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Opinions

Union monétaire est-africaine : le Burundi réussira-t-il le test d’entrée ?

31/08/2013 11
L'auteur de l'article, Prime Nyamoya, est professeur en économie, ancien ADG de la BCB ©Iwacu
L’auteur de l’article, Prime Nyamoya, est professeur en économie, ancien ADG de la BCB ©Iwacu

Je me réfère au récent article de l’hebdomadaire The East African daté de 27 juillet – 2 août 2013, intitulé : Finally, monetary union in sight as countries strike a deal. Le préambule est déjà révélateur puisqu’il est stipulé que les Etats membres n’auront pas un accès automatique à l’union monétaire, mais devront préalablement remplir les conditions préétablies avant admission définitive (Member States will not get automatic membership to the monetary union, but must meet set targets before admission). Le Protocole stipule en outre que la mise en place de l’union monétaire s’étalera sur une période de 10 ans avec les dispositions suivantes préalables à l’admission à l’union monétaire :

1) Taux d’inflation 8%
2) Déficit budgétaire/PIB 3% et 6% en excluant les dons
3) Dette Publique/PIB 25%

Actuellement pour chaque pays membre de la CEA, la situation se présente comme suit :Indicateurs économiques_EAC


Il est d’autre part stipulé dans le Protocole que ces critères d’admission devront être remplis trois années avant la création de l’union monétaire. Déjà, un certain nombre d’institutions financières internationales telles que le FMI émettent de sérieuses réserves quant au caractère réaliste de ces critères pour des pays tels que le Burundi. Le pays a actuellement un ratio de 24% de la dette/PIB mais constitue cependant à l’avenir un risque élevé de remboursement de la dette, compte tenu de la faiblesse notoire de ses exportations. En effet il est peu probable que ce pays, qui couvre à peine un quart de ses importations (+ 400 M$) par ses exportations (-100 M$) en 2012, soit en mesure de remplir ce critère en 2018. Le FMI suggère plutôt dans ce cas comme dans d’autres, que le pays continue à dépendre de dons et dettes à des taux très concessionnels pour financer ses besoins.

Le FMI fait également observer que la limite du taux d’inflation fixée à 8% est loin d’être atteignable compte tenu du contexte des économies de la CEA dont les pays sont nets importateurs, susceptibles par conséquent de subir des chocs extérieurs, notamment à des augmentations brutales du prix du pétrole. Encore une fois, le Burundi est un cas de figure : dépendant à plus de 70% du café pour ses exportations, les cours mondiaux se sont effondrés de plus 30% depuis 2011, la chute des recettes d’exportations avec une combinaison d’autres facteurs a eu pour conséquence un taux d’inflation culminant à une pointe de 25% en 2011 pour revenir à moins de 10% en 2012. Le problème n’est cependant pas confiné au seul Burundi puisque le taux d’inflation du Kenya, le pays le plus riche de la CEA, est passé de 20% en 2011 pour redescendre à environ 5% mais le même scénario peut se répéter à l’avenir pour l’ensemble d’autres pays, bouleversant fondamentalement ainsi les prévisions initiales.

L’autre problème majeur est la difficulté pour les pays membres de la CEA d’atteindre l’objectif de ratio fixé à 25% de recettes fiscales/PIB, à cause des bases d’imposition étroites et d’une multiplicité des régimes fiscaux différents, et ce, pour des économies dominées par le secteur informel à plus de 70%. Actuellement, le Kenya atteint le plus haut score avec un ratio de 23%, la Tanzanie 12%, le Burundi 14%, le Rwanda et l’Ouganda 12,6%. L’harmonisation fiscale en cours dans les pays membres de la CEA aura donc pour but à long terme l’élimination de la concurrence entre les pays et du risque de diminution des recettes fiscales pour chaque pays, provenant de la compétition pour attirer les investissements étrangers.

