Vendredi 29 mars 2024

Politique

Commission Diène vs Bujumbura : Un dialogue de sourds

18/03/2019 Commentaires fermés sur Commission Diène vs Bujumbura : Un dialogue de sourds
Commission Diène vs Bujumbura : Un dialogue de sourds
Pour les experts onusiens, la situation des droits de l’Homme reste préoccupante

Violation des droits de l’Homme, élections de 2020, rétrécissement de l’espace politique … tous ces sujets sont passés sur la table du Conseil des droits de l’Homme. Les membres de la Commission d’enquête sur le Burundi n’ont pas fait dans la dentelle. Bujumbura, comme à l’accoutumée, crie au complot visant à déstabiliser ses institutions.

«La situation des droits de l’Homme reste très préoccupante». C’est le constat des 3 experts onusiens, Doudou Diène, Françoise Hampson et Lucy Asuagborn, mardi 12 mars 2019, lors du débat interactif avec le Conseil des droits de l’Homme.

Selon eux, le gouvernement n’a démontré aucune volonté de lutter contre l’impunité qui règne dans le pays et encore moins engager un dialogue inclusif pour trouver une issue à la crise politique qui dure depuis 2015. «Cela favorise la perpétuation des violations des droits de l’homme». Comme principaux responsables présumés de «ces violations graves et crimes internationaux depuis 2015», la commission d’enquête pointe du doigt certains membres des forces de sécurité et de la ligue des jeunes qui occupent des postes de responsabilités dans ces institutions. “Les Imbonerakure sont omniprésents et exercent une surveillance continuelle de la population. Ils sont directement impliqués dans la majorité des violations des droits de l’homme documentées par la commission”.

La commission fustige également les contributions financières demandées à la population alors qu’un 1/3 des Burundais a besoin d’aide humanitaire. Elle se dit préoccupée par la décision du gouvernement de mettre à contribution des ménages pour financer les élections de 2020. « Ces contributions prennent régulièrement l’allure de racket ou d’extorsion, car elles s’accompagnent de violence ou encore, conditionnent l’accès aux soins de santé et à l’éducation». Sans oublier, d’après ces experts onusiens, les différentes contributions financières ou en nature pour la construction de permanences du parti au pouvoir.

Concernant les élections de 2020, les experts trouvent qu’elles peuvent avoir une grande incidence sur la situation des droits de l’Homme au cours des prochains mois. Pour eux, le respect des droits de l’Homme, des libertés fondamentales ainsi que le pluralisme politique et l’indépendance des médias sont indispensables à l’organisation des élections qui sont réellement démocratiques, libres et crédibles en 2020.

Sur ce, la commission s’est alors engagée de garder l’œil sur les décisions prises par les autorités burundaises ainsi que tous les développements sur terrain afin d’identifier les risques éventuels de violations des droits de l’Homme. «La commission d’enquête est plus nécessaire que jamais, car c’est le seul mécanisme international à même d’enquêter de manière indépendante, rigoureuse et impartiale et d’établir les responsabilités pour les actes commis».

Une commission vendue, clame Bujumbura

Mensonger, diffamatoire, insultant, typologiquement politique,… Rénovat Tabu, ambassadeur et représentant permanent du Burundi à Genève, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Les qualificatifs pour tirer à boulets rouges sur la commission pleuvaient. “Le Burundi a reçu et scruté le rapport oral que vient de présenter cette commission et le rejette publiquement. Il est sans valeur ajoutée. Son contenu est mensonger et diffamatoire.»

Rénovat Tabu : « Le Burundi rejette publiquement ce rapport. Il est sans valeur ajoutée. Son contenu est mensonger et diffamatoire.»

D’après l’ambassadeur Tabu, Doudou Diène, président de cette commission s’arroge le droit d’être le porte-parole de l’ONU et de l’opposition politique burundaise en interférant dans les affaires internes de l’Etat burundais par ses leçons et mises en garde. Pour lui, il n’est précisé nulle part que la commission aura un mandat éternel d’enquêter sur toute la vie nationale du Burundi. «Il s’agit simplement d’une ultra-petita politique.”

Bujumbura assure qu’elle ne collaborera jamais avec «une commission qui est devenue une caisse de résonnance des forces négatives sous l’onction du Conseil des droits de l’Homme».

A ce tableau sombre dépeint par la commission d’enquête, Rénovat Tabu oppose un « espace politique apaisé », en mettant en exergue l’agrément du parti d’Agathon Rwasa, le Congrès national pour la liberté (CNL). “Le Burundi informe qu’il est déjà en marche vers les élections de 2020 et que tous les instruments nécessaires sont bien pensés». Il a demandé à la communauté internationale de se garder de tous faits et gestes de nature à saper la réussite de ces grands événements électoraux. Pour Rénovat Tabu, Doudou Diène et ses mentors seront responsables au cas où il adviendrait quoi que ce soit au Burundi.

Cette sortie de l’ambassadeur Tabu lui a valu une mise en garde de la part du président du Conseil des droits de l’homme, Coly Seck. «Je voudrais rappeler à l’ambassadeur du Burundi que le langage inapproprié n’est pas toléré dans le cadre de ce Conseil des droits de l’Homme».

