Jeudi 28 mars 2024
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Evolution des droits de l’homme au Burundi depuis le 6 février 1991

Politique

Evolution des droits de l’homme au Burundi depuis le 6 février 1991


Un témoignage clé

Par Antoine Kaburahe

Antoine Kaburahe

D’apparence, il est distant. Eugène Nindorera impose déjà par sa taille de près de 1m 90 , C’était d’ailleurs un grand atout quand il jouait dans « Urunani », une brillante équipe de basket-ball de Bujumbura. Le basket est une passion pour ce juriste de 62 ans, né à Bujumbura en 1958 d’un papa médecin, diplomate, puis ministre. Sa diction parfaite de la langue française « trahit » ses origines, je n’oserais pas dire « bourgeoise », mais tout de suite, on comprend que l’on est en face d’un homme bien « éduqué » dans le sens global du terme.

Le juriste de formation parle peu, mais parle bien et sa conversation est toujours agréable et profonde. Et surtout, il connaît bien les arcanes de la politique burundaise : ministre des droits de l’homme pendant 4 ans de 1997 à 2001. Apprécié pour ses qualités professionnelles et humaines, après le Burundi, il va travailler pour le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme. Eugène Nindorera est envoyé au Togo en pleine ébullition. Après le décès d’Eyadema, les Togolais veulent « respirer ». Ce sera ensuite une mission dans un Liberia déchiré, puis la Côte d’Ivoire fracturée par « l’ivoirité » et la religion. Il terminera par le Soudan du Sud, une autre poudrière. Eugène Nindorera a beaucoup appris dans tous ces pays en crise.

Pendant plusieurs années, tenu par un devoir de réserve lié à son statut, Eugène Nindorera s’est tenu éloigné des médias. Aujourd’hui, retraité, il est libre de parler et nous lui avons demandé de nous parler des droits de l’homme dans son pays, le Burundi.

Pour la première fois depuis plusieurs années, il parle donc et nous partage son analyse de l’évolution de la situation des droits de l’homme. Car Eugène Nindorera a été un témoin et un acteur clé. C’est en effet un des douze membres fondateurs de la ligue ITEKA. Trois de ses collègues ont été assassinés, d’autres sont décédés. Quelque part, son article est aussi un hommage à ses compagnons. Il a aussi suivi de près le processus de paix qui a conduit à la signature de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation en août 2000.

Ce n’est pas un énième plaidoyer « droit-de-l’hommiste », ni une présentation « hagiographique » de ses camarades. C’est une analyse sans concession. Ainsi, il évoque sans faux fuyant le climat qui régnait parmi ces pionniers des droits de l’homme au Burundi : « Les débats sont parfois houleux et les pesanteurs ethniques et autres transparaissent dans les idées exprimées par les uns et les autres. Le poids de l’environnement dans lequel une personne a grandi et vécu pèse lourd dans sa vie privée et plus encore dans sa vie sociale ou politique », écrit-il. Il s’interroge sur la manière dont la question des droits de l’homme pourrait être abordée autrement pour espérer un réel changement.
Son témoignage est instructif pour tous ceux qui s’intéressent à la situation et l’évolution des droits de l’homme au Burundi.

Puissent d’autres acteurs politiques burundais lui emboîter le pas dans cette « libération de la parole » qu’Iwacu encourage vivement. Pour notre part, nous ne pouvons que lui souhaiter une retraite d’écriture pour nous partager un jour son expérience au Burundi et en Afrique…

06/03/2021
Eugene Nindorera Images : @Iwacu & ©Droitsréservés
Eugene Nindorera

Les deux premières organisations de défense des droits de l’homme, les ligues ITEKA (Dignité) et SONERA (Respect), ont été agréées le 6 février 1991. Trente après, je voudrais mener une réflexion personnelle sur l’évolution de la situation des droits de l’homme au Burundi au cours de ces trois dernières décennies. Je commencerais cette analyse succincte par évoquer le contexte général et je voudrais la conclure en tirant des leçons susceptibles de contribuer à insuffler les changements auxquels aspire la grande majorité des Burundais dans ce domaine. Tel est mon objectif principal en me livrant à cet exercice.

Mon analyse s’inspirera de mon expérience personnelle dont je voudrais signaler d’emblée trois faits marquants. Je suis un des douze membres fondateurs de la ligue ITEKA. Entre 1996 et 2001, une des périodes particulièrement troublées de ces trois dernières décennies, je fus membre du Gouvernement avec plusieurs portefeuilles, y compris celui des droits de la personne humaine à partir d’août 1997. Entre 2005 et 2020, j’ai eu le privilège de travailler pour le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme dans quatre pays africains en crise qui présentent des similitudes avec le Burundi sous certains aspects (Togo, Liberia, Côte d’Ivoire et Soudan du Sud). Cependant, ces missions en Afrique et certaines règles liées au statut de fonctionnaire international des Nations Unies m’ont quelque peu éloigné du Burundi. Enfin, tout en assumant mes choix et mes responsabilités au cours de ces trente années, je ne voudrais pas me servir de cette réflexion pour les justifier.

Evolution du contexte général entre 1991 et 2021
Le candidat du parti Frodebu, Melchior Ndadaye, assassiné trois mois à peine après son investiture.

Les cycles de violence et de violations graves et massives des droits de l’homme à forte connotation ethnique survenus au Burundi avant février 1991 ont eu un grand impact sur ces trois dernières décennies. Avant (et après) 1991, il est indéniable que des milliers de Burundais, Hutus et Tutsis confondus, ont été tués arbitrairement et gratuitement uniquement pour ce qu’ils sont (ethnie) et non pour ce qu’ils ont fait. Pourtant, une vive polémique est entretenue sur ces crimes contre l’humanité à cause des phénomènes de manipulation politicienne, de globalisation/subjectivité collective et d’indignation sélective jusqu’à vouloir attribuer à un seul groupe ethnique le monopole de la souffrance. Par exemple, il est regrettable de constater qu’en date du 29 avril de chaque année (en référence aux évènements de 1972), certains commémorent uniquement le génocide des Hutus, d’autres uniquement celui des Tutsis et pour une catégorie beaucoup moins importante de personnes, l’assassinat du dernier Roi du Burundi Ntare V.

Au Burundi comme dans beaucoup de pays africains, un processus de démocratisation de la vie socio-politique est enclenché en 1990 dans un environnement général caractérisé par des clivages ethniques prononcés.

Le multipartisme institué en 1992 conduit aux premières élections démocratiques organisées en juin 1993 et remporté aisément par un parti politique d’opposition, le Front pour la Démocratie au Burundi (FRODEBU). Quelques mois plus tard, le coup d’État sanglant du 21 octobre 1993 décapite les institutions issues des élections puisque le Chef de l’Etat Melchior Ndadaye, le Président de l’Assemblée Nationale Pontien Karibwami et son Vice-Président Gilles Bimazubute ont été assassinés (ces trois personnalités faisaient partie des douze membres fondateurs de la ligue ITEKA). Ce coup d’État plonge le Burundi dans une grave crise qui sera le point de départ d’une longue guerre civile. Les négociations politiques commencées secrètement avec le Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces pour la Défense de la Démocratie (CNDD-FDD) à Rome en 1997 vont précéder celles d’Arusha qui auront seulement lieu entre tous les partis politiques agréés, car le CNDD-FDD et la deuxième faction armée, le Parti pour la Libération du Peuple Hutu- Forces Nationales de Libération (PALIPEHUTU-FNL) n’y participent pas. Certes, l’Accord de Paix signé difficilement à Arusha le 28 août 2000 représente une avancée majeure dans le processus de paix, mais, en l’absence des principales factions armées, il ne peut pas mettre fin à la guerre civile. En définitive, le conflit armé prend quasiment fin avec la signature et la mise en œuvre des derniers accords entre le CNDD-FDD et le Gouvernement de transition ainsi que l’organisation de nouvelles élections en 2005. En réalité, la fin officielle du conflit armé n’intervient qu’avec la signature de l’Accord global de cessez-le-feu entre le Gouvernement et le PALIPEHUTU-FNL d’Agathon Rwasa le 7 septembre 2006. Les élections de 2005 sont remportées par le CNDD-FDD et de nouvelles institutions dominées par ce parti sont mises en place. Après 2005, le Burundi traverse une période relativement paisible jusqu’en 2015 lorsque la question du “troisième mandat” du Président en exercice provoque une nouvelle crise.

« l’Accord de Paix signé difficilement à Arusha le 28 août 2000 représente une avancée majeure dans le processus de paix »

Chacune de ces crises s’accompagne généralement d’un départ en exil de Burundais dont le nombre varie en fonction de la gravité de la crise, de l’importance et de l’état d’esprit des groupes de personnes qui sont ciblés ou qui ne se sentent pas en sécurité à cause du Gouvernement en place et de ses forces de répression.

 

Evolution de la situation des droits de l’homme depuis 1991

Au cours de ces trois dernières décennies, les principales violations des droits de l’homme sont les atteintes/violations du droit à la vie, y compris des crimes contre l’humanité, les exécutions extra-judiciaires, les viols, la torture, les arrestations et détentions arbitraires, y compris dans des lieux de détention illégaux, les atteintes aux libertés fondamentales (expression, opinion, presse, association, mouvement), l’impunité, et une justice partiale, inefficace et instrumentalisée. Cependant, leur intensité et leur gravité ont varié sensiblement d’une période à une autre.

Cette situation va être analysée suivant une grille de lecture qui comporte généralement les éléments suivants : le contexte spécifique (y compris l’ampleur des violations/abus des droits de l’homme), le cadre légal ainsi que le rôle et les responsabilités des différents acteurs impliqués dans la protection ou la promotion des droits de l’homme au Burundi. La manière dont les principes de base d’un État de droit sont respectés sera également prise en compte. Dans un véritable État de droit, n’importe quelle décision d’une autorité publique doit avoir une base légale bien précise, être conforme aux droits fondamentaux de toute personne humaine, provenir d’une autorité compétente, être appliquée équitablement et pouvoir être contestée devant un juge indépendant.

Le contexte spécifique développe le contexte général évoqué précédemment, car les éléments du contexte conditionnent les autres facteurs de la grille proposée, et ils s’influencent mutuellement. S’agissant du cadre légal, il est la résultante d’une combinaison de facteurs dont les trois éléments essentiels sont le contexte, la volonté politique des pouvoirs exécutif et législatif ainsi que les rapports de force au sein de la société burundaise et l’influence de la communauté internationale. Bien entendu, la mise en œuvre d’une loi dépend du jeu des acteurs et de leur force respective.

Tout au long de cette réflexion, j’attacherai une attention particulière au pouvoir exécutif compte tenu de sa responsabilité première en matière de protection des droits de l’homme et de sa main mise effective, la plupart du temps, sur les pouvoirs législatif et judiciaire. Lorsque le Gouvernement et ses services commettent des crimes et des violations des droits de l’homme, ils engagent ainsi leur responsabilité et doivent répondre de leurs actes. Cette responsabilité peut être politique, administrative, civile (« l’Etat a l’obligation d’indemniser toute personne victime de traitement arbitraire de son fait ou du fait de ses organes – article 33 de la Constitution de 2018) ou pénale bien que cette dernière soit essentiellement individuelle. Par ailleurs, le commanditaire d’un crime ou d’une violation pourra être inculpé si des preuves confirmant son rôle sont produites. Pour l’Exécutif, sa responsabilité ne couvre pas seulement les actes illégaux commis (action), mais aussi les actes qui ont été omis (inaction) alors qu’il avait le devoir d’agir. Une de ces omissions consiste à ne pas identifier et/ou poursuivre les auteurs de crimes, en particulier les crimes graves, pour les mettre hors d’état de nuire et protéger ainsi la société. C’est le phénomène de l’impunité dont on ne mesure pas toujours l’étendue de ses conséquences dramatiques dans n’importe quelle société.