Un des objectifs d’une union monétaire est de réduire les coûts et risques de transaction associés aux différentes monnaies et taux de change. A l’image de l’euro, le défi majeur sera de décider sur les politiques pour faire converger ensemble les économies afin de maintenir la discipline macroéconomique au sein des pays membres. La future Banque centrale de la CEA pourra-t-elle imposer les sanctions que n’a pas pu faire la Banque centrale européenne pour les pays fortement endettés comme le Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Irlande ? La présence du FMI au sein de la future Banque centrale avec un droit de veto pour les grandes décisions de politique monétaire de la CEA sera le garant de la stabilité et de la crédibilité de la monnaie est-africaine. Sans cela, on peut déjà anticiper à ce stade que la gestion de cette monnaie commune ne sera en rien différente de celles de nos monnaies nationales à soumises à des pressions d’ordre politique, ce que l’on veut précisément éviter, mais plutôt à des critères macroéconomiques plus objectifs.

La création d’un organisme public indépendant chargé du suivi et du renforcement des mesures contenues dans le Protocole ne dissipe pas les appréhensions des opérateurs économiques. En effet, ils expriment de fortes réserves quant au renforcement d’une discipline dans la gestion de la monnaie commune si l’on considère actuellement la lenteur exaspérante dans la mise en application du Protocole sur le Marché Commun. Pour une solution alternative de politique monétaire, les experts pourraient également se pencher sur le franc CFA, monnaie commune pour les pays de l’Afrique centrale au sein de la Communauté économique et monétaire pour l’Afrique centrale, (CEMAC) d’une part, et la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) d’autre part, dont l’euro garantit la convertibilité en contrepartie des conditionnalités acceptées de part et d’autre.

La BCE est automatiquement membre du conseil d’administration des deux banques centrales avec un droit de veto sur les grandes décisions de politique macroéconomique et monétaire. On peut également imaginer qu’une telle formule soit envisagée au niveau de la Banque centrale est-africaine. Les grandes banques centrales des différents pays et zones monétaires qui représentent aussi les principaux partenaires commerciaux de la CEA, telles que la Chine, les Etats-Unis et l’Union Européenne, pourraient être approchées en vue de négocier un accord global de partenariat pour rendre la monnaie convertible tant au niveau interne qu’externe. Cette monnaie est-africaine pourrait alors acquérir à l’avenir une crédibilité que n’arrivent actuellement pas à imposer les différentes banques centrales des pays membres de CEA pour leurs monnaies nationales. Cette alternative éliminerait du même coup un certain nombre de conditions ne pouvant pas être remplies par les économies aux différents stades du développement comme à l’instar de certains pays de la CEMAC et de la CEDEAO.

Forum des lecteurs d'Iwacu

11 réactions
  1. Stan Siyomana

    @Question 1-09-2013 @13:30:34
    « Canke bakwiye kutwigisha ama strategies yo kuba un peu plus independants… »
    1. Le New Deal (Nouvel accord) pour l’Engagement dans les Etats Fragiles a ete adopte par 41 pays et organisations multilaterales au Quatrieme Forum au Haut Niveau sur l’Efficacite de l’Aide, tenu a Busan, Coree du Sud le 30 novembre, 2011.
    Les pays beneficiaires de l’aide ont reconnu l' »importance pour chaque pays d’inventer son propre modele de developpement » (Putting countries in the lead of their pathways out of fragility; Paris (France) commitments on ownership).
    (voir International Peace Institute (IPI): « Busan and beyond: implementing the « New Deal » for fragile states », Issue brief, July 2012).
    2. Arthur Mutambara, vice Premier Ministre de Zimbabwe declarait le 17 avril 2013 lors de China-Africa conference a Johannesburg, Afrique du sud: « Les africains ne devraient pas mettre tout le temps la faute sur la Chine ou une autre puissance mondiale. Nous devons nous prendre en charge dans nos vies, nous devons assumer la responsabilite de nos problemes et trouver leurs solutions ».
    (Ventures Africa: « China must come to Africa on African terms: Arthur Mutambara », http://www.ventures-africa.com, 17 April 2013).
    Merci.

  2. question

    « Le FMI suggère plutôt dans ce cas comme dans d’autres, que le pays continue à dépendre de dons et dettes à des taux très concessionnels pour financer ses besoins. » ??? jewe ndafise ikibazo, est-ce-que kuguma baduha ama deni kwa wingi niko bizofasha iguhugu comme le Burundi? canke bakwiye kutwigisha ama strategies yokuba un peu plus independant?!?
    we have to stop to trust those financial institutions parce que elles sont a l’origine de nos problems.

