Vendredi 19 avril 2024

Hommage

Hommage – Nécrologie| In memoriam, Damien Kaburahe

20/07/2021 3

« …Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans le Sein de la Femme,
Ils sont dans l’Enfant qui vagit
Et dans le Tison qui s’enflamme.
Les Morts ne sont pas sous la Terre… »
Birago Diop

Cela va faire 50 ans. Le 21 juillet 1971, mon père, Damien Kaburahe, se rendait à Bujumbura pour prendre un avion à destination de Bruxelles. Dans un tournant sur la route Gitega-Bujumbura, à la sortie de Muramvya, il a eu un accident mortel. Il avait 42 ans. Moi, le cadet de la famille, j’avais cinq ans à peine. Je dois reconnaître que je garde un souvenir très flou. Je me souviens, vaguement, des funérailles grandioses à la paroisse de Mushasha, avec de nombreux évêques et prêtres. Mon père était au service de l’Eglise catholique en tant que premier rédacteur en chef de son journal, Ndongozi. Voilà pour les « faits ». Comme tous les gamins, trop tôt orphelins, j’ai idéalisé mon père et, inconsciemment, je voulais devenir ce qu’il était : journaliste.

En ce jour où nous célébrons les 50 ans de sa disparition, j’aurais aimé me recueillir, déposer une fleur sur sa tombe au cimetière de Mushasha. Je ne le peux pas. Mais comme disait l’autre, « je crois aux forces de l’esprit ». Je vais être en pensée avec lui et tous les miens qui reposent, iwacu, excusez-moi ce jeu de mots, ku Mushasha. Mais je peux m’estimer heureux, car même si je ne peux pas m’y recueillir aujourd’hui, je sais qu’il est là. Ce n’est pas rien. De nombreux Burundais ignorent où reposent leurs parents ou leurs enfants. Et c’est encore plus douloureux…

Papa est parti alors que j’avais 5 ans. J’en ai 55 maintenant. On l’oublie souvent, mais cela veut dire que sur le chemin de nos vies, des cœurs et des mains ont pris la relève du père disparu. D’abord maman, veuve à 38 ans. Elle va courageusement élever sept enfants. Mes pensées vont aussi à toutes ces âmes bienveillantes que l’on rencontre sur le chemin de la vie, dans nos familles certainement, mais aussi des amis, des instituteurs, des professeurs, des collègues, tous ceux qui nous permettent de « grandir » au sens complet et noble du terme.

Je voudrais aussi remercier quelques témoins qui m’ont « raconté mon père », je pense ici à l’Ambassadeur Ndaruzaniye et M. Nicayenzi. Une petite anecdote : personne n’aime entendre des insultes envers son père. Mais celles de Jean Paul Harroy, le dernier résident belge au Burundi sont agréables à lire. C’est d’abord M. Zénon Nicayenzi qui m’avait raconté la haine de M. Harroy envers mon père. Puis, j’ai lu les Mémoires de Jean-Paul Harroy. Acerbe, ce dernier accuse nommément « le journaliste Damien Kaburahe » et d’autres « communistes », car pour lui ce n’étaient pas des nationalistes indépendantistes, d’avoir fait « échouer son plan ». Le Burundi est devenu indépendant malgré toutes les embûches semées par Jean-Paul Harroy . Pour moi, les insultes de M. Harroy dans son livre sonnent agréablement comme une reconnaissance du rôle joué par mon père et d’autres hommes libres aux côtés de Rwagasore.

Enfin, j’ai aussi découvert la grâce de mener une vie juste. « Vous êtes le fils de Damien Kaburahe ? ». Cette phrase a souvent fonctionné comme un sésame. Des portes se sont ouvertes à la simple évocation de cette filiation. Merci, papa, c’est le plus bel héritage…

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Athanase Karayenga

    Mon cher Antoine,

    Permets-moi de m’associer à ta famille et à tes amis pour rendre un hommage à ton illustre père, notre aîné dans le métier du journalisme.

    Il y a plusieurs années, j’ai découvert, pour la première fois, sa contribution dans la lutte pour l’indépendance du Burundi en discutant avec feu Ambassadeur Térence Nsanze. Il me parlait avec chaleur de l’équipe de choc formée, autour de Mgr Grauls, par Jean Ntiruhwama, Térence Nsanze et Damien Kaburahe.

    Térence Nsanze m’a révélé que le discours prononcé par Louis Rwagasore, au lendemain de la victoire du parti de l’indépendance immédiate, son parti UPRONA, avait été rédigé dans le cercle de ce trio.

    Térence Nsanze ajoutait que la célèbre phrase prononcée par Louis Rwagasore, …. »et votre fierté sera notre satisfaction » avait été empruntée à un discours de John F. Kennedy annonçant le lancement du programme des Etats-Unis pour aller vers la lune.

