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Commerçants et banquiers à couteaux tirés

05/05/2013 Commentaires fermés sur Commerçants et banquiers à couteaux tirés

Le Syndicat Général des Commerçants s’insurge contre le dysfonctionnement des banques commerciales burundaises. Il affirme que la BRB ne joue pas son rôle de superviseur.

<doc4697|left>Le débat est houleux entre les commerçants et les responsables des banques commerciales, depuis la sortie d’une étude publiée le 9 mai 2012 par le syndicat le syndicat général des commerçants du Burundi (SYGECO). Dans cette étude, le SYGECO dénonce le dysfonctionnement du système bancaire burundais qui ruine certains commerçants.

Le 1er abus évoqué concerne l’écart énorme entre les taux d’intérêt créditeurs (7% en moyenne) fixés par les banques commerciales aux épargnants déposants et les taux d’intérêt débiteurs (17,5% en moyenne) imposés aux clients. Ces commerçants déplorent aussi le fait que les taux d’intérêts débiteurs ne sont pas indexés sur le taux d’inflation : « En cas de phénomène inflationniste, les taux débiteurs sont revus à la hausse mais les taux de rémunération des dépôts restent pratiquement rigides. Dans le cas contraire, les taux débiteurs ne varient même pas. »

En outre, ce syndicat regrette le mauvais calcul des intérêts sur le crédit dégressif. Dans son système de calcul, les banques utilisent le système de mensualités constantes dont les taux d’intérêts sont plus élevés par rapport à ceux du système des amortissements constants. Selon le SYGECO, cette différence de taux d’intérêt est évaluée, à plus ou moins 29.67% l’année, en faveur des banques. Il affirme que le système de capitalisation, dans le calcul des intérêts sur la ligne de crédit, empire les choses : «  Les banques commerciales gagnent plus de 109% des intérêts sur les intérêts normaux l’année. »

Raisons pour lesquelles plusieurs commerçants ont été ruinés. Est-ce le cas d’Elikan Sindayihebura ? En tout cas, il l’affirme : « En 2003, j’avais demandé un crédit de 70 millions de Fbu à la BBCI (Banque Burundaise du Commerce et d’Investissement) pour faire mon commerce, remboursable en deux ans à un taux d’intérêt de 20%. » Il indique avoir fait des dépôts régulièrement sur son compte bancaire. Une année après, la BBCI avait déjà retranché 62 millions de Fbu sur son compte. Il se dit stupéfait après avoir reçu une lettre de menace de la banque l’avertissant de n’avoir plus droit au crédit, pour cause de violation de convention liant les deux parties.

Depuis lors, M. Sindayihebura est mentionné sur la liste noire comme client défaillant par la Banque centrale : « Je ne pouvais pas continuer mes activités sans financement », explique-t-il. La BBCI a continué à comptabiliser les intérêts : « Fin 2011, mon compte était débiteur de 230 millions de Fbu, alors que mon entreprise est tombée en faillite depuis 7 ans. Où trouverai-je une telle somme?» Il interpelle le gouvernement, car d’autres Burundais, spécialement les commerçants, sont des victimes du système bancaire. « Nos banques nous ruinent. Par conséquent, tout le pays. Rares sont ceux qui prospèrent grâce aux crédits bancaires », s’insurge-t-il.
Le SYGECO s’indigne que tous ces abus se commettent au vu et au su de l’autorité monétaire (la BRB) dont la mission principale est de réguler et de superviser le système monétaire et financier du pays. «  Les banques commerciales profitent de la défaillance de la supervision bancaire pour tricher dans l’exécution des conventions par des moyens répréhensibles », accuse Audace Bizabishaka président du SYGECO. Il y voit une certaine complicité entre les deux institutions. Ce commerçant déplore la déclaration par la BRB de 18 mille clients défaillants : « Elle l’a fait sans aucun contrôle, alors que c’est son rôle »

<doc4699|right>« La BRB devrait d’abord vérifier avant de sanctionner ! »

Pour Faustin Ndikumana, président de la Parole et Action pour le Réveil des Consciences et l’Evolution des Mentalités(Parcem), la Banque centrale a failli à sa mission. «  La loi bancaire stipule que la banque centrale peut fixer les conditions des opérations que peuvent effectuer les banques ou les établissements financiers dans leurs relations avec la clientèle ainsi que les conditions de la concurrence », précise-t-il. La banque centrale, selon lui, est chargée de contrôler le respect par les banques et les établissements financiers des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables et de sanctionner les manquements constatés. Et d’ajouter : « La banque centrale veille au respect des règles de bonne conduite de la profession. »

De ce fait, la BRB a le droit de leur demander tout renseignement, éclaircissement et justification nécessaires à l’exercice de sa mission. « Elle peut demander à toute personne concernée la communication de tout document et de tout renseignement. Le secret professionnel ne lui est pas opposable», souligne-t-il. M. Ndikumana suggère à la BRB de mettre en place de toute urgence une commission de vérification les cas de clients défaillants. 

