Jeudi 28 mars 2024

Économie

Quand les dignitaires se sucrent bien

13/09/2021 11
Quand les dignitaires se sucrent bien

Des hautes personnalités du pays accaparent plusieurs marchés publics et mènent une rude concurrence déloyale aux simples investisseurs. Impossible de rivaliser avec ces puissantes personnalités qui se croient au-dessus de la loi.

Elle gagnait bien la brave sénatrice. Pour un sac de sucre vendu à 114 mille BIF, elle en demandait 125 mille BIF, soit une majoration de 11 mille BIF par sac. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt.

L’affaire « Sosumo- sénatrice » est loin d’être inédite. Elle fait ressurgir, entre autres, les démons de la concurrence déloyale et de la spéculation qui gangrènent l’économie du Burundi déjà moribonde.

Piqûre de rappel, les déboires de Spès Caritas Njebarikanuye débutent ce 31 août lorsque la province de Gitega annonce sur Twitter que la grande distributrice du sucre à Gitega vient d’écoper d’une amende de deux millions de BIF. Elle est accusée de hausser le prix de vente de cette denrée qui dernièrement se faisait rare. Elle s’est justifiée arguant que ses agents commerciaux trempaient dans l’illégalité « derrière son dos. » Mais rien à faire, les autorités de la capitale politique disent avoir pris les devants pour décourager toute spéculation. Effectivement, certains distributeurs qui haussaient le prix du sucre ont pris des amendes.

L’affaire a fait du bruit sur les réseaux sociaux. Le général-major Aloys Ndayikengurukiye, administrateur directeur général de la Sosumo a pris les choses en mains. En date du 3 septembre, il signe une lettre annonçant la suppression de la société de la première vice-présidente du sénat de la liste des distributeurs du sucre de la société sucrière Sosumo, qui détient le monopole de la production au Burundi.

« Nous sommes informés que vous avez vendu un sac de sucre à 125 mille BIF alors que le prix officiel fixé par le gouvernement est de 114 mille. Vous avez payé une amende à cet effet. Face à cette situation, la Sosumo se trouve dans l’obligation de rompre le contrat,» a-t-il expliqué dans le courrier adressé à la sénatrice.

Difficile de concurrencer les hautes personnalités

Cette affaire a ressorti le débat sur la concurrence déloyale.Les investisseurs lambda sont confrontés à la rude concurrence déloyale des hautes personnalités du pays. Les simples opérateurs économiques se disent aux abois. Difficile de concurrencer les dignitaires qui raflent le gros des marchés. Et ils sont dans tous les secteurs du commerce. Secteur minier, immobilier, pétrolier, pharmaceutique, agro-alimentaire, etc.

« Les marchés publics sont gagnés par des généraux, des commissaires de police, des mandataires publics. On ne nous laisse que des miettes, c’est très décourageant, » raconte, exaspéré, un investisseur dans le carburant.

Un autre investisseur, dans le secteur pharmaceutique, lui se dit désabusé. Des hautes personnalités détiennent plusieurs chaînes de pharmacies. Et lorsqu’il s’agit d’avoir des devises à la BRB pour des produits dits sensibles, ils sont les premiers servis. Difficile de continuer à investir dans le pays quand l’on doit aller au marché noir pour s’approvisionner en devises. « Nous nous retrouvons en train d’acheter les devises à ces mêmes personnalités. Comment rivaliser avec eux ? Plusieurs ont jeté l’éponge ».

Un distributeur du sucre Sosumo indique que la 1ère vice-présidente du Sénat n’est pas la seule grande distributrice du sucre. « Demandez à la Sosumo de rendre publique sa fameuse liste de ses gros distributeurs et vous serez surpris d’y retrouver des noms très connus dans le pays. Vous pouvez pousser plus loin et ne pas vous limiter au sucre,  » a indiqué J.M. un des distributeurs du sucre.