    Je peux même m’imaginer que c’est ton père, célèbre plume, qui a eu mission de rédiger le discours de victoire de Louis Rwagasore. A partir des idées suggérées par le trio qui enrageait tant Jean-Paul Harroy.

    Récemment, en enregistrant un des épisodes de Bigabiro Magazine avec Mushingantahe Zénon Nicayenzi, un témoin exceptionnel de l’histoire du Burundi, j’ai également enrichi ma connaissance sur les qualités de ton père. Damien Kaburahe était, la face éclairée de la lune dont Grégoire Kayibanda était la face obscure.

    Grégoire Kayibanda était Rédacteur en Chef du Journal Kinyamateka, canal de diffusion de la propagande qui a plongé le Rwanda dans la nuit de la guerre dès novembre 1959. Alors que Ndongozi, dont Damien Kaburahe était aussi Rédacteur en Chef, participait à la libération du Burundi.

    Que te souhaiter à l’occasion de ce triste anniversaire ? D’abord de poursuivre avec le même courage et le même talent, le métier de ton père et le tien. Éclaireur des esprits et éveilleur des consciences. C’est cela le Journalisme. Le bon journalisme de Damien et d’Antoine Kaburahe.

    Ensuite, que le Burundi s’ouvre définitivement. Et que plus jamais il ne soit plus acceptable qu’un fils ou qu’une fille ne puisse s’incliner devant la tombe de son père, de sa mère ou des siens. C’est un droit fondamental qui, plus jamais, ne devrait être remis en cause par aucun régime politique.

    Dans ma vie de Journaliste, j’ai eu une chance unique et inouïe de rencontrer Jean-Paul Harroy à Kigali, au mois d’août 1978. J’ai pu réaliser une interview exclusive avec lui à l’hôtel Mille Collines.

    Et figure-toi, Antoine, que même lui, Jean-Paul Harroy himself, avait la nostalgie du Burundi. Il aurait payé des fortunes pour être autorisé à revenir sur les rives du Tanganika. Car, m’a-t-il déclaré, jusqu’au bout, les Burundais l’ont respecté. Oubliant la célèbre gifle que lui a administrée la reine Thérèse Kanyonga autour du cercueil de Louis Rwagasore.

    Parce qu’il avait été respecté par les politiciens burundais avec lesquels il discutait âprement les termes de l’indépendance, m’a-t-il affirmé, il a refusé que le Burundi flambe, en novembre 1959. Alors que, effrayante confidence la Belgique avait pris la décision que le Rwanda et le Burundi devaient flamber le même jour, la même heure.

    Si donc même Jean-Paul Harroy qui détestait cordialement ton père, éprouvait de la nostalgie pour revenir dans notre pays, que dire de tous les Burundais privés du droit fondamental de revenir au pays des mille et un rêves brisés de paix et de solidarité ?

    Des rêves que tu construits et consolides avec tes collègues d’Iwacu malgré tout et malgré l’exil que je te souhaite le plus bref possible. Il faut que tu puisses bientôt déposer une gerbe de fleur sur la tombe de Damien Kaburahe. Ton géniteur et ton inspirateur !

    Athanase Karayenga

  2. Nshimirimana

    Cher Monsieur,
    Continue à honorer le métier de ton cher PAPA (terme plus intime que père) en continuant à promouvoir un journalisme de qualité parce qu’il te suit au quotidien depuis là où il est.
    Portez-vous bien !

    • Yohani

      Merci Karayenga pour ton vibrant hommage à l’endroit de cet illustre disparu qu’est Damien Kaburahe papa de Tony Kaburahe directeur de Iwacu
      J’étais encore très jeune mais je l’ai connu
      Cette photo me rappelle exactement son regard
      C’était un homme intègre sobre courtois et grand travailleur
      Le journal Ndongozi dont il était le rédacteur en chef était distribué aux enseignants à l’école primaire où on était par un certain Sabbas de Mumuri
      Ce fut un choc pour ma famille quand nous avons appris son décès accidentel
      J’avais eu la chance d’être pris en lift avec mes parents alors qu’il pleuvait un certain soir dans sa voiture une VW Variant type familial de couleur beige et c’était la première fois que j’embarquais dans une voiture
      Que son âme repose en paix il a laissé une progéniture qui lui font honneur en particulier toi Tony qui as hérité de son métier
      Le pays devrait lui décerner « Un Ordre de Mérite  » pour les services rendus
      Félicitations aussi à toute l’équipe de Iwacu
      Courage et merci pour tout ce que tu fais
      Turi kumwe kuri uyu musi tumwibuka

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