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Politique

ANALYSE – Un référendum qui ne règle rien

25/05/2018 Commentaires fermés sur ANALYSE – Un référendum qui ne règle rien
ANALYSE – Un référendum qui ne règle rien

Depuis 2015, au Burundi, les scrutins sont instrumentalisés par un pouvoir prêt à tout pour sortir de l’impasse politique où il s’est fourvoyé. A chaque fois, c’est un échec. Le référendum constitutionnel du 17 mai vient encore d’en apporter la preuve. Nous nous proposons de revenir sur les principales circonstances de ce dernier vote et sur ses enseignements, avant d’en examiner les suites, particulièrement incertaines.

Par Antoine Kaburahe et Jean-François Bastin*


Un objet constitutionnel non identifié

D’abord l’environnement politique et les conditions dans lesquelles s’est déroulé le référendum. S’agissant de la Constitution, fondement théorique de la démocratie, de grandes précautions doivent normalement être prises : explications de texte, large débat, liberté d’expression, campagne ouverte, etc. Rien de cela n’a eu lieu. S’agissant du Burundi, la Constitution promulguée le 18 mars 2005 et toujours en vigueur prévoit sa révision et en précise les modalités(1) , notamment celle-ci : « Aucune procédure de révision ne peut être retenue si elle porte atteinte à l’unité nationale, à la cohésion du peuple burundais, à la laïcité de l’Etat, à la réconciliation, à la démocratie, à l’intégrité du territoire de la République »(2) . Ceci n’a pas été respecté. Au contraire, les pressions se sont multipliées pour obliger les gens à s’inscrire, puis à voter, et à voter oui bien sûr. Le non était qualifié d’outrage à la nation.

Pendant des mois, aux quatre coins du pays, les Burundais n’ont entendu qu’un seul mot d’ordre : votez oui ! Sinon… Ce ne furent qu’intimidations, menaces, meurtres parfois, bref un climat irrespirable pour une consultation forcée, en totale contradiction avec les principes démocratiques les plus élémentaires. Il a fallu un immense courage pour le braver et oser prôner le non, certains leaders politiques et quelques manifestants l’ont fait(3) . Peut-être leur audace a-t-elle encouragé certains électeurs… Nous y reviendrons.

Mais le plus incroyable, le plus extravagant dans le déroulement de ce référendum est le fait que son objet, c’est-à-dire le nouveau texte constitutionnel, est resté pratiquement secret jusqu’au bout. En fait il n’a été « publié » que le 8 mai, soit 9 jours avant le scrutin et 5 jour après le début de la campagne officielle ! Et encore, nous mettons des guillemets à « publié » dans la mesure où ce texte n’est apparu que sur le site internet de la CENI(4) , où il fallait bien le chercher : rien ne l’a jamais signalé, aucun titre, aucun renvoi en page d’accueil, même le 8 mai et encore aujourd’hui ; pour le trouver, il fallait cliquer sur l’onglet « Textes légaux » puis sur « Constitution du Burundi » (point 2) et enfin sur « Projet de Constitution 2018 » ! Fameux dédale pour découvrir enfin, trop tard, le texte à approuver ou désapprouver…

Pourquoi ce mystère ? Les mots « pourquoi » et « mystère » vont revenir encore sous notre plume. Pourquoi le site de la CENI alors que cette révision constitutionnelle a été voulue par la Présidence qui a pris l’initiative du référendum comme l’y autorisait la Constitution(5) ? Manifestement la CENI n’a pas fait cela de sa propre initiative, elle a reçu l’ordre de diffuser ce texte. Et si on lui a donné cet ordre, c’est sans doute parce que certaines voix venaient de soulever ce problème, notamment dans Iwacu. Dans un éditorial publié le 4 mai(6) , au lendemain de l’ouverture de la campagne référendaire, le journal a posé une simple mais grave question : « Où est le texte ? » Est-ce cet éditorial qui a tout déclenché ?

