Mardi 23 avril 2024

Politique

Nouvelle configuration provinciale : l’administration centrale garde un rôle très actif

25/02/2021 3
Nouvelle configuration provinciale : l’administration centrale garde un rôle très actif
Gervais Ndirakobuca : « Nous ne voulons plus entendre des doléances liées à l’extorsion de terres exprimées au chef de l’Etat lors des émissions publiques.»

Avec le décret du mois de décembre 2020, les gouverneurs de province seront désormais dotés de chefs de cabinet et de conseillers juridiques. Une nouvelle organisation qui, selon le ministre de l’Intérieur, donnera une plus grande marge de manœuvre aux gouverneurs.

Selon le décret du 14 décembre 2020 portant organisation de l’administration provinciale, le chef de cabinet est, selon l’article 14, la deuxième personnalité de la province. L’article dispose que le chef de cabinet peut remplacer le gouverneur en cas d’absence ou d’empêchement.

L’article 15 prévoit que le chef de cabinet coordonne le travail des conseillers et des autres cadres et agents de l’administration provinciale. D’après cet article, il assure également la centralisation des rapports et renseignements relatifs à la sécurité et à l’ordre publics.

L’article 16 stipule, quant à lui, que le chef de cabinet assiste le Gouverneur dans le contrôle de l’application des actes législatifs et réglementaires dans la province ; le règlement des litiges administratifs ainsi que l’analyse et la compilation des rapports des administrateurs communaux.

Pour le conseiller chargé des affaires juridiques, il a notamment pour missions de donner des avis, propositions et conseils juridiques au gouverneur de province sur toutes les questions en rapport avec les dossiers administratifs, judiciaires et financiers ; apporter son soutien dans la rédaction ct le contrôle des actes administratifs engageant la responsabilité du gouverneur ; analyser, préparer ou faire préparer des contrats, accords et conventions pouvant être signés par le gouverneur de province ; conseiller et assister les services de l’ administration provinciale sur toutes les questions de droit et de contentieux.

Lors de la réunion tenue ce mardi 16 février avec les gouverneurs de province et les nouvelles équipes formées autour d’eux, le ministre de l’Intérieur Gervais Ndirakobuca a expliqué que la volonté ayant présidé à la mise en place de cette nouvelle configuration tient sur la volonté de renforcer les cabinets des gouverneurs pour que toutes les questions d’ordre pratique soient réglées au niveau provincial. « Nous ne voulons plus entendre par exemple des doléances liées à l’extorsion de terres exprimées au chef de l’Etat lors des émissions publiques », a-t-il souligné. En gros, donner tous les outils aux gouverneurs de province pour qu’ils aient une plus grande marge de manœuvre.

Quelle était l’ancienne configuration ?

Avant la mise en place du décret du 14 décembre, le gouverneur de province était à la tête d’une équipe de trois conseilleurs : un conseiller principal, un conseiller économique et un conseiller social.

Avec la nouvelle configuration, le gouverneur sera épaulé par un chef de cabinet et quatre conseillers : un conseiller chargé des affaires juridiques, un conseilleur chargé du développement, un conseiller chargé de l’administration et des finances et un conseiller chargé des affaires sociales.


Siméon Barumwete : « Il y a des autorités qui ne savent pas demander conseil »

Le professeur d’université et spécialiste dans les sciences administratives et les politiques publiques doute qu’avec une certaine conception du pouvoir au Burundi, la nouvelle configuration puisse aboutir aux résultats pour lesquels elle a été pensée.

Avec le décret du 14 décembre, les gouverneurs de province seront désormais épaulés par des chefs de cabinet et des conseillers juridiques. Un mieux par rapport à la précédente configuration?

Si on regarde la loi sur l’administration publique, le gouverneur a le pouvoir exécutif, représente le chef de l’Etat et coordonne tout ce qui se passe dans sa province. Il a un pouvoir de tutelle sur les communes. Il y a des fois où il peut suspendre des délibérations émanant des communes mais il faut qu’il en ait les compétences nécessaires. Par exemple, en ce qui concerne le budget, il faut qu’il ait un conseiller qui maîtrise tout ce qui est finances et comptabilité. Et parfois, les communes peuvent traiter des questions qui relèvent du droit administratif.

