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Qu’est-ce qui fait courir Rukara ?

05/05/2013 Commentaires fermés sur Qu’est-ce qui fait courir Rukara ?

Dans l’édition n°167, nous avions mis en doute la sincérité d’El Hadj Mohamed Rukara, et les faits semblent nous donner raison. On avait dit que la déclaration de l’Ombudsman était un signe d’un manque de cohésion au sein du parti, et on ne pensait pas si bien dire. Aujourd’hui, force est de constater qu’aucun dossier de corruption traité par l’Ombudsman ne menace sa vie. Et puis, rien ne l’empêchait de divulguer l’identité de ceux qui le menacent.

<doc4147|right>Mais alors, qu’est-ce qui fait courir Mohamed Rukara pour avoir fait une déclaration aussi fracassante ? D’emblée, il a voulu se présenter comme un champion dans la lutte contre la corruption pour protéger et défendre les intérêts publics, en ramenant dans les caisses de l’Etat les deniers volés. Seulement, on peut se demander pourquoi il a attendu si longtemps. En effet, fallait-il qu’il soit d’abord Ombudsman, ou pouvait-il tout aussi bien le faire quand il était deuxième personnalité du conseil des sages du parti au pouvoir ? Cela voudrait-il dire qu’il avait alors les mains liées et qu’il serait plus libre aujourd’hui pour dénoncer la corruption? Le rendez-vous manqué de ce dimanche 27 mai est très éloquent.
Un comportement logique…
Que l’Ombudsman ait été retenu par une disposition régissant le fonctionnement et l’organisation de l’institution, c’est tout à son honneur. Pourtant, il risque de ne pas convaincre, une fois de plus, puisqu’il était supposé connaître les règles régissant l’institution, avant de lancer sa bombe médiatique. Surtout que cette disposition qui l’enjoint au secret se trouve dans la formule de prestation de serment de l’Ombudsman, et ressemble plus à l’obligation au secret du prêtre, du médecin ou de l’avocat. Qu’il l’empêche de dénoncer les gros dossiers de corruption semble être une échappatoire, une caractéristique de la logique de l’autoprotection de nos chers politiciens.
Si Mohamed Rukara a décidé de ne pas parler, c’est qu’il a de bonnes raisons de se taire. Et c’est logique puisque l’histoire récente de la gestion du pays l’implique à un niveau très élevé : il fait partie du conseil des sages du Cndd-Fdd, l’organe qui prend en réalité les décisions. Comprendre que sa conscience lui dicte de se taire est normal.
Il en serait de même s’il avait peur de dénoncer des gens plus puissants que lui. En tant qu’humain, la logique lui dicterait aussi de se taire, tout le monde n’étant pas fait de l’étoffe des héros.
Et si c’était autre chose ?
Et si l’Ombudsman voulait profiter de la place pour monter un plus sur l’échiquier politique burundais ? A force de rencontrer des personnes d’opinions différentes, il aurait pu finir par succomber à leurs idées et à la tentation de les mettre en application, afin de se démarquer de son groupe originel d’appartenance, qui a évidemment d’autres opinions. Ce groupe d’origine peut sentir ses intérêts menacés par cette stratégie individualiste mettant en danger sa cohésion, d’où des menaces…
Après une prise de conscience de la gravité de ce comportement, l’Ombudsman s’est rétracté, en invoquant un dispositif légal. Sans oublier que les dénonciations de M. Rukara auraient affaibli le parti au pouvoir, donnant ainsi une occasion à l’opposition de dénoncer de plus belle la mauvaise gouvernance.
Malheureusement, la conséquence d’une telle action est d’affaiblir l’institution de l’Ombudsman. En décidant de se taire, même s’il a invoqué la loi, M. Ruhara a dénaturé la fonction de l’institution d’ombudsman. Rien n’empêche de croire qu’il a menti, alors que son serment le lui interdit.
Au niveau institutionnel, ce mensonge risque de créer des affrontements inutiles entre l’institution de l’ombudsman et ledit groupe de corrompus, affaiblissant ainsi l’institution de médiation vis-à-vis des autres.
