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Mgr Sérapion : « Le partage équitable est une solution hypocrite »

05/05/2013 Commentaires fermés sur Mgr Sérapion : « Le partage équitable est une solution hypocrite »

Mgr Sérapion Bambonanire, président de la CNTB, reste catégorique quant à la restitution des biens entre résidents et rapatriés. Selon lui, il n’est écrit nulle part que le partage en parties égales est une voie obligatoire mais une possibilité parmi tant d’autres. Pour ceux qui pensent que la problématique terre peut conduire le pays à la violence, Mgr Bambonanire fait savoir la restitution ne vient pas léser le droit de celui qui a occupé pendant des années un terrain qui appartenait à autrui.

<doc3035|right>{Quel bilan faites-vous de la situation des sinistrés?}

On sent qu’il y a une évolution très sensible de la mentalité. Ce n’est pas mon mérite personnel. C’est aussi celui des gens qui recourent à nous. Ils commencent à comprendre que la terre est un bien commun et apprennent à respecter le bien d’autrui malgré notre culture du non respect de la chose de l’autre. Il y a eu des pillages, des destructions, des accaparements, des occupations, des usurpations, etc. Le comble, c’est que tout cela est resté impuni, finissant par être une culture acceptée. Il est inutile de restituer un terrain à quelqu’un quand on sait que demain, quelqu’un peut venir et le lui reprendre.

{Quelle est aujourd’hui la politique de la CNTB dans le rétablissement des sinistrés dans leurs droits ?}

En réalité, la restitution des biens à leurs propriétaires légitimes, ce n’est pas une question de stratégie ou de politique, c’est une question de droit, de devoir moral et d’obligation pour toute la société. En effet, ce n’est pas seulement la CNTB qui doit être sensible à cette question, c’est un principe consacré à tous les droits privés nationaux et internationaux. Il faut que tout le monde se convainque qu’il n’y a pas d’autres choix dans une société de droit, chaque citoyen doit être rétabli dans ses droits et avoir sa propriété. Cela doit se faire sans heurts et sans violence entre les parties concernées. Et à la fin, la réconciliation s’impose parce que s’il n’y a pas de réconciliation, c’est-à-dire que l’action a échoué.

{Pourtant, certains estiment que cette réconciliation est menacée vis-à-vis de votre refus du partage équitable préconisé dans l’Accord d’Arusha. En quoi vous gêne-t-il ?}

Cette solution de partage que vous appelez par erreur équitable ne l’est pas parce qu’il prend à quelqu’un quelque chose qui lui revient et la donne à quelqu’un d’autre qui n’en est pas le propriétaire. C’est pourquoi nous parlons de partage égal. Etre équitable quand il s’agit de la terre signifie que chacun reçoit ce qui lui revient de droit. Dans le cas d’espèce, mon prédécesseur avec toute la commission, se sont retrouvés pratiquement devant un ordre qui n’est pas écrit et que personne n’assume aujourd’hui. Ce partage en parties égales entre le sinistré et l’occupant de sa terre personne n’en assume la responsabilité et ce n’est écrit nulle part dans les textes qui régissent la commission comme voie obligatoire. C’est une possibilité parmi tant d’autres. Aujourd’hui, nombreux sont les cas où nous décidons pour le partage, pas égal.

{Quelles sont les proportions de ce nouveau partage ?}

Il arrive des cas où nous jugeons opportun de donner au résident 2/3 de la propriété et 1/3 au rapatrié ou vice-versa, soit on donne ¼ au résident et le reste au rapatrié. Ce que nous refusons, c’est qu’on nous dise que systématiquement la solution idéale soit le partage en deux parties égales. C’est une solution hypocrite parce que ceux qui la font, ils sachent qu’après le résident et le rapatrié en viennent aux mains, ils restent insatisfaits. C’est pourquoi ils recourent aux tribunaux même après ce partage. A un certain moment, nous nous sommes rendu compte que ce partage « égal » n’étant pas équitable, était inutile et inopportun puisqu’il ne résolvait pas la question des tensions entre les parties concernées.

