de Gatumba naguère prisées ne sont plus fréquentées. Leurs équipements sont sévèrement touchés, certains détruits. Les vents violents soulèvent les vagues qui à leur tour viennent emporter tout ce qui se trouve sur leur passage.


Kibenga rural : des habitants désabusés

Des rues totalement submergées.

Au sud de Bujumbura, commune Muha, zone Kinindo, la situation est critique. Une partie des rues baigne actuellement sous les eaux du Tanganyika. Des riverains rencontrés sont désespérés.

11h30. Nous sommes au quartier Kibenga rural, à quelque 250 m du lac Tanganyika. Enfin, c’était avant que le lac Tanganyika ne déborde de son lit. Désormais, le deuxième lac le plus profond du monde a envahi la rue où nous nous trouvons et se rapproche des quelques habitations qui s’y trouvent. K.M est gardien de l’une d’entre elles.

Quand nous lui demandons s’il ne craint pas que l’eau inonde assez prochainement l’habitat de ses employeurs, il est résigné. « Si le lac arrive jusqu’à nous, nous lui cèderons le passage ».

En face de la maison dont K.M est le gardien, un chantier gigantesque. A la porte, nous croisons J.T, un maçon. « Le lac est encore assez loin, il n’arrivera pas jusqu’ici », estime-t-il. Les raisons d’un tel optimisme ? Selon K.M, les eaux du lac avaient débordé à la même période l’année dernière, mais ont reflué à partir du mois d’octobre.

Quid du chantier en cours en cas d’inondation ? Pour le maçon, tant que la menace d’inondation est encore loin, comme il le dit, il devra continuer à se présenter sur son lieu de travail. « D’autant que mon patron me paie toujours mon salaire ».

A quelques mètres de là, nous sommes sur la route qui longe le Lacosta Beach. Du sud au nord, d’est en ouest, toutes les rues, y compris la route principale, sont submergées. Pour se protéger des eaux, des habitants ont superposé des sacs remplis de sable le long des clôtures des maisons.

C’est notamment le cas d’U.R. Avec son voile blanc, c’est une femme d’un certain âge qui nous accueille avec le sourire. De la terrasse de sa demeure, nous voyons l’eau qui menace d’envahir sa parcelle. « C’est depuis mars 2020 que le cauchemar a commencé ». D’après la dame, les caniveaux mis en place de l’autre côté de sa maison ont été vite débordés, libérant l’eau du lac dans les rues. Au mois de décembre de l’année dernière, les inondations se sont rapprochées de chez elle. A tel point que ses enfants manifestent aujourd’hui une inquiétude pour la sécurité. « Mes enfants me disent de partir, mais eux disent vouloir rester. Mais je suis une veuve qui n’a nulle part où aller ! »

Quand nous lui demandons ce que les pouvoirs publics pourraient faire, la mère de famille monoparentale ne cache pas son scepticisme derrière ses lunettes. « Je ne vois pas trop ce que l’Etat ferait, car l’eau nous arrive de toutes parts ! Les pouvoirs publics sauraient sans doute mieux ce qu’il y a à faire, mais à mon avis, tout cela me semble très compliqué ! »

U.R admet aussi que sa maison perdra beaucoup de sa valeur et manifeste son désespoir. « Que peut-on faire face à cela ? Rien ! »


Kabondo et Kinindo : des villas inondées

Des ouvriers en train de bloquer les eaux du lac Tanganyika sur l’avenue Gitega à Kabondo Ouest.

En plus des plages submergées, des pans de route qui s’effondrent, beaucoup de maisons situées dans les quartiers de Kinindo et Kabondo Ouest sont inondées suite à la montée des eaux. « Nos voisins se sont retrouvés obligés de partir. Ils n’avaient aucun accès à leurs maisons. Les routes sont impraticables », indique un habitant de Kinindo. Sur une seule avenue, 4 ménages ont déménagé dans des maisons de location.

Il n’est pas rare de croiser dans ces quartiers, de gros camions lourdement chargés d’équipements ménagers venus pour le déménagement des familles ayant des maisons situées tout près du lac.

Parmi les habitations menacées figurent des écoles et l’Université Martin Luther King. Dans ces localités, des camions remplis de sable font des navettes pour essayer de couvrir les routes inondées et les rendre plus ou moins praticables.