Au niveau des organisations de la société civile dont je vais parler dans mon analyse, ce sont uniquement les associations sans but lucratif qui œuvrent dans le secteur qui couvre les droits et les sujets indiqués au début de ce chapitre. Selon la définition que l’on donne de la société civile, j’aurais pu inclure les confessions religieuses, mais j’ai opté pour les exclure de mon champ d’analyse. Pour certains auteurs, ces Associations Sans But Lucratif (ASBL) évoluent dans le domaine de la « gouvernance politique ». Concernant les médias, la notion de médias publics mérite une attention particulière, car ils sont trop souvent considérés exclusivement comme des organes de propagande de l’État. Ces médias étant un service public, ils devraient être au service de l’ensemble de la population, y compris des personnes qui se déclarent opposées au Gouvernement.

Au Burundi comme dans d’autres pays africains, il existe des organisations et des médias qui sont l’émanation des pouvoirs publics et/ou sont instrumentalisés par eux. Je vais donc m’intéresser à l’ensemble de ces organisations/médias en m’interrogeant principalement sur la manière dont ils fonctionnent par rapport aux valeurs de professionnalisme et d’éthique qui sont les facteurs les plus importants pour promouvoir la cause des droits de l’homme.

Me référant au contexte général, ces trente dernières années peuvent être subdivisées en trois périodes charnières, à savoir du 06 février 1991 au 20 octobre 1993, du 21 octobre 1993 (coup d’état plus assassinat du Président élu Melchior Ndadaye et leurs conséquences) au 25 août 2005 et du 26 août 2005 (date de l’investiture du Président élu Pierre Nkurunziza) au 21 février 2021.

 

Période allant du 06 février 1991 au 20 octobre 1993

Contexte spécifique

La création des ligues des droits de l’homme le 06 février 1991 s’inscrit dans le cadre du processus de démocratisation de la vie socio-politique et survient au lendemain de l’adoption par référendum de la Charte de l’Unité Nationale, ce qui n’est pas une coïncidence.
Le risque de voir les clivages ethniques s’exacerber par le jeu des partis politiques était tel que le Gouvernement essaie de mettre en place des balises multiples susceptibles de prévenir une confrontation violente entre les deux principaux groupes ethniques. Parmi ces balises potentielles figurent notamment l’adoption préalable de la Charte de l’Unité Nationale qui est le couronnement d’un processus de consultation sur la question de l’unité nationale, l’agrément des deux ligues des droits de l’homme le même jour (l’une est dite proche du Gouvernement et l’autre proche de l’opposition).

Pour les incidents majeurs à caractère politico-ethnique survenus pendant cette période, ils sont relativement mineurs (novembre 1991 et avril 1992) et impliquent le Parti pour la Libération du Peuple Hutu (PALIPEHUTU) qui mène des opérations militaires ponctuelles à l’intérieur du pays depuis quelques années. La seule dénomination de ce parti en dit long sur les idées qui prévalaient à cette époque et reflète déjà la forte dimension ethnique du conflit burundais. Avant les incidents de 1991-1992, en août 1988, les évènements controversés de Ntega-Marangara dans le nord du pays ont laissé des traces quasi indélébiles dans les mémoires. Des tueries et des représailles sanglantes et disproportionnées des forces de l’ordre font plus de 5000 morts. Suite à une lettre ouverte adressée au Chef de l’Etat, 27 intellectuels hutus sont qualifiés d’extrémistes hutus et sanctionnés diversement, y compris par la prison pour sept d’entre eux. Pourtant, ils ne font qu’exprimer leurs préoccupations et leur point de vue. Une de leurs recommandations, à savoir l’organisation d’un débat sur la question ethnique, sera prise en compte par le régime du Président Pierre Buyoya.

En effet, la veille de l’agrément des ligues ITEKA et SONERA, la Charte de l’Unité Nationale est adoptée par référendum, à l’issue d’un processus piloté par la Commission Nationale chargée d’étudier la question de l’Unité Nationale dont la composition est paritaire entre Hutus et Tutsis. L’un des objectifs de ce processus est d’atténuer les tensions ethniques avant de passer au multipartisme et d’organiser les premières élections pluralistes depuis celles de mai 1965. Cependant, à peine les partis politiques et les médias privés sont-ils agréés que les échéances électorales se profilent déjà à l’horizon, ce qui contribue plutôt à amplifier ces tensions.

Cadre légal

Le multipartisme pouvant attiser les clivages ethniques, ce risque est pris en compte dans l’élaboration du nouveau cadre constitutionnel et légal indispensable pour démocratiser le système institutionnel. Promulgués au cours de cette période, la Constitution du 09/03/1992 qui consacre le multipartisme, le décret-loi sur les partis politiques du 15/04/1992, le décret-loi portant code électoral du 16/03/1993, le décret-loi sur les Associations Sans But Lucratif (ASBL) du 18/04/1992, le décret-loi régissant la presse du 04/02/1992 ou encore le décret-loi portant règlementation des manifestations sur la voie publique et réunions publiques du 04/12/1991, sont autant d’exemples de textes juridiques fondamentaux qui confirment cette approche du Gouvernement.

Organisations de la société civile et médias

Des cadres organisés comprenant des Hutus et des Tutsis pour discuter des questions sensibles comme les discriminations au Burundi sont rares. Les plus connus sont la ligue ITEKA et l’ACPB (Association Culturelle pour le Progrès au Burundi). Les débats sont parfois houleux et les pesanteurs ethniques et autres transparaissent dans les idées exprimées par les uns et les autres. Le poids de l’environnement dans lequel une personne a grandi et vécu pèse lourd dans sa vie privée et plus encore dans sa vie sociale ou politique. Par exemple, épouser une personne de l’autre ethnie ou défendre les droits d’une personne de l’autre ethnie peut vous marginaliser et vous éloigner de votre entourage, un risque que beaucoup de personnes ne veulent pas ou n’osent pas prendre. La ligue ITEKA a lancé un programme d’assistance judiciaire où il fallait surtout défendre des personnes membres du PALIPEHUTU-FNL. Pour un avocat tutsi, ce n’était pas une décision facile à prendre et la ligue a privilégié le recours à des avocats internationaux en première ligne. Certains reprochaient même à la ligue d’avoir mis en place ce programme, car, disaient-ils, de tels criminels ne méritent pas d’être défendus. Au sein de la ligue ITEKA, certains communiqués publics ont fait l’objet de longues discussions et ces pesanteurs ont, dans une certaine mesure, influé sur la recherche d’une formulation consensuelle (une forme d’équilibrisme) qui tenait compte des sensibilités des uns et des autres sans pour autant déformer les faits. Par exemple, si une déclaration portait sur un incident majeur imputable à un des protagonistes principaux, elle pouvait également faire allusion à un incident moins important dont l’autre protagoniste était responsable pour ne pas donner l’impression d’avoir un parti-pris. De cette manière, la ligue a peut-être pu éviter de grosses tensions internes. Après un an d’activités intenses et un nombre d’adhérents en continuelle augmentation, la création des partis politiques constitue un nouveau centre d’attraction qui affecte la ligue dans son développement. C’est autour des activités des partis politiques que se posent les questions importantes et sensibles des droits de l’homme et c’est un défi de taille de les traiter sereinement dans une société aussi polarisée.

S’il est vrai qu’au niveau des médias publics les journalistes sont soumis aux fortes pressions de leur hiérarchie en termes de ligne éditoriale ou de censure, certains font des efforts et résistent pour faire honneur à leur profession et à leur déontologie, ce qui a pu leur valoir d’être mal vus ou sanctionnés plus ou moins sévèrement. Avec la promulgation du décret-loi régissant la presse du 04/02/1992 et le décret-loi sur les partis politiques du 15/04/1992, les conditions sont réunies pour créer des journaux privés qui vont tout de suite s’engager dans une forme de pré-campagne électorale et se confronter aux contraintes et défis multiformes liés au fonctionnement d’un journal.

 

Période allant du 21 octobre 1993 au 25 août 2005

Contexte spécifique

Pendant toute cette période, les principales violations/abus des droits de l’homme ont varié de manière significative et dégressive dans le temps, et cela en fonction de l’évolution de l’environnement socio-politique et sécuritaire. J’ai subdivisé la période en trois phases : (i) du 21 octobre 1993 au 24 juillet 1996 ; (ii) du 25 juillet 1996 (coup d’État) au 15 novembre 2003 ; (iii) du 16 novembre 2003 (Accord global de cessez-le-feu entre le Gouvernement de Transition et le CNDD-FDD) au 25 août 2005 (veille de la date de l’investiture du Président élu Pierre Nkurunziza).

« Deux Présidents du FRODEBU succèdent à Melchior Ndadaye, mais n’ayant pas d’emprise réelle sur l’armée et la police, le contrôle effectif du pouvoir leur échappe »

(i) Du 21 octobre 1993 au 24 juillet 1996 : Le coup d’État du 21 octobre 1993 et les assassinats des personnalités à la tête des pouvoirs exécutif et législatif sont suivis par des tueries massives sur une grande partie du territoire. Ces évènements provoquent une crise grave et un blocage institutionnel lequel va inciter les forces politiques à recourir à des arrangements politiques consensuels pour prétendre débloquer la situation. Deux Présidents du FRODEBU succèdent à Melchior Ndadaye, mais n’ayant pas d’emprise réelle sur l’armée et la police, le contrôle effectif du pouvoir leur échappe. Le dysfonctionnement des institutions dans une ambiance délétère entre protagonistes et/ou « partenaires » favorise l’émergence de nouvelles forces et accentue le jeu des rapports de force. Des scènes de violence emportant des vies humaines s’observent au quotidien et conduisent à la « balkanisation » de certains quartiers de Bujumbura (ces quartiers deviennent quasi mono-ethniques ou des « ghettos ethniques »). Il ne serait pas excessif d’affirmer que le pouvoir est dans la rue au début de cette période. Des groupes de jeunes bénéficiant de la complaisance voire de la complicité des forces de l’ordre et de certains politiciens font la pluie et le beau temps à Bujumbura, notamment lors des opérations dites « ville morte ». Ils arrivent aussi à dicter leur volonté au parti UPRONA (Union pour le Progrès National) et le FRODEBU les craint. La descente aux enfers se poursuit. Elle est facilitée par des acteurs appartenant aux deux camps protagonistes et agissant dans l’ombre.

Des personnes n’hésitent pas à lancer, ouvertement et impunément, des appels à la haine et à la violence lors de meetings divers ou à travers les médias. Des journaux de l’époque publient les extraits suivants : « Ils se sont sentis engagés dans le dilemme « tuer ou être tués », tuer ou être asservis encore une fois, et pour toujours. Rien n’a donc été enseigné à ce peuple longtemps meurtri, un ressort trop comprimé a brusquement réagi. Faites plutôt qu’il ne redevienne furieux ; car il a pu évaluer ce dont il est capable. Et si c’était à refaire, il n’hésitera à le faire ». Ou encore : « Que des gens pareils nous tuent, continuent à nous menacer de mort et continuent à nous diriger, ils ne le feront que parce que nous n’aurons pas pu les en empêcher. Et il n’est pas question seulement de les chasser du pouvoir, il faudra qu’ils rendent compte de leurs forfaits. S’ils ne le font pas de leur vivant, ce seront leurs descendants ». Cette réflexion d’Albert Camus prend tout son sens dans ce contexte : « il y a quelque chose de plus abject encore que d’être un criminel, c’est de forcer au crime celui qui n’est pas fait pour lui » (extrait de la pièce de théâtre « Les justes »).

Avec la création et l’opérationnalisation du CNDD-FDD qui rejoint le PALIPEHUTU-FNL sur le terrain de la lutte armée, la guerre civile prend une tout autre dimension. Les populations civiles en sont les principales victimes. Une fois de plus, le seuil intolérable est franchi puisque de nombreux Hutus sont tués par les Forces Armées Burundaises (FAB) et des groupes de jeunes tutsis pendant que de nombreux Tutsis sont tués par les groupes rebelles hutus, et ce uniquement à cause de leur appartenance ethnique. D’autres violations ou abus graves commis à grande échelle contre les populations civiles leur sont imputables.

