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Environnement

« En parlant de la biodiversité, parlons aussi de l’homme »

21/08/2019 Commentaires fermés sur « En parlant de la biodiversité, parlons aussi de l’homme »
« En parlant de la biodiversité, parlons aussi de l’homme »

Des feux de brousse ne cessent de dévaster plusieurs hectares de forêts. Riches en biodiversité, les aires protégées du Sud ne sont pas épargnées. Léonidas Nzigiyimpa, président de l’association ‘’Conservation et Communauté de Changement ‘’ (3C) fait le point.

Quel est l’état des lieux des feux de brousse au sud du pays ?

Ils sont devenus récurrents, surtout pendant les mois de juillet, août et septembre. On les appelle des feux tardifs à l’opposé des feux précoces.
Ces derniers s’observent en avril, mai et juin. Ce sont généralement des feux de gestion. C’est le cas des aires protégées dans la savane abritant des herbivores à l’instar du Parc National de la Ruvubu.

D’une part, ce sont des feux volontaires qui permettent d’avoir de jeunes pâturages durant la saison sèche. D’autre part, c’est une technique utilisée pour créer des îlots servant de barrage en cas d’incendie criminelle ou accidentelle. Ce genre de feux permet de suivre l’évolution de différentes espèces d’arbres ou d’herbes dans un espace donné.

Spécifiquement dans le sud du pays, quelle est la situation ?

Cette année, plusieurs cas de feux de brousse tardifs y ont été déjà observés. D’après les agents de l’OBPE (Office Burundais pour la Protection de l’Environnement) affectés sur place, le bilan est de 20 ha dans la réserve naturelle forestière de Bururi (Gikokoma) ravagés par le feu, 63 ha dans la réserve naturelle de Vyanda (60 ha à Muzimu et 3 ha à Murongozi) et 200 ha dans les paysages protégés de Mukungu Rukambasi.

Quelle est l’importance de cet espace?

Au sud du Burundi, nous avons la réserve forestière de Bururi, celle de Vyanda, la réserve forestière de Rumonge, la petite réserve de Nkayamba aux portes de la sortie de la ville de Rumonge vers Bujumbura, et Kigwena.

Cette dernière est une forêt impressionnante qui ressemble étrangement à la forêt équatoriale. Nous avons aussi les paysages protégés de Makamba. Tout cet espace géographique constitue un hotspot.

C’est-à-dire ?

Il s’agit d’un terme technique pour désigner une aire protégée ou un espace considéré comme très riche en biodiversité. Je donne l’exemple de quelques espèces emblématiques : les chimpanzés à Bururi et Vyanda et les massifs montagneux de Mukungu-Rukambasi.

Ces aires sont aussi très riches en services éco-systémiques. Ce sont des sources d’eau, des châteaux d’eau très importants. S’il advenait que ces aires protégées disparaissent, ces sources tariraient.

Toutes ces aires protégées sont dans le bassin du Congo. Les cours d’eau qui y prennent source sont des affluents du lac Tanganyika. Ce dernier doit en grande partie son existence à ces forêts perchées sur le prolongement sud de la Crête Congo-Nil.

La richesse biologique y est aussi immense. On trouve une espèce endémique de grenouille à Bururi. Il s’agit de la petite grenouille bleue également trouvée récemment dans la région du lift Albertin.

Quelles sont les causes de ces feux de brousse ?

Quelques cas sont provoqués de manière accidentelle, mais beaucoup de feux de brousse résultent des brûlis dans les champs ou viennent des ménages installés à l’intérieur de ces aires protégées. Il y a aussi des collecteurs de bois de chauffe, des éleveurs à la recherche de pâturage.

Néanmoins, toutes ces aires disposent des éco-gardes ….

Oui. Face à cette situation, les services de la conservation sont impuissants pour plusieurs raisons. Malgré leur volonté et leur courage, ils sont numériquement et qualitativement insuffisants.

Sont-ils les seuls handicaps pour une préservation effective de ces patrimoines ?

Les communautés riveraines sont faiblement impliquées dans la gestion et la protection desdites aires protégées. Plusieurs conflits fonciers existent entre les services de leur gestion et les riverains. D’où un manque de collaboration.

Ces aires n’ont pas de budget propre, hormis les petits salaires peu motivants des éco-gardes. Elles ont très peu de partenaires techniques et financiers.

Du coup, les communautés ne voient pas directement d’intérêt pour la conservation de ces espaces. Elles les considèrent comme des espaces non-valorisés.

N’y-a-t-il pas aussi un problème de sensibilisation et d’aménagement de territoire ?

Il existe un conflit entre le développement et la conservation. Plusieurs infrastructures socio-économiques telles que des écoles, des centres de santé… sont érigées dans les aires protégées à Vyanda, Kigwena et Rukambasi. Très peu d’actions de sensibilisation des communautés sur la prévention des feux de brousse et sur ses conséquences néfastes sur l’environnement sont menées.

Pour les administratifs à la base, il y a ignorance des dangers que comportent ces feux de brousse sur les ressources naturelles.
Côté technicien de l’environnement, le manque de moyens et de motivation est un handicap sérieux pour concevoir et appliquer un programme continu de sensibilisation.

Tant que les communautés ne seront pas impliquées, il y aura toujours des problèmes. Je suis convaincu que la solution durable passera par là.

Comment les impliquer ?

Il faut engager un dialogue, un cadre de collaboration permanente. Et ce, à travers la mise en place des comités locaux de gestion de la biodiversité. Mais il faut que ces derniers soient suffisamment formés. Il faut initier des mesures incitatives en faveur de ces communautés.

Lesquelles?

Initier des actions génératrices de revenus. Il a été constaté que la pauvreté est l’une des causes majeures de la destruction de la biodiversité. En s’y attaquant, nos forêts, nos aires protégées seront préservées. Pendant longtemps, nous nous sommes focalisés sur la biodiversité, sur l’environnement. Nous avons oublié ces communautés qui ont toujours vécu dans ces espaces. Maintenant, il faut changer de stratégie. En parlant de la biodiversité, parlons aussi de l’homme. Ainsi, nous gagnerons le pari.

Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze

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