Mais il arrive que ces camions s’embourbent et restent coincés et pour sortir de là, ils sont tirés par des dépanneuses postées dans les parages et qui se tiennent toujours prêts à intervenir.

A Kabondo Ouest, l’immeuble 3 UN Tanganyika House abritant les agences onusiennes telles que Unicef, Fnuap et Onu Femmes est protégé par un mur de protection d’un côté, mais pour l’autre, des ouvriers essaient de bloquer les eaux du lac Tanganyika par des sacs remplis de sable.

Les habitants de ces quartiers se disent inquiets face à cette montée des eaux du lac Tanganyika. Ils interpellent les autorités habilitées à prendre à bras le corps cette question pour trouver une solution à cette situation.


Les activités commerciales paralysées

Les maisons et paillotes inondées au Cercle nautique de Bujumbura.

Les investisseurs qui avaient aménagé les différentes plages pour les visiteurs ne savent pas à quel saint se vouer. Les uns ont diminué le personnel, d’autres ont vidé les lieux. Les pertes sont énormes.

Un bon nombre d’employés des plages sont au chômage depuis la montée des eaux du lac. Le désespoir se lit sur leur visage. « Je vivais de cette activité d’accueillir et de servir les visiteurs. Aujourd’hui, tout est arrêté. Je ne sais plus quoi faire », confie J.K, un serveur au chômage. Il affirme qu’actuellement, il peut passer une journée sans rien manger.

D’après lui, 95 % des personnes qui exercent leurs activités autour du lac sont touchées. B.K., un des responsables du Cercle nautique indique que les dégâts causés par les eaux sont énormes. La salle de réception, les paillotes, sont inondées par les eaux du lac. Il indique que les clients ont déserté le lieu. Le chiffre d’affaires a baissé d‘environ75 %. Il précise qu’avant, les recettes pouvaient atteindre 3 millions BIF par jour. « Aujourd’hui, c’est à peine qu’on arrive à 500 mille BIF. Soit une perte de plus de 75 millions BIF par mois », déplore-t-il. Ici, il ne parle pas du coût des destructions déjà enregistrées. Une partie du personnel est au chômage. Sur 18 employés, il ne reste que 10 travailleurs : cinq pour le bar et une autre partie pour le restaurant.

Pour essayer d’avoir en peu d’argent, un service de livraison des commandes à domicile a été instauré pour les clients fidèles. Néanmoins, déplore-t-il, cela engendre des frais de déplacement additionnel.

Un autre responsable d’un bar riverain du lac dit que les pertes sont vraiment très importantes. Il évalue son manque à gagner à 15 millions BIF par mois. Mis à part les dégâts matériels, les ventes ont été réduites à 95 %. Avant cette catastrophe, il écoulait facilement plus de 10 casiers de limonades par jour. Mais actuellement, il peut passer toute semaine sans vendre même 5 casiers. Pour s’adapter, il a baissé le nombre d’employés. Il ne reste que 11 sur 40 travailleurs.

A Safi Beach, une femme qui était chargée de faire la propreté à cette plage indique qu’elle ne voit plus comment elle va survivre. Toute la plage est inondée. D’une voix douloureuse, elle révèle qu’elle touchait 70 mille BIF par mois. Tous les 11 employés sont au chômage. « Mes enfants vont mourir de faim sans doute. Et qu’en est-il du paiement du loyer ? », se demande-t-elle, ses yeux inondés des larmes.

A cette plage, des travailleurs journaliers durant les week-ends n’ont plus aussi du travail. Ils recevaient 10 mille BIF par jour.

Ils ne sont pas les seuls à se retrouver dans une situation inconfortable. Éric est un intermédiaire entre les clients et les agences de douane. Il indique que si les activités au port de Bujumbura s’arrêtent suite à la montée des eaux du lac, son manque à gagner s’estimerait entre 15 mille et 20 mille BIF par jour.


Le port de Bujumbura menacé

Le talus de rempart érigé pour la protection des infrastructures de ce port subit les assauts des eaux.