  3. Mukozi

    Merci Mr Nyamoya pour votre article detaillé et clair! Au vu des données actuelles l’avenir économique du Burundi sera plus précaire qu’au présent. Voici ma conclusion: ijwi ryanje muri 2015 rizotahukanwa n’umugambwe uzotuma umuhinga w’imena Prime Nyamoya gutunganya politike nshasha y’ubutunzi no kuva mu bukene!

  4. Stan Siyomana

    Apparemment, l’on ne devrait pas s’inquieter puisque « l’integration regionale » figure bel et bien parmi les 8 huit pilliers de Vision Burundi 2025 (presente par le President Pierre Nkurunziza le 21 juillet 2011 a Bukeye (Province Muramvya?).
    Merci.

    • Maso

      Merci de nous faire rire!

  5. jac sentore

    Je ne suis pas économiste mais je me permet quand même un commentaire sur ce sujet;
    je ne crois pas que les cadres du CNDD-FDD avec leur mentalité et incompétence notoire soient capable de réussir une tel aventure.
    Ce que les Burundais devraient savoir ; l’EURO n’est pas une réussite. La majorité des citoyens en paye le prix. Certains disent qu’en partie la crise financière est la conséquence de cet union monétaire. D’ailleurs nous savons tous que la Grèce, l’Italie, etc.. ont été admis sur base des données falsifiés.

    • Bakari

      Le burundi a t-il un intérêt quelconque à entrer dans cette communauté de dictateurs? Laissez-moi douter! Il faudra atteindre un minimum de bonne gouvernance dans cette région pour espérer d’organiser quelque chose de sérieux. Car le reflexe tribal (éthnico-xénophobe) dans nos régions est encore trop fort!

  6. Mugunza

    Enigme!! La solution serait d’arriver à produire plus que la consommation (locale)!! Et si même l’excédent de production existait, les marchés extérieurs sont presque imperméables malgre l’existence des nombreux organismes de (régulation) promotion des échanges internationaux à l’instar de l’OMC! Chacun voulant écouler le maximum de sa production sur le marché des autres tout en fermant au maximum son propre marché aux autres! Le système commercial actuel international est moribond. Quant au Burundi, je ne crois pas à l’apparition prochaine d’un leadership qui accepte de prendre le taureau par les cornes et instaurer un nouveau système d’orientation économique à l’image du « Plan Marshall » d’après la grande guerre en Occident. Merci de cet article cher Prime.

    • RUGAMBA RUTAGANZWA

      Un très bon article en effet qui nous rappelle, une fois de plus, que le Burundi reste le mouton noir de la East African Community…..! Le système de corruption sans précédent qui est de mise dans toutes les administrations CNDD-FDD, l’incompétence de cette même administration qui recrute souvent sur base politique, le mauvais environnement des affaires qui décourage et repousse tout investissement direct étranger, tout cela explique en partie les très mauvaises performances de notre économie.

    • Bimbabampisha

      La pauvreté n’est pas une fatalité : Il suffit de se mettre au travail comme les autres pays l’ont fait avant nous au lieu de se confiner à la spéculation non productrice.
      Pour ce faire il suffirait d’éradiquer la petite corruption et adopter des méthodes et procédures de gestion des ressources dont regorge le pays et en premier lieu ses ressources humaines!
      Comment voulez-vous autrement atteindre un niveau de vie honorable lorsque nous continuons à étouffer les talents et décourager l’ingeniosité et la productivité créatrices de richesses et d’emploi?
      Demandez aux pays ravagés par les deux guerres mondiales comment ils ont fait pour s’en sortir et arriver là où ils sont aujourd’hui: chaque pays a du recourir avant tout au nationalisme, au patriostisme et à l’ingéniosité de ses propres citoyens .

      Mais il a fallu d’abord une maîtrise de la sécurité et de la paix sociale dans un cadre de justice et de droit qui loin d’être des cadeaux, ont dû être arrachés par les partenaires sociaux résolument engagés dans tous les pays sans exception.

      • Mukozi

        Je suis d’accord avec vous Mr/Mme Bimbabampisha. Bien dit!

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