(ii) Du 25 juillet 1996 (coup d’État) au 15 novembre 2003 : C’est dans cette atmosphère de chaos quasi généralisé que l’ex-Président Pierre Buyoya revient au pouvoir à la faveur d’un nouveau coup d’État survenu le 25 juillet 1996. En plus des institutions qui sont destituées ou suspendues, les premières mesures portent gravement atteintes aux droits civils et politiques des responsables et partis politiques et des citoyens. Cependant, sous la pression des pays de la sous-région, qui imposent un embargo au Burundi, et de la communauté internationale, les suspensions de l’Assemblée Nationale et des partis politiques sont immédiatement levées. Beaucoup de Burundais réclament aussi le retour à la légalité constitutionnelle. Certaines restrictions dans l’exercice des libertés individuelles sont toutefois maintenues et plusieurs lois relatives aux libertés publiques de 1992 sont amendées (loi du 27 novembre 2003 régissant la presse au Burundi qui majore les peines encourues pour délit de presse et ajoute deux sujets à ne pas traiter). Le nouveau Gouvernement, y compris ses forces de défense et de sécurité, met progressivement fin au grand désordre qui régnait à Bujumbura et beaucoup de jeunes sont intégrés dans le nouveau Service Militaire Obligatoire (SMO) dont le programme de formation civique sera conçu et mis en œuvre avec beaucoup de retard. Or, apprendre aux jeunes le maniement des armes sans leur donner une formation civique adéquate est dangereux.

Sur le plan politique, le Gouvernement entame des négociations secrètes avec le CNDD-FDD alors qu’une bonne partie des forces civiles et militaires qui sont à l’origine du changement de 1996 est fermement opposée à des négociations avec les mouvements rebelles. Dans sa communication interne, le Gouvernement parle délibérément de « dialogue avec les factions armées » alors qu’il utilise le terme « négociation » dans sa communication avec le monde extérieur. Une fois rendus publics, ces pourparlers se terminent en queue de poisson sans résultats tangibles. En 1998, des négociations internes avec le FRODEBU permettent à ce parti politique de réintégrer le Gouvernement. Sous la médiation successive des ex-Présidents Julius Nyerere et Nelson Mandela, les négociations politiques impliquant le Gouvernement de transition et tous les partis politiques agréés aboutissent à l’Accord de Paix d’Arusha du 28 août 2000 que sept partis politiques de la même mouvance (« G10 ») signent avec réserve. Les factions armées n’étant pas signataires de l’accord politique, celui-ci ne met pas fin aux hostilités. Cependant, la mise en œuvre de cet accord permet de mettre en place des institutions de transition plus inclusives chargées de poursuivre les négociations avec les groupes armés. Ce processus conduit à des accords sécuritaires et politiques avec le CNDD-FDD en 2002 et 2003 ainsi qu’à leur intégration au Gouvernement de Transition en novembre 2003.

Pour compléter cette vision panoramique, je voudrais faire trois observations : primo, la guerre civile qui s’accompagne toujours de son lot de graves violations/abus de droits de l’homme s’étend sur plusieurs phases. Le soutien ou le contrôle des populations constitue un enjeu majeur pour les protagonistes d’une guerre civile. A partir de 1997, dans plusieurs localités du pays et à Bujumbura Rural en particulier, le Gouvernement procède au regroupement forcé des populations dans des sites invivables où l’assistance humanitaire fait défaut ou leur est accordée dans des conditions déplorables. Cela ne leur permet pas de satisfaire leurs besoins les plus élémentaires et les droits fondamentaux des déplacés sont violés gravement, y compris le droit à la vie.

Secondo, le niveau de dysfonctionnement des gouvernements qui se sont succédé est également variable et mérite d’être analysé à la loupe. Il y avait relativement peu de cohésion à l’intérieur de ces gouvernements même (surtout) lorsqu’ils étaient qualifiés de « Gouvernement d’Union Nationale ». Il n’était pas rare que certaines décisions gouvernementales importantes soient prises dans des petits cercles fermés à l’intérieur du Gouvernement ou en dehors du Gouvernement, dictées parfois par des personnages ou des forces occultes n’ayant aucune prérogative légale et/ou officielle. En période de tensions aiguës, la méfiance tend généralement à l’emporter sur la confiance.

Tertio, la communauté internationale sous ses multiples formes a accompagné le Burundi en exerçant des pressions sur les différents protagonistes, en leur prodiguant des conseils, en assurant la médiation et en apportant les appuis techniques et financiers nécessaires pour faire avancer un processus de paix complexe. Globalement, la médiation quelque peu musclée du Président Nelson Mandela a été salutaire pour le Burundi qui lui doit toute sa reconnaissance.

(iii) Du 16 novembre 2003 (Accord global de cessez-le-feu entre le Gouvernement de Transition et le CNDD-FDD) au 25 août 2005 (veille de la date de l’investiture du Président élu Pierre Nkurunziza)

Cette phase est courte, mais elle comprend plusieurs évènements majeurs. L’Accord global de cessez-le-feu entre le Gouvernement de Transition et le CNDD-FDD signé le 16 novembre 2003 est suivi dans la foulée par un remaniement ministériel qui voit l’entrée de membres du CNDD-FDD au sein du Gouvernement de Transition. Dans l’esprit de la grande majorité de la population, ces deux derniers évènements constituent un pas de géant vers la fin du conflit armé. Seul le PALIPEHUTU-FNL dont la force de frappe est limitée reste en dehors du processus. Le 18 mars 2005, une nouvelle Constitution approuvée par référendum le mois précèdent est promulguée. Entre juin et août 2005, des élections organisées au suffrage direct (communales, législatives) et indirectes (sénatoriales, présidentielles) ont lieu et les ajustements pour atteindre les quotas constitutionnels au niveau des ethnies et du genre sont effectués. Le CNDD-FDD est le grand vainqueur de ces élections, suivi par le FRODEBU (moins de 50% des voix du CNDD-FDD) et, loin derrière, l’UPRONA et le CNDD. Ces résultats reflètent une reconfiguration significative des forces politiques d’autant plus qu’un bon nombre des Tutsis élus sont membres du CNDD-FDD.

Organisations de la société civile et médias

Le processus de démocratisation a favorisé leur éclosion et leur foisonnement. Les premières organisations de la société civile voient le jour en 1991. Elles seraient 1405 en 2003 (d’après Désiré Manirakiza, « Société civile et socialisation démocratique au Burundi. Retour sur une complicité ambiguë », 2018) alors qu’elles n’étaient que 116 en 1993 avec un nombre d’ASBL œuvrant dans le secteur de la gouvernance politique qui oscillerait autour de 10% du nombre global (d’après Guillaume Ndayikengurukiye, « A la découverte d’un acteur ambivalent : les organisations de la société civile dans la défense des droits de l’homme au Burundi post-conflictuel [2005-2015] »).

Au-delà des pesanteurs ethnico-politiques qui demeurent omniprésentes durant toute cette période, les trois premières années sont caractérisées par un chaos quasi généralisé, un État dysfonctionnel et des forces de l’ordre partisanes qui commettent les pires crimes au grand jour. Celles-ci sont de connivence avec les jeunes groupes armés qui terrorisent les populations en toute impunité. En effet, personne n’est en sécurité et les forces de l’ordre ainsi que la justice sont absentes ou inefficaces lorsqu’il s’agit de protéger les populations et rendre justice. Les victimes ne veulent pas porter plainte à la police, car celle-ci est impuissante et un bon nombre de ses éléments étant de mèche avec les malfaiteurs, cette initiative risquerait d’être préjudiciable aux victimes. Dans ces conditions, la marge de manœuvre des organisations et des médias est forcément étroite. Les plus audacieux, individuellement ou collectivement dans le cadre de leur organisation ou médium, dénoncent les faits graves qui se passent quotidiennement. Néanmoins, peu d’entre eux vont jusqu’à nommer précisément les auteurs de ces crimes intolérables, car le risque de devenir leur victime à cause de cette dénonciation est réel. Cela n’est malheureusement pas une hypothèse d’école. Par ailleurs, l’environnement de cette phase fait des tueurs des personnes qui sont encensées par certains. Des médias (journaux et radios) s’en donnent à cœur joie pour distiller le venin de la haine et inciter à la violence. Celles et ceux qui prônent ouvertement la voie des négociations pour résoudre le conflit burundais sont ciblés, intimidés, menacés, voire éliminés par les forces et les groupes radicaux.

Après le coup d’état de juillet 1996, les enjeux majeurs dans les relations entre le Gouvernement et les organisations de la société civile ainsi que les médias restent fondamentalement les mêmes avec quelques légères variantes. En effet, les gouvernements successifs sont intolérants aux critiques des ONGs et des médias qui mettent en exergue les violations dont ils sont responsables. Ils leur refusent l’accès à l’information sur des sujets essentiels ou l’accès à des lieux qui ont été le théâtre de violations graves. Ils leur dénient tout contact avec les groupes armés et toute communication sur leurs activités. Ils restreignent les libertés dans le but de contrôler les ONGs et les médias dont le nombre a augmenté considérablement pendant cette période. Les intimidations et les menaces, ouvertes ou voilées, sont monnaie courante. Des journalistes sont arrêtés arbitrairement. Le point culminant reste la déclaration d’un ministre de la défense invitant les militaires à traiter comme des rebelles, les journalistes qui couvraient la guerre civile et essayaient d’en donner une information objective et équilibrée, notamment en contactant ces mouvements et en leur donnant la parole. Dans le contexte de l’époque, les militaires avaient tendance à tuer les rebelles plutôt que d’en faire des prisonniers.

Au cours des négociations d’Arusha, la question de la participation des organisations de la société civile et spécialement des organisations de femmes se pose avec acuité. Dans un premier temps, la majorité des partis politiques s’y oppose, mais, très rapidement, la pression exercée par l’équipe de la médiation et la communauté internationale fait que cette idée est validée. Dans une seconde phase, la désignation de leurs représentants suscite des controverses et leur légitimité ainsi que leur impartialité sont mises en cause dans un processus de négociations qui a vite évolué en une confrontation entre deux blocs, le « G7 » dit Hutu et le « G10 » dit Tutsi (des Hutus de l’UPRONA essaient vainement de s’opposer à ce glissement contraire aux idéaux du parti et qui les met dans une situation fort inconfortable). Après la signature de l’Accord d’Arusha, l’environnement devient propice à la multiplication des organisations de la société civile et les bailleurs de fonds vont augmenter leurs financements en faveur des ONG et des radios. Ces fonds attirent du monde (y compris des opportunistes) d’autant plus que les conséquences économiques de la guerre civile sur la satisfaction des besoins fondamentaux des populations et des fonctionnaires sont désastreuses et qu’un emploi dans une ONG nationale ou internationale apparait comme une solution alternative fort intéressante pour améliorer son niveau de vie.
Au niveau du paysage médiatique, il s’opère un changement significatif en relativement peu de temps. Les médias de la haine disparaissent progressivement pendant qu’apparaissent de nouveaux médias, en particulier des radios, qui mettent en avant le professionnalisme et s’inscrivent dans une dynamique de paix et de réconciliation (Umwizero/Bonesha, RPA, Isanganiro, Studio Ijambo et d’autres). Compte tenu de la couverture géographique de ces médias, cette évolution constitue une avancée substantielle dans le domaine des droits de l’homme d’autant plus que ces radios permettent aux organisations et aux victimes des droits de l’homme de s’exprimer librement sur leurs antennes et de s’adresser ainsi aux populations. Des organes de presse et des journalistes dont certains sont sous sanction aujourd’hui, ont milité, pris des risques et même été sanctionnés pour que le CNDD-FDD et le PALIPEHUTU-FNL puissent exprimer leurs points de vue sur les questions qui divisent les Burundais. Enfin, Ces radios opèrent généralement grâce à l’appui des partenaires extérieurs.