Suite à la montée des eaux du lac, le seul port moderne du Burundi n’est pas épargné. Des infrastructures portuaires sont menacées. Des eaux s’infiltrent jusqu’à l’intérieur. Des tuyaux d’évacuation des eaux vers le lac ne sont plus fonctionnels. Ils sont inondés. Les agents et travailleurs dans ce port redoutent des inondations pouvant paralyser toutes les activités. « Nous avons entendu qu’il y a un port en République démocratique du Congo qui est complètement submergé. Cette situation risque d’arriver », se désolé un des agents de l’Office Burundais des Recettes (OBR). Le talus de rempart érigé pour la protection des infrastructures de ce port subit les assauts des eaux. Une route passant derrière un des bureaux de la marine nationale s’est effondrée. Elle se retrouve en partie submergée.


A Buyenzi, pas de panique, mais…

A la 25e avenue de Buyenzi où certains habitants pensent que les eaux du lac ne les atteindront pas.

« Pas d’apocalypse en vue », tranquillise un vieil homme de Buyenzi, croisé à la 8ème avenue. Dans cette zone dont une partie est sous menace selon le DG de l’IGEEBU, les habitants vaquent à leurs activités quotidiennes. Ils affirment avoir entendu que le Tanganyika peut récupérer sa place. Mais, ils ne désespèrent pas. « La peur ne peut pas manquer, mais nous pensons que cela n’arrivera pas », indique Anicet Niyungeko, 45 ans, rencontré chez lui à la 25ème avenue la plus proche du lac. Si cela arrivait, il pense que ce n’est pas pour demain. « Voir le lac arriver à la 7eme avenue, c’est impensable », continue son voisin, Manacet Habonayo, détenteur d’une boutique à la même avenue. Mercredi 21 avril 2021, il faisait son commerce apparemment sans souci.

Il pense que le lac finira par reculer. « Je l’ai entendu comme ça, mais je ne parviens pas à le digérer», réagit un natif de Buyenzi. Agé de 40 ans, il confie que ses parents et ses grands-parents sont nés à Buyenzi. Pointant du doigt les vieilles maisons du quartier, il pense que si le lac est arrivé un jour à la 7eme avenue, cela date de plus longtemps. Il se dit prêt à vivre ce que ses grands-parents ont vécu à leur époque. « Si cela est arrivé à l’époque de nos grands-parents ça peut nous arriver nous aussi, mais on n’y peut rien » a-t-il commenté.

Cet homme dit que s’il advient que leur quartier soit inondé, la population va se déplacer pour revenir avec le recul de l’eau. « Cela se remarque souvent dans d’autres zones déjà touchées».

Pour certains habitants de Buyenzi, le projet de protection du port de Bujumbura peut sauver leur quartier. Ils considèrent que les eaux qui inonderaient cet ancien quartier de Bujumbura ne viendront que des plages proches du port de Bujumbura. « Si le port est protégé, Buyenzi sera sauvé », glisse un jeune du quartier.

Que faire ?

Face à cette situation, des institutions étatiques se mobilisent. Des solutions d’urgence sont déjà annoncées et mises en application. L’objectif est d’éviter surtout des dégâts humains. Ces institutions pensent déjà aux actions à long terme. Des experts parlent aussi.

 

L’IGEBU recommande le déménagement

Les habitants des deux localités à savoir Kajaga et Kibenga ont été appelés à « vider lieux. » Pour des raisons de prévention, cet appel a été dernièrement lancé par Augustin Ngenzirabona, directeur Général de l’IGEBU. Il leur a demandé de chercher refuge ailleurs pour échapper aux dégâts qui peuvent être occasionnés par cette montée des eaux. Selon lui, les zones de Kibenga, Kajaga, le port de Bujumbura et une partie de l’aéroport se trouvent à une altitude inférieure à celle du lac Tanganyika. Cette autorité a aussi appelé les gens de Buyenzi à rester en alerte.


La Plateforme soutient la délocalisation

« Quitter les zones inondées, c’est un préalable. Et s’il y a des réticences, le gouvernement doit forcer ces gens à partir de ces zones », souligne Anicet Nibaruta, président de cette plateforme. « Pour des raisons de sécurité, nous devons délocaliser les gens vers des emplacements sécurisés. » D’après lui, les gens qui se trouvent dans des zones à risques, riveraines du lac doivent se préparer psychologiquement, mettre en place des moyens pour qu’ils puissent s’installer ailleurs.


