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Pour garantir la réconciliation, des initiatives privées sont déjà en marche

05/05/2013 Commentaires fermés sur Pour garantir la réconciliation, des initiatives privées sont déjà en marche

Des églises, des associations, des ONGs ont déjà enclenché des initiatives non officielles dans le sens de la réconciliation. L’étape franchie est satisfaisante mais des questions se posent : ces initiatives sont-elles complémentaires à la Commission Vérité et Réconciliation qui sera mise en place par le gouvernement ? Ces initiatives ne risquent-elles pas d’être remises en cause par les décisions de la CVR  ou d’entraver ses activités ?

<doc7583|left>A la croisée de trois chemins, sur la colline Musema, commune Butaganzwa (province Kayanza) en face de l’église baptiste : un monument se dresse en mémoire de cinq fils d’une même famille, tous tués entre le 29 avril et le 31 mai 1972. Leurs noms y sont mentionnés : Joas Ntibategera, Philippe Gafirimbi, Jered Ntibatorwa, Léon Muduga et Antoine Nindagiye. On y trouve aussi les noms de leurs parents : Téri Sibomana et Kezia Kibinakanwa.

Il est 15 heures. Deux veuves arrachent les herbes tout autour. L’une d’entre elles, d’une voix timide mélangée d’émotion, souligne qu’elle vient s’y recueillir tous les deux mois. Cette ancienne enseignante mentionne que le monument a été inauguré le 3 décembre 2011 et construit avec l’appui de l’église baptiste. Pour elle, il est significatif : « J’ai longtemps voulu faire construire un monument pour mon mari mais en vain puisque je n’en avais pas les moyens. Avoir ce monument, c’est un soulagement pour moi. Je me demande comment mes enfants pourront organiser mes propres obsèques alors que je n’ai pas pu le faire pour mon mari », précise Véronique Minani.

Avec des yeux inondés des larmes, s’appuyant sur son bâton, Elisabeth Niyonkuru, la veuve de Joas Ntibategera, ne trouve pas facilement les mots pour dire ce qu’elle ressent en voyant ce monument. Après un moment de réflexion, tout en contemplant les noms des siens, elle affirme:« Des fois, en voyant ce monument, des bons souvenirs me reviennent en tête.Mais je me rappelle aussi de ces années de cauchemars et cela me fait souffrir énormément. Quand je vois le nom de mon mari et de mes fils, c’est à ce moment que je remarque réellement l’importance de ce monument ».

Cependant, un monument ne répare pas tout, Ainsi, les deux veuves estiment que si le gouvernement parvenait à leur accorder quelque chose en réparation, ce serait une bonne chose,quelque chose de plus réconfortant. Véronique Minani revient même sur les promesses faites par le Président lors de son discours à la Nation le 31 décembre 2010 : « Le chef de l’Etat avait dit que nous, les veuves de 1972, allions recevoir des dédommagements pour avoir souffert depuis 40 ans ».
D’après elle, il faut que cette promesse soit honorée. « Sinon, on aura toujours l’impression d’être seules dans ce combat vers la réconciliation », indique Mme Minani.

« Les monuments rappellent les erreurs du passé à ne pas refaire »

Ceux qui ont vu ces jeunes fonctionnaires partir, sans revenir, indiquent que la construction de ce monument est venue à point nommé. Ils proposent que de telles stèles soient érigées dans tous les coins qui ont connu des tueries. Pour Morèle Ntirampeba, professeur au Lycée Musema, âgé de 54 ans: « Construire un monument est une chose importante qui devrait être faite dans chaque communauté qui a connu une tragédie. Les monuments rappellent les erreurs du passé à ne pas refaire. »

Mentionnant les émissions médiatiques abordant la réconciliation, le professeur Ntirampebasouligne que ces dernières rappellent la triste histoire du Burundi et incitent à dire la vérité et à se réconcilier. « Ces émissions stimulent notre conscience, pour qu’on puisse penser à ce que nous devons faire pour un avenir meilleur ». Il demande par ailleurs la multiplication des ateliers en rapport avec la justice transitionnelle pour que toute la population soit informée.

