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Politique

Vugizo/Crise de 1972 : une soif de réconciliation se fait sentir…

23/09/2020 Commentaires fermés sur Vugizo/Crise de 1972 : une soif de réconciliation se fait sentir…
Vugizo/Crise de 1972 : une soif de réconciliation se fait sentir…
Selon Pierre Claver Ndayicariye, la CVR a déjà vérifié et confirmé 8 fosses communes à l'ancien chef-lieu de la commune Vugizo.

48 ans après, les rescapés de la ‘‘tragédie’’ de 1972 de la commune Vugizo en province Makamba gardent une mémoire fraîche d’un passé douloureux. Mais, pour eux, une réconciliation avec les bourreaux est davantage essentielle même s’ils n’écartent pas la dimension judiciaire. La CVR, elle, promet d’approcher les présumés auteurs. Témoignages.

Les bâtiments abritant les bureaux de la commune Vugizo sont aujourd’hui relativement neufs. Ce mardi 15 septembre, ce sont des dizaines de femmes et hommes qui se sont rassemblés à la place. Pour sollicitation de services peut-être. Ces bureaux sont érigés à la colline Martyazo.

Mais ils n’ont pas toujours été là. Il y a quelques années, le chef-lieu communal de Vugizo se situait à la colline Gikuzi. De Martyazo, il faut regarder en bas. Gikuzi est une colline mitoyenne à une basse altitude. Aujourd’hui, difficile de voir de loin les constructions qui furent la commune Vugizo. Sur place, la végétation est dense. Des arbres de différentes natures. Des avocatiers et des pins pour la plupart…

Selon les témoignages des habitants de la localité, ces avocatiers et pins ont été plantés sur des fosses communes de centaines de gens, Hutus, des collines de Vugizo massacrés un lundi de mai 1972. «C’était pour tenter de cacher ce massacre ». La commission vérité et réconciliation (CVR) dit avoir identifié, vérifié et confirmé 8 fosses communes par-là, dont sept de 1972 et une de 1997. Ce mardi, une équipe de la CVR a terrassé un peu les 8 fosses pour marquer le lancement de la 2eme phase des exhumations des restes humains des victimes de 1972 au sud du Burundi. Elles sont alignées dans l’ordre de l’alignement de ces avocatiers et pins…

Le chef-lieu communal sera délocalisé de Gikuzi à Martyazo, à l’avènement de l’administrateur communal Justin Ntezukobagira, lui-même rescapé. Cet ancien administratif témoigne : «Nous avons dû le délocaliser car l’endroit ravivait les blessures, le passé douloureux. Il fallait un endroit sain qui peut rassembler tout le monde sans arrière-pensée ». Car le jour du massacre, ils s’étaient rassemblés à Gikuzi, à ce chef-lieu communal…

Mémoire d’un passé douloureux

Quand la crise éclate, Josaphat Nzeyimana a 12 ans. De sa colline Jongwe, il apprend que des hommes couverts d’herbes sont arrivés en commune Nyanza-Lac à partir du la RDC. Il apprend qu’ils pénètrent la commune Vugizo et tuent des hommes de l’ethnie Tutsie. Parmi les tutsis tués dans sa localité par ces inconnus, il en connaît Rukocora et Matunu.

Selon son témoignage, les Tutsis prennent ensuite fuite vers Bururi avant de regagner leurs ménages quelques semaines plus tard. « Et c’est le début de la chasse des Hutu ». Des listes sont établies par des administratifs à la base. Des Hutus instruits, commerçants, etc. sont ciblés. « C’était sur commande de l’administrateur communal de Vugizo de l’époque». Emmenés au chef-lieu communal, ils étaient ensuite tués un à un, par balle dans le crâne.

Le tour de Marc Ndemera, père de Josaphat, avec 15 autres Hutu de Jongwe, arrive un vendredi, au 15 mai 1972. « Ils ont été jetés ensemble dans une toilette à la colline Rutegama ». Josaphat Nzeyimana comparaîtra lui-même le lendemain au bureau de l’administrateur avec sa mère et un bébé de 3 mois. «On nous traitait de bamenja, on nous taxait d’avoir collaboré avec les ‘’mulelistes’’». Pour lui, ces tueries n’étaient vraiment pas une répression. «Ils voulaient simplement éliminer une ethnie ». Le président de la CVR parle plutôt de ‘‘listes préétablies’’.

