Vendredi 29 mars 2024

Société

Le blues des taxi-motos

09/06/2019 Commentaires fermés sur Le blues des taxi-motos
Le blues des taxi-motos
Des taxis-motos, des tuk-tuks et des taxi-vélos sont toujours fortement mobilisés pour les manifestations

Il n’y a pas de manifestation dans la ville de Bujumbura pour contester tel ’’complot international contre le Burundi’’ sans une armada de taxis-motos, une légion de tuk-tuks et un essaim de taxi-vélos. La réalité est que ces derniers participent à ces événements de gré ou de force.

«Dans nos parkings où dans les quartiers où nous sommes confinés ou autorisés à exercer notre travail, tout est quadrillé, sous contrôle», lâche Michel, un jeune taxi-moto. «Trois ans de service et je ne parviens pas à joindre les deux bouts».

Quand il y a une manifestation pour décrier les ’’injustices internationales contre le Burundi’’, c’est la galère. «C’est comme cette dernière marche pour dénoncer les agissements de RFI et Maggy. Il paraît que cette femme de Ruyigi, représentante de la Maison Shalom a osé injurier les institutions».

Personnellement, reconnaît-il, je ne l’ai pas entendue mais nous apprenons tout au point de rassemblement par les slogans scandés, pas sur les pancartes, elles sont portées par le peloton de tête des manifestants loin devant. «D’ailleurs la plupart des écriteaux sont dans des langues étrangères comme le français ou l’anglais et je n’y comprends rien».

A vrai dire, confie Asmane, ancien domestique converti en taxi-moto, ces manifestations ne sont pas des moments de gaieté pour nous. «Passer toute une demi-journée ou toute une journée à klaxonner et à slalomer dans les rues de la capitale pour ’’dénoncer ceci ou cela’’, sans contrepartie, cela fait rire jaune en fin de journée mais il y en a qui en tirent profit, qui soutiennent cela».

Jean-Marie, son ami de parking venu de l’intérieur du pays est désespéré : «Nous ne faisons que tirer le diable par la queue. Réunir 35 mille francs par jour, relève d’un parcours de combattant».

Il se dit face à un dilemme : «Quelques fois, je me dis qu’il faut retourner à la colline. Mais si je rentre bredouille, l’entourage ou les gens que j’ai laissés là-bas vont se moquer de moi en me voyant rentrer tout maigre portant les mêmes habits délavés que j’ai depuis quelques années».

Dans l’impossibilité de rentrer, se console-t-il, je me résous à galérer ici loin des qu’en-dira-t-on de la colline. Il explique son choix : «Il faut d’abord une somme de 12 mille francs pour l’essence, 13 mille francs à verser sur le compte du propriétaire de la moto. Et, il faut manger. Là, c’est un billet de 5 mille francs pour pouvoir mettre quelque chose sous la dent ».

D’après ce jeune homme, il faut reprendre des forces et faire quelques économies mais ce n’est pas fini : «Il faut payer le loyer et une cotisation quotidienne de 700 francs et prévoir les amendes quand on se retrouve nez à nez avec un ’’Mister Blue’’ (policier) qui veut tout contrôler».

Notre spleen 

Personne parmi les taxi-motos au parking ne veut délier sa langue et donner des éclaircissements sur cette cotisation. «On nous dit que c’est pour l’association mais ce n’est pas les seules sommes soutirées par des jeunes qui affirment assurer l’ordre et la sécurité», chuchote, un autre taxi-moto avant de scruter la route principale.

Tous ces conducteurs des deux-roues ont un dénominateur commun : ils confient, à voix basse, avoir boudé la manifestation de samedi ’’pour dénoncer, je ne sais quoi encore’’. «Là, nous allons passer toute la journée à jouer à cache-cache avec nos collègues zélés partis pour la manifestation. C’est pour ne pas payer l’amende de 2 mille francs voire plus. Pour les tuk-tuks, c’est au moins deux ’’billets jaunes des deux héros’’».

Au moins avant, se rappelle avec regret Selemani, 6 ans de métier, les chefs des parkings pour nos taxis-motos recevaient de la part des organisateurs de ces manifestations ou meetings l’équivalent de ce que nous gagnions par jour. «Il est vrai qu’on devrait batailler pour avoir sa part mais au moins il y avait cette compensation. Maintenant, il nous est dit qu’il faut aimer notre pays par-dessus tout».

Aujourd’hui, fait remarquer Michel, 5 ans sur les deux-roues, il nous est dit que la paix règne : «Il faut alors que la mairie envisage de revoir ses mesures en élargissant notre champ d’action».

Notre périmètre de confinement est devenu trop étroit, lâche-t-il, il faut que nous soyons à nouveau autorisés à franchir les ponts sur la Muha et la Ntahangwa. «La mairie devrait redéfinir les zones qui nous sont interdites de la ville. Il nous faut respirer, humer le parfum de cette paix retrouvée tant clamée haut et fort, sinon ses dividendes nous glissent entre les doigts».

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