{Que préconisez-vous donc à la place? }

Quand nous arrivons sur une terre conflictuelle, nous nous informons pour savoir comment telle personne est entrée en possession de telle ou telle autre propriété ou maison. En effet, les situations sont différentes : il y en a qui ont occupé des terres de façon unilatérale, qui n’ont reçu ce terrain de personne, sans aucune autorisation. Ce sont des occupants de mauvaise foi. Ils ont d’une certaine manière volé. Il y en a d’autres qui ont reçu des lettres de l’administration communale, provinciale ou d’un procureur de la République. Il y a aussi ceux qui disent qu’ils ont acheté. Parmi eux, certains mentent. Ils ont de faux documents ou ont effectivement acheté mais non pas aux propriétaires légitimes. Il faut démêler toutes ces situations en dialoguant sereinement avec toutes les parties. Les situations étant différentes même les solutions seront différentes et adaptées à chaque cas. La CNTB étant une commission qui vise la paix intérieure des personnes, la tranquillité et la cohabitation pacifique, elle n’envoie personne dans la rue.

{Peut-on dire que des gens n’auront plus à recourir à la justice ?}

La CNTB n’a jamais dit que des citoyens ne pouvaient pas se référer aux juridictions compétentes. Par contre, l’expérience que nous faisons au quotidien montre qu’aucun sinistré ou rapatrié n’a jamais eu gain de cause dans ces juridictions dites compétentes.

{Ne pensez-vous pas que cette nouvelle approche est une bombe à retardement ?}

Ce n’est pas la restitution qui peut constituer une bombe. C’est au contraire la non restitution. La question est de savoir comment elle est faite. La restitution fait du bien au propriétaire légitime et à l’occupant. Si elle se passe dans le respect même de la personne qui restitue, il n’y a pas de problème. Est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut avoir la conscience tranquille s’il sait qu’il dort dans une maison qui ne lui appartient pas ? Mais en ne restituant pas c’est une torture éternelle pour le sinistré lésé.
Est-ce que vous êtes confiant d’y parvenir sans qu’il y ait de dégâts ?
Les dégâts ne peuvent pas venir de quelqu’un qui a compris que la restitution est nécessaire. Elle ne vient pas léser le droit de celui qui a occupé pendant des années un terrain qui appartenait à autrui. Ce qui peut provoquer aujourd’hui des violences ou des tensions, c’est une restitution faite sans convaincre. C’est aussi des gens qui font des interprétations fantaisistes, ceux là peuvent monter la tête aux gens et provoquer des tensions. Des résistances ne manqueront pas mais on doit aider les gens à y arriver.

{Quand vous évoquez la décision du conseil de guerre de 1972. Concrètement, de quoi s’agit-il ?}

La décision RMP 48229/OC du conseil de guerre réuni le 6 mai 1972 a, sur base de listes établies par quiconque voulait se débarrasser de quelqu’un pour occuper sa terre ou ses biens, condamné à l’exécution immédiate un nombre incalculable de citoyens. Et cela, sans avoir pris le temps d’établir des responsabilités personnelles. Il en a été ainsi à travers tout le pays, et des documents d’attribution et de confiscation existent. Ces documents confirment que même un administrateur communal a eu longtemps le droit de déclarer « coupable » tous les citoyens de son choix et de les spolier de leurs biens meubles et immeubles.

{Quid du décret présidentiel du 26 novembre 1974 ?}

Le président Michel Micombero a ordonné une main levée de saisie de certains immeubles des personnes condamnées le 6 mai 1972. Malheureusement, à côté de cette décision apparemment salutaire, nous avons découvert d’autres documents officiels qui prouvent que le décret en question est resté lettre morte. En effet, la confiscation des terres et biens appartenant aux tués et réfugiés a continué de plus belle, sous l’œil insouciant et le plus souvent sous les ordres de ceux-là mêmes qui étaient censés protéger le citoyen contre cette violation arbitraire de ses droits les plus élémentaires.

{Une opinion estime que vous ressuscitez la question ethnique. Qu’en dites-vous ?}

Ces documents que j’ai portés à la lumière de tout le monde, ils sont restés cachés depuis 1972. Pourquoi n’ont-ils pas été livrés au public pour que les gens sachent exactement ce qui s’est passé ? C’est de l’histoire. Est-ce que j’ai tort d’avoir lu des documents qui existent ? Cette certaine opinion c’est celle de ceux qui auraient aimé que ces choses-là ne soient jamais connues du public. Ils ont tout fait durant toute leur vie pour que la vérité n’éclate au grand jour. Qu’ils soient patients pour que nous aussi nous la sachions. Je n’ai pas ressuscité des choses, probablement qu’ils ont honte de ces documents-là. Ce n’est pas de ma faute s’ils existent.