Adrien Toyi, un septuagénaire de la colline Rabiro, dit avoir vu de ses yeux lesdits ‘‘mulelistes’’. « Chez nous à Rabiro, ils ont tué plus d’une vingtaine de Tutsi ». Sur l’identité des ‘‘mulelistes’’, il parle de « certains Hutu, des traîtres qui avaient caché leurs visages avec des herbes pour passer incognito».

Les tueries continuent silencieusement et sous des applaudissements. «L’administrateur obligeait les gens à applaudir la mort des ‘‘bamenja’’ y compris des siens et celui qui s’y refusait subissait le même sort de la mort ».

Un « lundi noir »

Mais l’horreur arrive un lundi. Ismaël Girukwigomba, 74 ans, raconte : « L’administrateur a convoqué une réunion de toute la population au chef-lieu communal. Il parlait d’une réunion de pacification, d’une paix retrouvée. Tout le monde a répondu fièrement présent au rendez-vous. Et une fois sur place, il a demandé aux chefs collinaires de lui remettre les listes qu’ils avaient commandées. »

Selon lui, plusieurs Hutu ont été réunis ce jour dans le Tribunal de Résidence, à deux pas du bureau communal, avant d’être brûlés vifs. Il évoque un bilan d’au moins 400 victimes de ce jour. «Après un tour, Antoine appelait les autres. Personne ne pouvait s’enfuir. Ils étaient entourés de militaires lourdement armés ». Ismaël Girukwigomba parle d’un « lundi noir ».

Le président de la commission vérité et réconciliation évoque une «barbarie sans nom qui a fauché de nombreuses familles de Vugizo suite à l’intolérance politique et le venin de la haine ethnique». Ces innocents, affirme Pierre Claver Ndayicariye, ont été assassinés par le mépris, l’arrogance et l’irresponsabilité d’un pouvoir politique de la 1ère République.

Une réconciliation oui, mais…

Justin Ntezukobagira et Adrien Toyi soutiennent que la réconciliation entre les bourreaux et les victimes a déjà été engagée à Vugizo.

Interrogé sur leur cohabitation, 48 ans après les faits, ces habitants, Hutu et Tutsi, indiquent que certains rescapés se sont déjà réconciliés avec leurs bourreaux. «On se serait déjà sauté dessus s’il n’y avait pas eu une certaine résilience chez les victimes », affirme Ismaël Girukwigomba, Hutu. « Mais tout n’est pas du tout blanc ».

Quant à lui, Adrien Toyi, Tutsi, pointe du doigt les politiques dans l’échec du processus de réconciliation effective au niveau de la base : «Chez nous, les Hutu et les Tutsi s’aiment, se marient. Mais le problème vient d’en haut, chez les politiques. »

En tout cas, ces rescapés disent avoir soif de la réconciliation effective. «Même Dieu nous recommande de nous pardonner les uns les autres », soutient Josaphat Nzeyimana, avant d’ajouter : « Mais aussi, il ne faut oublier de rendre justice car elle est là pour cela.»

Josaphat Nzeyimana et Justin Ntezukobagira disent que le préalable est la reconnaissance par les bourreaux et les commanditaires de leurs crimes. Et de demander à la CVR d’aider pour les réparations chez les rescapés.

Pierre Claver Ndayicariye promet d’approcher l’administrateur communal de Vugizo et le gouverneur de Bururi de l’époque (Makamba était alors un arrondissement de la province Bururi) pour éclairer sur ces tueries.

Hormis les 8 fosses communes de Gikuzi, ces travaux d’exhumations des restes humains concerneront aussi une fosse commune de Martyazo et une autre de la colline Rutegama, dans la même commune de Vugizo. Cette campagne se clôturera le 26 septembre. Après Makamba, ce sera le tour de la province Bururi.

CVR

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