Jeudi 18 avril 2024

Editorial

Coup de grâce ?

16/09/2022 6
Coup de grâce ?

« Les fonctions des Bashingantahe investis (batiwe) cesseront sur tout le territoire du Burundi dès la prestation de serment des membres des Conseils des notables des collines ou des quartiers élus ». Un tweet du ministère de l’Intérieur qui en dit long.

Cette décision sonne le glas d’une institution multiséculaire de médiation et d’arbitrage, respectée, sollicitée pour régler les conflits, ramener l’entente, la concorde sociale. Une institution qui mettait en avant la justice conciliatrice. C’est un pan de la tradition burundaise qui tombe, c’est un des piliers de la culture burundaise qui s’écroule.

Fini donc le temps des Bashingantahe, ces notables investis qui ont juré obéissance à plusieurs valeurs dont la droiture et la véracité, quel qu’en soit le prix, et qui se sont engagés à trancher les litiges avec intégrité et impartialité.

Place maintenant aux ’’Bashingantahe’’ nouveaux « modèles », élus, qui seront les adjuvants de l’administration locale. Questions légitimes : Est-ce qu’ils incarneront toutes ces valeurs ? Est-ce qu’ils ne seront pas tentés à fermer les yeux pour certains abus commis par les plus véreux de leur électorat ?

Ce n’est pas tout comme questionnement : vont-ils user d’impartialité pour ceux qui n’ont pas voté pour eux ? Est-ce que ce sont les plus intègres de nos collines ou de nos quartiers qui ont été élus ? N’y a-t-il pas parmi ces ’’Bashingantahe’’ élus, ceux qui ne méritent pas d’être appelés des Bashingantahe ?

Des questions et toujours des questions : Qu’en est-il de la moralité de certains de ces ’’Bashingantahe’’ nouvellement élus ? Qu’en sera-t-il de leur légitimité morale, sociale ? Est-ce que certains de ces ’’Bashingantahe’’ n’ont pas été mal élus ?

Cette institution qui a été à la merci des toutes les intempéries et autres aléas politiques que le Burundi a connus, est aussi vieille que la monarchie burundaise. A cette époque, les Bashingantahe avaient leur place, leur importance.
Les tout premiers assauts contre cette institution seront lancés par la colonisation. En 1943, les Belges font une loi interdisant aux notables de trancher les litiges, ils demandent que tous les procès soient déférés devant les tribunaux qu’ils contrôlent.

Et, honte suprême, devenus des sujets ordinaires, ces Bashingantahe naguère respectés, reçoivent désormais, publiquement, des coups de chicotte au moindre manquement. Une manière de les humilier.

Après l’indépendance, les Bashingantahe reprennent leur ’’Intahe’’, le petit bâton, une sorte de maillet de juge pour ponctuer leurs propos au moment de trancher les litiges. Mais c’est pour une courte durée. Les différentes Républiques qui vont se succéder tentent de les instrumentaliser, les politiser, ou de les ignorer, …

En 1991, le gouvernement de l’époque entend restaurer l’institution des Bashingantahe. Mais ce n’est pas gratuit : c’est dans l’optique de consolider l’unité nationale. En 1997, une Commission de réhabilitation de cette institution voit le jour.

Une partie de la population se méfie de cette démarche. Des salves de critiques ne tardent pas à venir. La suite est connue. L’on se souviendra de la guéguerre entre ces Bashingantahe et les élus locaux, les ’’Bashingantahe’’ contre les ’’Bagabo’’, entendez-là des pro-Cndd-Fdd. Ces vocables signifient la même chose selon la plupart des chercheurs et spécialistes du sujet.

Dernière question : est-ce que le Burundi n’est pas en train de renoncer à cet héritage de Ngoma ya Sacega ? Dans un conte étiologique, ce personnage légendaire, emblématique, est la première victime de cette institution.

Il s’est sacrifié sur l’autel de la vérité et de l’impartialité pour avoir tranché en défaveur de l’Ogre, opposé à la Mort, la Faucheuse arguant être supérieure à tous car pouvant ôter la vie, décimer. Son challenger, lui, soutenait Imana, Dieu car pouvant créer, donner la vie.

Fâchée, la Mort exécute le pauvre homme intègre. Dans son dernier souffle, il murmure aux Bashingantahe de dire toujours la vérité, quel qu’en soit le prix et de la défendre quoi qu’il en coûte. ’’Vulnerant omnes ultima necat’’, toutes les heures blessent, la derniere tue, disaient les Romains. L’heure a peut-être sonné pour Ngoma ya Sacega…

Forum des lecteurs d'Iwacu

6 réactions
  1. Ririkumutima

    Quand on détruit toutes les valeurs d un pays. Ntagisigara.
    Les civilisations fortes gardent toujours leurs traditions et leurs valeurs.
    La seule chose dont on pouvait encore se vanter (avec ses défauts) tait Ubushingantahe.
    On vient de l’enterrer. Requiem

  2. Hangama

    Justice où es-tu ?

  3. Yan

    « Fini donc le temps des Bashingantahe, ces notables investis qui ont juré obéissance à plusieurs valeurs dont la droiture et la véracité, quel qu’en soit le prix, et qui se sont engagés à trancher les litiges avec intégrité et impartialité. »

    Si les Bashingantahe, ancienne version, avaient obéi aux valeurs de la droiture et de la véracité, quel qu’en soit le prix, notre histoire n’aurait pas été probablement aussi tragique. Inutile alors, de les idéaliser, les magnifier. Par ailleurs, moi je ne me fais pas d’illusion sur ceux de la nouvelle version.

    • Jereve

      J’aimerais nuancer vos propos: si les bashingantahe ancienne version n’avaient pas existé, le Burundi auraient littéralement explosé. Les morceaux que nous essayons de recoller aujourd’hui et la survie du pays, nous le devons aux gens – connus et inconnus, politiciens ou simples citoyens – qui d’une façon ou d’une autre ont bravé la folie meurtrière de leurs compatriotes pour sauver des vies. J’ajouterai aussi que ubushingantahe, c’est comme ubuntu: ça ne se décrète pas, ça ne sort pas des urnes ou des nominations. C’est un état d’âme: vous l’avez ou vous ne l’avez pas. Si vous l’avez, les gens viendront vers vous pour chercher des conseils ou simplement apprendre la sagesse. Si vous ne l’avez pas, cela ne vous empêche d’être élu selon les affinités que vous avez avec ceux qui détiennent le pouvoir.

      • Yan

        « Si vous ne l’avez pas, cela ne vous empêche d’être élu selon les affinités que vous avez avec ceux qui détiennent le pouvoir. »

        Chacun son expérience; eh ben, d’après ce que j’ai vécu, 80% des bashingantahe étaient choisis via ce chemin. Ou alors c’était de bons parleurs (baratineurs)!

    • il ne s’agit pas d’idéaliser les Bashingantahe mais l’Institution, la fonction et les valeurs qu’elle représente ! Aucun homme n’est parfait, les vrais Bashingantahe tentent de l’être dans leur fonction

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