L’OBUHA appelle au respect de la loi

« Tous ces phénomènes nous renvoient à repenser la planification urbaine », analyse Omer Niyonkuru, de l’Office Burundais de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction (OBUHA). Pour lui, il faut revisiter les contrats des propriétaires des parcelles dans les zones comme Kajaga, Kibenga, etc. Il propose aussi de se conformer à la loi en ce qui concerne les constructions. M.Niyonkuru rappelle que la zone tampon du lac est de 150 mètres. Une distance qui peut aller même au-delà. Or, plusieurs constructions se trouvent dans cette zone qui est normalement inconstructible.


« Rester sur la surveillance »

Pour le professeur Jean-Marie Sabushimike, il faut surveiller les changements climatiques. Il insiste sur la nécessité d’avoir une cartographie des risques. Un outil très important qui va montrer selon lui les zones constructibles, inconstructibles, inondables, etc. « Avec cette carte, il faudra avoir le courage de dire que cette zone est inhabitable à long terme. » De façon urgente, le professeur estime qu’il est impératif de délocaliser les ménages, les gens qui se sont installés dans des zones menacées d’inondations. Un rôle qui revient à l’Etat de protéger ses citoyens et leurs biens. Ce professeur propose un contrôle rigoureux de l’étalement urbain. Pour lui, si la pression sur les montagnes surplombant la ville ne s’arrête pas, il faut s’attendre à d’autres dégâts. « Car, qui dit pression démographique dit dégradation environnementale. Les sols sont exposés à l’érosion. »


« Que l’Etat exerce sa fonction régalienne ! »

De son côté, Tharcisse Ndayizeye, un autre expert environnementaliste demande à l’Etat de jouer son rôle régalien. « L’Etat devrait empêcher des constructions dans des zones à risques. » Pour lui, il revient aux autorités d’éclairer les gens sur comment construire. En ce qui est des actions urgentes, il propose deux solutions : la résilience de survie pour les cas urgents. Il s’agira selon lui de délocaliser ceux qui sont les plus menacés, leur trouver des sites provisoires, les nourrir, etc.

A long terme, M.Ndayizeye suggère de prévoir une résilience adaptative, durable. Ce qui sous-entend que les gens qui vivent dans des zones à risques doivent être délocalisés définitivement pour être installés ailleurs. Ce qui doit être précédé par un travail d’identification des zones à très hauts risques et potentiellement inondables.

En attentant des solutions durables, des alternatives
Les terrains de la station de pompage ne cessent de s’éroder.

Des délocalisations ont déjà commencé. Des avenues aussi bloquées pour éviter des probables accidents. Et un plan de sauvetage de port de Bujumbura déjà élaboré. Entre autres actions déjà en cours.

Selon le commissaire de police Anicet Nibaruta, certains ménages ont été déjà délocalisés pour être mis à l’abri des eaux. A Rumonge, il fait état de 482 ménagés déplacés, 751 en commune Bugarama et 241 à Muhuta. Il rassure qu’en collaboration avec l’administration, on va étudier les possibilités d’ouvrir des sites de déplacés ailleurs ou chercher des parcelles.

Suite à cette montée des eaux du lac, l’avenue de la Plage a été bloquée. La mesure a été prise le 12 avril 2021, par Jimmy Hatungimana, maire de la ville de Bujumbura. Et ce, après une visite effectuée au bord du lac en compagnie des techniciens de l’Agence Routière du Burundi. A cette occasion, ils ont réalisé que la route est endommagée. « C’est une décision urgente prise pour protéger cette avenue. Car, plus les véhicules y passent, plus la route est endommagée davantage », a déclaré le maire de la ville. Aux riverains du lac, il leur a demandé de prendre des dispositions conséquentes et d’éviter de circuler pendant les heures de vague afin de minimiser les dégâts.