Des conséquences graves…
En se taisant, il semble que l’Ombudsman ait perdu sur deux bords. La première conséquence est la perte de confiance de la population, comme en a témoigné l’émission Kabizi de la RPA, ce lundi 28 mai. Sans oublier que sa nomination n’avait pas été unanime dans l’opinion nationale.
Même au sein du parti au pouvoir, il a perdu puisque sa déclaration qui dénonce un groupe de corrompus a eu l’effet d’une seconde bombe au sein du Cndd-Fdd, la première ayant été larguée par Manassé, à la plus grande joie de l’opposition.
Pourtant, s’il avait parlé, il aurait gagné au niveau de la légitimité nationale et internationale, mais perdu au niveau de son appartenance politique. Mais n’est-ce pas cela être un véritable homme d’Etat.
Certains auraient peut-être payé à la place des plus puissants, mais quelque chose aurait sûrement changé.
L’Ombudsman semble avoir pris la politique dans son sens négatif : utiliser la ruse, la tromperie, l’échappatoire, des pratiques qui ont gagné leurs galons chez nos politiciens, et qui consistent à faire le contraire de ce qu’on dit ou doit faire.
Mais ce comportement a un revers de la médaille : la mort politique et sociale de l’individu.
Rappel des faits
Dimanche, 27 mai 2012. Le peuple burundais, les corps diplomatiques et consulaires et tous les partenaires de notre pays attendaient impatiemment la sortie médiatique de Mohamed Rukara. Il avait promis, trois semaines auparavant, qu’il portera à la connaissance des Burundais et de l’opinion internationale, le petit groupe de corrompus qui menacent sa sécurité. Rendez-vous manqué ? Non, car l’ombudsman, profitant des festivités organisées par l’association des natifs de Bujumbura, glisse son message: « Concernant notre sécurité, nous voudrions rassurer la population burundaise et l’opinion internationale que la situation s’est beaucoup améliorée. Nous saisissons cette occasion pour remercier du fond du cœur son Excellence Honorable Pierre Nkurunziza pour la diligence avec laquelle il nous a témoigné son soutien indéfectible en renforçant notre sécurité et en nous encourageant d’aller toujours de l’avant (…) »
La grande déception fut quand Mohamed Rukara déclare : « Le bureau de l’ombudsman s’est réuni vendredi, 25 mai dernier, et a recommandé à ce dernier de rester serein pour éviter qu’il y ait distraction dans l’accomplissement de sa mission. » Le bureau, continue-t-il, a aussi constaté que la loi portant organisation et fonctionnement de l’institution de l’ombudsman en son article 5 l’oblige à des réserves. Il se doit « de ne révéler aucun secret qu’il aura obtenu pendant et après l’exercice de ses fonctions. » Pourtant, il avait juré de ne pas céder aux intimidations et aux chantages.
9 mai 2012. Jérôme Ndiho, porte-parole de l’ombudsman, alerte l’opinion. Il déclare qu’il y a des gens qui sont déterminés à tuer Mohamed Rukara. La menace est si grave que ce dernier demande au peuple d’exiger qu’une autopsie et d’autres analyses d’ADN soient faites, au cas où il serait assassiné, pour identifier ses criminels. L’ombudsman garantissait au peuple une détermination infaillible pour défendre les droits de l’homme et lutter contre la corruption.

Une peur qui n’est pas fondée

La réaction de Philippe Nzobonariba, porte-parole et secrétaire du gouvernement, n’a pas tardé à tomber, suivie de celle du ministre de la sécurité publique. Ils estiment qu’il n’y a pas de dossiers connus et présentés au gouvernement pour qu’il s’y penche. M. Nzobonariba avait été, on ne peut plus clair : « Le gouvernement ne peut pas travailler sur des rumeurs sans qu’il ait des éléments palpables (…). Il ne pourrait pas non plus créer des polémiques sur un dossier inexistant.»

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