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Sécurité

Cibitoke : des cadavres sur la Rusizi inquiètent

02/11/2020 Commentaires fermés sur Cibitoke : des cadavres sur la Rusizi inquiètent
Cibitoke : des cadavres sur la Rusizi inquiètent
La Rusizi, rivière dans laquelle se remarquent des cadavres, ces derniers temps.

Depuis un certain temps, des riverains de la rivière Rusizi font état de dizaines de corps sans vie flottant sur ses eaux. Une fois découverts, ils sont rapidement enterrés. Les habitants demandent des investigations pour mettre fin aux rumeurs. Enquête.

La RN5 vers le chef-lieu provincial de Cibitoke, ouest du pays. Les populations vaquent normalement à leurs activités quotidiennes. La saison pluvieuse est à son début. Le ciel est nuageux. Les agriculteurs s’activent pour le semis. Dans les différents centres, des commerçants, des vendeurs de fruits tels les pastèques, les bananes mûres, les mangues, etc. De loin, on voit la rivière Rusizi. Elle fait des zigzags dans son bassin dominé par des hautes herbes et des champs verdoyants.

A Ndava, Gasenyi, des rôtisseurs présentent aux passants des brochettes de chèvre, du ‘’Michopo’’, etc. Le trafic est très intense. Des minibus, des Probox, des camions poids lourds de l’entreprise Buceco font la navette. Tout semble normal.

Néanmoins, à Ndava, à Gasenyi, Ruhagarika, l’inquiétude se lit sur les visages. Les agriculteurs et les fabricants de briques dans le bassin de la rivière Rusizi sont inquiets. « Nous apercevons souvent des cadavres flottant sur les eaux de la rivière ou déposés sur le sable », témoigne K.O., un agriculteur de Ruhagarika. Ce natif de Gasenyi, à la 8e transversale, indique que ces découvertes macabres ont commencé avec le mois de septembre. « Ce sont des mamans, de jeunes filles et des hommes. Certains présentent des blessures, des signes de torture. Il y a deux semaines, nous avons découverts deux cadavres. L’un était celui d’une jeune femme, avec des mèches sur la tête. Elle était déshabillée et portait seulement un sous-vêtement. On ne sait pas si c’est à cause de la pression de l’eau que ses habits se sont détachés d’elle ou pas. L’autre était le cadavre d’un homme ligoté».

Rencontrée à Ruhagarika, une autre personne confie que d’autres cadavres ont été repêchés par des agents de la Croix-Rouge. « Mais là, l’administration et les militaires n’ont pas permis à la population de regarder de près. Ils nous ont chassé ». Cet homme affirme avoir déjà vu une dizaine de cadavres depuis le mois de septembre.

Des enquêtes

Nos sources affirment que ces corps sans vie font peur à la population. « Quand il n’y a pas de crépitements d’armes, de guerre et qu’on voit des cadavres flottant sur la rivière, c’est vraiment inquiétant. On se pose mille et une questions », souligne K.O. D’après lui, la population aimerait que ces personnes soient inhumées dignement. « Le constat est que l’administration se presse de les enterrer. Nous demandons des enquêtes ».

Ce jeune homme estime qu’il est facile de constater qu’il s’agit de cas de simple noyade ou que ces gens ont été tués, torturés avant d’être jetés dans la rivière.

Concernant les raisons de la présence de ces cadavres, à Buganda, deux hypothèses sont évoquées. « Cela peut être de simples noyades de Burundais qui rentrent de la RDC. Et comme les frontières sont fermées, suite à la pandémie de Covid-19, ils passent par des voies clandestines », tente d’expliquer une agricultrice croisée dans son champ de tomates, non loin du chef-lieu communal de Buganda. Et lors de la traversée, poursuit-elle, ils peuvent tomber sur des passeurs qui les dépouillent de leur argent, leurs biens. « Ils les laissent en pleine rivière. Et ceux qui ne savent pas nager, ils se noient». Et de préciser que des Burundais se rendent souvent à Bubembe, à Masisi à la recherche de l’argent ou pour des visites amicales ou familiales.

B.A., un homme de cette même localité indique que cela peut être des actes criminels : « Parmi eux, certains cadavres présentent des signes de torture, de blessures, des traces des cordes sur leurs corps. Une preuve qu’ils ont été ligotés avant d’être jetés dans la rivière. » Il ajoute que des personnes seraient même amenées d’ailleurs pendant la nuit. Notre source souligne qu’un jour, un jeune homme a été récupéré agonisant dans un champ de tomates. « Ils l’ont amené en pleine nuit. Ils l’ont torturé non loin de la Rusizi, à la 7etransversale, dans les champs de tomates. Croyant à son décès, les tortionnaires sont repartis. A l’aube, les gens qui se rendaient dans les champs l’ont récupéré».

Faisant partie du groupe des sauveurs de ce jeune, B.A. indique que ce miraculé a passé des jours en train d’être soigné dans un endroit tenu secret à Buganda. « Nous l’avons ensuite aidé à aller dans un endroit sécurisé. Nous espérons qu’il est en vie et bien portant». Notre source se garde de tout commentaire sur l’identité des ravisseurs.

Une rescapée témoigne

A Rugombo, une maman a récemment échappé à ces passeurs de mauvaise foi. « Je venais de passer trois mois chez une famille amie en RDC, dans le groupement Luberizi, plaine de la Rusizi, territoire d’Uvira », raconte-t-elle. Et suite à la pandémie de la Covid-19, elle s’est retrouvée bloquée là. « Pour rentrer, nous nous sommes organisés avec d’autres Burundais. Au total, nous étions six femmes et trois enfants».

Un certain matin, début de ce mois, ils ont embarqué avec leurs biens tels des habits, des vivres, etc. « Arrivés en pleine Rusizi, les passeurs nous ont abandonnés. La petite pirogue a chaviré. Mes cinq amies et les trois enfants se sont noyés. J’ai essayé de nager et je me suis retrouvée de nouveau sur la terre congolaise », se souvient-elle. Encore sous le choc, elle indique qu’elle s’est cachée et les passeurs ont récupéré les habits, les biens des personnes noyées sous ses yeux. « On allait rentrer par la 10e transversale sur la colline Rusiga». Après cette tragédie, elle a été obligée de retourner dans la famille amie. Par après, elle s’est récemment résolue à rentrer : « Cette fois-ci, je suis montée à bord avec des hommes et nous sommes arrivés sur le sol burundais sains et saufs.» S’exprimant sous anonymat, cette femme affirme que beaucoup de Burundais seraient tombés dans ce piège, suite à la fermeture des frontières.

Carême Bizoza : « Ces corps sans vie viendraient de la RDC ou du Rwanda. »

Le gouverneur nuance

Quant à Carême Bizoza, gouverneur de la province Cibitoke, il reconnaît que ces cadavres existent. « Ces corps sans vie viendraient de la RDC ou du Rwanda. Dans notre province, nous n’avons pas encore reçu de plaignant faisant état de personne disparue.» Pour lui, ces personnes ne sont pas originaires de sa province. « Notre province est calme». Et de mentionner qu’ils sont vite enterrés parce qu’ils sont souvent en décomposition avec des risques d’être vecteurs des maladies.

Rénovat Ndabashinze, Fabrice Manirakiza & Jackson Bahati

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