Sauver le port de Bujumbura

Lundi 19 avril, lors de sa visite au port de Bujumbura, la ministre du Commerce a assuré que, sous peu les travaux d’urgence débuteront. L’enveloppe de leur coût est évaluée à deux milliards de BIF. « Avec 54 cm de réserve par rapport au niveau de l’eau, l’urgence c’est de protéger le bassin portuaire afin d’éviter que tout le port ne soit pas englouti », glisse sous le sceau de l’anonymat, un cadre du port de Bujumbura. Parfois, contraint d’arrêter momentanément leurs activités quotidiennes suite à la force des vagues, il explique : « En ce qui nous concerne, l’urgence c’est de protéger le quai (dispositif permettant le chargement et le déchargement de passagers et de biens au bord d’une étendue d’eau) afin qu’il ne soit pas endommagé.» A cet effet, assure-t-il, les projets d’étude sont déjà en cours. « L’objectif, ça sera de construire une digue faite de pierres de 5 m de hauteur à 15 m des rives en s’enfonçant de 10 m par rapport au niveau du lac ».

D’après lui, ladite digue s’étendra des bâtiments de la marine, en passant derrière les locaux de l’OBR en charge de l’immatriculation à la station de pompage de l’eau de la Regideso. « Cependant, bien qu’ils ne soient alternatifs, des travaux qui nécessitent un coût exorbitant ». A titre d’exemple, il fait savoir selon les 1ères estimations, la seule digue emportera plus de 50% du budget.

L’appel à proposition déjà lancé pour le financement de ces travaux. Présentement, il indique que l’ONG japonaise JICA et la BAD ont déjà manifesté leur intérêt.

« Seulement comme la solution est alternative, les bailleurs semblent traîner les pieds pour donner leurs avis », regrette-t-il. Néanmoins, au regard des efforts du gouvernement, il se veut optimiste. « Sur ce point, je ne doute guère qu’il va faire feu de tout bois pour disponibiliser les moyens ».

Une lueur d’espoir partagée par la Regideso. Parmi les travaux d’urgence, Innocent Nkurunziza, DG de l’eau à la Regideso indique que l’enrochement (les travaux pour retenir la terre, soutenir un talus ou faire des rocailles dans un jardin à pente) est un impératif. « Face aux eaux qui envahissent du jour au jour les terrains de notre station de pompage, le but sera d’éviter que le terrain ne continue pas de s’éroder ». Avant de poursuivre : « L’autre activité sera d’essayer de drainer les eaux à l’aide des canaux d’évacuation ».

Avec sept entreprises ayant déjà soumis leurs offres, M. Nkurunziza fait savoir qu’ils en sont à l’analyse de la méthodologie proposée. « Sauf surprise, mercredi 28 avril, on devrait procéder à l’ouverture des enveloppes après quoi on analysera leur proposition financière». Et de conclure : « Si rien ne change, après deux jours, l’entreprise qui a gagné le marché pourra débuter les travaux.»

« Il faut planifier à long terme »

Rencontre avec Bernard Sindayihebura, expert en topographie, aménagement du territoire et environnement. Il a fait une étude sur le lac Tanganyika.

Quelles sont les solutions face à cette montée du lac ?

Il faut d’abord identifier les sites qui sont vulnérables. Je citerai le port de Bujumbura. Selon les données d’avant-hier, il ne reste que 54 cm pour que l’eau puisse atteindre les 764 m et ça va inonder le littoral. La digue qui se trouve dans la partie sud du port de Bujumbura est déjà inondée. Les regards qui sont à l’intérieur sont déjà remplis d’eau. Ce qui est dangereux aussi, les fourreaux électriques qui sont à l’intérieur du port, on voit qu’une partie est déjà en contact. Lorsque ça va être totalement en contact, ça va constituer une bombe à retardement.

Concrètement ?

Il est donc urgent de réhabiliter la route reliant la flotte lacustre et le bâtiment abritant le service d’immatriculation de l’OBR. Il faut mettre aussi des enrochements dans la partie en aval pour arrêter le courant des vagues.

Le service de la marine m’a appris dernièrement que, depuis le 25 mai 2020, c’est là où le lac a commencé à atteindre le niveau le plus élevé. Avant, on n’avait jamais ça. Pour arrêter cela, la solution est d’y mettre des végétations, mais aussi des enrochements.

Au niveau du port de Bujumbura, à l’intérieur, dans la partie nord-ouest, on a deux types de digues, l’une bétonnée qui est en dur, qu’il faudra, après la crue, la hausser sur une hauteur d’environ de 50cm pour être en sécurité.