<doc7582|left>« Le gouvernement est en retard »

Si la question de savoir si ces initiatives non-officielles sont venues au moment opportun, Morele Ntirampeba est clair : « Personnellement, je trouve que l’Etat est en retard dans ce programme. Sinon les ONGs, les églises, les associations locales, … n’auraient pas été les premières sur terrain ». D’après lui, ces dernières parviennent à rassembler les gens, les bourreaux et les victimes. « C’est pour les aider à cohabiter en attendant peut-être que le projet du gouvernement démarre. Et les gens reconnaissent publiquement leurs crimes et demandent pardon. Tout cela grâce à ces initiatives non-officielles. »
Pour lui, il n’est pas bon que le gouvernement soit le grand absent de ces actions, alors que c’est lui le grand acteur. « On n’est pas obligé d’attendre un projet gigantesque, alors que cela peut être organisé commune par commune, par exemple », s’indigne-t-il.

Le sport : un outil important de réconciliation

Ce n’est pas seulement à Musema que ce genre d’initiatives existent. A Kibimba, zone Kabanga, commune Giheta, province Gitega, il y a déjà plus de dix ans que ces actions sont là. Aloys Ningabirade l’ONG MIPAREC (Ministère pour la Paix et la Réconciliation par la Croix) est membre du comité de paix de Kibimba depuis 1994. Il indique que c’est l’église des Amis qui a pris les devants. Avec la contribution de Suzanne (une volontaire blanche), raconte-t-il, les Hutu et les Tutsi ont pu se remettre ensemble. M.Nzisabira précise qu’on a procédé par le sport : outil important de réconciliation, des travaux de développement comme la confection de nattes pour les femmes, etc. Et Matthias Ndimurwanko ajoute qu’on est passé aussi par l’éducation des jeunes car « le péril d’un troupeau commence par l’étable ».

Rappelons qu’avec le massacre des élèves et des Tutsi de Kibimba, en 1993, un camp de déplacés tutsi s’installe au Lycée de Kibimba. Il est gardé par des militaires. Les Hutu restés dans les collines trouvent refuge dans les marais et les communes environnantes. Un climat de méfiance se crée.

« Car, quand la population à majorité Hutu voyait les militaires, elle était pris de panique. Elle pensait que les militaires allaient un jour se venger. Avec les rencontres amicales et sportives, la peur a commencé à disparaître. De l’autre côté, les femmes Hutu, Tutsi et Twa se mobilisaient pour la paix », indique M.Nzisabira. En plein affrontement entre rebelles et militaires,une stratégie d’information a été mise en place : « Les Hutu devaient avertir les Tutsi en cas d’attaque des rebelles et les Tutsi devaient avertir les Hutu si les jeunes Tutsi radicaux et les militaires planifiaient une quelconque vengeance ».
Il trouve que les résultats de ces initiatives sont utiles pour la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) et conseille au gouvernement de venir s’inspirer de ces expériences, ce une fois la commission mise en place.« Que ça ne soit pas un travail de bureau parce que ce ne sont pas ces gens de bureau qui ont souffert mais le petit peuple » précise-t-il encore.

Elie Nahimana ajoute que le MIPAREC a étendu ses actions vers les communes de Mutaho (Gitega), Rutegama (Muramvya), Ruhororo (Ngozi), Butezi (Ruyigi), Ruyigi et Nyanza-Lac (Makamba).

La commémoration : une autre initiative privée réconciliatrice

Sous l’initiative de l’association AMEPCI Gira-Ubuntu, les victimes commémorent les événements douloureux. « Cette association rassemble les gens des différentes ethnies pour partager l’opinion sur le passé. Et de la discussion jaillit la lumière, la vérité », indique Silas Sinabajije Wenceslas, un représentant des victimes.Il signale que la vérité doit être connue. « Souvent, on dit qu’elle est connue mais cela varie en fonction des régions». D’où, précise-t-il, l’utilité de la CVR.

Sur la relation devant exister entre la CVR et ces initiatives non officielles, Jean Marie Sindayigaya, un des élaborateurs du projet de loi sur la CVR, souligne que cette dernière travaillera sur base de ce qui a été fait. :« Tout ce qui est déjà fait prépare la mise en place de la CVR. Avec notre groupe, il y a eu beaucoup de négociations, notamment avec les Nations Unies. Ce qu’il faut retenir c’est que les réalisations d’avant la mise en place de la CVR faciliteront la tâche à la commission ».
M.Sindayigaya précise que la commission aura à se pencher sur quatre piliers : la vérité, la justice, la réconciliation et la non- répétition. Il trouve que la CVR doit tout faire pour ne pas valoriser un pilier au détriment des autres voire au risque de les oublier.

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