Rappelons qu’en octobre dernier, la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Michelle Bachelet, avait demandé à l’ambassadeur du Burundi à l’ONU, Albert Shingiro, de présenter des excuses complètes à Doudou Diène et aux autres commissaires, ainsi qu’au Conseil des droits de l’homme suite aux menaces proférées de poursuivre en justice les membres de la commission. C’était lors d’une réunion de la 3ème commission de l’Assemblée générale à New York.

Ce qui n’a pas empêché Albert Shingiro de récidiver dans un tweet datant du 13 mars : «Les propos fallacieux, diffamatoires et mensongers de Doudou Diène sur le peuple burundais et ses leaders doublés de l’intention de déstabiliser notre pays ne resteront pas infiniment impunis.»

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Réactions

Tatien Sibomana : «Un œil très vigilant devrait être gardé sur le Burundi.»

Pour cet acteur politique de l’opposition, la commission Diène dépeint une situation correspondant à la réalité. Le nouveau parti de Rwasa s’est vu refuser d’organiser les cérémonies d’ouverture de leur permanence nationale sous un prétexte fallacieux d’insécurité, «ce qui n’a pas été convaincant comme argument». Le jour où l’autorisation a été donnée, cela n’a pas empêché les chefs de poste d’arrêter les voitures qui transportaient les militants du CNL. Cela n’obéissait à aucun texte de loi.

Pour cet opposant, un œil très vigilant devrait être gardé sur le Burundi pour éviter l’expérience des élections de 2015. Il soutient qu’il n’y a aucune préparation dans le sens de l’inclusivité, de l’apaisement, de la sécurité pour des élections crédibles.

M. Sibomana appelle à la relance du dialogue qui sera clôturé le plus tôt possible pour dégager une vision consensuelle sur la façon d’organiser ces élections. «Il faut que l’on s’entende sur les préalables essentiels notamment l’environnement sécuritaire, l’environnement politique, c’est-à-dire le déverrouillage de l’espace politique ainsi que l’aspect humanitaire de ces élections». Selon lui, il y a des réfugiés notamment des femmes et hommes politiques qui aimeraient participer au processus.

Tatien Sibomana met l’accent également sur l’observation électorale. Des organisations internationales, la société civile, des organisations morales, des mandataires des partis politiques doivent avoir une place privilégiée dans ces élections pour s’assurer qu’elles seront transparentes, démocratiques, inclusives et sécurisées.

Lambert Nigarura : «L’approche des échéances électorales s'annonce encore très tendue.» Pour cet activiste des droits humains, le rapport de la commission d'enquête sur le Burundi est conforme à la triste réalité sur la persistance des violations graves des droits humains au Burundi. «Les enlèvements, les disparitions forcées, les actes de torture, les arrestations arbitraires des opposants politiques et les assassinats ciblés ont pris une ampleur inquiétante».

M. Nigarura indique que ce n'est plus un secret pour personne que l'approche des échéances électorales s'annonce très tendue et que sans aucun doute, les violations des droits de l'Homme vont augmenter avec un risque élevé de confrontation. Lambert Nigarura déplore la fermeture du Bureau de l'office du Haut- commissaire aux droits de l'Homme en cette période où les droits de l'Homme sont violés systématiquement et surtout qu’aucun autre mécanisme de protection des droits humains n’est sur place. «La CNIDH étant devenue un simple instrument politisé, les conséquences seront nombreuses et c’est le peuple burundais qui est toujours perdant».

Hamza Venant Burikukiye : « L’espace politique est libre. » «C’est un mensonge. Il n’y a pas de traque des partis politiques de l’opposition », affirme Hamza Venant Burikukiye, porte-parole de Pisc-Burundi. L’espace politique est ouvert à tous les partis politiques reconnus par la loi. En témoigne, l’agrément même d’un nouveau parti politique le Congrès National pour la Liberté (CNL), précise M. Burikukiye. Pour cet activiste de la société civile, le rapport de Doudou Diène contient des globalisations. Les violations des droits humains évoqués dans ce rapport sont sans preuve. Ce sont des affirmations gratuites. « C’est pour distraire les Burundais et manipuler l’opinion ».

Kefa Nibizi : « Qu’on ne s’inquiète pas.» Pour Kefa Nibizi, président du parti Frodebu Nyakuri, il n’y a aucune raison de s’inquiéter pour les élections de 2020. Car, lors du référendum de 2018, toutes les formations politiques ont battu campagne sans s’inquiéter. Ce qui donne espoir que même les prochaines échéances électorales vont bien se dérouler. « On ne devrait pas prêter des mauvaises intentions aux institutions burundaises en ce qui concerne les élections de 2020 ».

M. Nibizi trouve d’ailleurs normal qu’il y ait des observateurs. Quant à leurs accréditations, ce politicien souligne que cette question revient à la Commission électorale nationale indépendante (CENI).

Editorial de la semaine

Quelle place pour l’opposition ?

… En juin 2008, un groupe de députés « frondeurs » du CNDD-FDD, avaient été tout simplement exclus du Parlement. Je disais que c’était « un dangereux précédent ».  16 ans plus tard, en 2024, est-ce que le traitement des opposants politiques a changé (…)

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