Est-ce que cela suffit pour protéger le port ?

Il y a une digue en maçonnerie qui s’est effondrée. L’eau a déjà pénétré à l’intérieur, il faudra réhabiliter cette partie.

Il y a le 3ème site qui est constitué par ce qu’on appelle digue enrochement qui se trouve au niveau des bâtiments de la marine. C’est cette partie qui bloquait la force des vagues. Maintenant, elle est presque sous l’eau. Si rien n’est fait pour la hausser la digue, ça signifie que les bateaux ne pourront plus accoster ou pourront sombrer dans l’eau.

La 3e troisième urgence concerne l’avenue du Japon qui longe le littoral. Donc, il est important de mettre les enrochements en aval. Une partie des blocs en béton qui protégeaient la base de la fondation s’est érodée.

Des installations de la Regideso semblent menacées. Que faire ?

Oui. Une grande partie qui protège une station de pompage de la Regideso (SP1) qui est construite sur du sable mouvant est maintenant menacée. On sera également obligé d’y mettre des roches. Mais également, il y a un dispositif qui est déjà sous l’eau qu’on appelle les paraplanches.

En général, pour protéger la station de pompage, il y a un dispositif technique qu’on avait mis, mais lorsqu’on a construit, on n’a pas tenu compte de cette hausse.

On nous a informés que s’il advenait que l’eau envahisse cette station, les pompes allaient s’arrêter et la ville risquerait de manquer de l’eau au moins pendant quatre mois. Heureusement, les techniciens ont été alertés et sont déjà à l’œuvre pour éviter cela.

Quid de la protection de la population ?

Il n’est pas possible de construire une digue de protection de Kabonga jusqu’au port. Ça sera en matière environnementale et sociale dénaturer le paysage. Par conséquent, ailleurs en général, on construit ce qu’on appelle les maisons temporelles en général. Par ailleurs, dans le schéma d’aménagement et de l’urbanisme qui est sorti en décembre 2014, il y a un autre schéma directeur.

C’est-à-dire ?

Un outil de planification ultérieure qu’on devrait suivre à l’horizon 2045. On disait que la bande du littoral devrait être une zone balnéaire et touristique. Une zone où on devait construire des hôtels touristiques mobiles.

Et on devait accorder des places sous condition. On devait utiliser ce qu’on appelle zonage en milieu urbain : zonage résidentiel, commercial, industriel.

Or, on n’a pas des parcs et espaces verts. Malheureusement, on a détruit ça au Burundi. On n’a pas ce qu’on appelle « le poumon d’oxygène ». Les grands zonages, les grands ensembles. Ils n’existent pas ici en ville.

La montée des eaux en 2018-2021 devrait nous servir de leçon. La situation est comme celle des crues de 1961-1964. Bref, pour s’en sortir il faut planifier à long terme.

Que dites-vous sur la délocalisation des riverains du lac ?

Je suis d’accord avec la délocalisation des ménages se trouvant dans les zones inondées. Mais il ne faut pas toujours trouver des solutions, mais il faut plutôt prévenir. Tenir compte des données scientifiques et des politiques durables.

Etes-vous optimiste que l’eau pourra reculer d’ici le mois de mai ?

Je suis optimiste que d’ici au mois de mai l’eau pourra reculer. Moi je ne suis pas un chercheur catastrophique. Tout ce que je dis c’est sur base de données scientifiques.

Est-ce possible que l’eau arrive au niveau de la 7e avenue de Buyenzi ?

Je pense que c’est faux. Il est vrai que l’eau a pu atteindre ce niveau. C’était à l’époque de Stanley, en 1878. L’eau ne pourra jamais arriver là.

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. B.mansour

    Engager des plans de reboisements aux abord du lac, notamment dans les zone de Kinindo ouest, et kabondo, cesse les exploitations de sable, pierre etc . dans les lits de rivières, cela empêchera que celles ci soit détourné de leurs lits initial, l’état doit jouer sont rôle de protecteurs de l’environnement, et faire cesser toute activité humaine à moins de 500 M du lac.

    Le bétonnage des cotes doit être interdit, sans cela le niveaux du lac ne cessera de monter.

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