Donc si on lui donne un conseiller juridique, c’est peut-être pour qu’il soit plus efficace. On a peut-être remarqué qu’avec les conseillers d’alors, il y avait un vide à combler. Même maintenant, en ayant donné quatre conseillers au gouverneur, il y a lieu de penser qu’il y a besoin d’autres. Par exemple un conseiller chargé de la sécurité. Comme le gouverneur est le représentant du pouvoir exécutif, il a à gérer et à coordonner des questions de sécurité. Alors, je suis favorable que le gouverneur ait obtenu un conseiller de plus. Mais aussi s’il y a quatre conseillers, il n’y avait personne pour le seconder. Lui donner un chef de cabinet revient alors à alléger la lourdeur que représentaient les tâches qui lui incombaient.

On pourrait se demander si à chaque fois qu’il y a une logique de simplification de l’administration provinciale, il faut s’attendre à des résultats dans les meilleurs délais. Cela, on ne peut pas le prévoir. L’efficacité de l’administration provinciale tourne toujours autour du gouverneur. C’est une chose d’avoir des hommes à son service mais c’en est une autre de savoir les gouverner, les guider, les contrôler et leur demander des avis en fonction des problèmes qu’il y a, soit de gestion ou de management.

Il y a des autorités qui ne savent pas demander conseil, qui ne savent pas profiter des ressources humaines dont elles disposent, qui préfèrent être des dirigeants autoritaires alors qu’elles avaient tout pour administrer efficacement leur territoire.

Lors d’une rencontre avec les gouverneurs de province et leurs nouveaux cabinets nommés, le ministre de l’Intérieur a déclaré qu’il y a eu renforcement de l’équipe du gouverneur pour que toutes les questions pratiques soient réglées au niveau de la province. Qu’en dites-vous ?

C’est à placer dans le cadre d’une réforme normale de l’administration provinciale. Avec la précédente structure, on ne demandait que cela au gouverneur : que les questions qu’il peut régler à son niveau puissent trouver une réponse adéquate. Mais n’oubliez pas que le gouverneur est quelqu’un qui coordonne. D’autres services émanant de l’administration centrale sont déconcentrés dans les communes notamment les directions provinciales de l’Agriculture, de la Santé, de l’Education, … en ajoutant à cela, les autorités qui ont de l’expertise notamment dans le domaine de la Justice, continuent à prester et à régler les problèmes de leur ressort. Donc, le gouverneur de province est quelqu’un qui coordonne, qui supervise mais c’est une structure déconcentrée. Les décisions émanent beaucoup plus de l’administration centrale. Il peut agir de façon à ce que ses unités provinciales puissent exercer leur boulot mais ce n’est pas quelqu’un qui va se substituer à ces directions provinciales.

Ce n’est pas non plus quelqu’un qui va se substituer par exemple au procureur de la République ou au président du Tribunal de Grande Instance. S’il y a quelque chose à changer, le gouverneur doit informer l’administration centrale qui pourra donner une nouvelle impulsion. Mais si par exemple, un administrateur communal n’est pas en train de faire son travail comme il faut, soit le gouverneur peut suspendre les délibérations ou proposer au ministre d’annuler.

C’est donc un intermédiaire entre l’administration locale et l’administration centrale. Donc, si des problèmes ne sont pas résolus, ils vont suivre le cours normal jusqu’au ministère, jusqu’à la Primature, jusque même à la Présidence.

Ce n’est pas qu’on a donné au gouverneur de province de nouvelles unités administratives qu’on va limiter les problèmes au niveau provincial. L’administration étant hiérarchisée, les problèmes non réglés seront traités au niveau national. Tout au plus, il peut demander à l’administration centrale de remplacer par exemple un directeur provincial fautif mais il ne peut le destituer lui-même.