C’est probable. Mais cette publication tardive, en catimini, sur un seul site internet, n’a en rien résolu le problème fondamental d’un référendum sans objet. Un texte aussi crucial, présenté aux Burundais sur internet ! Faut-il rappeler qu’au Burundi, à l’instar de la Somalie et de l’Erythrée, moins de 2% de la population a accès à ce réseau d’information ? Déjà, ouvrir un simple mail est souvent laborieux dans notre pays, on se demande par quelle magie un paysan de Cankuzo ou de Mugongomanga téléchargerait un texte de près de 58 pages ! Il y a quelques jours, sur un plateau de télévision, l’ambassadrice du Burundi en France revendiquait fièrement que son pays était de « tradition orale ». Pour la CENI et pour la Présidence, il serait plutôt très numérique… L’une et l’autre avaient le devoir de communiquer le texte constitutionnel dans plusieurs langues, en kirundi d’abord, et sur tous les supports accessibles au public burundais. Elles ne l’ont pas fait. Pourquoi ?

Cette énorme bévue dans cette nouvelle tentative de révision constitutionnelle illustre le travail d’amateur, l’agitation fébrile, et un profond mépris à l’égard de la démocratie. Mais cette désinvolture a son revers.

Un coup d’épée dans l’eau ?

Le référendum du 17 mai est un échec cuisant pour le pouvoir burundais. Certes, une nouvelle Constitution pourrait entrer en vigueur si elle était maintenant votée par le parlement comme l’exige l’article 300 de la Constitution de 2005, qui a toujours force de loi, et comme l’exige encore l’article 287 de la Constitution soumise à référendum. Nous y reviendrons, mais d’abord que vaudrait ce texte, comment serait-il appliqué, alors qu’il comporte des contradictions et des lacunes profondes ? Rien n’est fait, les problèmes ne font que commencer pour un pouvoir qui vient de se fragiliser lui-même.

Il est temps de tordre le cou à une rumeur nocive, répandue sur les médias les plus divers : selon eux, grâce à cette nouvelle Constitution, Pierre Nkurunziza serait président jusqu’en 2034. Cette lecture du texte est fausse, elle fait la part trop belle au désir de cet homme qui a proclamé, en inaugurant son troisième mandat, que ce serait le dernier ! citons-le : « Nous nous sommes engagés à respecter l’arrêt de la Cour constitutionnelle en ce qui concerne ce dernier mandat que vous nous accordez »…(7) Non, rien dans ce nouveau texte constitutionnel n’autorise un quatrième et un cinquième mandat. Au contraire, outre qu’il fait explicitement référence à l’Accord d’Arusha dans son préambule, il reprend mot pour mot dans son article 97 le précepte de limitation du nombre de mandats figurant dans l’Accord : « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs »(8).

Une nouvelle Constitution remplace la précédente, mais elle n’abolit pas le passé, elle ne supprime pas les trois mandats que Pierre Nkurunziza devrait avoir effectués en 2020. Quinze ans d’histoire burundaise ne sont pas effacés d’un trait, les pages des manuels scolaires n’en sont pas blanchies pour autant, elles existent, elles attestent de la réalité de ces trois mandats successifs. Pour permettre à Pierre Nkurunziza de se présenter une quatrième fois, il aurait fallu prévoir des dispositions particulières dans la Constitution, comparables à celles de 2005(9) . Il aurait fallu autoriser explicitement le président sortant, en fonction depuis 2005, à faire exception à l’article 97. Bref, cette Constitution lacunaire ne règle rien, au contraire : elle crée la confusion, elle autorise toutes les ambitions, y compris et peut-être d’abord au sein du CNDD-FDD.

Deuxième problème, deuxième obstacle pour ceux qui ont cru tout régler par ce référendum sans se donner la peine de rédiger une Constitution plus rigoureuse : le parcours juridique du nouveau texte. Le référendum était facultatif, il n’était qu’une étape, il n’a aucune force de loi. Comme dit plus haut, le projet doit maintenant être voté par le parlement. Ainsi le veut la Constitution de 2005, toujours en vigueur, en son article 300 : « Le projet ou la proposition d’amendement de la Constitution est adoptée à la majorité des quatre cinquièmes des membres qui composent l’Assemblée Nationale et des deux tiers des membres du Sénat. » Le plus étonnant est que cet impératif est repris tel quel dans le nouveau texte, à l’article 287.