Les consommateurs dégustent

Ils sont plusieurs à se lamenter. Les prix de certains produits sont fixés par le gouvernement pour lutter contre toute spéculation. A en croire ces consommateurs, des distributeurs se croyant au-dessus de la loi vendent plus cher que le prix officiel.

« La sanction contre la sénatrice est encourageante. Elle montre que personne ne doit être au-dessus de la loi. Encore faut-il que de telles mesures soient étendues aux autres dignitaires. C’est d’ailleurs une des promesses faites par le président de la République. Espérons qu’elles soient mises en application,» a indiqué un acheteur de sucre à Gitega.


>>Réactions

Léonce Ndikumana : « Vrais handicaps au développement du secteur privé : le monopole, la concurrence déloyale et la spéculation. »

Le professeur émérite de l’Université du Massachusetts, spécialiste notamment de la macroéconomie, de la dette extérieure et de la fuite des capitaux, a réagi sur son compte Twitter, commentant l’affaire Sosumo-sénatrice. Pour lui, c’est lamentable. «  Voilà des vrais handicaps au développement du secteur privé : le monopole, la concurrence déloyale et la spéculation. »

L’économiste indique qu’éradiquer ce qu’il qualifie de fléau devrait être la priorité numéro un de la réforme économique. « Cela ne requiert pas d’aide étrangère ni de devises ». Il encourage les sanctions prises par la Sosumo. « Un bon début : c’est possible ».

Olucome : « Malheureusement, ces cas sont nombreux chez les mandataires publics.»

Selon Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, le Burundi fait face à un problème d’investissements suite à plusieurs facteurs, dont la concurrence déloyale. Un opérateur économique honnête ne peut pas progresser. Pour une question d’éthique, de morale et de droit, madame Spès Njebarikanuye, 1er vice-président du Sénat qui est une institution de souveraineté chargée de contrôler l’action gouvernementale, n’avait pas le droit d’avoir accès aux marchés publics. « Malheureusement, ces cas sont nombreux chez les mandataires publics. Ils font le commerce en violation de toutes les lois de la République ». Des mesures adéquates devraient être prises dans les plus brefs délais. A commencer par interdire formellement tout mandataire public d’exercer le commerce de façon illégale, sans tenir compte de la politique de conflits d’intérêt et de concurrence loyale. Il faut aussi qu’il y ait un registre national public à la portée de tout citoyen dans lequel figureraient toutes les sociétés et leurs membres fondateurs qui gagnent les marchés publics.

Parcem : « La concurrence déloyale annihile sans pitié les efforts des autres opérateurs économiques.»

L’organisation qui milite pour le changement des mentalités, Parcem indique que plusieurs dignitaires s’arrogent le droit d’accéder au marché public, de bénéficier des exonérations, d’accéder aux devises de façon non-objective. Selon Faustin Ndikumana, le président de cette organisation, la concurrence déloyale annihile sans pitié les efforts des autres opérateurs économiques. La concurrence loyale n’est pas assurée au sein du secteur privé. « C’est un handicap majeur. Tous les efforts déployés par le gouvernement seront vains aussi longtemps qu’il ne s’attaquera pas à ce phénomène, la situation ne fera qu’empirer ». Une enquête devrait être faite pour vérifier si le processus de passation des marchés publics se fait de façon transparente. La généralisation de la gestion de conflits d’intérêts devrait être une base de gestion et d’assainissement de fonctionnement des rouages de l’économie au Burundi. « Comment un dignitaire, ministre, un général de l’armée peut-il bénéficier en priorité les marchés publics au sein des entreprises publiques ? Il y a conflit d’intérêts», insiste-t-il.

