Vendredi 29 mars 2024

Politique

Interview exclusive/Professeur Julien Nimubona : «Le nouveau secrétaire voudra être envahisseur dans la gestion de l’Etat »

29/01/2021 Commentaires fermés sur Interview exclusive/Professeur Julien Nimubona : «Le nouveau secrétaire voudra être envahisseur dans la gestion de l’Etat »
Interview exclusive/Professeur Julien Nimubona : «Le nouveau secrétaire voudra  être envahisseur dans la gestion de l’Etat »

Après le choix du nouveau secrétaire général du parti, plus d’un se demande si le parti de l’Aigle amorce une nouvelle ère. « Dans l’immédiat, une éventualité difficile à prendre en compte », analyse le politologue.

Avez-vous été surpris par le choix du sénateur Révérien Ndikuriyo comme nouveau secrétaire général du Cndd-Fdd?

Loin de là. A mon avis, c’est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Ceci compte tenu du système politique mis en place depuis 2015  et  au vu de l’idéologie politique dominante au sein du parti de l’Aigle. C’est-à-dire l’idéologie populiste ethno-nationaliste. A travers ses discours, il a toujours été en phase avec feu président Nkurunziza dont la stratégie consistait à développer des théories de complot plutôt qu’une problématique de la démocratisation du pays. Donc, le secrétariat général du parti en tant qu’instrument idéologique du parti, c’est normal que le poste soit revenu à M. Ndikuriyo.

Pourquoi la désignation du secrétaire général(SG)  cristallisait autant de passions ?

Mis de côté le fait qu’il soit un parti du gouvernement, la raison majeure c’est que les récents rendez-vous électoraux ont propulsé le Cndd-Fdd sur la scène politique et institutionnelle comme parti unique. Donc, le choix de nouvelles instances dirigeantes de ce parti a une influence  sur le fonctionnement des systèmes politiques.

L’autre raison, c’est la confusion du parti  et de l’état qui prévaut au sein de ce parti. Comme aiment le dire certains auteurs,  la confusion  du domaine public et du domaine privé. Parce qu’un parti politique relève du domaine privé. Dans pareil cas de figure, cela peut générer des conflits entre la direction du parti et celle du gouvernement. Et d’ores et déjà, je le pressens,  il y aura une interférence dans la politique gouvernementale telle que définie par le Chef de l’Etat et conduite par le 1er ministre du chef du parti. Sans doute que ce dernier voudra  être envahisseur dans la gestion de l’Etat.

Concrètement…

Sachant que les deux piliers que sont la haute administration (conseillers, secrétaires permanents) et l’armée (le pouvoir des généraux) sont déjà là, tout le monde attendait avec impatience la mise en place de ce pilier qui est idéologique. Maintenant, le secrétariat général du parti est là. Au regard des trois grands piliers, est-ce que le président cherche à mettre en place son pouvoir ? Cherche-t-il à arbitrer les groupes rivaux au sein du système ? Cherche-t-il à consolider son pouvoir pour  stabiliser le système ? Je n’en suis pas sûr. Je pense qu’il n’en est qu’au 1er  stade. Et eu égard à cette panoplie de nominations. On a l’impression que c’est un président soucieux de garder un équilibre au sein du Cndd-Fdd, de tenir en compte les aspirations des groupes rivaux sans les frustrer.

Faut-il s’attendre à quoi alors ?

Le 2ème moment. C’est-à-dire que suite à un éventuel remaniement ministériel, il montrera  ses intentions. Cette fois-ci, il s’agira de consolider son pouvoir par  la nomination de ses « fidèles » serviteurs qui sera suivi par ce que j’appelle « la  stabilisation du système politique » .Et c’est de là qu’il créera ce que j’appelle l’assimilation hégémonique. C’est-à-dire qu’au sein  du  gouvernement et dans la haute administration, il y aura intégration, association de nouvelles forces politiques des partis politiques  sans empêcher la majorité du Cndd-Fdd de gouverner. Toutefois, je trouve que c’est une étape encore loin à venir.

