Vendredi 29 mars 2024

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Le calvaire des journalistes d’Iwacu

JOUR 19

10/11/2019 Commentaires fermés sur Le calvaire des journalistes d’Iwacu : JOUR 19
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La prison, c’est une grande école de la vie, c’est une grande école de l’humilité, de la sagesse, confient les 4 reporters du Groupe de Presse Iwacu et leur chauffeur au 19ème jour d’incarcération dans la maison d’arrêt de Bubanza. Elle est dominée par deux tours de garde, des sortes de miradors.

Samedi 9 novembre 2019. Il est 10 heures et demie quand le petit groupe de journalistes et de quelques administratifs du Groupe de Presse Iwacu gare leur voiture devant la prison de Bubanza.

Il faut sortir du véhicule, s’étirer un peu, histoire de soulager les quelques courbatures, oublier les slaloms entre les nids-de-poule jonchant la RN9 menant vers cette province de l’ouest du Burundi. Il faut alors ajuster sa chemise, remonter un peu son pantalon.

Petite consigne : il faut se munir de sa carte d’identité et laisser les smartphones dans la boîte à gants du véhicule. Ils sont inutiles, les gardiens de la prison les ’’confisquent’’ pendant tout le temps de la visite.

La délégation d’Iwacu avance à petits pas, la route est caillouteuse. Il faut se regrouper avant de franchir la barrière de la prison de Bubanza. Elle est faite d’une perche d’eucalyptus posée sur quelques pierres. C’est tout. Elle est là immuable, froide, elle paraît condamnée à perpétuité. C’est un témoin de lamentations, elle semble dire : «Ici finit le monde libre».

D’habitude, il n’y a pas de gardiens pour ouvrir, il faut la contourner, passer à côté et se diriger vers l’entrée principale de cet établissement pénitentiaire peint en blanc.

De loin, il ressemble à une grande maison d’habitation à part qu’il a de petites fenêtres hautes sécurisées à l’aide de barres de fer. La capacité d’accueil initiale de cet établissement pénitentiaire est d’une centaine de prisonniers.

«La prison, c’est une grande école»

Elle héberge aujourd’hui plus de 300 détenus dont une vingtaine de femmes logées dans l’aile droite. Et il faut également ajouter à ces chiffres 5 nourrissons. Leurs petits cris stridents s’entendent et s’élèvent au milieu du brouhaha.

Ces délégués du Journal Iwacu partis réconforter leurs confrères incarcérés doivent se présenter devant un gardien assis derrière une table. Il faut lui présenter sa carte d’identité et lui dire le nom du détenu à rendre visite. Quand il voit le groupe, il semble reconnaître certains habitués : «C’est pour les journalistes, il faut aller les chercher».

Dans le hall, une zone neutre, des va et vient et au fond un portail à double battants fait de barres de fer. Pour l’ouvrir, il faut être à deux. Il a deux cadenas. Le policier de garde a sa clé pour le premier cadenas et un chargé des affaires sociales possède la sienne pour le deuxième cadenas.

Les délégués d’Iwacu obtiennent une petite faveur : pouvoir échanger avec leurs collègues dans le hall, à quelques mètres du grand portail. Des bancs seront disposés contre le mur.

Après de chaleureuses accolades … et de bisous pour Agnès et Christine, des discussions et des blagues entre confrères et consœurs commencent.
Mais surprise, Térence nous apprend qu’il ne voit ses deux consœurs que quand il y a visite, les jours pairs. Tout le monde est détendu même Egide qui est réservé et souvent perdu dans ses pensées. Il laisse s’échapper de temps en temps un petit sourire. Sa tante venue le voir s’est jointe au groupe.

On parle de tout, surtout de l’état d’avancement de leur dossier. Agnès et Christine, qui sont proches même au bureau à la webradio sont les plus bavards du groupe.

La prison, raconte Agnès, c’est une grande école de la vie, elle nous rappelle qu’il faut être humble, sage, posé. «Elle nous apprend que tout être est vulnérable, peut se retrouver au plus bas de l’échelle. Il faut oublier sa petite zone de confort et être simple. Essayer de sourire même quand, c’est forcé».

Christine renchérit : «Il faut partager le peu que l’on a, en prison, le mot solidarité prend tout son sens. Un petit rien du tout à tes yeux peut être utile pour tel codétenu». A ces mots l’équipe de Bujumbura marquera un silence pour écouter, essayer de comprendre cette autre vie, méditer. Il ne faut surtout pas les interrompre.

La ’’condation’’

La prison, reprend Agnès, ça te change carrément, on apprend beaucoup de choses, il y a beaucoup d’anecdotes comme ce premier jour, quand on débarque dans cette prison.