Rôle de la communauté internationale

La communauté internationale exerce des pressions multiformes sur les gouvernements successifs pour qu’ils concluent un accord de paix qui tienne compte des préoccupations et des revendications de toutes les parties, y compris des ONG. Elle cherche notamment à mettre fin à certaines violations ou modifier certaines lois restrictives affectant les libertés fondamentales des citoyens. Elle renforce la position des acteurs qui veulent promouvoir l’État de droit et les droits de l’homme au Burundi. Pendant une période relativement longue, l’appui financier et matériel de la communauté international en général est destiné en priorité aux organisations de la société civile et aux médias privés. Celles-ci bénéficient de financements importants, voire exorbitants, ce qui leur donne la possibilité d’étendre leurs programmes d’activités et de les décentraliser en s’implantant aussi à l’intérieur du pays. Cela explique en partie leur foisonnement pendant cette période. Cependant, ce développement impressionnant comporte ses risques et ses défis. Ce secteur génère des emplois et des revenus lesquels attirent du monde. Des problèmes de gouvernance, de leadership et de rigueur dans la gestion des fonds reçus fragilisent et décrédibilisent certaines ONG.

Evolution des opinions

Concernant l’évolution des opinions, la bipolarisation ethnico-politique est déjà extrême à l’issue du processus électoral de juin 1993. Elle montera en puissance avec le coup d’État et l’assassinat du Président Melchior Ndadaye du 21 octobre 1993.

« Les jeunes séminaristes hutus et tutsis ont refusé de se séparer et ont été tués par les rebelles. »

Dans un tel environnement et même lorsque ces clivages vont s’estomper, il est important de souligner les nombreux cas de solidarité inter-ethnique et d’attachement aux valeurs humaines qui jalonnent l’histoire du conflit burundais. On ne parle pas assez de ces personnes anonymes, Hutus et Tutsis confondus, qui ont pris des risques jusqu’à perdre ou risquer leur vie pour venir en aide à leurs semblables indépendamment de leur appartenance ethnique ou politique. Sans doute ces personnes ne veulent-elles pas de publicité, car, dans certaines circonstances, cela aurait pu leur causer de gros ennuis et, de toute façon, cela n’était pas leur motivation. Ces actes sont au moins connus des personnes qui en ont tiré un grand bénéfice et qui leur en sont reconnaissantes. En voici quelques exemples parmi tant d’autres, connus ou inconnus : des personnes d’une ethnie ayant protégé et sauvé la vie de leurs voisins d’une autre ethnie ; des militaires ayant libéré et mis à l’abri des personnalités qui auraient pu également être exécutées le 21 octobre 1993 ; des militaires ou des rebelles ayant désobéi à leur supérieur qui leur avait donné l’ordre de tuer des innocents ; un officier ayant choisi de s’exiler plutôt que de cautionner un coup d’État sanglant et irresponsable ; les séminaristes de Buta ayant préféré mourir unis que de laisser les rebelles les diviser sur une base ethnique. Incontestablement, toutes ces personnes sont de véritables défenseurs des droits humains et elles mériteraient d’être mises en valeur, moyennant leur accord, pour servir de modèle dans une société en manque de repères.

De manière générale, les mentalités et les opinions publiques évoluent en fonction de plusieurs facteurs parmi lesquels l’évolution du contexte socio-politique figure en bonne place. Je voudrais donner l’exemple du Centre Jeunes Kamenge (CJK) où j’ai animé beaucoup de débats de jeunes sur la nature du conflit burundais entre 1993 et 2005, année à partir de laquelle j’ai commencé à m’absenter du Burundi pendant des périodes relativement longues. Il n’est peut-être pas superflu de rappeler que le CJK est au centre de quatre quartiers au nord de la ville de Bujumbura, à savoir Cibitoke, Kamenge, Kinama et Ngagara. En conséquence, le CJK regroupait des jeunes hutus et tutsis. Les questions au cœur du débat étaient simples : “ DUPFA IKI ?” (Pourquoi sommes-nous en désaccord ?) Pourquoi toute cette violence ? Pourquoi tous ces morts ? Au début de ladite crise, les jeunes étaient presque unanimes pour dire qu’il s’agissait d’un conflit entre Hutus et Tutsis. Mes tentatives pour atténuer cette position étaient vaines et je pouvais même me faire huer, car mes propos étaient considérés comme des hérésies ou une tentative de les manipuler. Vers 2004, la situation avait changé de manière assez significative et je devais intervenir à plusieurs reprises pour que celui ou celle qui mettait en avant la dimension ethnique du conflit puisse exprimer son opinion librement. Ce jeune était accusé d’être manipulé par les hommes politiques et de n’avoir encore rien compris au conflit burundais qui, pour les jeunes de 2004, était avant tout un problème de politiciens avides de pouvoir, manipulateurs, privilégiant leurs intérêts personnels [“amaronko” (biens), “inda zabo” (leurs ventres), “ibiti” (postes), “amahera” (argent), tels sont les termes en kirundi utilisés par les participants].

Période allant du 26 août 2005 au 21 février 2021

Contexte spécifique

A l’issue des élections de 2005 qui ont été qualifiées de libres, inclusives et crédibles, une véritable reconfiguration du paysage politique s’opère. Au-delà de la victoire incontestable du CNDD-FDD, ancienne rébellion dite Hutu, l’ancien parti unique UPRONA obtient des scores extrêmement faibles et, à part le Mouvement pour la Réhabilitation du Citoyen (MRC), les partis dits tutsis ne sont pas représentés dans les institutions nationales. Le FRODEBU devient le principal parti d’opposition avec à peine 25% des voix aux élections communales et à celles de l’Assemblée Nationale. Par ailleurs, suite à la fusion des forces protagonistes durant le conflit, la recomposition des forces de défense et de sécurité constitue une donne importante et apporte ainsi une dimension sécuritaire à cette reconfiguration. De tels changements sont porteurs d’espoir d’autant plus qu’ils contribuent à atténuer la dimension ethnique du conflit et qu’ils sont accueillis favorablement par la communauté internationale qui apporte un soutien significatif au nouveau Gouvernement. La gratuité de l’enseignement primaire et des soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans ainsi que pour les mères qui accouchent est une avancée significative sur le plan de la satisfaction des besoins fondamentaux des populations burundaises. Toutes les conditions semblent réunies pour faire avancer le Burundi sur le chemin de la paix et du développement.

Cependant, les dysfonctionnements au sein des institutions apparaissent immédiatement, en partie du fait que l’homme fort du régime est en réalité le Président du Parti CNDD-FDD Hussein Rajabu qui intervient de manière intempestive dans la gestion quotidienne du pouvoir. Toutes les nominations passent par lui et le Burundi s’enlise dans une dérive autoritaire. La violence politique réapparait au lieu de consolider les avancées du processus de paix et de réconciliation. En juillet-août 2006, les arrestations et détentions de l’ancien Président de la République Domitien Ndayizeye (FRODEBU) et l’ancien Vice-Président de la République Alphonse Kadege (UPRONA) en sont les faits les plus marquants sur le plan symbolique. Une vidéo montrant les tortures et mauvais traitements infligés à ce dernier fait le tour du monde. La volonté de museler l’opposition est manifeste.

Par ailleurs, l’Accord global de cessez-le-feu entre le Gouvernement et le PALIPEHUTU-FNL d’Agathon Rwasa est signé le 7 septembre 2006 dans un climat de méfiance réciproque. En réalité, le PALIPEHUTU-FNL va continuer à mener des opérations militaires de faible envergure sur le territoire burundais jusqu’en 2008.

Au sein des institutions et du parti au pouvoir, les dysfonctionnements et les divisions atteignent assez rapidement un niveau critique et vont déboucher sur la destitution de Radjabu Hussein à la tête du parti lors de son Congrès national extraordinaire tenu en février 2007. Il s’ensuit une scission ouverte au sein du groupe CNDD-FDD à l’Assemblée Nationale lui faisant ainsi perdre sa majorité parlementaire, l’arrestation d’Hussein Radjabu en fin avril 2007 pour atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat ainsi que l’éviction illégale des parlementaires proches d’Hussein Radjabu en mai 2008. Entretemps, cet imbroglio permet des développements multiformes qui ont conduit à une crise institutionnelle majeure impliquant aussi le PALIPEHUTU-FNL, le FRODEBU et l’UPRONA. Pour trouver une issue à cette crise, un dialogue politique est incontournable, mais il peine à se concrétiser et les résultats sont peu significatifs. L’approche des élections de 2010 contribue à détériorer davantage le climat politique.

« Son assassinat est un acte fort pour intimider la société civile »

Face à cette dérive autoritaire, des organisations de la société civile et des médias élèvent la voix pour dénoncer les dérapages du régime en matière de respect des droits de l’homme et de malversations économiques. Entretemps, le monde associatif s’amplifie de nouveau et le paysage médiatique s’agrandit avec la création entre autres de la Radio-Télévision Renaissance. Ces acteurs prennent conscience de leur rôle et de leur capacité à se renforcer comme contre-pouvoir dans un environnement où les partis politiques d’opposition perdent du terrain sur la scène nationale. Pour des barons du régime de l’ère post-Radjabu, ces acteurs de la société civile sont perçus comme des opposants politiques qui nuisent aussi à leurs intérêts personnels. Des arrestations de journalistes ont lieu en 2006-2007 et l’assassinat du Vice-Président de l’Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques (OLUCOME) en 2009 est un signal encore plus fort envoyé à ces activistes et journalistes pour les intimider.

Comme en 2005, les élections de 2010 commencent avec les élections communales du 24/05/2010. Les élections et les résultats sont fortement contestés et la majorité des partis qui participent au scrutin dénoncent des fraudes et de graves irrégularités. Celles-ci ne sont pas confirmées par les observateurs nationaux et internationaux. Les revendications de ces partis visant à annuler le scrutin ne sont pas prises en compte et ces partis décident de boycotter le restant du processus électoral. De ce fait, le Président sortant est l’unique candidat aux présidentielles. Aux élections législatives, seuls les partis UPRONA (une de ses factions) et FRODEBU NYAKURI y participent et obtiennent des scores tellement faibles que certains observateurs n’hésitent pas à affirmer que le Burundi est revenu à un monopartisme de fait. Ce processus électoral va faire monter d’un cran les tensions et la violence. Au cours de cette seconde législature, le Gouvernement et le parti au pouvoir vont se montrer encore plus répressifs et plus intolérants par l’intermédiaire de deux acteurs clés, à savoir le Service National de Renseignement (SNR) et les IMBONERAKURE, les jeunes du parti au pouvoir qui se sont développés comme une milice ou un corps supplétif des forces de sécurité. En mars 2014, les affrontements entre la police et les militants du Mouvement pour la Solidarité et le Développement (MSD), la suspension de ce parti politique pour plusieurs motifs (actes d’insurrection, appel à la haine et à la violence) ainsi que les condamnations des membres du parti à l’issue d’un procès inéquitable (emprisonnement à vie pour 21 d’entre eux) font partie des évènements qui enveniment les relations entre le Gouvernement et les partis politiques d’opposition.

En 2015, la polémique sur le troisième mandat du Président Nkurunziza déclenche une nouvelle crise qui replonge le Burundi dans les affres de la violence et des violations massives des droits de l’homme. La première phase de ces manifestations démarre fin avril et le mot d’ordre de cette campagne contre le troisième mandat est d’en faire une action pacifique. Un mouvement de femmes se distingue en manifestant pacifiquement au centre de la ville. L’opportunité de mettre fin à la présidence de Pierre Nkurunziza entraine beaucoup de monde dans les rues de Bujumbura, y compris des membres de partis politiques. La réaction des forces de l’ordre est manifestement disproportionnée quand elles tirent à balles réelles sur des manifestants sans armes, notamment le 04 mai 2015. La situation est déjà suffisamment confuse lorsqu’intervient la tentative de coup d’état du 13 mai 2015 qui sera suivie de réactions de soutien et de joie de la part des manifestants. Le coup d’état est déjoué. Le Gouvernement reprend le contrôle de la situation et les forces de sécurité s’adonnent à des opérations de représailles auxquelles participent les Imbonerakure. Le niveau de violence augmente sensiblement à partir de la fin du mois de mai. De nombreux manifestants ou des personnes soupçonnées de l’être sont arrêtés, tués ou blessés. Des personnes appartenant au CNDD-FDD sont tuées également ainsi que quelques éléments des forces de l’ordre. Les membres du CNDD-FDD opposés à la candidature du Président sortant sont démis de leurs fonctions et persécutés. Comme beaucoup d’autres Burundais, des « frondeurs » prennent aussi le chemin de l’exil pour sauver leur vie.