Pourquoi ? C’est un grand mystère. Pourquoi écrire à nouveau que toute Constitution doit être impérativement adoptée par le parlement, alors même que le pouvoir voudrait que son référendum suffise à faire passer ce changement constitutionnel ? Et pourquoi avoir maintenu cette exigence d’un vote aux 4/5e de l’Assemblée Nationale ? Il n’y a pas de réponses à ces questions. Le fait est que le référendum n’a qu’une valeur indicative et qu’il faut donc aller maintenant devant les chambres.

Rien n’est donc fait, nous sommes au énième chapitre d’un feuilleton qui n’est pas près de se terminer. Les articles constitutionnels limitant le nombre de mandats consécutifs à deux et obligeant à un vote des 4/5e des députés, l’absence d’un article traitant de l’éligibilité du président sortant, sont autant d’obstacles sur la voie d’une nouvelle Constitution et d’un « mandat de 29 ans » pour un seul homme. Des obstacles d’autant plus difficiles à surmonter que le vote du 17 mai a été un camouflet pour le pouvoir. Il voulait un plébiscite, il a récolté un désaveu. Il voulait un oui massif, écrasant, dépassant le oui à la Constitution de 2005, et c’est le contraire qui s’est produit.

En 2005, le vote s’était déroulé dans des conditions parfaitement démocratiques, après une campagne totalement libre et ouverte, en présence de nombreux observateurs internationaux, le oui avait emporté 90,40% des suffrages et le non 7,58(10) . En 2018, dans les conditions non-démocratiques décrites au début, le oui a emporté, selon la CENI, 73% des suffrages et le non 19%. Pour le oui, c’est un recul énorme par rapport à 2005, et un grand succès pour le non. A ces votes négatifs, on peut ajouter une bonne part des votes nuls, qui étaient une autre façon de refuser le oui. Plus de 20% des votants ont donc osé s’opposer à ce coup de force du pouvoir. C’est inouï.

Ce référendum se retourne contre ses auteurs. Il révèle en réalité un attachement profond de la société burundaise au compromis d’Arusha et son opposition majoritaire aux manipulations constitutionnelles qui viseraient à le dénaturer. Reste, heureusement, que les apprentis manipulateurs ont mal fait leur travail et que la Constitution qu’ils ont rédigée leur promet encore beaucoup de déboires. Le CNDD-FDD ne dispose pas des 4/5e des sièges à l’Assemblée, il n’est pas au bout de ses peines.

En 2018 comme en 2015, l’outil électoral s’est avéré très difficile à manipuler. L’image du régime burundais en sort, si possible, davantage ternie. Et ce n’est pas l’interdiction de deux radios internationales, la VOA et la BBC, à quelques jours du scrutin, sonnant comme un ultime aveu, qui va améliorer cette image aux yeux du monde entier.

> Antoine Kaburahe fondateur et directeur du Groupe de Presse Iwacu est journaliste, écrivain et éditeur. Il suit la politique burundaise depuis plus de 25 ans. Contact : [email protected]


> Jean François Bastin a fait l’essentiel de sa carrière à la RTBF pour laquelle il a couvert de nombreux conflits africains, donc ceux du Rwanda et du Burundi. Retraité depuis 2004, il a effectué plusieurs missions de formation auprès des médias burundais, dont Iwacu.

Les deux journalistes sont coauteurs en 2014 du livre « Cinq ans de réflexions (2008-2013) » publié en 2014 par les Editions Iwacu

_________________
(1)Titre XIV, articles 297 à 300.
(2)Article 299.
(3)Citons Agathon Rwasa (FNL) et Léonce Ngendakumana (Frodebu). Par ailleurs, à Ngozi et à Gitega, à la surprise générale, des milliers de personnes ont défilé pour soutenir l’Amizero y’Abarundi, la coalition échappant au contrôle du CNDD-FDD, le parti présidentiel.
(4)Commission électorale nationale indépendante.
(5)Article 298.
(6)Iwacu n°477. Editorial signé Léandre Sikuyavuga.
(7)Discours d’investiture du 20 août 2015.
(8)Protocole II, chapitre 1, article 7, point 3.
(9)Titre XV, articles 301 à 303.
(10)Chiffres donnés par la Cour constitutionnelle en son arrêt RCCB 121 du 18 mars 2005

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