Jeudi 28 mars 2024

Sécurité

22 juillet, « jour de Jean » : Une famille résignée, mais digne

22/07/2021 3
22 juillet, « jour de Jean » : Une famille résignée, mais digne
Le père (chapeau) et le petit frère de Jean Bigirimana discutent avec Abbas Mbazumutima

Jean Bigirimana est porté disparu depuis le 22 juillet 2016. Une équipe du journal Iwacu est allée rendre visite à sa famille, à Cankuzo. Un moment d’émotion intense.

5 ans que Jean Bigirimana est « porté disparu ». Une phrase très lourde au Burundi. Notre collègue a été enlevé le 22 juillet 2016 à Bugarama en province Muramvya. Pour Iwacu, c’est comme si c’était hier. Les souvenirs sont vivaces. Un appel à la rédaction d’une personne inconnue. Depuis un petit kiosque à Bugarama, elle nous annonce que « Jean vient d’être embarqué ». Un dernier coup de fil de Jean un peu plus tard, une voix à peine audible. Peut-être qu’il avait déjà compris que c’était son dernier message. Puis, il y a eu nos recherches, toute une rédaction mobilisée. Nous avons arpenté monts et vallées dans la région où notre collègue a été aperçu pour la dernière fois. Il y a eu cette information donnée par un habitant du coin qui nous a dit de « chercher du côté de la Mubarazi, dans une sorte de crevasse. » Et là, nous avons découvert deux corps boursouflés, flottant dans la Mubarazi. Une vision horrible. L’un des corps a été décapité. En état de décomposition avancé, impossible de les identifier. Jean était-il un des deux ? Personne ne peut le dire. HRW et Iwacu demanderont aux autorités de réaliser un test ADN sur les deux corps. En vain.

Cinq ans sont passés. Il est 11 heures ce dimanche 18 juillet. L’équipe d’Iwacu arrive au chef-lieu de la province Cankuzo. Le petit-frère de « John », comme il l’appelle affectueusement, nous attend.

Il nous reconnaît, car ce n’est pas la première fois que des journalistes d’Iwacu se rendent chez Jean Bigirimana. On prend la route Cankuzo-Mishisha. Arrivée chez « John ». Son père est là, il nous attend ainsi que les autres frères de Jean.

Sa mère est retenue à Bujumbura. Les voisins de la famille nous regardent curieusement. Nous entrons dans la maison.

Une chose nous frappe : quelqu’un ferme immédiatement la porte à clé après notre entrée. On n’ose pas demander pourquoi. Besoin d’intimité ? Peur ? Peut-être que la petite famille éprouvée ne veut pas ameuter tout le village.

Le chef de la délégation et directeur des rédactions, Abbas Mbazumutima, prend la parole. Le moment est solennel :« Nous sommes venus voir comment se porte la famille de notre frère Jean Bigirimana et la consoler. Nous ne ménageons aucun effort pour savoir ce qui lui est arrivé. C’était un journaliste intrépide et intègre ».
Le père de Jean est visiblement ému. « Vous êtes les seuls à s’intéresser à nous. On n’a jamais vu d’autres personnes venir nous voir après ce qui s’est passé ».

A qui demander des comptes

Le père est triste, mais il reste souriant. Aucune colère, aucun mot déplacé. Sa douleur, on ne la voit pas. On la devine, profonde. Il n’accuse personne. Juste quelques mots qui traduisent une sorte de résignation. « On ne sait plus à quel saint se vouer. On aimerait savoir ce qui s’est passé. Merci au Journal Iwacu de se souvenir de lui. »Le père de Jean Bigirimana incarne cette dignité des vrais Bashingantahe qui gardent la maîtrise de leurs sentiments dans toutes les circonstances.

Le petit-frère de Jean Bigirimana lui est dévasté. « John était le pilier de la famille. C’est lui qui subvenait aux besoins de notre famille qui payait le minerval des petits frères et petites sœurs ». C’est une famille modeste.

Selon lui, il était toujours aux côtés de ses frères et sœurs. « La perte est énorme. Le chagrin est immense. Mais, à qui demander des comptes ? » La question du père de notre collègue reste sans réponse.

Le petit-frère de Jean nous dit qu’il a appris qu’il y a une grande photo de son frère affichée dans la cour du Groupe de presse Iwacu. « J’aimerais un jour venir la voir et me recueillir. Vous avez fait une bonne chose ».

Il nous exhorte de demander à tout bienfaiteur potentiel d’aider l’épouse et les enfants de notre collègue qui vivent démunis en exil. « Ils ont besoin d’un soutien matériel et moral. »

Puis, au nom d’Iwacu et de tous les journalistes, Abbas Mbazumutima va remettre à la famille quelques vivres et une modeste enveloppe. Dans le petit salon, avec la famille, nous parlons peu. Une sorte de communion, en silence. Chacun pense à Jean Bigimana et cette question toujours atroce. « Où-est-il ?»