Ce nouveau cycle de violences va se poursuive avec de nombreux assassinats politiques en 2015, mais d’autres se commettront aussi les années suivantes. Entretemps, la situation a continué à se détériorer. Quelques faits marquants de cette détérioration sont notamment : les élections de juillet 2015 ; les crispations suite à la formation du Conseil National pour le respect de l’Accord d’Arusha et la Restauration d’un État de droit au Burundi (CNARED) dont font partie des leaders de la société civile ; l’assassinat d’Adolphe Nshimirimana (puissant chef du SNR jusqu’en fin 2014) ; les attaques des groupes armés d’opposition, en particulier celles du 11 décembre 2015 à Bujumbura qui provoquent une réaction violente et un nombre élevé de victimes civiles dans plusieurs quartiers ; les tensions relatives au référendum sur la nouvelle Constitution en 2018 qui remet en cause certaines dispositions importantes de l’Accord d’Arusha.

En 2020, le contexte socio-politique n’a pas beaucoup évolué puisque plusieurs partis d’opposition ne peuvent plus opérer à l’intérieur du pays dans des conditions normales. Le principal parti d’opposition est devenu le Congrès National pour la Liberté (CNL) d’Agathon Rwasa et, de ce fait, cette formation politique, ses membres et ceux qui sont soupçonnés de lui être proches, sont victimes de toutes sortes d’actes de violence (meurtre, viol, torture et mauvais traitement, menaces et intimidation, etc.) attribués à des membres de l’administration, à des forces de sécurité ainsi qu’aux IMBONERAKURE.

Tous ces abus/violations graves sont encouragés par des appels à la violence (y compris des têtes mises à prix) ou des incitations à la haine qui restent largement impunis, surtout lorsque leurs auteurs sont des autorités publiques, des membres du parti au pouvoir, y compris les Imbonerakue. On recourt aux chants en groupes, aux noms d’animaux (vieille technique de déshumanisation), aux tracts et à d’autres pratiques qui ont déjà fait leurs preuves, au Burundi et ailleurs, pour susciter des crimes graves, y compris des crimes contre l’humanité. Dans les milieux opposés au régime, ces appels à la haine et à la violence s’observent également via les réseaux sociaux. Dans beaucoup de ces cas, des preuves audios et/ou vidéos sont accessibles au grand public, car elles circulent abondamment sur les réseaux sociaux.

Concernant la liberté de réunion et d’association pacifiques, il est vrai que la loi autorise les pouvoirs publics à interdire des réunions aux fins de préserver « l’ordre public », mais ces pouvoirs publics ont l’obligation de faire respecter la loi de manière équitable. Or, la facilité avec laquelle le Gouvernement, le CNDD-FDD et ses partisans peuvent se réunir et manifester tranche singulièrement avec les difficultés que rencontrent les partis d’oppositions pour se réunir ou mener leur campagne électorale librement.

En définitive, bien que le contexte qui prévalait à l’arrivée du CNDD-FDD au pouvoir en 2005 était propice à une amélioration de la situation des droits de l’homme, on assiste plutôt à une détérioration progressive dans ce secteur. A cet égard, je voudrais d’abord montrer le recul effectué au niveau du cadre légal au cours de ces quinze dernières années.

Cadre légal

En fonction de l’évolution du contexte socio-politique et des évènements majeurs survenus entre 2005 et 2021, les gouvernements successifs dominés par le CNDD-FDD initient de nombreux projets de loi, signent de nombreux décrets et prennent d’autres décisions administratives qui ont pour but de renforcer les capacités de contrôle et de répression du régime. Il est donc important d’analyser les modifications apportées à une loi à la lumière du contexte qui prévalait au moment de sa promulgation. A titre d’exemples, je voudrais relever quelques lois qui reflètent cette tendance et me limiter aux dispositions essentielles de l’analyse comparative :

– La loi régissant la presse qu’il me parait judicieux de combiner avec celle organisant le Conseil National de la Communication (CNC)
– La loi sur les Associations Sans But Lucratif (ASBL)
– La loi sur le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) car une nouvelle loi vient d’être promulguée en janvier 2021.

S’agissant des lois régissant la presse, celle de 2003 a essentiellement majoré la peine encourue pour délit de presse. Celle-ci passe de deux mois maximum (décret-loi de 1992) à une fourchette entre 6 mois et 5 ans de servitude pénale. Au cours de la période sous analyse, trois lois régissant la presse sont promulguées, respectivement le 4/6/2013, le 9/5/2015 et le 19/9/2018. La loi de 2013 suscite de sérieuses controverses sur les dispositions relatives à la protection des sources, l’interdiction d’articles sur certains sujets sensibles, ainsi que les délits de presse et la hauteur des sanctions prévues en pareil cas. L’Union Burundaise des Journalistes (UBJ) saisit la Cour Constitutionnelle et la Cour de Justice de la Communauté de l’Afrique de l’Est. En fin de compte, la loi de 2015 apporte les principales modifications suivantes : sont supprimés les articles obligeant les journalistes à révéler leurs sources dans certains cas et à s’abstenir de publier ou diffuser des informations portant sur un grand nombre de sujets ; un recours contre une décision du CNC est désormais prévu auprès des juridictions compétentes ; les lourdes pénalités et sanctions mentionnées dans la loi de 2013 sont remplacées par une formulation générale indiquant qu’un journaliste ou un organe de presse est passible de poursuites pénales pour publication ou diffusion d’informations en violation des dispositions pertinentes du Code pénal. Lors du débat parlementaire sur la loi de 2018, les dispositions relatives à la carte de presse suscitent aussi des controverses d’autant plus que les dispositions en vigueur y afférentes ne sont pas appliquées. En l’absence des diplômes professionnels y relatifs, les années d’expérience requises pour un journaliste ou un technicien de l’information en fonction sont réduites pour éviter qu’un grand nombre d’entre eux perde leur emploi. Concernant les trois lois sur le CNC (2007, 2013 et 2018) qui est un organe indépendant administrativement, la seule véritable différence est en rapport avec le rôle dévolu aux membres du gouvernement dans le fonctionnement du CNC. En particulier, la loi en vigueur stipule que trois ministères doivent y être représentés (communication, administration territoriale, sécurité publique), ce qui, dans une certaine mesure, ne peut qu’affecter l’indépendance et l’objectivité du Conseil.

Concernant la loi du 27 janvier 2017 sur les Associations Sans But Lucratif (ASBL), elle octroie au ministre ayant l’agrément des ASBL dans ses prérogatives le pouvoir de suspendre une ASBL pour une période n‘excédant pas deux mois si celle-ci trouble l’ordre public ou porte atteinte à la sûreté de l’État. La décision ultime appartient à la Cour administrative.

La nouvelle loi sur le Conseil Supérieur de la Magistrature promulguée le 23 janvier 2021 apporte des innovations susceptibles d’accentuer l’emprise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire. Parmi ses missions, le CSM peut désormais statuer sur les plaintes concernant « les mal-jugés manifestes coulés en force de chose jugée » ; « enjoindre aux organes compétents d’engager des poursuites en cas d’infraction et en faire le suivi » ; « contrôler la qualité des jugements, arrêts et autres décisions judiciaires dénoncés ou portés à la connaissance du Conseil ainsi que leurs mesures d’exécution ». L’article 5 de la nouvelle loi stipule que « lorsqu’aucune voie de recours judiciaire n’est plus ouverte en faveur du requérant, le CSM, s’il estime le recours recevable, peut prendre toute mesure de redressement notamment pour cause d’intérêt social évident ». En conséquence, les décisions du CSM n’étant susceptibles d’aucun recours, ces nouvelles dispositions font du CSM une nouvelle juridiction de fait, supérieure à toutes les autres et lui attribuent une nouvelle mission qui n’est pas prévue par la Constitution. J’avoue ne pas encore avoir lu l’arrêt du 13 janvier 2021 rendu par la Cour Constitutionnelle, mais je me demande comment une telle loi a pu être jugée conforme à la Constitution.

Cas particulier des IMBONERAKURE

Le rôle joué impunément par les IMBONERAKURE mérite une attention spéciale. Ces jeunes du parti pouvoir agissent seuls, bénéficient de la complaisance de l’administration et des forces de sécurité ou collaborent ouvertement avec elles. L’appui que ces jeunes reçoivent des pouvoirs publics est énorme puisqu’il va jusqu’à la fourniture d’armes et d’uniformes, l’appui financier, l’entrainement militaire, le support logistique ou encore l’encadrement psychologique. Il est souvent difficile d’établir une démarcation nette au niveau des responsabilités relatives à beaucoup d’incidents graves. En tout état de cause, la responsabilité de l’Etat est incontestable lorsque ses services agissent activement à leurs côtés, mais aussi lorsqu’aucune mesure n’est prise pour protéger les victimes et les populations contre leurs agissements.

« Ces jeunes du parti pouvoir agissent seuls, bénéficient de la complaisance de l’administration et des forces de sécurité ou collaborent ouvertement avec elles. »

Du fait des Imbonerakure, un nombre impressionnant de personnes sont tuées, portées disparues, violées, maltraitées, arrêtées, menacées et spoliées. Des cadavres sont retrouvés un peu partout dans des états qui traduisent un niveau de brutalité effroyable. Les Imbonerakure recourent au viol comme arme de guerre. Ils se distinguent également par des appels à la haine ethnique/politique et des incitations à la violence.

Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH)

En janvier 2011, une loi créant la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH) est promulguée et une première équipe est mise en place. Celle-ci fait un travail appréciable et apprécié puisque le sous-comité d’accréditation de l’Alliance Mondiale des Institutions Nationales des Droits de l’Homme a évalué les activités de la CNIDH et lui a conféré le statut « A » correspondant aux institutions nationales jugées efficaces et indépendantes. En juin 2015, la composition de la Commission et son Président changent et la qualité du travail de la CNDH s’en ressent nettement au point qu’elle a été rétrogradée au statut « B » par le sous-comité d’accréditation en janvier 2018.

Généralement, il existe une corrélation entre, d’une part, l’évolution du contexte et de la situation des droits de l’homme et, d’autre part, l’indépendance réelle de ces commissions/conseils et la qualité de leur travail. La situation s’étant dégradée au fil du temps, le régime qui est conscient de ses insuffisances devient fébrile et veut éviter des institutions ou des organes réellement indépendants dont les rapports ou les déclarations pourraient l’affaiblir davantage. Au contraire, le Gouvernement compte sur leur appui pour soigner son image à l’extérieur, ou tout au moins, faire en sorte que cette image ne soit pas ternie aux yeux des Burundais, mais surtout aux yeux de la communauté internationale.

Organisations de la société civile et médias

Le rôle des ONG des droits de l’homme et de gouvernance et des médias est, entre autres, de rapporter/observer l’action gouvernementale et, le cas échéant, de dénoncer les abus, les violations et la mauvaise gestion du régime en place. Après les élections communales de 2010, le refus de certains partis politiques d’opposition de participer aux autres scrutins a pour conséquence de fragiliser davantage l’opposition et de placer en première ligne les ONG œuvrant dans le domaine de la gouvernance politique.

Au sein des organisations de la société civile, de nouvelles ASBL apparaissent pour contrecarrer la montée en puissance de ces ONG nationales qui dominent l’espace du monde associatif alors qu’elles sont accusées d’avoir un agenda politique et de servir les objectifs des puissances occidentales. Elles contestent donc leur indépendance et se présentent comme les réels représentants des intérêts de la population. Néanmoins, celles-ci ont visiblement des accointances avec le Gouvernement. Cette reconfiguration dans la sphère de cette catégorie d’ONG fait remonter à la surface les clivages ethniques, car la majorité des leaders des ASBL oeuvrant dans le domaine des droits de l’homme et de la gouvernance politique sont des Tutsis alors que les responsables de ce nouveau courant sont majoritairement des Hutus.