Vers fin 2020, des services dévolus à la primature ont été rattachés à la présidence de la République. Des conséquences sont-elles  à redouter ?

J’avoue qu’il y a à s’interroger sur la  cohérence dans l’architecture gouvernementale à mettre en place. Non seulement, on a vu un gonflement de la tête du gouvernement. Au point que les observateurs  en viennent à parler de gouvernement champignon (un gouvernement avec une grosse tête et un corps mince, ndlr). Ainsi, par exemple, le bureau des études stratégiques a pris les fonctions et les missions revenant à la primature. Un paradoxe, parce que la Constitution indique bien que c’est le 1er ministre qui coordonne les politiques gouvernementales et à la demande du Chef de l’Etat doit mettre en musique les politiques sectorielles. A mon avis, cela risque d’accentuer les rivalités entre les cabinets du président de la République et celui du 1er ministre. Alors que ce dernier devrait être son fidèle serviteur.

Le nouveau secrétaire général du parti hérite un parti clivé.  Le voyez-vous être en mesure de le fédérer ?

Oui. Bien qu’au sein de ce parti, il y ait des indocilités, les élites burundaises sont caractérisées par la fidélité. Si le secrétaire général du parti conserve ses fonctions d’inspirer le chef de l’Etat dans la promotion des élites à des fonctions politiques et administratives, il pourra bénéficier d’un respect qui se doit. Certes, ça sera un respect par peur ou clientélisme, mais, sa voix sera bien écoutée.  Généralement,  ce respect est imposé au Cndd-Fdd. Rappelez-vous du  président Nkurunziza. Sans cesse, il ne cessait de marteler que ceux qui ne sont pas avec eux  doivent quitter le parti. C’est un impitoyable contrôle exigé aux militants du Cndd-Fdd pour vouer une obéissance aux élites du parti.

Dans son discours, le nouveau secrétaire général du parti  qui fait savoir que  même les brebis égarées, sont dorénavant le bienvenu. Des paroles qui peuvent être jointes aux actes ?

Sans doute. Rien n’exclut de voir tous ces « frondeurs de 2015 » retourner  au bercail .Toutefois, il faut s’accorder sur le fait que le parti Cndd-Fdd connaîtra ce que connaissent tous les partis du monde au pouvoir. Au fil des années, il y a des  éclats. Il y a des niveaux d’insatisfaction. Il y a  des cadres qui perdent leurs fonctions et qui vont faire l’expérience ailleurs soit en créant d’autres partis  politiques soit en militant dans d’autres partis, soit en fuyant le pays s’il n’ ya pas d’espace politiques, etc.

De là à voir les Hussein  Radjabu et les Niyombare retourner au bercail ?

Pourquoi pas ? Ces différents acteurs comme ceux de l’opposition sont confrontés à une terrible leçon des systèmes politiques : c’est qu’il n’y a pas d’espace de vie pour la réalisation des projets des partis pour l’opposition en Afrique. C’est d’ailleurs ce qui est à l’origine de la transhumance politique (migration d’un parti politique vers un autre, NDLR) pour survivre. Souvenez-vous en 2015, à la veille des élections, des gens du Cnared sont venus prêter allégeance au parti au pouvoir. Malheureusement, ils n’ont pas tous eu ce qu’ils voulaient. A ce niveau, je ne me fais pas d’illusions, il pourrait y avoir des dynamiques de tous bords : la 1ère c’est le chef de l’Etat qui chercherait des défenseurs de son pouvoir. L’autre dynamique, c’est celle qui irait dans le sens de stabilisation du système politique. C’est à dire  en intégrant les fragments de l’opposition au sein de son parti et ceux de l’opposition extérieure au Cndd-Fdd.

