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« CONGO : une histoire » ou la saga congolaise

05/05/2013 Commentaires fermés sur « CONGO : une histoire » ou la saga congolaise

Le livre de David Van Reybrouck{i}, malgré son titre, est bien plus qu’une histoire. Par son volume, sa profondeur, sa richesse stylistique et surtout grâce à son analyse à la fois pertinente et respectueuse du sujet nous avons affaire à une extraordinaire saga d’une nation qui s’est forgée de la fange de l’esclavage et qui s’est consolidée en dépit des tourments d’une histoire sans merci pour les faibles, les innocents et les idéalistes …

« Congo : une histoire » se lit, en effet, comme une simple histoire. C’est tout juste si l’ouvrage ne servirait pas de livre de chevet aux enfants prêts à s’endormir tellement il est frais, il est plein d’anecdotes hilarantes, mais aussi d’horribles évènements dignes des plus cruelles histoires fantastiques des contes du monde entier. Seulement ici, par le truchement d’autres références plus tangibles, l’auteur nous rappelle qu’il s’agit d’une réalité crue ; il nous dévoile un monde envahi par des Arabes esclavagistes cruelsii, un monde exploité par un roi des Belges dépourvu de tout scrupule humanitaireiii, un pays construit par des colons et des missionnaires trop souvent paternalistes et obstinément européocentristes, une nation enfin dirigée jusqu’aujourd’hui par des Congolais sans foi ni loi ballottés à droite et à gauche par les vautours de la haute finance…iv

Que l’on ne s’y trompe, il s’agit d’un travail scientifique mené avec la plus grande rigueur. En sus d’une bibliographie riche de plus de cinq cents références, l’auteur nous réserve trente-six pages entièrement consacrées à la justification de ses sources chapitre par chapitre. Sans l’inaugurer, il adopte un mode d’écriture privilégié aussi bien par les réalisateurs de documentaires, que les romanciers ou les essayistes de son paysv : il s’agit de focaliser sur un individu et à partir de sa destinée, élargir le champ de vision et d’analyse du milieu étudié. Un peu comme on passe, au cinéma, d’un « plan américain » à un « zoom arrière » permettant d’embrasser toute une séquence de vie à partir du regard intime d’un seul personnage. Bien que scientifique, Van Reybrouck sait qu’il travaille sur un monde fait essentiellement d’oralité ; les archives écrites, aussi importantes qu’elles puissent être, ne peuvent à elles seules constituer la seule façon de s’informer.

Chez lui, et c’est rare dans le milieu académique, les sources orales sont aussi importantes que les documents écrits. Il rejoint en cela son illustre prédécesseur sur le sujet et l’espace analysé : [George Washington Williams (1849 – 1891)->http://iwacu-burundi.org/spip.php?article4656].
Cette indépendance d’esprit lui a permis des analyses originales des problèmes du Congo. Par exemple, il réalise que la religion chrétienne n’est pas venue effacer le fait religieux autochtone ; tout au plus s’y ajoute-t-elle tel un élément supplémentaire à la panoplie d’amulettes protectrices nécessaires face à l’adversité et au mystère de l’existence: « Le christianisme ne chasse pas une religion plus ancienne, il fusionne avec elle »vi Il remarquer qu’au Congo, la pensée de Mao Tse Toung n’est pas toujours juste ; loin de constituer un « opium » soporifique pour les populations asservies, la religion devient au contraire un ressort pour des revendications sociopolitiques majeures : « Au Congo, la religion était le pili-pili du peuple »vii. Au niveau socioculturel aussi, les harcèlements administratifs confinant des populations extrêmement mouvantes et les fixations normatives anthropologiques finirent par casser les anciennes structures solidaires et communautaires.