{Alors que la CNTB doit veiller à la réconciliation, ne craignez-vous pas de violer ce principe ?}

Il y a des gens qui ont fait de la réconciliation un slogan pour faire taire les autres. La réconciliation c’est que tu te taises et que je sois le seul à parler ? C’est ça la réconciliation, un marché de dupe ? A court d’arguments, il y a des intellectuels qui vous disent que si vous continuez à tenir ce langage de la restitution, de rétablissement des sinistrés dans leurs droits, il y aura effusion de sang. Est-ce que c’est vraiment l’ère de la réconciliation avec des gens qui tiennent un tel langage ? Au contraire, l’ère de la réconciliation c’est l’ère de la vérité. Est-ce que le silence, la tricherie peuvent mener à la réconciliation ?
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{ La circulaire qui donne un brin d’optimisme

D’après Mgr Sérapion Bambonerane, il y a un mois, la CNTB observait un comportement hostile de la part de certains magistrats à son action et à ses décisions. Cependant, la circulaire du ministre de la Justice à l’adresse de toutes les juridictions du pays lui rassure. Selon le président de cette commission, elle demande en substance à ces dernières d’avoir une attitude de respect envers la CNTB : « Si la CNTB est en train de s’occuper d’un cas, les juridictions sont appelées à ne pas le traiter jusqu’à ce qu’elle ait pris sa décision. » La circulaire, indique-t-il, rappelle en outre aux magistrats que ceux qui s’appuient sur la prescription trentenaire pour refuser aux sinistrés leurs droits de propriété alors qu’ils étaient empêchés d’agir à cause de l’exile et de l’éloignement, arrêtent : « La décision de la CNTB est exécutoire jusqu’à ce que soient épuisées toutes les voies de recours judiciaire. Le magistrat ne peut pas casser la décision de la CNTB. » Et Mgr de se réjouir de cette mesure du ministre de la justice : « ça me console. Au moins les magistrats sont invités à penser deux fois avant de constituer une entrave au travail de la CNTB si les magistrats doivent obéir aux injonctions du ministre. »}
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{Selon certains, votre position par rapport à la question foncière vise à défendre les sinistrés de l’ethnie hutu. Quel est votre avis ?}

Est-ce que l’ethnie hutu a besoin d’être défendue ? Elle se défend toute seule. Chaque ethnie se défend parce qu’elle a des droits et des devoirs. Il y en a qui pense que les occupants des terres restées vacantes sont tous de l’ethnie tutsi ou que les rapatriés sont tous des hutu, c’est une erreur. L’histoire montre bien que par exemple à Makamba, les plaintes et litiges fonciers c’est entre des gens de l’ethnie hutu. Pourtant, c’est dans cette province où nous avons beaucoup de cas à régler. Rendez-vous à Bururi dans la zone Kigwena, vous allez trouver que ce que je dis est vrai. C’est un grand mensonge de dire que nous défendons l’ethnie hutu. Et quand nous restituons une propriété à quelqu’un, des esprits malintentionnés pensent que nous sommes en train de la prendre à un tutsi pour la donner à un hutu, c’est faux. Dans la majorité des cas, c’est une maison occupé par un hutu et restitué à un autre. Il faut être prudent. Les statistiques démontrent tout à fait le contraire de ce que les gens pensent. Donc, l’accusation portée à la CNTB d’être partiale est fausse. Quiconque ose le dire est un gros menteur.

<doc3034|left>{Quid de la prescription trentenaire ?}

En réalité, la prescription trentenaire fonctionne lorsque le propriétaire c’est-à-dire celui qui pourrait parler, troubler l’occupant est en mesure de le faire et il ne le fait pas. Par exemple une propriété x m’appartient, j’habite dans le pays mais je ne dis pas à l’occupant de quitter, je ne lui intente même pas un procès. Après trente ans, c’est normal que l’autre croie que c’est chez lui. Mais dans le cas qui nous occupe avec ce que nous savons, quel réfugié aurait retourné de la Tanzanie ou du Congo pour intenter un procès à un occupant qui a reçu cette terre-là d’un administrateur communal, tout simplement il disparaissait. Est-ce que ce n’est pas arrivé que des gens sont rentrés de la Tanzanie pour réclamer leurs terres et on leur a dit de la taire, de la boucler et de s’en aller. Nous avons des listes des gens qui sont rentrés vers les années 1976- 1977 juste quand le président Bagaza a promulgué le fameux décret de 1977. Les listes que nous avons par exemple pour les provinces de Cibitoke, Makamba, Bururi et Kirundo, démontrent que tous les rapatriés qui ont réclamé leurs terres ont été renvoyés au diable. La décision prise à 99% des cas a confirmé les occupants dans leurs droits sur la propriété. Vous voyez la prescription trentenaire, eux ils sont venus et ils ont été renvoyés au diable. Les autres s’ils étaient venus avant certainement qu’ils mourraient parce qu’il y en avait qui étaient déjà sur des listes. Tous ceux qui portaient le nom des « Bamenja » auraient-ils réclamé leurs terres ?