Au cours du second mandat du Président Pierre Nkurunziza, les organisations de la société civile et les médias ont connu beaucoup de déboires avec les pouvoirs publics et leur situation s’est détériorée de manière sensible à partir de 2014. Ils peuvent être accusés de porter atteinte à la sécurité de l’État, de participer à un « mouvement insurrectionnel », d’être complice d’assassinat, de faire partie de la rébellion, de ternir l’image du Burundi, de semer la haine et la division ou encore d’appartenir à l’opposition politique. Les familles des membres de ces ONG ou médias sont également ciblées. Parmi les cas les plus emblématiques, je citerais les assassinats en fin 2015 d’un gendre et d’un fils de Pierre Claver Mbonimpa, le président de l’Association pour la protection des droits de l’homme et des personnes détenues (APRODH) ainsi que celui du cameraman Christophe Nkezabahizi qui sera tué avec sa famille. Au-delà des actions dirigées contre des individus, le Gouvernement, à travers le ministère de l’intérieur, prend des mesures de suspension et radiation de nombreuses ASBL. Le gel des comptes de ces associations ou de certaines radios est orchestréé par le Ministère Public. Dans un environnement aussi difficile et dangereux, beaucoup de membres des ONG et de journalistes estiment que les conditions minimales de sécurité, de vie et de travail ne sont plus réunies et décident de s’exiler à l’étranger. Beaucoup d’autres continuent à vivre au Burundi dans des conditions physiques, matérielles et psychologiques souvent difficiles. Le travail de documentation des violations des droits de l’homme se poursuit grâce à des personnes basées au Burundi qui prennent des risques pour accomplir cette mission essentielle.

Au cours de cette période, des ASBL se sont fragilisées et discréditées en sortant de leur cadre de travail et en reniant les valeurs sur lesquelles se fonde leur existence. En particulier, les responsables d’ASBL qui se sont associées à des partis politiques d’opposition dans le cadre du CNARED ont ipso facto mis en cause l’indépendance et le statut de leur ASBL. Ces ASBL se sont ainsi coupées d’une frange de la population alors qu’en défendant les droits de l’homme, une ONG œuvrant dans ce domaine doit s’ouvrir à tout le monde et inspirer confiance à toutes les victimes pour que celles-ci viennent vers elle. De fortes divisions au sein des ONG des droits de l’homme peuvent conduire à des situations désolantes. A cause de ces clivages prononcés, le Conseil de Sécurité des Nations Unies, en visite dans un pays africain, a dû organiser deux rencontres, car le groupe des ONG proches du Gouvernement ne voulait pas se joindre à l’autre groupe. Par ailleurs, à l’intérieur de certaines ASBL ou médias, certaines règles de base de bonne gouvernance ne sont pas respectées telles que la transparence et la rigueur dans la gestion des fonds mis à leur disposition par les bailleurs ou encore les mécanismes de succession à la direction des associations. Il est regrettable de constater que le mouvement de femmes né dans le cadre de la contestation du troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza ait littéralement implosé à cause d’une question de mandat à la tête dudit mouvement.

Dans le domaine des médias, le Conseil National de la Communication (CNC) a pris beaucoup de sanctions au cours de cette période : suspension de médias, retrait d’agrément, censure ou mise en garde/avertissement, et cela pour des raisons diverses parfois infondées (infraction à la réglementation, non-respect du cahier des charges, diffusion d’informations considérées comme partiales, déséquilibrées, tendancieuses ou mensongères, sources non vérifiées, atteinte à la sécurité intérieure de l’État, diffamation, manquements à la déontologie/éthique, « manquement à régler leur dossier judiciaire à temps »). Sont concernés par ces sanctions des médias en ligne, des télévisions et des radios, y compris internationales. Certaines décisions de fermeture de médias ont été prises directement par le Gouvernement, notamment lors des évènements de 2015.

Rôle de la communauté internationale

En 2005, pour appuyer les résultats encourageants déjà atteints dans le cadre du processus de paix et donner espoir à un peuple meurtri par un long conflit, la communauté internationale se mobilise et les financements viennent de toutes parts, aussi bien en faveur de l’Etat burundais qu’en faveur des associations et des médias privés. Les bailleurs de fonds gardent un œil sur l’exécution des programmes et profitent aussi de leurs divers leviers pour exercer des pressions sur les bénéficiaires de leur aide et influer quelque peu sur le choix des politiques et programmes prioritaires. Au fur et à mesure que le régime montre des signes de dérive autoritaire et de mauvaise gouvernance (y compris dans le domaine des droits de l’homme), les critiques adressées au Gouvernement irritent ce dernier et les relations entre eux commencent à se détériorer. Ces tensions et le niveau des malversations économiques ont parfois un impact sur les décaissements, la banque mondiale ayant par exemple conditionné l’un de ses appuis budgétaires à la mise en œuvre de diverses mesures dans la vente frauduleuse du Falcone présidentiel en 2006. L’ampleur des violations des droits de l’homme fait partie des facteurs qui amènent les bailleurs de fonds à reconsidérer leur appui au Gouvernement. La situation s’étant dégradée sérieusement au cours du second mandat, les évènements de 2015 renforcent ces tensions qui vont déboucher sur une détérioration considérable de ces relations. Le Gouvernement n’hésite pas à prendre des mesures coercitives à l’encontre de certaines organisations internationales et autres partenaires internationaux. Quatre représentants ou envoyés spéciaux du Secrétaire Général des Nations Unies ont été déclarés persona non grata ou se sont vus exiger leur départ depuis 2005. Dans le domaine des droits de l’homme, les membres de la Commission d’Enquête sur le Burundi voient leur demande de visa rejetée et, plus tard, ils sont déclarés persona non grata. Ils sont accusés de produire des rapports diffamants, mensongers et biaisés. Ce type de réactions de la part d’un gouvernement mis sur la sellette pour les nombreuses violations graves dont il est responsable est plutôt courant dans les pays africains en conflit ou post-conflit. En février 2019, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme ferme son Bureau au Burundi et le Bureau de l’Envoyé Spécial de l’ONU subit le même sort le 31 décembre 2020. Toutefois, depuis l’avènement du chef d’Etat Ndayishimiye, des pourparlers entre l’Union européenne et le Gouvernement semblent avoir amené ce dernier à assouplir certaines de ses positions et quelques mesures concrètes ont été prises récemment par le CNC. En effet, le Président Evariste Ndayishimiye a rencontré des responsables de médias le 28 janvier et, sur sa demande, le Président du CNC a réuni les responsables de médias sous sanctions pour envisager avec eux la levée desdites sanctions. Ainsi, la suspension de la rubrique « commentaires » du site web du journal IWACU vient d’être levée et la Radio Bonesha FM vient d’être autorisée à rouvrir ses antennes.

Evolution des opinions

Quant à l’évolution des opinions, le contexte de 2005 était plutôt propice à une atténuation des clivages ethniques compte tenu de la reconfiguration du paysage politique et de l’évolution des rapports de force, y compris au sein des forces de défense et de sécurité. Les dissensions internes qui apparaissent ou s’accentuent assez rapidement au sein de plusieurs partis politiques dont le parti au pouvoir, ne sont généralement pas fondées sur l’appartenance ethnique. D’un autre côté, les points clés des accords d’Arusha ont été pris en compte dans l’élaboration de la Constitution promulguée en 2005. Celle-ci prévoit notamment des quotas ethniques dans la mise en place des institutions. Plus tard, cette logique des quotas est introduite dans les secteurs de la vie professionnelle au niveau du recrutement du staff national des ONG internationales et à travers le questionnaire controversé auquel tous les fonctionnaires devaient répondre en 2020. De telles initiatives doivent faire l’objet de consultations et être bien expliquées pour qu’elles ne soient pas à l’origine de tensions ou de discorde. Jusqu’ici, ces quotas ont relativement peu d’impact sur la cohésion sociale et la réconciliation.

En revanche, le Gouvernement s’enlise dans des problèmes de gouvernance qui mettent en exergue les violations des droits de l’homme et les malversations économiques. Le Gouvernement est critiqué par les partis politiques de l’opposition, les organisations de la société civile et les médias privés. Ces critiques sont largement répandues grâce aux développements opérés dans le monde de la communication moderne notamment celui d’internet et des réseaux sociaux, ce qui donne à ces acteurs une certaine capacité d’action et d’influence que le Gouvernement ne peut pas neutraliser entièrement. La carte ethnique tutsi est brandie par certains dirigeants et les Imbonerakure pour identifier ces acteurs qu’il faut combattre. Par ailleurs, le Gouvernement et ses forces de répression qui collaborent étroitement avec les Imbonerakure ciblent également leurs dissidents internes et le parti politique d’opposition le plus représentatif au niveau national dont le leader n’est autre qu’Agathon Rasa, l’ancien leader du PALIPEHUTU. La grande majorité des personnes appartenant à ces deux dernières catégories sont des Hutus. Ceux qui étaient opposés au troisième mandat et ceux qui se sont réfugiés à l’étranger depuis 2005 ne sont pas tous de la même ethnie. A partir de 2014, la violence atteint un niveau élevé, ce qui favorise quelque peu un retour de la logique identitaire, des appels à la haine et des incitations à la violence. En fin de compte, les clivages ethniques semblent s’être accentués avec la crise de 2015 et la situation générale actuelle est plutôt confuse.

Heureusement, cette situation n’est pas statique et peut évoluer dans la bonne direction à terme. Dans la dernière partie de ma réflexion, je voudrais proposer quelques pistes susceptibles de favoriser un changement.

Changements auxquels aspire la grande majorité des Burundais
« L’obligation du Gouvernement de rendre compte de ses actes devant le peuple se fait en priorité par l’intermédiaire de ses représentants. Avec un minimum de volonté, le Parlement pourrait contribuer à changer beaucoup de choses »

« Le Gouvernement a pour tâche de réaliser les aspirations du peuple burundais, en particulier de guérir les divisions du passé, d’améliorer la qualité de la vie de tous les Burundais et de garantir à tous la possibilité de vivre au Burundi à l’abri de la peur, de la discrimination, de la maladie et de la faim. » (Constitution de la République du Burundi, article 17)

Cette rétrospective limitée aux trente dernières années montre bien que le Burundi peine à faire du respect et de la promotion des droits de l’homme une priorité absolue sans laquelle la paix et la réconciliation sont illusoires. Je suis conscient que les évènements survenus au cours de cette période sont complexes voire inextricables, car beaucoup d’informations y relatives ne sont pas partagées ou sont biaisées. Cette analyse, une de plus, va certainement susciter des réactions contradictoires et alimenter un débat inépuisable, mais, en aucun cas, ce débat ne devrait être à l’origine d’échanges haineux ou violents.

Quelles que soient nos divergences sur notre passé, j’ose croire qu’il est possible de rechercher un consensus sur les principes de base à appliquer pour mieux aborder la gestion de la problématique des droits de l’homme au Burundi.

Je pars de deux assomptions : (i) Personne ne veut être tué, blessé, violé ou arrêté et détenu arbitrairement. Ce sont là des droits fondamentaux et des aspirations simples et légitimes de n’importe quel être humain vivant au Burundi ou ailleurs ; (ii) Avoir un minimum d’empathie (se mettre à la place de l’autre) est à la portée de tout le monde et repose sur des règles simples : « Traite les autres comme tu voudrais être traité » ou encore « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ».

Par ailleurs, dans une société toujours affectée par la violence comme le Burundi, promouvoir les changements auxquels aspire la grande majorité des Burundais est un travail de longue haleine et un processus d’une grande complexité.

Je voudrais proposer et développer les quatre idées maitresses suivantes :

• C’est avant tout une question de volonté et de leadership
• Comment faire de la bonne gouvernance et des droits de l’homme une exigence et un dénominateur commun ?
• Le Gouvernement doit prendre certaines mesures pour crédibiliser son discours sur les droits de l’homme
• La nécessité d’accorder à la promotion des droits économiques et sociaux l’attention particulière qu’elle mérite

 

C’est avant tout une question de volonté et de leadership

Pour combattre les divisions, les discriminations ou les injustices qui minent la société burundaise, l’Ideal serait que chaque citoyen et, à plus forte raison, chaque responsable s’expriment ou agissent ouvertement pour dire NON, et cela quelles que soient l’identité ou les caractéristiques des victimes et des personnes qui sont responsables des faits répréhensibles.