Forum des lecteurs d'Iwacu

11 réactions
  1. Bellum

    L’affairisme des autorités politiques et militaires peut conduire à la ruine des nations. Le cas d’espèce est la Guinée-Bissau où l’administration et l’armée ont été infiltrées par les narcotrafiquants au point de devenir un état dans l’état avec moult assassinats jusqu’au président de la République Joao Bernardo Vieira. Plusieurs grands hommes d’affaires burundais, y compris une parlementaire de l’EALA (East-African Legislative Assembly), ont été assassinés sans aucune suite ce qui est le signe éloquent de la gravité de la situation. Nous risquons la guinée-bissauzisation du Burundi qui n’a pas besoin d’ajouter aux crimes contre l’humanité en cours d’investigation à La Haye, des crimes économiques.

  2. Mboca

    Reka basha reka! Erega les hauts placés nibo bafise aho bakura imitahe ya business nyazo igihugu baracakirya

  3. Gacece

    Je ne comprends toujours pas cette pratique de recourir à des intermédiaires pour les grandes entreprises et les sociétés d’État. Pour les paiements de factures de la Régideso, il faut passer par une agence ; pour l’achat d’un sac de ciment, il faut passer par un distributeur ; pour dédouaner des marchandises, il faut passer par une agence ; pour une place dans une morque, il faut passer par un mandataire ; etc.

    Il fut un temps où la Brarudi avait un centre de distribution (communément appelé « dépôt » de ses marchandises, au chef-lieu de chaque province ou dans des points de vente stratégiques. Ces centres appartenaient à la Brarudi et les vendeurs allaient s’y approvisionner. Ainsi, il n’y avait aucun intermédiaire privé pour créer des pénuries artificielles de ses produits pour pouvoir spéculer sur les prix de vente.

    Pourquoi et comment cette ancienne pratique de la Brarudi s’est-elle arrêtée? Pourquoi ne devrait-on pas la rétablir et l’appliquer pour toutes ces grosses entreprises ainsi que pour tous les services susceptibles d’engendrer ces pratiques illicites?

    Note du modérateur
    Vous avez tout à fait raison ! Et la BRARUDI contrôlait ainsi toute la chaîne de distribution. En faisant recours à des intermédiaires, souvent « hauts placés », la BRARUDI s’est piégée. Ces intermédiaires qui n’ont fait qu’entreposer les produits se font de l’argent facile, augmentant les prix à leur guise.
    Votre commentaire est très pertinent !

    • Gacece

      Dans les petits marchés de l’intérieur du pays, surtout ceux proches des églises de paroisses, tout le monde savait quelle journée de la semaine le camion de la Brarudi passait pour distribuer ses boissons aux marchands. Ainsi, même les vendeurs qui n’avaient pas les moyens de se rendre au « dépôt » étaient servis.

      Les mariages et autres célébrations, autant traditionnelles que religieuses, étaient planifiés en fonction de cette donne, parce que les réservations étaient faites chez le marchand du coin. Ce dernier savait exactement quelle quantité demander au « dépôt » et était assuré que sa commande n’allait pas trop s’éterniser dans son magasin… jusqu’au prochain passage du camion.

      C’était une belle époque pour le consommateur. Il faut dire que toute bonne chose a une fin!

      Il est clair qu’une seule compagnie ne peut pas à elle seule assumer les coûts faramineux reliés à un tel mode de fonctionnement parce que la demande a énormement augmenté :

      – Le gouvernement devrait créer une société de transport (propriété de l’état avec des entrepôts, des camions et tout le personnel nécessaires) qui serait chargée de distribuer les produits stratégiques de la consommation (sucre, médicaments, bière et autres boissons, ciment, etc.) dans tous les coins et recoins du pays… à des vendeurs autorisés… pour couper l’herbe sous le pied de ces spéculateurs sans scrupules. La facture des coûts d’exploitation devrait être refilée proportionnellement à ces compagnies.

      – Ou ce sont ces compagnies elles-mêmes qui devraient s’associer pour mettre en place cette société de distribution et qui en partageraient les coûts selon les volumes des marchandises transportées. Les avions-cargos et les trains fonctionnent de la même manière, et dans un avenir pas si lointain, nous devrions en avoir sur notre territoire. Pourquoi ne pas se préparer à l’avance?