L’auteur explique ainsi l’exacerbation des conflits ethniques portés à leur paroxysme au Burundi et au Rwanda : « Dans le cas des territoires sous mandat également, on raisonnait aussi en termes de « races ». Elles avaient un caractère absolu : on était ou bien tutsi ou bien hutu ou encore twa (pygmée). On oublia que les frontières entre ces catégories tribales avaient été floues pendant des siècles. Les conséquences de cet oubli allaient s’avérer désastreuses durant la deuxième moitié du XXe siècle. » (p. 159)

Décrivant ce qu’il appelle « la lutte pour le Tanganyika » durant la 1ère guerre mondiale, l’auteur parle des premiers hydravions qui ont participé à ce conflit qu’il qualifie « des plus épiques de toute la Première Guerre mondiale » :
« Cinq cents tonnes de matériel, cinquante-trois mille litres de carburant et d’huile, quatre mitrailleuses et trente mille cartouches. Comme le lac Tanganyika était trop agité pour servir de piste de décollage et d’atterrissage, on transporta les petits avions dans une lagune fermée, trente kilomètres plus loin ». p 152
Cette « lagune fermée » en question située à cette distance ne peut être que notre lac Dogodogo en province de Cibitoke !viii

Pensez-vous que j’en ai trop dit ? Je peux vous garantir que je n’ai même pas touché la moitié du quart de ce travail érudit et pourtant si truculent que je recommande vivement à toute personne intéressée à l’histoire et à la culture de la RDC.
__________________________

i Van Reybrouck, D., {Congo : Une histoire}, lieu d’édition non précisé, Actes Sud, 2012. Traduit du Néerlandais (Belgique) en Français par Isabelle Rosselin. Titre original en Néerlandais : {Congo, Een geschiedenis}, Amsterdam, De Bezige Bij, 2010
ii Cfr p 49 – 64
iii « La plus grande honte de la politique du caoutchouc de Léopold n’était pas qu’on tranchait la main des morts, mais qu’on tuait avec autant de légèreté » écrit l’auteur à la p. 111. Et plus loin, il ajoute le constat accablant suivant : « Léopold II était parti en guerre contre l’esclavage afro-arabe, du moins formellement, mais l’avait remplacé par un système encore pire » p. 114
iv {« A l’époque coloniale, écrit l’auteur en page 530, l’alliance perfide entre l’Eglise, l’Etat et le capital – la fameuse trinité coloniale – avait permis de maintenir la population dans la soumission et la docilité. A présent, une situation comparable s’instaurait. » Plus loin, il ajoute ceci au sujet de l’invasion ougandaise et rwandaise : «Kagame et Museveni n’étaient pas au bout d’une chaîne d’approvisionnement. Ceux qui tiraient profit du recel des matières premières en provenance du Congo étaient des groupes miniers multinationaux, des compagnies aériennes obscures, des marchands d’armes notoires mais insaisissables, des hommes d’affaires véreux en Suisse, en Russie, au Kazakhstan, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Ils exerçaient leurs activités sur un marché extrêmement libre. » p. 490}
v {Est-ce la tradition de la Bande Dessinée du pays de Tintin qui le veut ? J’ai retrouvé cette manière d’écrire dans les documentaires de Jean-Francois Bastin & Isabelle Christiaens (« Indépendance Cha Cha »/ L’Ecume des villes : Kinshasa » / « Le Léopard Blessé »), les essais de Michel Massoz ( « Le Congo de Papa : 1951-1964 », « Le Congo de Léopold II : 1878-1908 ») ou le roman de Lieve Joris « Mon Oncle du Congo » traduit du Néerlandais par Marie Hooghe à partir du titre original « Terug naar Kongo »}.
vi p. 39
vii p. 174
viii Donatien Bihute fait référence à cette période dans son autobiogrpahie intitulée {« Parcours public & privé d’un Burundais »}, Paris – Montréal, L’Harmattan, 1999, p. 8. Il serait fort intéressant que des chercheurs s’intéressent au sujet car cette « Guerre du Tanganyika » durant la 1ère guerre mondiale a laissé des traces remarquables dans l’Imbo. En plus de cet épisode sur le lac Dogodogo et la bombe dont parle Bihute à Rugendo en commune Mabayi, il y a le fameux «cimetière des Allemands » à Rugombo si religieusement entretenu par l’Allemagne jusqu’aujourd’hui ! Et puis, n’oublions pas : 2014 sera le centenaire de la Grande Guerre…

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