Certains resteraient silencieux et inertes tant qu’ils ne sont pas directement concernés ou parce que le contexte de répression violente les tétanise. A ceux-là, le Pasteur allemand Martin Niemoller leur répondrait ces quelques lignes pour qu’ils les méditent :

« Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »

D’autres personnes agiraient de manière biaisée en ajustant leur action ou leur inaction en fonction de leurs affinités avec l’un ou l’autre protagoniste (victime/auteur). Bien entendu, une telle attitude venant d’une institution, d’un organe ou d’un agent de l’Etat n’est pas acceptable. Elle n’est pas non plus tolérable si une telle réaction provient d’un authentique défenseur des droits de l’homme, d’un journaliste professionnel ou d’un responsable d’une confession religieuse. A cause du poids de l’environnement et des pesanteurs socio-politico-ethniques, ces attitudes demeurent encore vivaces auprès de certains acteurs de bonne foi de la société civile alors que d’autres ont du mal à cacher leur agenda biaisé. Le cas des pouvoirs publics sera évoqué ultérieurement dans cette troisième partie.

S’agissant des partis politiques, selon qu’ils sont au pouvoir ou dans l’opposition, ils ont tendance, respectivement, à soutenir ou critiquer le Gouvernement de manière quasi systématique. Les partis politiques ont en commun qu’ils veulent souvent justifier leurs erreurs, exonérer leurs membres alors que les faits leur reprochés sont sérieux (c’est pourquoi une organisation de la société civile commet une grave erreur en travaillant étroitement avec un parti politique). En agissant de la sorte, les partis politiques privilégient plutôt une logique purement politicienne, manichéenne et peu constructive.

Pour transcender les clivages divers, résister aux pressions multiformes et s’inscrire dans une nouvelle dynamique visant à faire des droits de l’homme une priorité absolue, le point de départ est la VOLONTE, car c’est elle qui est à la base de tout changement. Compte tenu du contexte, une telle transformation de la société ne se fera pas du jour au lendemain. Il faut prendre conscience qu’il s’agit d’une responsabilité collective et d’une synergie d’efforts de la part de tous ceux qui veulent réellement promouvoir les droits de l’homme. Chaque acteur a sa partition à jouer, mais les pouvoirs publics auront toujours le rôle principal.

Enfin, je voudrais m’appesantir sur la notion et le rôle du leader. Dans ce contexte, le rôle du leader à quelque niveau que ce soit est d’amener les personnes de son entourage à œuvrer pour la réalisation de cet objectif d’intérêt général que sont les droits de l’homme. Il les encourage à agir en leur adressant la parole, mais il le fait surtout en posant lui-même des actes appropriés et en essayant d’afficher un comportement conséquent.

Les responsables étatiques ont l’obligation de respecter et de protéger les droits de l’homme. Cependant, seuls leur comportement et les actes qu’ils posent au quotidien les feront apparaitre aux yeux des populations comme de véritables leaders, soucieux et déterminés à défendre leurs droits fondamentaux (« Vous nous jugerez à nos actes et votre satisfaction sera notre fierté », Paraphrase du Prince Louis Rwagasore s’adressant au colon belge). Il en est de même pour les parlementaires, les responsables des partis politiques, les magistrats, les membres des institutions nationales dites indépendantes (CNIDH, CNC, CENI, etc.), les dirigeants des organisations de la société civile, les responsables des médias, les personnalités à la tête des confessions religieuses. Avec plus de volonté et une dose de courage, ces responsables peuvent continuellement améliorer leur performance quant à la recherche de cet idéal d’impartialité et d’objectivité.

Par ailleurs, il existe aussi des leaders de fait ou des défenseurs naturels des droits humains. Ce sont celles et ceux qui, de par leurs actes, montrent leur engagement à défendre les droits de l’homme et influencent positivement leur entourage. Il ne faut pas forcément militer au sein d’une organisation de défense des droits de l’homme pour mériter le qualificatif de « défenseur des droits humains ». Toutes ces personnes qui assistent anonymement d’autres personnes en danger, y compris dans les nombreux cas de solidarité inter-ethnique survenus pendant la guerre civile, en font partie.

En définitive, au-delà de la volonté, il faut aussi du courage et agir dans la durée. Bâtir une société respectueuse des droits de la personne humaine dans un pays post-conflit est un marathon populaire et non une course de vitesse.

 

Faire de la bonne gouvernance et des droits de l’homme une exigence et un dénominateur commun

Au Burundi comme dans n’importe quel pays africain où un conflit interne a éclaté, l’analyse des causes profondes fait immanquablement ressortir deux éléments essentiels, à savoir les violations des droits de l’homme (discriminations, inégalités) et la mauvaise gestion des affaires publiques ou, dit autrement, la mauvaise gouvernance. Les gouvernements de ces pays n’ont pas été en mesure de mettre fin à ces discriminations/inégalités ou, pire encore, ils les ont créées et alimentées à des fins machiavéliques. En conséquence, la bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme constituent une exigence pour résoudre un conflit. Pour les pouvoirs publics, ils en ont l’obligation et ils doivent rendre compte de cette responsabilité devant le peuple souverain. Les autres acteurs et catégories de la population ont aussi un rôle à jouer pour que la société tout entière converge vers ces idéaux. D’où l’impérieuse nécessité de faire de la bonne gouvernance et des droits de l’homme un dénominateur commun.

N’ayant pas beaucoup parlé des parlementaires dans mon analyse, j’aimerais souligner que leur performance en termes de contrôle de l’action gouvernementale est décevante au vu de l’ampleur des violations commises par les services gouvernementaux et des abus graves imputables aux Imbonerakure qui agissent illégalement en toute impunité. Rappelons-le, l’obligation du Gouvernement de rendre compte de ses actes devant le peuple se fait en priorité par l’intermédiaire de ses représentants. Avec un minimum de volonté, le Parlement pourrait contribuer à changer beaucoup de choses.

Le rôle du Gouvernement et de toute autorité publique est crucial. Lorsqu’un responsable ou un agent de l’Etat accomplit sa mission et sert la population de manière impartiale, sans tenir compte des appartenances/affiliations diverses des uns et des autres (ethnie, genre, religion, parti politique, religion, éducation, richesse), il est peu probable que la population cherche à connaitre l’ethnie, la provenance régionale ou l’affiliation politique de ce responsable ou de cet agent public. En revanche, ses appréhensions ou ses préjugés risquent de remonter à la surface lorsqu’elle s’interrogera sur les actes discriminatoires ou illégaux posés par cette autorité publique à son égard. S’agissant de la question ethnique par exemple, c’est là que les préjugés ethniques d’une personne vont se renforcer si le responsable de ses déconvenues est d’une autre ethnie que la sienne ou s’atténuer voire disparaitre si une autorité publique de son ethnie est la cause de ses déboires (cfr. Evolution des débats sur la nature du conflit burundais au Centre Jeunes Kamenge).

Il est possible de déterminer des indicateurs pour identifier un bon leader respectueux des droits de l’homme. Parmi ces indicateurs figurent entre autres l’obligation de rendre compte, la transparence, le dialogue ainsi que la promotion d’une justice impartiale et indépendante. Le recours au deuxième principe de base est une autre manière d’identifier un bon leader et cela revient à se poser la question suivante : est-ce que ce responsable ou cet agent public traite les autres comme il voudrait être traité ?

Compte tenu de la responsabilité première du Gouvernement en matière de respect et de protection des droits de l’homme, il est normal et légitime que les autres acteurs lui demandent des comptes, le critiquent et exercent sur lui des pressions non violentes pour l’amener à se corriger et à mieux assumer ses responsabilités dans l’intérêt de tous. Les critiques peuvent venir de partout et de tout le monde, y compris du monde extérieur ou de la communauté internationale. Face à la problématique des violations graves des droits de l’homme, l’argument de la souveraineté n’est pas valable. En fin de compte, la meilleure réponse aux critiques n’est pas de les dénier ou de combattre leurs auteurs, mais plutôt d’accorder plus d’attention et de résoudre les problèmes qui sont à l’origine de ces critiques.

 

Mesures à prendre pour crédibiliser le discours du Gouvernement sur les droits de l’homme

Au-delà du discours, n’importe quel gouvernement est jugé aux mesures qu’il prend et aux actes qu’il pose pour améliorer la situation des droits de l’homme dans son pays. Au Burundi, une série de mesures devraient être prises :

1) Identifier et poursuivre les auteurs et les commanditaires des violations imputables aux agents de l’Etat y compris les forces de sécurité ainsi que des exactions des Imbonerakure ;
2) Démettre de leurs fonctions les agents de l’État impliqués dans des violations graves des droits de l’homme ;
3) Mettre fin aux activités illégales des Imbonerakure ;
4) Libérer toutes les personnes détenues arbitrairement ;
5) Identifier et punir les auteurs de propos haineux et d’incitations à la violence ;
6) Garantir les libertés fondamentales, y compris en révisant certaines lois y relatives et en assurant leur mise en œuvre équitable ;
7) Mettre fin aux ingérences du Gouvernement dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire ;
8) Engager une réforme visant à rendre la justice réellement indépendante ;
9) Prendre les mesures nécessaires, y compris dans le choix de ses membres, pour amener les institutions indépendantes (CNC, CENI, CVR, CNDH, etc..) à fonctionner comme tel, accomplir efficacement leur mission et répondre aux attentes de la population ;
10) Lever les sanctions contre les organisations de la société civile et les organes de presse pour qu’ils apportent leur contribution au vaste chantier de la promotion des droits de l’homme au Burundi.

Toutes ces mesures contribueraient également à créer les conditions propices au retour volontaire des réfugiés burundais. Les membres du CNDD-FDD qui, hier, étaient réfugiés savent pertinemment bien que des mots ne suffisent pas pour convaincre un réfugié de revenir au Burundi.

Toutes ces dix mesures font partie des obligations constitutionnelles du Gouvernement et ne devraient donc pas faire l’objet de polémiques. Cependant, à part la 10ème mesure qui peut être prise immédiatement, la mise en œuvre des neuf autres requiert un minimum de temps pour atteindre les résultats escomptés ou opérer une avancée significative lorsqu’il s’agit d’une action continue. Ce parcours sera parsemé de difficultés, les unes plus importantes que les autres. Chacune de ces mesures nécessite de mettre en place une sorte de plan d’action avec un calendrier pour la réalisation d’activités identifiées et l’évaluation régulière de son exécution. Au-delà du discours, la volonté du Gouvernement est surtout jugée à ses actes !

En tout état de cause, rien n’empêche au Parlement chargé de contrôler l’action du Gouvernement, à la CNIDH, aux ONG, aux médias et à la population en général de demander régulièrement des comptes au Gouvernement pour la mise en œuvre de ces mesures, car ce dernier en a tout simplement l’obligation.

Dans le cadre de ses obligations internationales et dans un souci de transparence, le Gouvernement devrait coopérer avec les mécanismes internationaux des droits de l’homme, permettre la réouverture du Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et faciliter le travail de la Commission d’Enquête sur le Burundi.

 

Accorder à la promotion des droits économiques et sociaux l’attention particulière qu’elle mérite

D’une part, il faut renforcer les mesures salutaires visant à garantir l’accès à l’éducation et aux soins de santé, car ces mesures contribuent grandement à améliorer la qualité de la vie des Burundais. D’autre part, les conditions de vie des populations se sont considérablement détériorées au cours de ces trente dernières années et l’impact de la paupérisation sur la situation des droits de l’homme est évident. La situation socio-économique du pays ne peut s’améliorer sensiblement que si le Gouvernement met fin aux problèmes de mauvaise gouvernance économique et, dans ce domaine également, c’est avant tout une question de volonté et de leadership.