Le président de la République, qui, quelque peu tend  la  main  à l’opposition…

Il y a un problème de cohérence des discours du chef de l’Etat par rapport à l’intégration de l’opposition. On a l’impression qu’il considère l’Etat comme un organisme humain, où tous les citoyens sont incorporés. A l’instar de ses discours sur les coopératives collinaires où il invite tout le monde à adhérer. C’est ce que j’appelle un discours portant étatisme organique. Donc, pour lui, vous n’avez qu’à venir et il est  prêt à  dialoguer. Une rhétorique « familiale » qui se remarque dans ses slogans « Leta mvyeyi ». Pour revenir à votre question, je pense qu’il doit clarifier la place qui revient à l’opposition, la place qui revient à tous les droits et libertés d’expression, pas seulement pour les partis politiques, mais aussi à tous les acteurs, les medias privés indépendants. Je crois que son discours de l’intégration de l’opposition sans fusion n’est pas encore clair. D’ailleurs, je pense que c’est pour cette raison que l’opposition n’est pas du tout rassurée.

Dans l’opinion, il se dit un remaniement ministériel qui permettrait à certains membres de l’opposition  dont Rwasa de rebondir. Une éventualité plausible ?

Pourquoi pas ? Mais, ça sera  une assimilation de Rwasa dans le système Cndd-Fdd, sans réciprocité. Et c’est toute la crise du système de l’Accord d’Arusha. L’accord d’Arusha et la Constitution de 2005 prévoyaient  un mécanisme d’assimilation réciproque. C’est-à-dire  que le parti au pouvoir cohabitait  au sein des institutions et  sur la scène politique avec d’autres partis .Ce parti devait intégrer les programmes , les stratégies, les objectifs des autres partis politiques .Actuellement avec le Cndd-Fdd, on l’a vu avec l’Uprona, le Frodebu, le problème qui se pose  c’est qu’il veut des gens qui l’accompagnent  et non des gens qui vont discuter  et introduire au sein du gouvernement leurs idéaux  et leurs promesses par rapport à leur base.

Lors du congrès, le président Ndayishimiye a fait savoir que les relations avec différents partenaires dont les pays de l’UE ont pris un coup de neuf. Est-ce votre impression ?

J’ai tout suivi quand les ambassadeurs des pays de l’UE se sont entretenus avec le président de la République. Ils avaient des demandes précises. Ces dernières étaient  le contenu des accords de Cotonou(le respect des libertés publiques, celles politiques, l’état des droits, etc). A ce niveau, je ne crois pas  que le gouvernement soit suffisamment avancé  pour qu’un consensus puisse être dégagé. La 2ème  demande est en rapport avec la bonne gouvernance, en l’occurrence   la séparation des pouvoirs, la  question de la corruption. Même si dans les discours de certains ministres, la lutte contre la corruption est une priorité, des remplacements des dirigeants sont opérés à la tête de certaines sociétés. Ces pays estiment qu’il ya encore un pas à franchir. La raison invoquée étant le système de financement du parti au pouvoir via les « grands commerçants ».

La 3ème  demande concerne la paix et  la sécurité. Notamment, le rôle des Imbonerakure  de connivence  avec la police. Et à ce niveau, ces bailleurs sont très sensibles.

Ceci pour dire qu’il  reste un palier à franchir ?

Il faut se réjouir plutôt du fait que la communication a déjà été établie autant avec le Rwanda que ces pays de l’UE. Sinon, les cahiers de demandes des deux côtés,  ils  sont encore chargés.

Des réfugiés qui rentrent, un système de retraite qui ne cesse de s’améliorer… Dans son discours, le président de la République  a semblé  élogieux à l’égard de son bilan pour ses mois passés  au pouvoir. Est-ce votre constat ?

Quel dirigeant ne vanterait-il les mérites de ses réalisations. Certes, il ya des réfugiés qui rentrent. Mais, ce n’est pas tout le monde qui rentre. Vous savez ces réfugiés sont partis pour plusieurs raisons (libertés politiques  restreintes, etc…). Pour l’instant, je pense que c’est davantage ceux qui éprouvent des difficultés socio-économiques  dans les camps et ceux qui redoutaient une guerre civile à l’époque qui sont rentrés. Pour tout dire, c’est un bilan plutôt à nuancer et à apprécier de manière différenciée selon les raisons qui les ont poussés à se réfugier.

Propos recueillis par Hervé Mugisha

 

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