Fabrice Manirakiza


“Des tests ADN sur le corps décapité découvert dans la rivière Mubarazi », demande l’épouse de Jean Bigirimana

Pour Madame Jean Bigirimana, des analyses ADN doivent être effectuées sur les deux corps retrouvés quelques jours après la disparition de son mari. « Je réclame des tests approfondis essentiellement sur le cadavre décapité ». Elle dit avoir été appelé à « identifier » les cadavres mais que c’était dans des conditions difficiles. « On m’a appelé en catastrophe à Muramvya où j’ai retrouvé des corps en décomposition. Ce n’était pas évident pour moi. J’avais trop peur, sous le choc.

Avec un peu de recul, j’imagine que le corps sans tête serait celui de Jean. Si nous avions été deux, j’aurais eu plus de courage pour bien vérifier». Cette mère de deux enfants vit actuellement au Rwanda où elle s’est réfugiée après avoir reçu des menaces. Elle dit que le retour au pays est pour le moment inenvisageable. « Des agents du service national de renseignement m’ont escroquée. J’ai donné une grosse somme d’argent avec la promesse de revoir mon mari. Je pense que s’ils apprennent que je suis de retour, ils aient peur et cherchent à me nuire. »

Agnès Ndirubusa

Note de la rédaction
De nombreux lecteurs nous demandent le contact whatsApp de l’épouse de Jean Bigirimana afin de lui venir directement en aide. Avec son accord, nous la partageons : Godeberthe Hakizimana +250 734 147 630

Réaction de RSF

« 5 ans de silence et 5 ans d’opacité des autorités »

« 5 ans de silence et 5 ans d’opacité des autorités. Cela ne peut plus durer, » s’exclame Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Selon lui, la normalisation de relations avec les médias souhaitée par le nouveau président burundais ne pourra jamais se concrétiser tant que prévaudra l’impunité. RSF continuera à se battre pour qu’une enquête sérieuse soit enfin menée afin de faire la lumière sur la disparition de Jean Bigirimana. « Les investigations doivent être relancées, des témoins interrogés et des analyses ADN effectuées sur les deux corps retrouvés peu de temps après la disparition du journaliste. »

Rachel Nicholson, chercheuse sur le Burundi à Amnesty International : « que son sort soit révélé et que justice soit faite »
« Contrairement à la récente déclaration du président Evariste Ndayishimiye, Nous savons que le phénomène des disparitions forcées est une triste réalité au Burundi » indique Rachel Nicholson, chercheuse sur le Burundi à Amnesty International. Elle demande que après cinq ans après la disparition du journaliste Jean Bigirimana, son sort soit révélé et que justice soit faite


Réaction du porte-parole du procureur général de la République

Selon Arlette Munezero, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Muramvya a indiqué qu’au cours de la remise et reprise du dossier d’information ouvert dans l’affaire de Jean Bigirimana, le contenu fait état d’une descente effectuée à l’hôpital de Muramvya pour procéder à l’identification des corps repêchés dans la rivière Mubarazi. La famille du disparu n’a pas pu identifier les corps. La porte-parole du procureur général de la République indique que le dossier reste ouvert et les enquêtes sont en cours, « mais le procureur regrette que les victimes ne soient plus venues aider dans les investigations. »

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. roger crettol

    A mettre en rapport avec le catégorique « il n’y a pas de disparition forcée » au Burundi – dixit Évariste Ndayishimiye, actuellement président du Burundi.
    Si l’on en croit le wikipedia français, au moment de la disparition de Jean, monsieur Évariste était à « la tête du cabinet civil du président Pierre Nkurunziza », avant d’être nommé secrétaire général du CNDD-FDD en août 2016.

    J’en ai déjà trop dit, n’est-ce pas, monsieur le Modérateur ? Alors, au panier, ce papier qui sent le bûcher !

  2. James

    Le jour où l’être humain aura de valeur au Burundi, nous aurons évolués. C’est vraiment triste d’être dans un pays où les gens disparaissent comme des animaux et bourreaux continuent à se balader sans aucune inquiétude. En quoi sommes-nous différents des animaux si décapiter les têtes de nos compatriotes ne nous posent pas problèmes?

  3. Jambo

    A quoi bon demander l’impossible.
    Des corps continuent à flotter dans la Rusizi. Même les speurs italiennes tuées en plein jour, la sénatrice Hafsa Mossi, etc… n’ont jamais reçu de justice.
    Les assaillants se la coulent douce

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