      Ou encore, au lieu de faire appel à des intermédiaires de distribution, ces compagnies engagent uniquement des transporteurs qui doivent ramasser les commandes des marchants à partir de l’usine et les transporter jusqu’aux vendeurs, sans passer par des distributeurs/intermédiaires privés. Les chauffeurs devraient également servir de messagers pour la facturation et le ramassage des prochaines commandes le jour même de la livraison.

      Si par exemple 12 vendeurs de bière de Gashoho commandent moyennement (et raisonnablement) 12 caisses de bière par vendeur, on saura qu’à la date X, le camionneur qui part à 10:00 du matin du bureau-chef de la Brarudi à Bujumbura, aura déchargé 144 caisses de bière avant 18:00 le même jour à Gashoho, sur sa route pour distribuer le reste dans les environs. En comptant la durée du trajet (environ 4 heures), les arrêts divers, la durée du chargement/déchargement, et autres imprévus… 8 heures semblent une durée raisonnable pour garantir une réception de commandes aux clients de Gashoho. Cela devrait se faire sur tout le territoire national, si on y met de la volonté et des moyens.

      Quelqu’un pourrait peut-être en glisser un mot à qui de droit?

    • Stan Siyomana

      @Gacece
      1. Vous écrivez: »Pourquoi ne devrait-on pas la rétablir et l’appliquer pour toutes ces grosses entreprises ainsi que pour tous les services susceptibles d’engendrer ces pratiques illicites? »
      2. Mon commentaire
      La Brarudi peut opter pour une bonne répartition du travail où elle se concentre sur la production de sa meilleure bière alors qu’une autre compagnie compétente s’occupe de la logistique de distribution des produits de la Brarudi.
      Donc la balle est dans le camp de ceux qui devraient s’assurer que le consommateur va payer le prix fixé par l’Etat (notamment le ministère du commerce, l’administration locale, la police).

  4. Jereve

    Non seulement ils se sucrent bien, mais aussi ils se sucrent deux fois. D’une part par les salaires faramineux que nous, les contribuables, leur versons en croyant les inciter à se concentrer sur la gestion du bien public. Et d’autres part par les affaires juteuses sur lesquelles ils font main basse. Dans cette situation scandaleuse, c’est nous les contribuables, le peuple, qui sommes les dindons de la farce: nous donnons des moyens aux gens qui les utilisent pour faire en privé leur business. A notre dépens. Il ne nous reste plus que nos yeux pour pleurer.

  5. Giti

    Merçi Journal iwacu pour votre courage incessant à dénoncer la corruption, cette gangrène qui détruit l’Afrique entière.
    L’équipe qui dirige le Burundi (Les même depuis 2095) et qui se sucre bien n’en a cure des pleurs de Faustin; Rufyiri, Prof Ndikumana, et des 12 millions de Burundais.
    Au referendum prochain, ils vont retirer de la Constitution; l’article qui exige les mandataires à déclarer leurs avoirs

    • giti

      Le journal Iwacu aurait du corriger la coquille « 2095 ». I wanted to write 2005.
      Walah,

  6. Bundes

    Nous allons pleurer et pleurer encore ivyo bintu ntibizova munzira kuri régime DD je vous jure!!!

  7. Mbazumutima

    Que voulez-vous ?! Même la constitution n’est pas respectée par celles et ceux qui sont supposés la protéger en matière de déclaration des biens !!!

  8. Jambo

    Vous comprenez bien alors pourquoi les mandataires refusent de déclarer leurs biens.
    Les différents porte parole lisent l’article, mais (Shut🤔) ne répliqueront pas, ne justifieront rien en utilisant leurs pseudonymes😏.
    Triste et triste.
    Note de l’éditeur: L’article est malheureusement vrai à 250%

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