En outre, le président de la Parcem recommande à la BRB de suivre de près les interventions des banques commerciales pour qu’elles produisent des effets positifs au niveau de la relance économique. Par ailleurs, il trouve que la libéralisation du secteur bancaire (mis en place depuis 1986) ne garantit pas la concurrence pure et parfaite. Selon lui, les banques travaillent en association. Ainsi, les taux d’intérêts pratiqués ne chutent pas. « La BRB peut manipuler son taux directeur (taux de refinancement des banques auprès de la BRB) pour diminuer les taux d’intérêt. Par les opérations d’open market (achat et ventes des titres par la BRB dans le marché bancaire), elle peut injecter des liquidités ou alors elle peut user de ses réserves obligatoires.»

<doc4698|left>« Ce n’est qu’un leurre »

Au sujet des cas des commerçants dépossédés par les banques commerciales, Jean Ciza, président de l’association des banquiers, pense que ce n’est qu’un leurre : « Le SYGECO n’a pas précisé qui étaient ces commençants lésés. Pour citer ces cas, le président a utilisé des initiales. Cela ne veut rien. » De plus, il indique que son association ne peut pas entrer dans ce jeu, puisque les banques sont tenues, par le secret professionnel, de protéger leurs clients. Cette association accepterait de réagir à ce rapport si, par une lettre officielle, les cas évoqués assurent qu’ils ne vont pas faire des poursuites judiciaires. Selon lui, c’est une façon de faire diversion, puisque les représentants de SYGECO ont des difficultés avec leurs banquiers. « S’ils le veulent, on va jouer carte sur table », soutient-il avec insistance.

Jean Ciza nie l’affirmation selon laquelle les banques commerciales constituent un cartel. Selon lui, se constituer en une association est légale, et cela se fait aussi dans d’autres pays. A la question de l’absence de concurrence, le président de l’association des banques s’inscrit en faux contre cette assertion : « La concurrence existe bel et bien. Le taux d’intérêt est individuel, car les banques doivent séduire les clients. Parfois, une banque prend un client d’une autre. »

La BRB ne reconnaît pas le SYGECO

« Nous sommes des partenaires. C’est donc normal d’animer ensemble des conférences de presse», affirme Sota Bonaventure, conseiller à la BRB. Ce dernier, à l’accusation de complicité avec les banques commerciales, réplique : « Nous n’avons rien à faire avec ce syndicat. Nous ne le reconnaissons même pas. » Cela confirme les propos tenus par le gouverneur de la BRB qui a récemment déclaré que sa banque ne s’ingère pas dans les affaires entre les banques et leurs clients. « Si un client se sent lésé avec sa banque, il peut recours au tribunal du commerce », signale-t-il.

A propos des taux d’intérêt qui sont élevés et presque les mêmes dans différentes institutions, M. Sota nie tout en bloc : « Les taux d’intérêts sont différents. Un écart de 1% est significatif. » Il admet, toutefois, que le marché monétaire burundais est peu développé : « Dans les autres pays, les acteurs du secteur bancaire sont plus nombreux que chez nous. Ainsi, les gens pensent qu’il n’y a pas de concurrence dans le système bancaire burundais.» Il indique que sa banque ne peut pas faire chuter les taux d’intérêt appliqués dans les banques, en manipulant son taux directeur (de près de 10%) : «  Le taux directeur ne tient pas compte de la réalité économique. Si on le fixe en se référant au taux d’inflation (actuellement de plus de 20%), cela peut créer des déséquilibres macroéconomiques.»

<doc4700|right>« Le tribunal de commerce reçoit tous les plaignants »

Concernant les propos de la BRB renvoyant les clients défaillants au tribunal du commerce, Jean Anastase Hicuburundi, président du tribunal de commerce, parle d’une convention de crédit entre le client qui présente son projet et la banque qui finance. En cas de litige, précise-t-il, le tribunal reçoit au même pied d’égalité tous les justiciables. « Après avoir analysé le dossier, dans certains cas, nous prenons la décision de vendre le bien hypothéqué et ce sont les services du titre foncier qui l’exécutent », poursuit-il.

Sans avancer des chiffres, il indique qu’il reçoit plusieurs cas de plaignants. Pour Jean Anastase Hicuburundi, il existe différentes catégories de commerçants. Il évoque les débiteurs défaillants qui ne sont pas capables de payer à cause des incidents survenus durant la crise ou ceux dont les stocks ont été pillés. Il considère que la catégorie la plus dangereuse est celle des débiteurs défaillants de mauvaise foi : « Ce sont des commerçants qui n’ont enregistré aucune perte, mais qui ne veulent pas rembourser l’argent de la banque. » Le président du tribunal de commerce constate alors que ces commerçants veulent semer la confusion en créant l’amalgame. Pourtant, il signale que les juges sont disposés à recevoir chaque cas.

BRB

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