Vendredi 29 mars 2024

Politique

Un putsch étouffé dans l’œuf ?

Difficile de savoir si réellement il existe des indices suffisants de culpabilité contre les militaires et policiers actuellement en détention préventive à la prison de Ngozi pour tentative de « putsch ».

Cour extérieure de la prison de Ngozi.
Cour extérieure de la prison de Ngozi.

14 septembre. Un tweet du porte-parole de la police, Pierre Nkurikiye : « A 15h30, Adjudant Nyongera Eddy Claude (FDN/EMG-Transmission) s’est suicidé avec grenade lors d’un interrogatoire au SNR ». Des journalistes seront invités dans ces lieux. Sur les réseaux sociaux, on parle d’une tentative de putsch que ce service vient d’étouffer dans l’œuf. Dans la foulée, la controverse sera plutôt centrée sur les circonstances de sa mort et moins sur la raison de son arrestation. Mais entre-temps, d’autres militaires et des policiers, des sous-officiers pour la plupart, seront arrêtés. Ce n’est que le 30 septembre, lors de la conférence de presse trimestriel des porte-parole du gouvernement, que Pierre Nkurikiye révèlera qu’ils sont au total huit policiers et quinze militaires, des sous-officiers et des hommes de troupes arrêtés pour atteinte à la sûreté de l’Etat.

Dix-huit suspects seront écroués à la prison de Ngozi depuis le 22 septembre sur mandat du parquet de la République de Mukaza en mairie de Bujumbura. Dossier : RNP181 /NLS. Trois infractions sont retenues contre eux : atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat (ASIE), participation à des bandes armées (PBA) et détention illégale d’armes.

Dossier super sensible

Ce mercredi 5 octobre, le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Mukaza a siégé à la prison de Ngozi en chambre de conseil. Il doit se prononcer sur la détention préventive de ces inculpés dans les quarante-huit heures après cette audience à huis-clos.

On saura que cinq avocats dont quatre dépêchés par « Avocat Sans Frontières » assistaient les prévenus. Mais rien ne filtre sur le déroulement de la séance. C’est que la loi burundaise punit la violation du secret d’instruction en phase pré-juridictionnelle. De surcroît, ils n’ignorent pas que le dossier est super sensible.

Trois questions de procédure

La première interrogation est de savoir si le ministère public dispose des indices suffisants de culpabilité contre les prévenus. « Comment des sous-officiers, des tutsi pour la plupart et des ex-Fab, ont fomenté un coup d’Etat alors que des généraux ont échoué le 13 mai 2015 ?» Un avocat qui a participé à l’audience est serein : « Il n’y a pas de preuve suffisante de culpabilité pour les prévenus que j’ai assistés. Je suis optimiste que le juge les mettra en liberté provisoire. »

La deuxième est de savoir si les aveux, si jamais il y en a eu, n’ont pas été extorqués au SNR – surtout qu’il y a une controverse sur les circonstances du décès intervenu là-bas d’un des suspects – ou au cours de l’instruction.

La loi est claire : les aveux arrachés sont frappés de nullité. Cela veut dire que le juge doit considérer que l’instruction n’a pas eu lieu. Il prononce alors la mise en liberté provisoire.

La dernière est de savoir si lors de l’interrogatoire devant l’officier de police judiciaire (OPJ) au SNR, et au cours de l’instruction devant l’officier du ministère public , les suspects ont été informés de leur droit de garder le silence en l’absence de leur conseil. Les détenus ont-ils de leur propre gré renoncé à l’assistance ?
La réponse à toutes ces questions ne sera connue que quand le dossier sera fixé au TGI


Droit de visite contrôlé

L’association volontaire pour la défense des détenus (AVDP) parle de la discrimination des détenus en matière des droits humains.

Jean Nayabagabo : « Le droit de visite doit s’exercer de la même manière pour tous. »
Jean Nayabagabo : « Le droit de visite doit s’exercer de la même manière pour tous. »

Lundi 3 octobre à 10h : quatre visiteurs venus de Bujumbura sont à l’entrée de la cour extérieure de la prison de Ngozi. Ils doivent se faire enregistrer avant de contacter la direction.