Il y a une sorte de bizutage. Cela s’appelle, ’’condation’’. «Cela nous prendra toute une heure pour comprendre qu’il s’agit d’une sorte de tribunal et que ce mot bizarre signifie ’’condamnation’’. Chaque corps à son jargon, ses termes».

Devant ce tribunal, raconte Christine, il faut décliner son identité, nom et prénom, état civil, profession et l’accusation portée contre vous, ce qui vous est reproché. «Mais c’est entrecoupé de questions et d’interventions aussi bizarres les unes que les autres et le tout finit par des fous rires. C’est peut-être pour détendre l’atmosphère et se dire que la vie continue».

Térence, le photographe qui semble, en si peu de temps, avoir déjà beaucoup de connaissances dans cette maison d’arrêt raconte : ce n’est pas facile de côtoyer chaque jour des gens condamnés pour homicide, des voleurs qualifiés, des escrocs et des sorciers, car il y en.

Dimanche, il y a messe et mardi culte pour les ’’born again’’

A ses mots Egide qui parle peu se met à raconter : «Je vais rarement à l’église, j’ai été musulman pendant deux mois. Je recherche Dieu. Mais j’hésite et je pense que je ne peux pas aller suivre le prêche d’un condamné à perpétuité pour assassinat repenti reconverti en pasteur ».

D’ailleurs, avoue le petit poucet du groupe de journalistes incarcérés, je serais hypocrite de se rapprocher de Dieu dans ma situation actuelle. Des tentatives pour essayer de le convaincre échouent. Il a toujours un argument comme à la rédaction quand il défend son sujet.

Les échanges se font sous un rythme de chants religieux avec un synthétiseur approximatif, quelques fois c’est hors gamme. Nous apprenons que c’est la répétition pour la messe.

Ces derniers jours, confie Agnès, je me surprends en train de suivre la messe chez les catholiques mais cela ne m’empêche pas d’aller écouter le prêche chez les protestants. «Je suis un peu ’’born again’’. Je fais même l’aumône, il faut aider les plus vulnérables et il y en a dans cette maison d’arrêt».

Moi, avoue Christine Kamikazi, c’est rare que je donne un peu d’argent à l’église, je me dis que ce n’est pas direct. Je préfère aider une personne nécessiteuse que je rencontre dans un élan d’humanité.

Dans cette prison, poursuit cette présentatrice de la webradio d’Iwacu, il y a des gens charitables qui viennent aider les prisonniers surtout les femmes incarcérées. Nous faisons la queue et nous poussons devant nous les plus nécessiteuses pour qu’elles soient les premières à être servies.

«Dernièrement, il y a eu distribution de gobelets, d’assiettes et autre couvert de la part du CICR et il y a eu également une mission évangelique américaine qui est venue distribuer des serviettes hygiéniques réutilisables. Il ont passé des heures à expliquer comment les utiliser».

La prison, conclut Adolphe le chauffeur, c’est un autre monde, avec toute une organisation, son organisation, ses codes, ses interdits, ses magouilles, ses punitions, ses règles de conduite.

Il se fait tard, la visite touche à sa fin. Comme d’habitude, un des gardiens donne des coups répétés sur les barres de fer, les deux cadenas pour fermer le portail sont prêts. Il faut se dire au revoir, les accolades sont si sincères et si fortes.

C’est carrément l’étreinte, on s’agrippe sur les épaules. Toute séparation est difficile, mal vécue. Un moment solennel. Au revoir chers confrères, soyez fortes chers consœurs…

Le mardi 22 octobre, vers midi, une équipe du journal Iwacu dépêchée pour couvrir des affrontements dans la région de Bubanza est arrêtée. Christine Kamikazi, Agnès Ndirubusa, Térence Mpozenzi, Egide Harerimana et leur chauffeur Adolphe Masabarakiza voient leur matériel et leurs téléphones portables saisis. Ils passeront une première nuit au cachot, jusqu'au samedi 26 octobre. Jusqu'alors, aucune charge n'était retenue contre eux. Mais le couperet est tombé : "complicité d'atteinte à la sécurité de l'Etat". Depuis l'arrestation de notre équipe, plusieurs organisations internationales ont réclamé leur libération. Ces quatre journalistes et leur chauffeur n'ont rien fait de plus que remplir leur mission d'informer. Des lecteurs et amis d'Iwacu ont lancé une pétition, réclamant également leur libération. Suite à une décision de la Cour d'appel de Bubanza, notre chauffeur Adolphe a retrouvé sa liberté. Ces événements nous rappellent une autre période sombre d'Iwacu, celle de la disparition de Jean Bigirimana, dont vous pouvez suivre ici le déroulement du dossier, qui a, lui aussi, profondément affecté notre rédaction.