Quel serait alors le meilleur système ? Une administration provinciale déconcentrée ou décentralisée ?

On peut décentraliser les provinces dans des pays vastes comme en RDC où il y a des gouvernements provinciaux à qui on transfère certaines compétences dans certains domaines comme l’éducation, la santé, etc. Mais pour les fonctions régaliennes comme la sécurité, cela relève toujours de l’administration centrale. Ici au Burundi, on a opté pour une structure déconcentrée. Le gouverneur de province représente le chef de l’Etat, c’est son œil dans la province. Mais ce n’est pas un magistrat suprême au niveau de la province, ni un commandant des forces armées. Il y a des questions pour lesquelles il n’a pas de réponses. Et c’est pourquoi aujourd’hui on lui octroie des conseillers pour qu’il ne soit pas maladroit dans les avis qu’il peut rendre. Pour qu’il ait un cadre dans lequel agir. On a par exemple constaté que certains gouverneurs de province attrapaient des gens en infraction avec la loi et les frappaient publiquement. Cela veut dire que ce type d’autorités ne connaît tout simplement pas la loi.

Mais maintenant qu’un gouverneur sera doté d’un conseiller juridique, s’il constate un délit, il pourra avoir un avis éclairé. Mais ce n’est pas évident en fonction de la nature des dirigeants que nous avons en Afrique et, en particulier au Burundi, de demander conseil à des conseillers quand il le faut. Des fois, il y a un mépris envers les subalternes.

La présente réforme va aider le gouverneur à être un meilleur leader qui donne un avis éclairé grâce à l’aide d’experts dans les domaines où le gouverneur aura besoin de s’exprimer. Mais je doute qu’avec la manière dont on conçoit le pouvoir au Burundi, cette réforme puisse aboutir aux résultats pour lesquels elle a été pensée.

Dans un contexte de budget dit d’austérité, est-il opportun de créer d’autres postes administratifs ?

Nous avons 18 provinces et avec les deux postes créés auprès du gouverneur, nous aurons en tout 36 personnes. Quand bien même on ne sait pas combien elles gagneront par mois, c’est vraiment insignifiant pour le budget. Ce qui est recherché, c’est la simplification, la transparence mais aussi l’efficacité. Et peut-être prendre les choses par le bon bout en se disant que si l’administration provinciale devient efficace, il y aura une économie de moyens et de ressources.

Propos recueillis par Alphonse Yikeze

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Jereve

    Étoffer les structures administratives est certes souhaitable. Mais cela ne suffit pas ; j’en prends pour exemple le récent discours du Président où il se plaint publiquement que ses collaborateurs ne sont pas efficaces, si bien qu’il est pratiquement obligé de tout faire lui-même. Il y a ici un problème de qualité et de compétence des collaborateurs. Réorganiser les structures, c’est bien ; promouvoir les compétences, c’est encore mieux.

  2. Bavugirije

    Je me suis toujours posé la question de savoir quel est exactement le rôle d’un gouverneur de province dans notre pays et ne l’ai comprisi qu’en visitant les pays anglosaxons où le fédéralisme est souvent le régime de gouvenement rencontré. Un gouverneur aux USA ou un gouverneur de province au Canada par exemple est un véritable chef d’Etat dans son entité. C’est un élu du peuple disposant d’un gouvernement avec ministres et fonctionnaires, d’un budget voté par un parlement de sa juridiction, d’une justice indépendante et tout cela s’exerce dans la limite des pouvoirs convenus avec le gouvernement fédéral.

  3. Kagabo

    Cet article est tres bon. Ca viendra tres bien si vous faitez un recherche sur les salaires de gouverneur de province et ses conseilles.

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

Une responsabilité de trop

« Les décisions prises par la CVR ne sont pas susceptibles de recours juridictionnels. » C’est la disposition de l’article 11 du projet de loi portant réorganisation et fonctionnement de la Commission Vérité et Réconciliation analysée par l’Assemblée nationale et le Sénat (…)

Online Users

Total 3 606 users online