{Vous promettez des terres aux sinistrés « induits en erreur » au moment où tout le monde crie à leur exiguïté. Où allez-vous les trouver ?}

Parmi les missions confiées à la CNTB, il y a aussi l’enquête des terres domaniales irrégulièrement occupées ou acquises. L’enquête a été faite à travers tout le pays. Tout n’a pas été parfait parce que le temps imparti était très limité mais elle va continuer. Nous avons des milliers d’hectares que nous avons déjà identifiés et que le gouvernement par le biais du ministère de l’environnement et de l’aménagement du territoire est en train de récupérer. Le Burundi n’est pas si étroit que ça. Il suffit de réorganiser la gestion foncière. Nous construisons et cultivons très mal et en désordre. Si rien ne change dans notre mentalité, même si nous n’étions que deux mille personnes, nous serons toujours à l’étroit parce que nous avons une mentalité bizarre par rapport à la terre. Nous voulons toujours occuper et nous nous entredéchirons même quand nous avons des terres disponibles.

{Pour vous, la mise en place du fonds spécial « Terre » n’est pas nécessaire ?}

Un pays qui a déjà des problèmes pour payer ses fonctionnaires, la scolarité des enfants et les soins des malades, maintenant vous en rajouter d’autres. De l’argent pour rétablir des gens alors que cela peut être fait autrement ? Nous n’en sommes pas encore là. Essayons de résoudre cette question avec des moyens que nous avons déjà. Ceux qui recourent facilement au moyen « argent », c’est pour échapper au vrai problème. L’argent ne réconcilie pas.

{De votre côté, vous accusez les négociateurs d’Arusha de se tromper d’ennemis. De leur part, votre non participation à la confection de cet Accord constitue un handicap à sa mise en application. Qu’en pensez-vous ?}

Est-ce que tous ceux qui n’ont pas été à Arusha doivent se taire ? Est-ce qu’Arusha a tout dit ? Est-ce que nous qui ne sommes pas allés à Arusha, n’avons pas droit à la parole ou à la critique ? Je ne pensais pas qu’Arusha était un concile de l’église catholique infaillible. Arusha ? (rires) Il peut être sujet à des erreurs, imperfections.

{Concrètement, que leur reprochez-vous ?}

Les négociateurs d’Arusha ont fait de tous les Burundais des ennemis à réconcilier. Mais nous ne sommes pas tous des ennemis, les Burundais. En 1972, par exemple, des gens ne se sont pas massacrés sur toutes les collines pourtant c’est cette année où le drame a été consommé, où des terres ont été occupées et où des gens ont été contraints à l’exile. Il faut que la réconciliation se joue sur ce terrain là, sur les causes qui ont provoqué cette tragédie. Si je dis qu’ils se sont trompés d’ennemis, c’est de leur force parce qu’ils veulent que nous soyons des ennemis alors que non. Les résidents actuels ont été trompés parce qu’on ne peut pas accepter qu’une autorité communale, provinciale, etc. donne à quelqu’un une propriété à laquelle il n’a aucun droit. Même l’autre qui est parti, il n’a pas tort de réclamer son droit.

{Vous êtes accusé de tenir un langage dur et d’être catégorique par rapport à la question de restitution des biens…}

Mon langage pour dur qu’il soit qualifié, je pense qu’il n’est pas aussi dur que l’effusion de sang évoqué par certains. Est-ce que cela est doux, sympathique ? Je n’ai jamais parlé de sang en matière de restitution. Est-ce que vous pensez que mon langage est aussi dur que des coups de feu qui ont fauché des milliers des vies humaines et que nous voudrions éviter à jamais ? Mon langage est-il dur plus que la tragédie de la faim et de toutes les souffrances qui ont accompagné la marche des millions de citoyens qui fuyaient devant les armes de ceux qui voulaient les massacrer ? Est-ce que mon langage est aussi dur que la mort des centaines de milliers d’enfants par malnutrition dans les camps de regroupement ou de déplacés ou de réfugiés à cause de la triste réalité ? Mon langage est très doux même.

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