Jeudi 18 avril 2024

#JeSuisIWACU

A ma rédaction de cœur

JOUR 26

17/11/2019 Commentaires fermés sur A ma rédaction de cœur. JOUR 26
#JeSuisIWACU

Lettre de Laurence Dierickx*

Chères Christine et Agnès, chers Térence, Egide et Adolphe
Cela va faire un mois que votre liberté vous a été confisquée. Je n’ose pas imaginer à quel point cela doit être dur, éprouvant, démoralisant. Il y a un peu plus de six ans de cela, j’avais rendu visite à Hassan Ruvakuki, un confrère lui aussi injustement emprisonné pour avoir exercé sa mission d’informer. C’était à Muramvya. Je me souviens à quel point j’avais trouvé cette prison horrible. Cette image de barreaux derrière lesquels les détenus s’entassaient, leurs pieds – pour la plupart nus – se poussant sur de la terre battue et leurs mains s’agrippant le long des barres de métal. Pour une « muzunguette », c’était un choc. Les prisons burundaises sont à des années-lumière de la manière dont sont envisagées les conditions de détention en Europe, même si celles-ci sont encore loin d’être parfaites.

Je pense à vous tous derrière vos barreaux de Bubanza et je n’ose pas imaginer à quel point vous devez souffrir, privés de ce bien précieux qui vous empêche de vivre vos vies non seulement de journalistes et de chauffeur, mais celles aussi de conjoint, de parent, d’ami. Vous n’êtes pas des criminels. Un stylo et un bloc-notes n’ont jamais tué personne mais, comme le rappelait cette chère Marie-Soleil Frère évoquant Albert Londres, le journaliste porte la plume dans la plaie. Le droit à une information libre, vérifiée, indépendante est l’un des droits les plus fondamentaux de tout un chacun. Ce droit-là vous est théoriquement reconnu. Hélas, l’exercice de la liberté de la presse est devenu de plus en plus difficile au Burundi. Je lisais, cette semaine, un billet publié par un blogueur de Yaga qui rappelait l’article 45 de la loi qui stipule que « le journaliste exerce son métier en toute indépendance et toute responsabilité sur l’ensemble du territoire national du Burundi. Qui plus est, dans l’exercice de ses activités, il a libre accès aux sources d’information et peut enquêter, commenter librement sur les faits de la vie publique ». Le droit est de votre côté.

Je pense à vous et je pense aussi à ceux qui furent contraints de prendre le chemin de l’exil, et ils sont hélas nombreux, laissant derrière eux leurs vies et un avenir qui doit désormais s’envisager ailleurs et souvent autrement. Je pense aussi au malheureux Jean Bigirimana, victime d’une « disparition forcée ». Peut-être ne connaîtrons-nous jamais la vérité mais ce qui est acquis, c’est qu’il a été privé de sa vie. Être journaliste au Burundi, c’est faire acte de bravoure. C’est puiser en soi la force de rester debout parce que l’on aime profondément son métier, parce que l’on est intimement convaincu que seuls des individus bien informés forment des citoyens éclairés. Pour ce courage-là, vous méritez tous les prix du courage et de la liberté de la presse du monde entier, n’en déplaise à ceux qui tiennent impunément des propos calomnieux sur les réseaux sociaux. C’est aussi pour cela que l’on a plus que jamais besoin d’une information libre, indépendante et vérifiée. Un journalisme professionnel de qualité est la seule réponse pertinente à apporter aux fausses informations.

Cela fait bien longtemps que je ne suis plus venue vous rendre visite à Iwacu, ma rédaction de cœur, mais de loin je vous lis régulièrement, j’admire votre professionnalisme, votre détermination à nous livrer des contenus de qualité, et cela d’autant plus que je suis bien consciente qu’il s’agit là d’un parcours semé d’embûches. De loin aussi, « mama web » continue fièrement à veiller sur votre outil. Lorsque j’ai créé la page du site rendant hommage à Jean, ce fut sans doute ma plus difficile contribution. Mais lorsque j’ai créé la vôtre, ce fut avec la force de mon indignation face à cette injustice qui vous frappe et nous affecte aussi : vous n’avez fait rien d’autre que votre métier. Pour certains, nous ne nous connaissons pas. Pour d’autres, nous nous sommes déjà rencontrés et je garde de vous le souvenir de votre fougue, de votre passion, de vos magnifiques sourires et de votre humilité aussi. Je souhaite que cette flamme qui vous anime, même si elle peut sans doute parfois vaciller, va rester intacte. Il me vient en tête cet aphorisme : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». Alors soyez forts, soyez courageux, encore et toujours plus. Je sais que ce que vous êtes en train de vivre, malgré vous, n’a rien d’aussi facile que le sont ces quelques mots. Mais il faut garder espoir parce que vous n’êtes coupables de rien, et parce que le droit doit normalement se trouver de votre côté.

Amitiés,
Laurence

*Laurence Dierickx est journaliste -développeuse belge, spécialiste du web, amie d’Iwacu on lui doit notamment le site d’Iwacu et ses avatars numériques. Laurence a formé et encadre l’équipe web d’Iwacu.

Le mardi 22 octobre, vers midi, une équipe du journal Iwacu dépêchée pour couvrir des affrontements dans la région de Bubanza est arrêtée. Christine Kamikazi, Agnès Ndirubusa, Térence Mpozenzi, Egide Harerimana et leur chauffeur Adolphe Masabarakiza voient leur matériel et leurs téléphones portables saisis. Ils passeront une première nuit au cachot, jusqu'au samedi 26 octobre. Jusqu'alors, aucune charge n'était retenue contre eux. Mais le couperet est tombé : "complicité d'atteinte à la sécurité de l'Etat". Depuis l'arrestation de notre équipe, plusieurs organisations internationales ont réclamé leur libération. Ces quatre journalistes et leur chauffeur n'ont rien fait de plus que remplir leur mission d'informer. Des lecteurs et amis d'Iwacu ont lancé une pétition, réclamant également leur libération. Suite à une décision de la Cour d'appel de Bubanza, notre chauffeur Adolphe a retrouvé sa liberté. Ces événements nous rappellent une autre période sombre d'Iwacu, celle de la disparition de Jean Bigirimana, dont vous pouvez suivre ici le déroulement du dossier, qui a, lui aussi, profondément affecté notre rédaction.