Le directeur les reçoit. Un fait spécial : les visiteurs doivent parler avec les militaires et policiers détenus dans son bureau et en sa présence. Normalement, les visites se font dans la salle commune derrière les barreaux ou dans les corridors de la prison.

Un avocat cherche lui aussi à contacter ses clients, deux des militaires. Le directeur lui dit de s’éclipser quelques minutes, le temps de passer un coup de fil. Il a l’autorisation. Il prendra tout son temps à échanger avec ses clients. Entre-temps, le directeur fait un petit tour dans la cour extérieure.

Un membre de l’AVDP arrive. « Toute association qui veut rencontrer ces détenus doit me présenter un document dûment signé par la ministre de la Justice en personne », indique Aloys Hakizimana, directeur de cette prison.

Un traitement discriminatoire

Les prévenus

1. Albet Kitaburaza (Adjudant-Major)
2. Anicet Bigirimana (BPC2)
3. Thadée Gahungu (Adjudant)
4. Ferdinand Masabo (Adjudant)
5. Innocent Girukwigomba (BPP1)
6. Claver Ndayizeye (OPP1)
7. Hérménegilde Ngiriyabandi (Adjudant)
8. François Ngendakumana (Adjudant)
9. Célestin Nsabimana (Caporal-chef)
10. Pascal Nshimirimana (Caporal-chef)
11. Eric Manirakiza (APC)
12. Révérien Mayoya (APC)
13. Félix Nyandwi (APC)
14. Basile Ndikuriyo (APC)
15. Christophe Ciza (APN)
16. Pontien Ndayikunda (APN)
17. Adronis Nduwayo (Adjudant)
18. Jean de Dieu Nduwumwami (Adjudant)

« Tous les prisonniers doivent être placés dans les mêmes conditions de détention. Le droit de visite doit s’exercer de la même manière pour tous », martèle Jean Nayabagabo, responsable l’AVDP, région nord. Il fait remarquer que la discrimination dans l’exercice du droit de visite nuit non seulement au prisonnier mais aussi à la société en général.

Côté prisonnier, elle diminue le nombre et même la qualité des visiteurs ainsi que la fréquence des visites. Le prisonnier subit un grand préjudice au point de vue psychologique, matériel et financier. Il arrive des fois où le prisonnier manque un intermédiaire de confiance entre lui et « le reste du monde », notamment avec ses avocats, son médecin, etc.

En outre, du droit de visite « contrôlé » naissent des rumeurs de risque de liquidation des détenus dans les prisons. Et ce sont ces rumeurs qui parfois font mal à la société et écornent même l’image du pays.

Pour l’AVDP, en cas de mesure particulière visant la détention des prisonniers pour les infractions à mobiles politiques, celle-ci devrait être annoncée publiquement. Ainsi, tout le monde serait informé de la procédure avant d’entreprendre le voyage.

Enfin, l’AVDP rappelle que quelle que soit la lourdeur de l’infraction, les détenus devraient être gardés près de leurs familles. Cela permet aux familles et amis de les visiter sans dépenser beaucoup de frais de transport.

Forum des lecteurs d'Iwacu

2 réactions
  1. Jereve

    Dans ces histoires d’accusations de putsch, atteinte à la sûreté de d’état, bandes armées, rebellions, opposants etc… la frontière entre le sérieux et le farfelu est devenu si mince qu’on ne sait plus les distinguer.

  2. Ntazizana

    Les dd utilisent des accusations gratuites comme moyen d’éliminer l’autre qui ne leur ressemble pas: aujourd’hui ce sont les militaires tutsi, demain ce seront tous ceux qui se taisent alors qu’ils pouvaient leur exprimer leurs désaccords avant que ça ne soit trop tard.
    Que personne ne se leurre, ce genre de governments n’épargne personne qui ne chante pas à leur gloire.
    Quand le monde leur conseille de cesser leurs violations, ils haussent le ton au lieu de se corriger. Les dirigeants sont devenus aveugles et Dieu seul sait comment le Burundi sera sauvé.

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