En guise de conclusion, trente ans après la création des ligues ITEKA et SONERA, la question de la défense des droits de l’homme au Burundi continue à se poser avec acuité. Les gouvernements qui se sont succédé ne sont pas arrivés à inverser la tendance et, au contraire, les pratiques de violations des droits de l’homme se sont perpétuées au-delà des changements de régime. Seuls semblaient changer véritablement, l’identité des auteurs de ces violations et celle des victimes. Rien n’étant immuable, il nous revient à tous, individuellement et collectivement dans la mesure du possible, d’apporter notre contribution à l’amélioration substantielle des droits de l’homme au Burundi. Bien entendu, le Gouvernement en reste l’acteur principal. Il doit assumer ses responsabilités et rendre compte à la population qui ne demande qu’à l’aider puisqu’il en va de son intérêt.

Essayons de faire de cette maxime un autre dénominateur commun : « VOULOIR, C’EST POUVOIR ! »

Forum des lecteurs d'Iwacu

9 réactions
  1. roger crettol

    Merci à A. Kaburahe d’ avoir invité E. Nindorera à présenter cette magistrale récapitulation de trente ans d’efforts et de maltraitances …
    Même si ces réflexions n’avaient qu’un effet limité sur les gouvernants en place, elles méritent de retenir l’attention des plus jeunes et des personnes de bonne volonté. Le respect des droits de l’homme est l’affaire de chacun, comme le démontre la citation du pasteur Niemöller.

    Soyons de « ceux qui disent non à l’ombre » (Aimé Césaire)

    • Frederic Nzeyimana

      POUR UNE DEUXIEME FOIS JE VOUS FAIS MON COMMENTAIRE
      (Tout en sachant que le Journal Iwacu, dans son ADN, n’osera pas le mettre en ligne. )

      Parler d’evolution de Droits de l’Homme au Burundi sans mentionner nulle part la question du genocide commis contre les Hutu par la dynastie des Bahima. Quel type de journalisme faites-vous ? Cela fait honte !

      QUE PENSE LE JOURNAl IWACU DES OSSEMENTS DE LA RUVUBU ?

      En février 2020, l’ouverture des fosses de la Ruvubu par l’équipe de la Commission vérité et Réconciliation (CVR), a ramené à la surface de la terre des hommes et femmes victimes de la folie meurtrière de 1972. Les dimensions de fosses, leur emplacement dans un lieu discret, leur alignement, l’empilement des corps par couches au fond des trous ont démontré la débauche d’intelligence et de moyens utilisés dans l’extermination des Hutus et dans la dissimulation de leurs corps. Lors d’une messe très solennelle organisée sur le site, le Primat de l’église catholique du Burundi Monseigneur Simon Ntamwana, n’a pas mâché ses mots : il a qualifié les faits de GÉNOCIDE.

      OUI. GENOCIDE AU SENS OUNUSION DU TERME . PAR LA DYNADSTIE DES BAHIMA
      Nous l’appelons « Dynastie des Bahima » pour signifier celle qui a renversé au pouvoir par coup d’état la « Dynastie des Baganwa » en 1966. Ont dirigé le Burundi pendant 40 ans sans interruption. De 1965-à 2005. Sur fond d’un cocktail de mensonges et de fausses accusations ; De meurtres au pluriel de membres du groupe majoritaire Hutu (85%) et d’autres ; D’atteintes graves à l’intégrité physique et mentale de plusieurs membres du groupe ; D’intimidations ; De soumission intentionnelle des membres du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; Des mesures visant entraver les Hutus à accéder à l’éducation secondaire et supérieure, et à la Démocratie; etc. (…) Bref, un GÉNOCIDE dans tous les sens évoqués par la définition par la Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide (CPRCG) des Nations Unies de 1948, à laquelle l’État du Burundi a adhéré, en janvier 1997. Génocide au pluriel : destruction physique, destruction culturelle, destruction psychologique, destruction intellectuelle, destruction identitaire et socio-économique, etc…

      RECOMMANDATION
      Nous croyons que la lutte contre l’impunité constitue la condition Sine Qua Non pour une Paix durable et Réconciliation véritable

      NOTE DE LA Rédaction
      Nous n’avons aucun problème pour publier votre opinion pour autant qu’elle respecte notre charte,la courtoisie notamment. Ce qui n’est pas dans votre ADN.

      • Eugene Nindorera

        Je soutiens entièrement la recommandation de Frederic Nzeyimana et j’espère que la majorité des Burundais partage également son opinion selon laquelle « la lutte contre l’impunité constitue la condition Sine Qua Non pour une Paix durable et une Réconciliation véritable ». J’espère aussi que les Burundais sont tout aussi nombreux à condamner les fosses communes de Ruvubu et d’ailleurs. En plus des conditions atroces qui ont entouré la mort de ces personnes, leurs familles respectives n’ont pas pu les enterrer dignement et ainsi faire leur deuil selon la coutume alors que ce processus est d’une importance cruciale.

        Concernant la question du génocide, j’ai préféré d’abord affirmer que « des milliers de Burundais, Hutus et Tutsis confondus, ont été tués arbitrairement et gratuitement uniquement pour ce qu’ils SONT (ethnie) ». C’est la LIGNE ROUGE à ne pas franchir car leurs auteurs commettent ainsi des crimes contre l’humanité. Nous n’avons pas besoin des commissions internationales, des experts internationaux ou encore du Conseil de sécurité des Nations Unies pour reconnaitre cette triste réalité. Quels que soient les victimes ou les auteurs, nous devrions tous dénoncer de tels crimes et demander avec insistance que leurs auteurs soient punis conformément à la loi et mis sur le ban de la société.

        Pour que ces crimes contre l’humanité deviennent un crime de génocide, il faut établir/prouver l’INTENTION de détruire un groupe déterminé. Cela revient àmontrer qu’il y a eu préparation/préméditation/planification/programmation. Les éléments constitutifs de cette intention peuvent être appréciés différemment d’une personne à une autre, d’un juge à un autre ou encore d’un Conseil de sécurité des Nations Unies à un autre. En tout état de cause, que cette intention soit établie ou pas, le fait de tuer une personne uniquement pour ce qu’elle EST demeure INACCEPTABLE d’autant plus que cette personne n’a pas choisi de naitre d’une nationalité A, d’une ethnie B, d’une race C ou d’une religion D. J’espère que Frederic Nzeyimana condamne avec la même ardeur les crimes commis contre des Tutsis uniquement parce que ces personnes innocentes étaient Tutsis.

        Enfin, la lutte contre l’impunité passe par l’identification précise des présumés coupables pour qu’ils répondent de leurs actes et soient poursuivis en justice. Aucun juriste sérieux n’engagera de poursuites judiciaires contre la « dynastie des Bahima » qui a « dirigé le Burundi pendant 40 ans sans interruption ». La question de la responsabilité des crimes odieux commis au Burundi est capitale et ne devrait pas être abordée avec légèreté.

  2. Novat Nintunze

    Excellente rétrospective. A la fin je me suis demandé si, sur la question des droits de l’homme, nous avons fait du sur-place, avons avancé à pas de tortue, ou avons pris quelques marches en arrière. Ça me rappelle le recueil d’A. Kaburahe de ses cinq ans d’éditoriaux.
    Les quatre idées proposées pourraient certainement nous faire avancer, si jamais elles étaient acceptées et mises en pratique. Personnellement je n’ai pas beaucoup d’espoir dans la bonne volonté de leaders aux pouvoirs illimités. Justement c’est à cause de ces pouvoirs illimités des agents du gouvernement et du parti que les exactions se commettent. La question donc est comment les fameux pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) peuvent effectivement réaliser leurs missions. Particulièrement le judiciaire. Comment le rendre indépendant de l’exécutif pour qu’il puisse exercer son devoir de contrôle sur ce dernier ? Des juges des hautes cours investis à vie ? Avec une rémunération qui leur garantit une certaine indépendance financière ? Nous venons d’assister comment, dans deux pays dits développés, un pouvoir judicaire efficace a indépendamment dit le droit et fait ses comptes à des personnes très puissantes.
    Chez nous il est particulièrement frappant comment chaque personne avec une quelconque autorité se comporte comme un potentat: du policier au général, de l’administrateur au Président, en passant par autant de positions intermédiaires qu’on pourrait énumérer. Un pouvoir absolu corrompt dans tous les sens imaginables. Je ne sais pas si nous trouverons une solution à ce problème.

    • Eugene Nindorera

      La question des abus des autorités qui restent impunis et celle du manque d’indépendance du pouvoir judiciaire ne datent pas d’hier. Aujourd’hui, ces questions se posent avec encore plus d’acuité et il est effectivement difficile de trouver une solution à des problèmes de plus en plus complexes. Pour de nombreuses raisons, les une plus vitales que les autres, abandonner n’est pas une option (« Giving up is not an option »), mais que faire pour que cela ne soit pas qu’un simple slogan ? Continuons à nous poser cette question fondamentale et complexe, et continuons à essayer d’y apporter des réponses, individuelles ou collectives, susceptibles de conduire à long terme aux changements profonds auxquels aspire la grande majorité des Burundais.

  3. Bwengebuke Pierre Célestin

    Merci Monsieur Eugène Nindorera pour cet article.
    Ce document est bien écrit et compte beaucoup d’informations utiles surtout tirées d’une expérience et observations personnelles. Il me semble que les propositions de mesures à prendre pour crédibiliser le discours du gouvernement vont être difficiles à mettre en oeuvre parce que le gouvernement ferait presque pour au moins les raisons suivantes:
    -sa légitimité vient de la force de nuisance des Imbonerakure qui ont sont la colonne dorsale du pouvoir en place dans la gestion sécuritaire du pays peut-être même plus que l’armée et la police.
    -la bonne gouvernance empêcherait aux tenants du pouvoir d’assouvir leurs intérêts personnels qui est en quelque sorte leur premier objectif et qui prime sur toute autre considération.
    -mettre en ouvre de telles mesures couterait in fine le pouvoir au CNDD-FDD sans nul doute en favorisant l’émergence d’autres forces concurrentielles comme le CNL.
    De ce qui précède, j’en déduit que votre papier ne suscitera pas beaucoup d’intérêt chez les tenants du pouvoir actuel.
    Nonobstant, cette réflexion permet de comprendre les enjeux des droits de l’homme dans le pays de Mwezi Gisabo.
    J’espère que la jeunesse, avenir de ce pays, lira ce papier qui permettrait de mieux préparer l’avenir de la nation.

    • Eugene Nindorera

      Mon papier ne cherche pas à susciter un intérêt chez les seuls tenants du pouvoir actuel. Le pouvoir n’est pas homogène et il est difficile de circonscrire les « tenants » de ce pouvoir. Au sein de ce dernier groupe (et de n’importe quel groupe), les rapports de force et les intérêts ne sont pas immuables. Ce papier cherche à susciter un intérêt chez le maximum de personnes, en espérant que ces personnes prennent conscience de la nécessité et de la possibilité de transcender les clivages divers pour contribuer à amorcer un véritable changement en matière de gouvernance et des droits de l’homme. Votre dernière phrase montre l’intéret que vous portez aux jeunes et vous avez bien raison. Cependant; s moins jeunes et/ou les plus vieux doivent les accompagner d’autant plus que les tenants du pouvoir, au Burundi comme ailleurs, ont tendance à vouloir s’éterniser au pouvoir.

  4. Stève NDIKUMWENAYO

    Merci pour ce tableau presqu’exhaustif de l’évolution

  5. Jisho

    Je suis sidéré que je sois le premier qui ai fait une remarque.
    Eugène Nindorera est ce qu’on nomme dans notre culture (avec respect et admiration) umushingantahe, umugabo.
    Il a été Délégué général au College du St Esprit, délégué général à l’Université du Burundi.
    Son exposé est d’une très grande valeur et très grande honneteté
    Nos dirigeants devraient le lire et le méditer.
    En un mot, notre malédiction est:
    1) Non respect des droits de l’homme (Que de sang versé)
    2) La mauvaise gouvernance et corruption (l’un des pays les plus corrompus au monde)

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